Château Combarieu, Cahors.

La partie immergée de l’Iceberg.

Le monde du vin, nous croyons le connaître, nous nous gaussons, nous débattons à l’envi, nous alignons les noms de domaines, les noms de cuvées, les millésimes les plus prisés et sommes fiers de rencontrer tel vigneron connu, à la mode, adulé, fier de déguster dans sa cave, avec le sentiment d’appartenir à ces happy few, ceux qui savent, ceux qui sont capables de séparer le bon grain de l’ivraie : non, nous ne connaissons rien de ce qu’est le monde du vin. Nous faisons les célébrités, nous contribuons à créer des modes, à les suivre ; nous sommes capables de nous étriper sur quelques sujets dans l’air du temps : le soufre, la biodynamie, le terroir, les buveurs d’étiquettes et ne prenons souvent pas le temps, ne faisant pas vraiment l’effort de regarder qui sont les vignerons, ceux qui luttent, ceux qui n’ont pas encore un nom, ceux qui doivent se lever à 5 heures du matin pour aller sur un marché à Souillac, et qui ne rentrent que vers 21 heures parce qu’ils ont réussi à obtenir un créneau au camping des Pins avant de revenir et après avoir attendu dans le camion, tout l'après midi sous le cagnasse ; passer 2 heures de plus pour faire déguster aux hollandais, et vendre dans le meilleur des cas 18 bouteilles dans les bons jours ; ceux qui font des milliers de kilomètres chaque année pour aller de leur sud-ouest jusqu’en Belgique et qu’il ne faut surtout pas perdre la place parce que c’est dur à obtenir. «Faut pas vendre trop cher parce que le client est pas prêt à mettre plus » alors évidemment, il faut vendre parce qu’il faut vivre et se bouger les fesses en conséquence. A 5 euros la bouteille de Cahors, ce n’est pas simple.
« On a bien la cuvée prestige élevée en barrique, un peu plus chère, mais c’est parce que c’est à la mode ». Et oui…
« La cuvée fût est beaucoup plus chère, parce que les barriques sont également très chère »… Et oui.
« Mais jamais mon grand père n’aurait mis du vin dans un fût. Le bois, c’était pour le vin le plus mauvais, pour l’améliorer »… Et oui, la tradition du Cahors richement boisé, c’est une gageure.
Et quand on évoque les Cahors à 100 euros la bouteille, on a l’impression que l’on parle d’un autre monde : le Cèdre ? Lagrézette ? Comme si ces vignerons-là ne faisaient pas du Cahors, un vin de la même appellation. La France d’en haut et celle d’en bas unis par les liens de la terre et du cépage mais par aucun autre.
Comme je m’en veux aujourd’hui d’avoir fait le malin en citant devant cette femme éreintée de cette journée, pressée de revenir chez elle, (pour charger à nouveau le camion puisque c’est marché à Puy l’Evêque, le samedi) tout mon savoir à la noix sur les troisièmes terrasses du Lot, la synonymie du côt, dit encore malbec ou auxerrois ( nom qui comme chacun sait vient de Haute Serre, mâââchin !).
Cette rencontre vaut toutes les visites à Ausone ou à Petrus, non de Dieu. C’est simple, ça sent la sueur et le vin.

Le vin, parlons-en justement, parce qu’il en vaut la peine. Du Cahors, du vrai, qui ne renie rien de son origine ni de ces millésimes.

Le Cahors 2005 est à l’image de ce millésime, excellent, facile dès maintenant, même s’il vieillira avec bonheur. Vin de cuve, il se montre à nu, avec ces notes fumées et ce beau fruit en avant. Gourmand, aux tannins déjà assagis, il est un vin simple sans être simpliste. Très bon. 4.20€ !

Le Cahors 2004 est un peu plus austère, marqué » par des tannins qui ont l’accent, pour tout dire, un peu trop marqués. Mais on sait ce que l’on boit : c’est net sans déviance aucune. 4,50 €

Avec le Cahors 2002, on rentre dans la typicité cadurcienne : de la matière, du grain serré, et des tannins bien marqués, mais bien mûrs. Un vin taillé pour la garde, comme pouvait l’être ceux du Clos de Gammot d’antan. 5 €

Le Prestige 2004 est chichement boisé, mais la matière le supporte, c’est un vin bon chic bon genre, qui ne sombre pas dans la caricature. 7 €

Le rosé 2008, vendu en vin de pays, à un prix dérisoire, est tout simplement le meilleur rosé que j’ai bu cette année. Riche, plein, gourmand, il a tout pour plaire. 3,80 € !!

