L'importateur suisse d'Henri Bonneau a eu la gentillesse de m'inviter chez le maître. La cave d'Henry Bonneau est devenue difficilement accessible aux visiteurs non-initiés, et il n’est pas aisé de goûter les vins à la propriété et de faire la connaissance de ce monument de l'histoire de Châteauneuf-du-Pape.
A l'entrée de la cave, nous saluons le jeune importateur danois et ses parents, avant d'entrer dans l'antre du maître. Le distributeur de Bonneau fait les présentations. Quand vient mon tour et qu’Henri entend parler d'un site internet, il s'inquiète : "internet ? quel site ? ( Bonneau ne connaît pas LPV !

)... je m’en méfie car on a récemment vendu sur internet de faux vins de Bonneau !". Je le rassure et je lui dis que LPV n'est pas un site commercial, mais un site d'amateurs passionnés. Il s'apaise et nous prenons quelques verres avec nous avant d'entrer dans la cave.
Je savais déjà un peu à quoi m’attendre, Bonneau est connu pour ses méthodes traditionnelles, mais je ne peux quand même m’empêcher d’être surpris. On est bien loin des chais hi-tech des grands châteaux bordelais, brillants de propreté et stériles comme des laboratoires. On est loin aussi de tout ce que j’avais vu jusqu’à maintenant, y compris dans le Rhône, où j’avais vu les exploitations les plus traditionnelles. Ici, la futaille semble être là depuis des temps immémoriaux, les murs décrépis sont recouverts d'une moisissure noire et d’antiques toiles d’araignées. De vieilles bouteilles sont jonchées ça et là, couvertes d’une épaisse couche de moisissure. Je gratte un peu la surface d'une barrique et je vois avec inquiétude de la vermine s'affoler. Tout cela ne me rassure guère. Comment est-il possible de faire des grands vins dans des conditions pareilles ? Comment Bonneau a-t-il pu acquérir la réputation du maître de l'élevage, quand je vois l'état de certaines barriques ? J’en viens même à me demander, voyant quelques outils accrochés sur un présentoir, si nous ne sommes pas dans une sorte de musée pour les touristes…Le vin n’est probablement pas fait ici. Mais je déchante vite, car le distributeur (j'ai oublié son nom) prend une pipette et nous fait goûter les crus sur fûts.
Bonneau est jovial, apparemment hédoniste, avec un humour paillard assorti d’une sensibilité omniprésente derrière le brillant malicieux de se yeux. A quelqu’un lui demandant l’âge d’une barrique quasiment en voie de décomposition, il sourit et hausse les épaules en disant qu’effectivement, elle est très vieille. A une autre lui demandant si elle a plus de dix ans, il rétorque, sourire en coin, que c’est bien possible. Il parle peu de ses vins, des différentes cuvées. Il laisse faire l’article au distributeur et se contente d’observer les dégustateurs, notant leurs réactions aux vins proposés, ou préfère s’entretenir de choses et d’autres avec l’épouse de l’un des visiteurs.
Il connaît chacun de ses fûts, et l’expérience lui permet de savoir avec précision ce que sera l’évolution du vin qu’il contient. C’est là tout le talent du maître. Derrière l’apparence négligée de l’élevage, se cache une grande proximité avec les vins et un savoir-faire immense. En effet, la dégustation nous démontrera que les vins de Bonneau n’ont pas l’air de leurs contenants. J’ai bien cherché les arômes de vieilles barriques, les notes de moisi, de carton mouillé ou de vieille futaille, mais je ne les ai pas trouvés. Me méfiant des odeurs de la cave, je suis même sorti jusque dans la cour pour m’en assurer, mais rien. Ce savant homme parvient dans ces vieilles barriques à faire l’un des meilleurs Châteauneuf-du-Pape qui soit.
Dégustation de quelques vins en cours d’élevage
Châteauneuf-du-Pape 2004
Le nez impose d'emblée sa classe.La bouche est dense, avec des tannins fins et serrés. Longueur appréciable. Ce vin manque un peu de complexité et le gras pour être un grand vin, mais il séduit par son fruit frais et son caractère digeste. Je ne doute pas que la pointe de sécheresse perçue en finale disparaîtra à l'élevage.
Crau 2004
Ce vin présente encore une pointe de CO2 et de sucre qui rendent la dégustation difficile, mais le potentiel est là. Plus de volume que le vin précédent, avec plus de puissance et de structure, voilà déjà un vin d’une dimension supérieure.
Châteauneuf-du-pape 2003
Nez minéral et fruité. Bouche tendue, racée, avec de l’allonge. Pointe de sécheresse en finale.
Vin de table
Très agréable vin marqué par le grenache. Facile à boire, gourmand et savoureux, avec un élevage « à la bonneau » qui amène ce gentil vin au niveau d’un bon Châteauneuf.
2001 (un fût qui va aller dans le Bonneau ou dans le Marie Beurrier, mais pas dans les Célestins)
nez un peu réduit, pas encore tout à fait en place. Un vin très frais, aux tannins fins, qui doit encore s’arrondir et se complexifier.
La Crau 2001
On retrouve un style proche du précédent, avec cependant plus de complexité et d’harmonie. Très long, avec un toucher de bouche magique sur des tannins soyeux. Aucune lourdeur sur ce vin, pourtant puissant.
2000 1ère cuvée
Un vin fin, frais, friand, féminin, tout en dentelle. Un vin de plaisir sensuel, avec une sensation aérienne et une finesse qui évoque les grands pinots.
1999 Marie Beurier
Ce vin se trouve dans une cuve émaillée. Joli nez complexe, déjà bien marqué par les notes tertiaires. Bouche très élégante, soyeuse, aux tannins patinés, d’une sensualité inouïe. Très grande longueur. En rétro, toute la gamme aromatique revient. Un vin multidimensionnel. Et superbe.
Célestins 1998
Aussi en cuve émaillée. Le nez donne l’impression d’un vin déjà plus âgé, par son caractère complexe, tertiaire. Ce vin représente à la perfection l’idée héraclitéenne d’harmonie des contraires : il offre à la fois de la puissance et du soyeux, de la force et de l’élégance. Finale en queue de paon. Enorme vin encore au début de sa vie.
Célestins 2000
Sur ce vin, les arômes primaires sont encore marqués, avec les notes variétales du grenache. C’est encore un très grand vin, avec une finale très longue. Moins fondu et évolué que le 98, il demande encore un peu de temps.
Yves Zermatten