Connaissez-vous l'histoire du marchand de sable ? Légende de nos premières années, celui qui devait venir pourrir notre pieux avec un peu de la plage voisine (sans les mégots) pour nous voir enfin dormir, n'a pas toujours réussi son coup. Pensez donc, foutre du sable sur la tronche de quelqu'un pour qu'il rejoigne les bras de Morphée. Une vaste fumisterie... Le sable, tout au plus, c'est ce parasite qui te reste au fond du maillot quand tu décides de quitter la plage, point.
Et pourtant, si toi aussi tu crois que le sable ne fait plus forcément rêver passé un certain âge, j'ai aujourd’hui de quoi te faire changer d'avis. Du moins, je le crois, surtout si tu aimes le bon vin.
De passage en terres castelpapales à l'occasion des Printemps de Châteauneuf, j'allais en effet rencontrer un de ces faiseurs de vin dont on aime à se rappeler, une fois ses canons vidés. Il est 22 heures ce samedi soir, alors que le marchand de sable a bien dû réussir à pieuter quelques marmots, au cœur de la cité des Papes, dans les murs de chez Ogier, la fête bat son plein. Du monde à voir, du monde voulant se faire voir, pas mal de pickpockets affamés autour du buffet, et surtout quelques vignerons qu'il est toujours agréable de rencontrer. En marge de cette cohue, dans la douceur printanière de cette soirée, c'est Julien Barrot, vigneron du Domaine La Barroche, qui s'avance vers nous, tout surpris que ses vins ne soient pas encore venus rejoindre la tablée centrale où s'entassaient, comme un bus de retraités approchant des toilettes à l'heure de la pause pipi, les bouteilles de ses camarades. Une tablée aux allures de mausolée, qui voyait se vider les flacons les uns après les autres, avec pour étalon de rigueur, le magnum ou le jéroboam, histoire de satisfaire une assemblée soudainement assoiffée (et peut-être un peu aussi pour se faire remarquer).
Bref, ni une ni deux, notre Robert Redford local, tel Sundance Kid (la moustache en moins), s'en va piller les cuisines en quête de quelques flacons de sa propre production. Quelques instants plus tard, le voilà de retour, un Jéroboam à la main et le sourire aux lèvres, content de pouvoir partager avec nous le fruit d'un travail qui s'avèrera exceptionnel. Outre le contenant imposant et agréable à regarder de part le design épuré de son étiquette, le vin que nous présentait ici Julien fut tout simplement une révélation. Je me savais déjà une préférence pour les vins de Châteauneuf issus des terroirs sableux de la région. Château Rayas ou même Pignan, dont le style Reynaud a définitivement charmé mes papilles un après-midi de septembre, en sont les parfaits ambassadeurs, mais quoi de plus agréable que de découvrir de nouveaux prétendants et de s'éclater encore et toujours dans cette diversité foisonnante que reste le vin.
Me voilà donc, un verre à la main, un verre de PURE 2009, grenache presque exclusif issu d'une parcelle unique de vignes centenaires au sol sablonneux quelque part à l’intersection des quartiers « Grand Pierre », « Rayas » et « Pointu ». La quintessence de mon goût pour le Châteauneuf en quelque sorte. Mais là où il y a de beaux raisins, il n'y a malheureusement pas toujours de grands vins. Il semblerait même que le vigneron ait un rôle dans cette histoire...
Ce soir là, on discute, et on boit plus qu'on ne déguste. Il y aura le salon, le lendemain, pour les questions précises et un poil plus techniques. Mais déjà, je me plais à boire, simplement. Le vin est bien évidemment encore un peu jeune, un peu serré et dense en première approche, surtout que le contenant de trois litres a préservé la jeunesse éclatante du nectar. Mais au fil des mots qui tissent la discussion, le vin prend de l'ampleur, de la finesse, de l'élégance. Le jus est pur, oui, comme l'indique en relief sur une étiquette au blanc immaculé du plus bel effet cette inscription à valeur de sobriquet. Pur et profond, mais surtout, préservant la fraîcheur d'un fruit encore croquant des rayons d'un soleil pouvant cuire une grappe aussi rapidement qu'un hollandais sur la plage. Le vin se trouve ainsi doté d'une buvabilité à en faire pâlir une bouteille de poulsard, et surtout, arbore une palette aromatique où notes florales et minéralité peuvent pleinement s'exprimer.
Le lendemain, de passage sur le stand, j'ai pu évidemment transformer l'essai en goûtant au reste de la gamme. Toujours cette fraîcheur, cette vivacité, évident dénominateur commun de la production du domaine qui confère à ces vins une digestibilité toujours agréable quand on a le souhait de boire parfois un peu plus d'un verre d'un même vin. Intéressant aussi de juger du dernier millésime de PURE, pour se dire qu'indéniablement il s'agit d'un grand vin, et que les impatients seraient vraiment mal inspirés de venir troubler un repos à l'évidence salutaire. Il y a tellement de bonnes choses à découvrir à boire ailleurs en attendant ! Agréablement surpris aussi par cette Fiancée dont le mordant de la syrah vous embarque immédiatement vers des latitudes plus septentrionales.
Et finalement, attablés autour de quelques huîtres, cochonnailles et autres fromages parfois agrémentés, prenant le temps de parler encore un peu alors que le soleil de midi nous intime une pause, nous profitons. Et de cette posture de jouisseur impénitent dont j'essaie de savourer chaque instant, je me dis que certains plaisirs méritent parfois que le marchand de sable prenne un peu de retard...