Tous les vins de ce domaine font honneur à leur appellation : ils ont tous en commun une netteté sans faille et sont tous très représentatifs de leur millésime. Pourquoi sont-ils à ce prix puisque j’atteste qu’ils sont largement aussi bons que d’autres qui ont eu la chance de porter une étiquette plus huppée, ou plus cotée ? Allez savoir … : sans soute parce que la plus grande faiblesse de ces vignerons, c’est de n’avoir pas encore tout à fait assimilé le système moderne de communication : marketing, pour eux, c’est sans doute encore une notion abstraite : ils vendent leur vin, pas leur âme. Ils font partie de ces vignerons pour qui allez chercher le client est une nécessité quand d’autres les voient venir à eux : je ne nie absolument pas le mérite de ces derniers, mais je voulais rendre un hommage à tous ces oubliés des guides, des revues, des discussions de salon, qui pourtant perpétuent le bel ouvrage et qui du reste, représentent l’immense majorité, certes vacillante, du monde du vin d’aujourd’hui, la partie immergée de l’iceberg, qui n’en est pas moins le fondement.

Très bel hommage, Jérôme !

Effectivement

Et seulement une trentaine de lectures...

Dur constat sur nos centres d'intérêt d'amateurs mais une réalité parlante, totalement dans l'esprit du beau texte de Jérôme.
La pauvre dame n'a pas fini de s'épuiser à courir les marchés locaux...

Oliv

Un petit conseil amical de "journalisme" à Jérôme : pour avoir plus de lecteurs sur ce post il aurait fallu inventer un titre plus vendeur, coco !

"Combarieu, une révélation à Cahors !"
"Combarieu, le Pétrus de Cahors !"
"Ausone-Combarieu : match nul à Cahors"
"Combarieu, un Cahors qui vaut 96-98 chez Parker"
etc, etc

Philippe

Très beau texte, en effet Un des plus forts que j'ai lu depuis longtemps (même si le dernier de Jean-Michel Comme ne démérite pas). C'est vrai que les sans-grades sont un peu oubliés ici comme ailleurs, et que l'on ne prend pas toujours le temps de les goûter, n'en espérant rien de bon ("pas assez cher, mon fils !" ). Ce serait certainement le rôle de ce forum d'en parler plus, mais j'ai l'impression qu'on se dirige plutôt vers un certain élitisme dont je me sens de plus en plus étranger.

Eric tu veux dire que tu ne vas plus parler de Tirecul mais des sans-grades aux alentours...

Allez je te taquine, mais comme tu as raison, à force nous devenons élitistes...
Regarde moi sur Chinon, je ne suis pas encore allé déguster chez Sigonneau...

Très beau texte Jérôme, cela donne envie de découvrir.

Bien entendu d'accord sur le fond du message voulu pas Jérôme, parfaitement exprimé, et qui s'applique à la très grande majorité des vignerons.
Je serai pourtant moins sévère que lui sur le forum qu'il contribue à gérer car j'ai l'impression d'y avoir découvert nombre de vignerons de l'ombre que j'ai pu connaitre grâce au forum. En voilà un de plus à découvrir.

tout a fait d'accord d'ailleur pas plus tard qui hier je cherchais comme un fou a carrefour le chemin des olivettes conseillé par eric:( pas trouvé

Le chemin des Olivettes, c'est pas vraiment un "petit producteur". C'est une cave coop (travaillant bien certes) qui n'a pas de problème de débouché.

Jérôme, merci pour ce texte. C'est aussi - et surtout pour ce genre de vigneron - que je me suis "inscrit" sur ce site. Au plaisir de dialoguer.

Cordialement

Nicolas

J'étais le 119ème à lire ce très vibrant témoignage de Jérôme sur Château Combarieu. L'été aidant, je suis dans une période très éloignée des Cahors et autres Madiran. Mais le domaine est noté sur les tablettes...

Eric B écrivait:

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> Le chemin des Olivettes, c'est pas vraiment un
> "petit producteur". C'est une cave coop
> (travaillant bien certes) qui n'a pas de problème
> de débouché.

ok mauvais exemple mais il y a quand meme des petits producteurs dans la rubrique bon rapport qualitée prix !!!Je ne trouve pas que le site soit trop elitiste.Comme dit enzo vous etes un peu severe avec vous meme pour preuve ce magnifique texte ...

merci et bravo pour ce texte plein de modestie et d'humanité
il n'est pas difficile de boire des bons vins (en general) il suffit de suivre la "mode" et d'y mettre le prix
par contre trouver des bons vins sans a priorori , sincères , propres, et inconnus c'est une autre paire de manches
si ces vins rappellent le Clos de Gamot d'antan c'est un sacré gage de qualité

