Carnet de voyage : Jurançon 12 et 13 avril 2012
Pau au cœur du Béarn, une culture à part, plus gasconne et occitane, pas encore basque : une enclave : une ville ancrée dans les Pyrénées. Selon Lamartine, « Pau est la plus belle vue de terre du monde comme Naples est la plus belle vue de mer ». Mais Lamartine n’est pas allé au sud, juste un peu plus loin, juste un peu plus haut car la vue est plus belle encore sur cette terre des Pyrénées qui est omniprésente ; omniprésente et capitale. Elles sont là, on les touche et l’Ossau lève un doigt vainqueur.
Le vignoble de Jurançon s’accroche quelque part entre cette ville et cette montagne ; c’est un vignoble qui se cache et quiconque n’ose pas prendre les carrefours pour s’éloigner des grands axes peut tout à fait ne pas le voir. Ici, point de vignes à perte de vue, mais des ilots accrochés au versant sud du plissement, onde de choc de ces rencontres de plaques qui ont fait naître cette frontière, barrière de roche de 3000 mètres. Entre pâtures et bois, des vignes en rangs, le plus souvent parallèles aux courbes de niveau ou dans le sens de la pente, parfois vertigineuse, sur des hautains de châtaigner, la vigne se conduit haute parce que les gelées de printemps sont fréquentes et que près du sol, les effets sont plus intenses.
Comprendre ce vignoble, c’est le faire dans sa globalité : des cépages, un climat très particulier et des sols qui s’ils ont leur importance sur les caractéristiques fines des vins ne semblent pas prépondérantes sur les deux premiers facteurs cités.
Le climat est caractérisé par plusieurs influences : océanique, donc doux et humide, sudiste, donc plutôt chaud l’été, montagnard, donc aux hivers rigoureux dès que l’on prend de l’altitude. Cela explique que les palmiers dans la vallée sont très nombreux, dessinant leur silhouette sur un fond de neige des sommets voisins. A cela s’ajoute le foehn qui vient du sud en dévalant les pentes des Pyrénées et qui fait monter les températures dans la vallée : c’est le vent balaguer qui permet les maturités élevées et le passerillage des mansengs.
Les deux fleurons de l’appellation, ce sont bien eux ; le gros et le petit manseng. Le gros parce qu’il est très planté, capable de faire de beaux secs comme de bons moelleux, généreux mais surtout le petit, parce qu’il est reconnu comme la star : un très grand cépage, celui qui donne les grands vins doux, mais aussi aujourd’hui, de plus en plus de vins secs de haut niveau.
L’ennui avec ce cépage si qualitatif, c’est que c’est une bête à sucre : la maturité n’est pas atteinte avant 15 ou 16 degrés aussi pour des grands secs, les équilibres ne sont possibles que grâce à des acidités élevées, que d’ailleurs ce cépage possède naturellement, la nature, l’y aidant en fonction des caractéristiques du millésime. C’est là que d’autres cépages locaux, les courbus (gros et petits) mais aussi le camaralet et le lauzet sont des apports très intéressants pour leur caractéristique gustative et leur plus faible taux d’alcool à maturité.
Aujourd’hui, l’appellation est plantée sur 1000 hectares sur les 4000 potentiels : la plupart des vignes sont d’exposition sud, sud est, favorisant les doux, bien entendu. Cependant, si la production des secs se développe, il est probable que d’autres terroirs soient plantés et sans doute aussi que les limites actuelles de l’appellation ne soient pas les plus favorables à cette nouvelle orientation en développement.
Si les doux peuvent être des grands vins, il faut bien se rendre à l’évidence que ce type n’est pas le plus consommé. Par ailleurs la qualité de certains secs les hisse au niveau des meilleurs vins de ce type avec un morphologie qui fait qu’ils sont bien dans l’air du temps : belle structure et grande vivacité. Le petit manseng rejoint le riesling et le chenin au panthéon des amateurs d’aujourd’hui.
N’avoir que quelques heures pour visiter des domaines impose de faire des choix et de digérer sa frustration de ne pas en visiter davantage, cela impose aussi une réflexion née à l’aune de ses petites connaissances : Comment de pas aller voir Monsieur Ramonteu qui comme aucun a porté cette appellation, locomotive bienfaisante ? Comment ne pas aller au domaine de Souch et goûter les merveilleux moelleux produits sur le domaine ? Deux philosophies, deux façons de voir la vigne et le vin, mais qui trouvent une rencontre dans la qualité ultime.
Et comment s’arrêter là quand une jeune garde inventive montre d’autres chemins ? Bordenave Coustarret, le domaine qui monte. Clos Lapeyre et Clos Thou, des valeurs désormais sûres.
Domaine Bordenave Coustarret.
Sébastien est revenu au domaine en 1997 quand celui-ci comptait 2 hectares de vignes. Il représente la 7ième génération de vigneron au domaine et il est celui qui l’a fait le plus évoluer, puisque la superficie est passée aujourd’hui à 5 ha en production. Sébastien croit au Jurançon sec et le prouve dans une démarche singulière : une seule cuvée dans ce type de vin sans élevage en barriques, mais un vin de haut niveau faisant la part belle au petit manseng (80 % et 20 % de courbu). Le domaine est conduit sur les principes de l’agriculture biologique sans revendiquer la certification.
Renaissance 2010 : Jurançon sec.
Joli nez de mirabelle et de fruit exotique, discret et retenu. En bouche, le vin montre qu’il est avant tout un vin de structure, bâti avec un équilibre parfait entre amers et acides. C’est très long avec une pointe minérale. Un vin très prometteur.
Jurançon Doux 2010 :
C’est l’étiquette classique du domaine, celui que le grand père voulait qu’il soit parfait, illustration de la typicité de Jurançon. Il fait la part belle au gros manseng(60 %), complété par le petit manseng. Vin de cuve pour les 2/3 et le reste étant élevé en barrique de 3 ou 4 vins.
Ananas, truffe, citron, un cas d’école. Belle structure, joli gras et la colonne vertébrale vive qui tend le vin et lui donne cette longue finale.
Jurançon doux le Baron 2009 :
Une cuvée 100 % petit Manseng élevé en barriques de 400 litres renouvelées par tiers.
Le nez est fermé mais la truffe blanche pointe déjà. Le bois ressort en bouche encore et ce vin se montre plus corpulent que le précédent, avec une longue finale citronnée et réellement tonique. C’est net et sans lourdeur. Un joli vin.
Les Jurançon de ce domaine sont réellement ancrés dans leur appellation. Des secs qui sont des vins de bouche, de structure, très bâtis et des doux qui sont plus impressionnants lors de la rétro-olfaction et la longueur qu’en bouche, ce qui est souvent le cas à Jurançon ; c’est à ce moment que l’on ressent cette belle vivacité qui porte réellement les finales.
Domaine de Souch
Ce domaine de grande notoriété est tenu de main de maître par Yvonne Hegoburu qui n’est venue à la vigne qu’à l’âge de 60 ans. Elle en a aujourd’hui 85.
La gamme se décline en trois vins : un sec (gros manseng 65%, Petit Manseng 325 % et courbu) et deux doux ; un vin de cuve, avant passerillage issu du mélange des deux manseng et la fameuse cuvée Marie Kattalin, issue du petit manseng élevé en barriques. Lorsque l’année s’y prête, le domaine de Souch propose une cuvée encore supérieure nommée tout simplement vendanges tardives d’une parcelle nommée la Palombière.
Sec 2011 goûté avant la mise : 1/3 du vin est élevé en barriques.
Nez fermé très jeune. Jolie bouche très nette avec une belle gourmandise. Equilibre flatteur. C’est beau et flatteur. Minéralité sous-jacente.
Sec 2010, cuvée nommée « Le sans papier », un inédit.
Nez de cendre froide, avec une touche oxydative. Belle bouche avec des saveurs de pomme cuite. Finale très sèche. Un vin très original avec beaucoup de caractère.
Jurançon 2009 :
Nez fermé. Joli gras en bouche, finale nette. Au final, un vin qui ne me tire pas l’extase en bouche et c’est la rétro qui comme souvent à Jurançon fait s’exprimer le vin. Longue finale citronnée.
Jurançon 2006 : parité des deux mansengs.
Fermé au nez. Plus ample en bouche que le vin précédent, belle structure, longueur citronnée. Très frais.
Marie Kattalin 2008 :
Très belle présentation or. Nez truffé. Belle liqueur en bouche, beaucoup d’éclat et longueur exceptionnelle.
Marie Kattalin 2007 : la truffe est présente, très puissante. Belle bouche onctueuse, avec des saveurs de citron confit. Les notes d’ hydrocarbure semblent proches. Finale très longue : c’est un ravissement que d’avoir la bouche imprégné à ce point du vin alors qu’on la bu déjà depuis plus d’une minute.
Marie Kattalin 2009 :
Le nez est plus exotique : papaye, manque et citron. Le bois ressort en bouche encore. Beau volume, finale longue et bel équilibre. Je pense que ce millésime solaire n’est pas ce qui va le mieux à cette cuvée.
Marie Kattalin 2011 : sur fût
Très prometteur, bien supérieur à 2009 : un vin racé, très vif, déjà très bon.
Vendange tardive 2011 : en gestation
Deux barriques (sur les trois) goûtées : l’une est réellement exceptionnelle et promet d’être monumentale d’équilibre aérien tout autant que puissante.
Clos Lapeyre
Le domaine couvre aujourd’hui 17 ha dans un site dont la beauté est vraiment émouvante. Cela fait trois générations que l’on se succède de père en fils et aujourd’hui le domaine est conduit selon les principes de l’agriculture biologique.
La gamme se décline de façon fort intelligente et cohérente en trois catégories : les vins qui portent le nom « clos Lapeyre », sont des vins de fruit, en sec ou en doux. Ils sont produits à partir de raisins achetés, ce qui permet de consacrer les efforts et les beaux raisins du terroir aux cuvées supérieures. Ce sont des vins de cuves.
Les cuvées Vintage Vielh en sec et Magendia en doux sont des vins haute de gamme et quand le millésime s’y prête, Mantoulan en sec et Vent Balaguer en doux viennent courronner d’exception les vins précédents. Ce sont des cuvées qui sont élevées sous bois.
le lien est un osier
Clos Lapeyre 2011 :
Esquisse florale, belle amplitude structure marquée ; bel équilibre acide amer
Vitatge Vielh 2008 : 1 an en barriques et 6 à 12 mois en cuves selon le millésime
Robe de belle densité. Le nez est profond, légèrement hydrocarbure, oscillant vers la truffe avec une note fraîche d’ortie blanche. Très belle bouche à la structure très marquée, léger boisé. C’est un vin charpenté avec un très léger rancio qui d’ailleurs marque souvent cette cuvée. On se retrouve un peu avec le même équilibre que les savagnins jurassien, sans l’oxydation hormis cette petite touche presque imperceptible.
La Magendia 2002 :
Un vin à maturité, sur la truffe avec une belle bouche lisse et truffée et une finale assez longue. Pas un grand millésime, mais c’est fort appréciable.
La Magendia 2007 :
100 % petit manseng. Ce vin se montre sous un beau nez de tilleul et d’ananas. La bouche est ample et comme c’est le cas à Jurançon, c’est la finale qui frappe par son tonus et ses notes fruitées longues et nettes.
La Magendia 2008 :
Discret au nez puis le vin s’ouvre un peu. C’est à la fois plus riche et plus tenu par l’acidité. Un vin qui doit encore s’affiner mais qui se révèle de très bon niveau. Très finale, une fois de plus, tendue et tenue.
La Magendia 2009 :
Le nez est vif, citronné. C’est un vin d’une belle richesse, à l’équilibre superlatif : finale crépitante sur des notes de citron confit. Un 2009 qui est certes solaire mais qui a gardé un très bel équilibre. Fort potentiel.
Vent Balaguer 2006 :
La robe est soutenue, tirant sur l’ambre. Au nez un léger rancio et une grande richesse aromatique. Des notes de café, de grillé, la richesse est sublimée par la fraîcheur bien présente. Finale en queue de paon sur la noisette ; un vin d’exception.
J’ai eu la chance de goûter
un vin du millésime 2011 qui n’a pas encore de nom mais qui ne sera pas Vent Balaguer : un vin plein de sève d’une grande fraîcheur sur des notes d’ananas et d’une très grande longueur. Il faudra être attentif à cette cuvée qui annonce une nouvelle déclinaison de la gamme.
Domaine Cauhapé :
Est-il besoin de présenter ce domaine historique de Jurançon ? Force est de reconnaître qu’il est toujours présent au plus haut niveau et qu’il est impossible de ne pas reconnaître à Monsieur Ramonteu la volonté de produire du grand vin. Il croit lui aussi au Jurançon sec. C’est un personnage marquant, volontaire, opiniâtre. Il croit beaucoup à la variété ampélographique de Jurançon, et notamment à l’apport bienfaiteur du camaralet et du lauzet qui calment un peu le feu du petit manseng, l’équilibrant, pour le magnifier davanatge.
La gamme est d’une grande cohérence et est vraiment calibrée de façon impeccable.
Chant de Vignes 2011 : gros manseng en macération pelliculaire et camaralet vinifié classquement. Un vin simple sur une aromatique poire / pomme : une belle matière et une structure présente. Finale nette.
Geyser 2011 : les 5 cépages sont présents dans ce vin
De très belles notes d’ortie blanche, de rhubarbe et d’épice. C’est très complet. Vin à la bouche tendue. C’est juste au sens de précis. Grande fraîcheur. