De passage à Mirande, dans le Gers, ne voilà-t-il point, si si je l'avoue, que je me mets en tête de goûter sans perdre une fraction de seconde aux produits locaux. Est-ce bien raisonnable ? Eh bien mon dieu oui, il me semble, et j'ai beau tourner et retourner le problème dans tous les sens j'en arrive toujours à la même conclusion : c'est non seulement raisonnable, ce qui serait en soi une bien maigre perspective, mais vital et essentiel pour tout homme bien né dans le monde de brutes qui est le nôtre.
C'est, comme qui dirait, une question de résistance au sens noble (je ne parle pas de résistance électrique, encore que ça peut chauffer à l'occasion, mais plutôt de quelque chose dans le genre de ce qui s'est passé en 39-45 quand les Allemands paradaient dans les rues de la Capitale et pillaient nos trésors nationaux, à commencer par les caves de nos châteaux et restaurants les plus réputés) du terme.
Le canard bien sûr, noble animal dont les capacités hépatiques ne sont plus à démontrer et la démarche claudicante ne peut qu'émouvoir la créature sensible que je suis; idem le porc noir, gascon ou de Bigorre, bestiole dont la truculence et la chair persillée me vont aussi droit au cœur qu'une flèche tirée par ce petit obsédé de Cupidon himself (mériterait une bonne paire de claques, çui-là); mais surtout, il va sans dire raison pour laquelle je le dis quand même et n'hésite pas à le crier haut et fort, cette chose admirable, inimitable et sans précédent qu'il est d'usage d'appeler Armagnac.
Autoproclamée "plus ancienne eau-de-vie de France", ses nobles origines remonteraient à un certain Armin, chevalier franc de son état (à ne pas confondre avec le cabernet du même nom mais à rapprocher, très certainement, de l'expression "trois Francs six saouls" qui atteste de la capacité de ces derniers à - pour reprendre une expression chère à nos amis québécois - se paqueter déraisonnablement la fraise).
Au printemps 507, alors que les premières pâquerettes commencent à fleurir joyeusement dans les prés, les hérétiques Wisigoths (disciples d'Arius d'Alexandrie) règnent en maîtres sur le sud-ouest de la Gaule, au grand dam de Clovis et Flavius Anastasius Augustus, empereur romain d'Orient. C'est alors que, tel un furoncle gorgé de pus, éclate la bataille de Vouillé (commune du Haut-Poitou), opposant l'armée de Clovis à celle d'Alaric II, roi des Wisigoths.
Au cours de cette sanglante (je rappelle qu'à cette époque on s'affrontait à grands coups de hache dans la tronche, ce qui ne fait pas nécessairement du bien) prise de bec, notre Armin s'illustre avec brio et se voit offrir en récompense le fief gascon qui portera son nom : Arminius.
Ensuite, au cours d'un parcours linguistique tortueux lié aux aléas de la prononciation et autres évolutions de la langue française, Arminius se change en Armagnac. Si l'on met de côté les essais du médecin et pharmacologue grec Pedanius Dioscoride dans les année 50 après J.-C., c'est environ deux siècles et demi plus tard, aux alentours de l'an 300, que le philosophe et alchimiste grec Zosime de Panopolis pose les bases claires et définitives de la distillation.
Pendant les mille ans qui suivent les alambics tournent à plein régime et la technique s'affine, de sorte qu'en l'an 1300 le cardinal et homme de sciences franciscain Vital du Four peut en toute quiétude vanter les vertus quasi miraculeuses des eaux-de-vie d'Eauze et Saint-Mont dans un traité de médecine sobrement intitulé
Livre très utile pour garder la santé et rester en bonne forme.
En espérant que ce bref historique, humblement destiné à remettre l'église de Condom au milieu du Gers, Terre Sainte de l'armagnac et patrie de Charles de Batz de Castelmore, Jean-Charles Persil (politicien revêche surnommé le Père-Scie par ses détracteurs), du vicomte de Castex et des frères Bogdanoff, ait satisfait vos légitimes exigences en la matière, j'en reviens si vous le voulez bien à mes moutons, ou plutôt mes porcs gascons.
