Dégustation des 2017 au domaine Jean-Louis Chave
Il est des jours où on a le coeur léger, l'esprit insouciant, car on sait qu'on va prendre le temps. Ce matin, je suis heureux car je m’apprête à déguster sur fût les 2017 chez Jean-Louis Chave. 20 millésimes après les 1997 dégustés lors de ma première visite au domaine en octobre 1998. Le temps passe, mais l’émotion, et surtout la conscience de la chance que j’ai sont toujours les mêmes.
Les Hermitage blancs 2017
Péléat : sol argilo-sablonneux : vigne complantée en Marsanne et Roussanne. Le vin a été sorti du fût pour ne pas qu'il soit trop riche. Arômes de fleurs blanches, de pêche, un peu de miel, riche en bouche.
Les Rocoules : argilo-calcaire : nez plus retenu, plus droit, plus frais, des arômes de verveine, de citron, plutôt que de miel. La bouche est, paradoxalement, à la fois plus saline mais avec davantage de gras. Je suis surpris de cette droiture dans ce millésime riche, alors que je me représentais les Rocoules comme le vin apportant les arômes les plus lourds. Jean-Louis me dit que le côté calcaire ressort particulièrement cette année, et je le comprends en pensant à des rieslings du Clos Windsbuhl par exemple.
L'Hermite : Loess : vin plus fin, nez citronné également, dans un registre svelte qui aura besoin des Rocoules pour le soutenir. Je le vois moins autosuffisant que dans d'autres millésimes, je comprends cette année l'importance du support des Rocoules.
Les Hermitage blancs en bouteille
L'Hermitage blanc 2016 : blanc compact, arômes citronnés, de verveine, sans nuances de miel. En bouche, on remarque une certaine vivacité qui n'est pas de l'acidité (analytiquement). Grande longueur. Pour des poissons à chair blanche goûteuse, sans crème à ce stade. Remarque : vin produit en petites quantités du fait de la grêle qui s'est abattue sur Les Rocoules fin avril. Les raisins n'ont pas souffert car ils n'étaient pas formés, mais l'équilibre du vin est modifié par rapport à d'habitude car seulement 5 fûts de Rocoules ont été produits au lieu de 16 habituellement.
Pour nous faire comprendre en quoi le profil de ce 2016 est particulier, Jean-Louis va chercher un
Hermitage blanc 2012 qui présente un autre profil aromatique (au-delà des 4 ans de bouteilles supplémentaires) : cire d'abeille, miel, jaune d'oeuf; naturellement plus ouvert que le 2016, qui se déguste remarquablement bien, je pense qu'il n'en possède pas tout à fait la longueur.
Pour faire écho au 2016, Jean-Louis nous ouvre maintenant l'
Hermitage blanc 2001. La première bouteille est légèrement oxydée du fait d'un bouche qui manque de densité (il s'écrase sous la pression des doigts). La 2ème bouteille est sur des arômes de mousseron, de jaune d'oeuf, fraîche, jeune. La bouche possède de la longueur en restant vive. Cette image était plus ancrée dans mon esprit pour l'hermitage rouge 2001 que pour le blanc mais je constate que blanc et rouge sont batis sur un même équilibre dans ce millésime.
Saint-Joseph rouges 2017
(rouges toujours, car les essais de Saint-Joseph blanc sur granite ne sont pas encore concluants pour Jean-Louis)
Le Clos 2017 (partie dite du croissant, située dans le cône de déjection, constituée de très vieilles vignes) : fruit éclatant, arômes de framboise, de rose, serré, mûr; tannins très fins, denses, qui tapissent la bouche tout en délicatesse. Superbe.
Chalaix 2017 : nez plus poivré, légèrement lardé, plus en retenue. La bouche est vive, avec des tannins fins plus pointus que le Clos.
Les Dardouilles 2017 : granite avec des argiles en surface : nez de cassis, de mûre, généreux, mûr, avec de l'amplitude. en bouche le vin est généreux aussi, plein. Il me donne l'impression d'être le Méal de Saint-Joseph, ce que le sol avec des argiles en surface semble corroborer, et je trouve que l'année lui va particulièrement bien (je l'avais adoré l'année dernière aussi mais là il se détache davantage).
Bachasson 2017 : nez de cassis, de violette, de pot pourri, dans un registre plus floral que les précédents. Tannins pointus, perçants, denses, bouche vive. De la trame, du fond.
La personnalité de ces Saint-Joseph de terroirs différents est vraiment stupéfiante et apparait de façon plus évidente chaque année.
Saint-Joseph rouges 2016 en bouteille
Ces vins mis en bouteilles en août dernier et ouverts devant nous ne se goûtent pas très bien à ce stade : le
Saint-Joseph 2016 est réduit, même si on peut percevoir de la chair et des tannins fermes en bouche et le
Clos 2016 (issu du croissant), s'il se montre plus ouvert/moins réduit que le Saint-Joseph classique, me semble un peu bousculé et ne me s'exprime pas avec l'évidence des 2017. C'est évidemment une phase de bouteille, car toutes les parcelles étaient délicieuses sur fût l'année dernière, il faut simplement attendre qu'elle passe. Je vais donc attendre 4-5 mois pour ouvrir le premier flacon de ce Saint-Joseph. Curieusement, l'Hermitage rouge 2016 mis en bouteille il y a un mois n'a lui pas du tout souffert de la mise en bouteille, et se déguste tel qu'il doit l'être.
Du coup, sur ma lancée, j'évoque la petite déception du 2007 bu récemment avec cette acidité très marquée voire dérangeante. Jean-Louis me dit que le vin se goûtait très bien jeune (ce que je confirme) mais qu'il a fait le choix, par volonté/conviction, d'une quasi-absence absence de soufre, et l'évolution sur certaines bouteilles s'est avérée périlleuse. De la même façon, j'évoque certains millésimes anciens de la cuvée Mon Coeur en Côtes-du-Rhône dont l'aromatique m'avait perturbé, dans lesquels il y a eu des problèmes de bretts car, même s'il connaissait des moyens pour s'en protéger à coup sûr, il n'a pas voulu les utiliser pour éviter des vins trop standardisés. "Parfois, on fait des erreurs." ajoute-t-il en souriant.
Hermitage rouge 2017 sur fût
Beaumes : sol de poudingues, moraines glaciaires agglomérées par du calcaire. Nez très profond de fruits noirs, puissant, avec une trame tannique dense, qui me surprend pour un vin que je croyais plutôt vecteur d'arômes que de corps dans le vin. Je n'avais jamais goûté dans les Beaumes, une telle puissance, une trame aussi marquée, et il n'est pas sans me rappeler le Méal goûté après.
Péléat : sol sablonneux. Superbes arômes de cerise, nez intense mais moins une structure tannique plus souples, moins serrée que les Beaumes. Très beau vin de parfum.
Hermite : nez mûr, presque chocolaté, grande densité de tannins; aromatique marquée par la chaleur du millésime, pas aussi élégant qu'en millésime plus frais à ce stade, mais il jouera son rôle dans l'assemblage évidemment.
Méal : Vin très complet, dense, mais aucunement lourd, surpuissant, et même frais/minéral pour un Méal. Je suis surpris par la qualité de ce vin et le raccourci millésime mûr-terroir solaire trop lourd est balayé du revers de la main. Le millésime lui va très bien. Le vin le plus cohérent de la gamme selon moi, avec les Beaumes. Jean-Louis parle d'un millésime de type Méal, je crois que je comprends ce que ça veut dire.
Bessards 2017 : nez plus fin, plus retenu, mais avec quelques arômes chocolatés . Il est dans la même lignée que Bachasson mais en plus mûr. À ce stade, le millésime domine encore les Bessards à mon sens, mais la colonne vertébrale du granit est bien présente et décelable.
Les Hermitage rouges en bouteille
L'Hermitage rouge 2016 : (mis en bouteilles il y a un mois) : arômes de cerise griotte, de rose, ouvert, joyeux. Bouche à la fois juteuse mais vive, avec des tannins denses, ciselés mais jamais agressifs. Vin très raffiné, à l'aromatique plus fraîche que les 2017, mais avec une belle densité de chair. Très beau vin, moins massif que 2015, moins puissant que le sera 2017 certainement, mais qui ressortira certainement très bien lors de verticales (comme un 1991?)
Sans un mot, Jean-Louis va chercher un
Hermitage rouge 1999. Comme ici, rien n'est fait au hasard, je suspecte qu'il y voit une parenté avec 2017. À l'ouverture, le vin est plus sur la fourrure, les fruits à l'eau de vie, avec une impression de maturité qui ressort (ce qui ressemblerait à 1999). La bouche est plus ciselée que ce que le nez laisse croire. Le vin s'ouvre au fur et à mesure dans le verre, mais il aurait fallu le laisser s'aérer 1h pour mieux le comprendre.
Dessert : Hermitage Vin de Paille 1997
Pour honorer les vignerons jurassiens présents, Jean-Louis va chercher une demi-bouteille d'
Hermitage Vin de Paille 1997. Nez magnifique, de miel, aucune trace d'oxydation, très pur aromatiquement. Bouche ample, caressante, pas lourde, une belle SGN ... Ca doit être la 4ème fois que je déguste un vin de paille ici, je n'ai pas le souvenir d'un vin autant dans les canons habituels des liquoreux, sans lourdeur, que celui-là. Très bien. Le 2000 est encore en fût, ce qui n'est pas un précédent ici.
Conclusion
Formidable moment, comme d'habitude, où l'on prend le temps de déguster et surtout de discuter de vin et de tout.
Les blancs, dont on sait qu'ils présentent un équilibre singulier qui repose sur l'amertume et non pas sur l'acidité, présentent du gras sans aucune lourdeur, et se dégustent facilement, sans aucune impression de richesse excessive, et ne réclament pas forcément des plats riches en crème.
Les rouges sont mûrs, charnus, issus d'un millésime chaud qui a favorisé les terroirs argilo-calcaires comme les Beaumes et surtout le Méal qui s'expriment majestueusement et plus fraichement/compacts, avec moins d'exhubérance mais plus de longueur/structure que d'habitude, tandis que les terroirs granitiques (Hermite et Bessards) qui sont des vins de structure voient leur pureté aromatique quelque peu bousculée par les arômes solaires (chocolat). Il ny a que 2 personnes, Gérard et Jean-Louis, qui ont une idée de ce que l'assemblage à venir peut donner, mais on peut penser sur ces fûts que ce sera un vin assez ouvert. Je comprends avec cette dégustation l'excellence de l'Hermitage Bessards-Méal 2017 de Bernard Faurie qui m'a vraiment plu sur les salons de cet hiver.
Merci Jean-Louis pour ces moments précieux.
David Chapot