C'est par le biais de cette bagarre lapassionduvin.com/p... que j'ai atterri ici. Quel beau texte ( fond et forme ). Bravo à l'auteur.

c'est très gentil, toutes ces marques de sympathie et de reconnaissance, je suis très touché : mais il y a erreur : les vedettes dans ce fil, ce sont les vignerons : ceux de ce domaine ou d'autres dans la même situation.
Il ne vous est jamais venu à l'esprit que dans deux flacons de vin, l'un à 5 euros et l'autre à 100, il y avait dans les deux cas, du vin ? du jus de raisin fermenté ? Je veux bien accepter l'idée que certains procédés de culture, d'élaboration, de vinification, d'élevage ont un coût : dans un autre fil de discussion, ce coût minimal qualitatif est même avancé, autour de 7 euros par bouteille. (et il y a autant de contre exemple, bien entendu !)
Alors, ça veut dire quoi ? Que les vignerons qui continuent ce travail en dessous de ce tarif sont des abrutis ? Ce n'est pas si simple de changer son fusil d'épaule, d'adopter une démarche marketing quand durant toute sa vie, on a marché dans les traces creusées avant nous par nos parents : il y a même une grandeur à suivre ces traces, une volonté de s'accrocher à ces foutus coteaux qui vous pètent les reins, ou juste de dire : "ce que tu m'as transmis me fait vivre et je n'abimerai pas ce don, il m'est cher".
La démarche n'est absolument pas la même quand on s'appelle Hervé ou Marjorie et que l'on pose ses valises quelque part, avec la connaissance de toute la filière et de ce qu'il faut faire aujourd'hui pour être dans le vent.
Il y a des choses ancrées, voire "encrées" indélébiles.
Il y a aussi ces foutus complexes : "les guides, ce n'est pas pour nous", " les concours, je n'envoie jamais d'échantillons", "Internet, il faut que je m'y mette". Qu'est-ce qui fait que cette dame trouve son Cahors "prestige" à 7 euros cher et tente des explications autres que celles de la qualité quand d'autres affichent sans vergogne des tarifs qui frisent l'indécence, dans la même appellation ? Je maintiens également que tel client qui payerait 10 euros pour son Cahors de base, n'aurait pas la même attention, voire le même jugement que quand il sait qu'il l'a payé 5. Je me rappellerai longtemps ces paroles d'une vigneronne languedocienne talentueuse qui me disait qu'en dessous d'un certain prix, on n'était pas crédible.
Mais en même temps, si cette dame de Combarieu faisait du jour au lendemain sa révolution culturelle, serait-elle sûre de vendre son vin, de pouvoir vivre, tout simplement ? Pas si simple.

Elle ne change pas trop la Delphine, j'ai d'exellents souvenir de ses cahors, sans bois bien sûre!!!

J'ai lu votre message avec plaisir et cela m'a rappelé les vacances 2006 à Brengues dans le Lot où nous avons découvert ce Cahors fort sympathique. Chaque semaine au village était organisé un petit marché de producteurs locaux et parmi eux un viticulteur qui vendait ce fameux Cahors à 4,50 € la bouteille (2000 ou 2001 ma mémoire me fuit). Nous en avons évidemment rapporté quelques bouteilles à la maison puis les avons dégusté sans malheureusement noter le nom du domaine. En vacances du côté de Montauban l'an dernier, j'ai eu envie de retrouver ce doux breuvage et après quelques recherches sur Internet et un coup de fil de confirmation, une dame fort aimable nous a donné rendez-vous un samedi matin au marché de Lalbenque et nous avons goûté la cuvée 2003 élevée en fût de chêne qui pour 7 € procure beaucoup de plaisir. Il m'en reste encore deux bouteilles et j'ai hâte de retourner dans cette belle région pour rapporter quelques échantillons de cet excellent Château Combarieu.

Ca devient une mauvaise habitude...
Avant de partir en vacances je tape le lieu de résidence dans le secret espoir de trouver un petit quelque chose viticole...
Comme je n'ai rien trouvé avec Guadeloupe, on part à Souillac...
Bonne pioche !
Delphine du Château Combarieu est toujours fidèle au poste sur le marché.
Le 2009 est assez riche sur le fruit. Ma femme peut témoigner que c'est vraiment gourmand et une gorgée en appelle une autre.
Parfait sur une grillade ou un magret. C'est vraiment bon.
C'est même trop bon car on doit patienter deux jours avant le prochain marché...

Accueil vraiment gentil tout en discrétion.

si LPV a servi à les mettre un eu dans la lumière, alors tant mieux.