La preuve par neuf
Gaillac, appellation sympathique avec des petits vins agréables, des vignerons accueillants et pittoresques. Ce n’est pas exactement en ces termes que s’était exprimé un des intervenants du forum de la passion du vin, mais ce n’était pas très éloigné et je l’avais fort mal pris et pour tout dire, avais trouvé un peu insultant (même si le mot est fort) que soit véhiculée une telle image pour les vignerons du secteur que je connais bien, qui œuvrent pour faire le meilleur qu’il est possible de faire sur ces terroirs variés. J’avais alors conçu le projet de réunir dans une dégustation des vins les plus à la pointe de cette recherche qualitative : des vins ambitieux, fait par des vignerons chercheurs qui ne le sont pas moins.
Fort d’une première initiative où mon seul critère avait été de trier par prix en ne retenant que le haut de cette sélection et qui avait donné des résultats mitigés, je me suis davantage fié à ma connaissance des hommes et de leur volonté de bien faire, pour réunir au final 9 vins rouge de la zones. Certains en AOC, d’autres en vins de pays (non classés AOC pour des questions de réglementation, monocépage ou cépages non reconnus).
Ces vins ont été proposés à la dégustation d’une quinzaine d’amateurs de vins, tous de la région et donc habitués à boire des vins de Gaillac. La dégustation s’est déroulée à l’aveugle totale : personne ne savait quels étaient les vins dégustés, ni le thème de la dégustation. Je voulais savoir si une typicité gaillacoise émergeait et si les gens du cru attendaient Gaillac à ce niveau.
Les deux premiers vins (de cuves ont été ouverts 6 heures avant la dégustation et dégagés), tous les autres ont été ouvert à ce même moment, sans dégagement des épaules. Le vin numéro neuf a été carafé à ce moment-là, tous les autres ont été carafés deux heures avant la dégustation.
Le Champ d’Orphée 2008 Braucol 100%
La robe est noire violine, opaque, impressionnante. Le nez est marqué par le cassis et des notes minérales, quelques épices. La bouche est ronde, superbe d’opulence maîtrisée, sans lourdeur, un vin long aux tannins polis. Excellent.
Cuvée du Faucon 2009, Domaine du Moulin Tannat 70% braucol 30%
La robe est noire bleutée, d’une profondeur qui impressionne. Le nez est marqué par la myrtille, le fruit est exquis. La bouche présente un volume énorme bâtie sur une montagne de tannins très mûrs et juteux sur une base acide inédite dans la zone. C’est vraiment une expérience de dégustation unique. Excellent.
Le Prunelart 2009 Domaine Labarthe prunelart 100 %
La robe est noire violine. Le nez est épicé, avec des notes grillées. La bouche est souple sur des saveurs de moka et de caoutchouc. L’ensemble est souple, des saveurs d’eucalyptus se font jour sur la finale aux tannins bien serré, mais sans doute moins vif que le vin précédent.
La Vigne Mythique 2008 Domaine d’Escausses braucol 100 %
La robe est noire violine. Le nez montre un boisé luxueux mais bien marié à un fruit très en avant, bien marqué par le cassis. La bouche est jolie, superbe de fruit. Belle longueur aux tannins maîtrisés. Très élégant, sans rusticité aucune et très chic. Très bon.
L’Enclos des Rozes 2008 Assemblage Duras braucol merlot
La robe ne montre pas la concentration des poids lourds de la dégustation, mais est tout de même très profonde, dense et sombre. Le nez est marqué par de belles notes florales et un boisé élégant. La bouche est souple, très équilibré. Ce vin se distingue par sa grande buvabilité, son élégance. Très bon
La Croix Petite 2008 Domaine d’Escausses Assemblage braucol syrah
La robe est noire violine, très dense, opaque. Très beau nez avec un cassis fort en avant, des notes florales et quelques épices. La bouche est charnue, avec un très beau volume. Un vin puissant, rond, chaleureux avec une bonne longueur dur le fruit. Elevage bien intégré. Très bon
L’Âme 2008, Domaine Rotier assemblage à dominante Duras
La robe est noire sanguine. Le nez est très original avec des arômes de café et de réglisse. La réglisse est très présente. La bouche est généreuse, soyeuse, ronde et riche. Ce qui surprend, c’est le poli des tannins qui donne un toucher vraiment doux pour ce vin à la finale longue, sur le fruit. Très bon / excellent
Bravissimo 2008, Domaine de l’Enclos des Braves Braucol 100 %
La robe est noire violine, impressionnante. Le nez est porté par des notes florales auxquelles s’ajoutent des arômes de colle blanche, de camphre. On retrouve ce côté un peu amylique en bouche. Le vin se montre d’une très belle constitution avec une matière mûre et tout à fait polie qui donne un résultat très élégant malgré la force et l’opulence. Très bon
Florentin 2009, Domaine du Moulin Braucol 100 %
La robe est noire violine, saturée. Le nez est impressionnant de fruit, cassis devant un élevage bien intégré. Des notes mentholées sont évidentes et apportent beaucoup de fraîcheur. La matière est imposante pour ce vin au fruit généreux qui allie gourmandise et rectitude de structure. Un très bel équilibre pour un vin très complet. Grande longueur. Excellent.
Aucun des dégustateurs présents n’a reconnu la région, leur région. Tous ont été époustouflés de la qualité des vins locaux et la plupart des dégustateurs misaient sur une origine méditerranéenne des vins, plus habitués qu’ils sont à goûter des vins haut de gamme du Languedoc ou du Roussillon. Sans doute avaient-ils eux aussi cette image de petite appellation sympathique.
Il est bien évident qu’au regard de ces vins et sans doute aussi d’autres produits localement (cette dégustation ne se voulant pas exhaustive), Gaillac se prend au sérieux et a bien raison. Les tarifs sont tout à fait calibrés au niveau qualitatif des cuvées si on les compare justement à ces cuvées haut de gamme du Languedoc ou du Roussillon. Si ce parallèle est fait c’est sans doute au regard de la concentration importante mais aussi de la maturité des raisins vinifiés. La réussite de l’appellation passe sans doute aussi par cette prise de risque et il faut dire que sur les dernière millésimes, la nature a été généreuse.
Si on pouvait considérer qu'il n'y avait de grands vins à Gaillac que dans la couleur or, celle des liquoreux, jusqu'à un passé récent, il est permis de dire aujourd'hui que les rouges ont entamé une montée qualitative surprenante, recentrés sur les cépages locaux pour la plupart de ces cuvées, à l'instar de ce qui s'est passé à Madiran et à Cahors. J'y vois personnellement un plus grande marge de progression parce que ces cépages génèrent des vins qui offrent beaucoup de plaisir, ils sont généreux et n'ont pas cette dureté voire cette austérité que l'on peut parfois rencontrer à Cahors, par exemple. Ils sont déjà au niveau des meilleurs de ces deux appellations phare avec à mon sens un supplément de plaisir gustatif apporté (que l'on retrouve à Madiran dans les très rares et grands millésimes), sans doute parce que le climat à Gaillac à cette particularité d'une influence méditerranéenne.
Des vins d'expression qui ont quitté leurs atours de rusticité, parfois de verdeur et de dureté sans perdre leur identité ni de leur originalité pour gagner en profondeur.
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