Plus fébrile qu'un adolescent bouleversé par l'éclosion du premier bouton d'acné sur son visage encore poupin, je me mets en chasse du précieux nectar et me porte acquéreur d'un vieux Ténarèze 15 ans de la maison FEZAS doublé (on n'est jamais trop prudent) d'une vieille réserve de la famille MAESTROJUAN, le premier développant 42 et le second 47,5% d'alcool. Naturellement, quitte à trahir et risquer de briser trente ans d'amitié avec mon cher et tendre vieux compagnon le rhum, je me vois assez mal déguster l'un et l'autre sans l'inévitable compagnon de ce genre de voyage fumeux dans les méandres alcoolisés de la geste gasconne, je veux bien sûr parler de cet impétueux rouleau de feuilles des plus fins tabacs confectionné de main de maître par des torcedores caribéens qu'on appelle un cigare.
Eh bien, croyez-le ou non, mais c'est dans un endroit des plus improbables, où l'on s'attendrait davantage à croiser un curé à bicyclette ou un éléphant de mer en complet veston que l'objet en question, que je mets avidement la main sur une poignée de DON TOMAS SPECIAL EDITION aux formats 5x54 et 6x60, vitole que je n'avais pas encore eu l'occasion de griller ni au coin du feu ni - en l'occurrence - au clair de lune au bord d'une piscine au doux clapotis remplie de naïades effervescentes.
Les amateurs ne sont pas sans savoir que le Honduras (et Don Tomas en particulier) ne brille pas nécessairement par l'excellence absolue de sa production, au moins jusqu'à un passé récent, avant que des producteurs comme Plasencia, Rocky Patel ou Chrisian Eiroa (C.L.E Cigar Company) ne s'y intéressent d'un peu plus près.
Le DTSE est emballé dans une feuille de papier de soie (tel un nourrisson joufflu dans ses langes), pratique désuète que l'on en rencontre plus guère que chez FONSECA, marque fondée à Cuba dans les années 90 (1800) par Don Francisco Fonseca. Tombée dans le giron de la famille QUESADA (Casa Magna, Heisenberg, Cubita, Regius) en 2019, la marque (FONSECA) atterrit finalement chez Don Pepin Garcia (My Father, La Aroma de Cuba, San Cristobal et Old Henry) et produit toujours des cigares à Cuba et au Nicaragua.
Bref, comme je ne connois point ce Don Tomas et qu'il est proposé à un tarif que je qualifierai de très acceptable, voire aussi doux qu'une joue de pucelle allongée dans la mousse tiédasse d'un soir d'été, je prends avec reconnaissance, sans faire de chichi, comme un gentil petit garçon bien sage qui ne veut pas faire de peine à sa môman. C'est ti pas mignon tout ça.
Sur ce je regagne ma base avec mon butin, de l'armagnac et des cigares plein les fouilles, des rêves plein les étoiles qui n'attendent que le coucher du soleil pour embraser la voie lactée.
Au terme d'un repas plutôt bien arrosé en vins locaux, l'heure tant attendue de se détendre un peu arrive enfin.
Le FEZAS offre un nez riche et gras, fruité, compoté, et une bouche soyeuse non dépourvue d'une certaine fraîcheur.
Le MAESTROJUAN, un poil plus rêche, n'en fait pas moins preuve de finesse et d'élégance, avec peut-être un léger surcroît de complexité et surtout un petit retour sur le cassis des plus affriolants.
Le DON TOMAS 6x60, étonnamment gras et suave, subtil mélange de tabacs caribéens à la construction idéalement aérée, s'entend comme larron en foire avec ses deux compères de fin de soirée.
Je serais tenté de faire fi des multiples turpitudes turbides et d'amplitude qui agitent le monde moderne et de m'écrier comme un seul homme : tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
En même temps, vu que je n'en connais pas d'autre, il serait sans doute un peu présomptueux de s'aventurer dans cette voie.