Le millésime 2019 au domaine René et Pierre Rostaing
Se rendre au domaine de René et Pierre Rostaing, c'est savoir accepter un style où la rafle joue un rôle de premier plan. Vous me questionnerez alors : "SP, pourquoi t'y rends-tu, toi qui préfères les vins gourmands avec du fruit?". Il est vrai que lorsque camarade ChristopheM nous fait découvrir le domaine, je goûte des tanins qui sculptent l'intérieur des joues, parfois à l'excès. Ne connaissant alors que peu le Rhône Septentrional, je laisse à mes comparses l'organisation de nos excursions dans cette région. Et sans m'en rendre compte, un faisceau d'épisodes gustatifs se constitue avec le temps pour mieux me faire approcher l'idée, peu préhensible de prime abord, que René et Pierre Rostaing ont de l'appellation : une grande Côte Brune 2017 sur fûts, des Ampodiums avec 3-4 années qui se révèlent bons et surtout une Landonne 12 qui avait mis d'accord toute une tablée. Avec le recul que confère la restitution d'une visite, on se rend compte que le domaine Rotaing relève de ceux où la dégustation en bouteille avec un peu de maturité se révèle finalement régulièrement supérieure à celle en jeunesse sur fûts. Et il vaut mieux que cela soit dans ce sens. Comme un rappel à la patience du vin.
Cette année, ce n'est pas le fils mais bien le papa René qui nous reçoit. Et il est d'excellente humeur. Dommage, je vais le fâcher.
- Comment s'est passé 2021? Entre le gel et les pluies vous n'avez pas été épargnés.
- C'est surtout le mildiou qui a fait des dégâts. C'est simple, on perd la moitié de la récolte. Mais on garde le sourire
. Il faut se rappeler que nous sortons de 6 très belles années. On ne peut pas se plaindre.
- Et sur votre domaine dans le Languedoc?
- Il a aussi gelé. Mais les vignes ont été moins touchées. Et il n'y a pas eu d'autres épisodes ensuite. Que voulez-vous goûter?
- Côte-rôties surtout, si cela est possible.
- Mais bien sûr!
Côte-Rôtie, Ampodium 2018
- On atteint 14-14,5°.
- Et en terme de rendements? 2018 a été une année assez généreuse un peu partout.
- On est à 36-37 hl.
- Seulement? Ce n'est pas tant finalement.
- Ah mais on n'atteindra jamais des sommets par ici. Et puis je vais vous dire, des rendements hauts ne conviendraient pas.
Une bouche assez bien placée en son centre. Comme l'on pouvait s'y attendre, les tanins de la rafle sont très saillants. Et ils sont en nombre. Ils creusent les joues. Tout cela a bien entendu besoin de temps pour fondre. On perçoit néanmoins au-delà une belle constitution dans le jus qui s'y mêle.
B+ notamment pour le potentiel sous-jacent.
- A quelle hauteur de VE sommes-nous? 100%?
- Oui toujours.
- Votre fils, Pierre, imaginait peut-être en réduire la proportion à un moment.
- Ce n'est plus le cas. Il a compris
.
Côte-Rôtie, Ampodium 2019
Des mûres, des baies noires, des épices. Le mariage d'un millésime à forte maturité avec la VE convient mieux. Celle-ci n'en reste pas moins perceptible par son astreinte végétale. Les habitués peuvent supposer que la fonte des aspérités anguleuses et l'apparition de touches mentholées avec l'âge développeront un contrepoids aux notes primaires d'un registre très chaleureux.
B+/TB- pour ce que la bouche laisse présager.
- Les rendements ayant été faibles et la pression des maladies haute en 2021, avez-vous déjà décidé si vous n'alliez pas tout assembler?
- Nous ne savons pas encore. Il n'y a pas de raison pour ne pas séparer les parcelles cette année.
- Comparativement en 2014, à quel moment vous étiez-vous décidés?
- Ah 2014, tout de suite. C'était évident. 2021, nous avons encore le temps d'y songer.
Côte-Rôtie, Ampodium 2013
Je n'avais pas un souvenir impérissable du millésime dans sa jeunesse. Il se porte ma foi plutôt bien après 8 années. Le nez est très ouvert sur du sirop de cassis. La bouche est légèrement épicées. Tout le monde s'exclame "Poivre Blanc", le géniteur inclus; pas moi. Je suis passé à côté :p. Une petite note animale au milieu de tanins tirant sur le floral, l'aubépine.
B+ à l'instant T.
- Si votre fils conserve finalement la proportion de rafle dans vos vins, a-t-il apporté des changements par ailleurs? Il y a ceux qui perpétuent la façon de faire et ceux qui y intègrent des modifications importantes.
- Pierre prête une attention particulière au matériel que nous utilisons. Nous avions d'anciennes cuves en fibre de verre. Hop, il a tout remplacé par de l'inox. Et il a amené des pompes plus douces pour faire circuler le vin sans le brasser.
- Vous ne craignez pas un effet réducteur avec l'inox?
- Non pas du tout, il faut du 316.
Côte-Rôtie, Landonne 2019
D'emblée une élégance supérieure. Une verticalité aérienne. Il y a pourtant tout un registre qui pourrait peser: de la réglisse, du zan pour être plus spécifique, des fruits très noirs. L'ensemble ne tombe jamais cependant. Il dure même longuement dans les secondes.
TB
Côte-Rôtie, Blonde 2019
"La Blonde a tendance à embrayer sa fermentation malolactique rapidement. Ca chauffe en fin de fermentation. Mais ça permet de grossir le vin."
Le nez envoutant. Les effluves embaument vite l'odorat. Les tanins sont très serrés, plus concentrés au milieu de la bouche. De la mûre, de la cerise noire écrasée. Un pallier est encore franchi ici.
TB+ voire davantage. A patienter très longuement.
C'est sur dernière lampée que notre petite heure en compagnie de René Rostaing s'achève. A l'heure de la generation Now, des vins se devant immédiatement buvables / être bus, il est une gymnastique gustative et une mise en oeuvre de notre capacité de projection qu'il n'est pas déplaisant de mobiliser ici tant la production du domaine nous renvoie à une patience récompensée pour qui saura attendre.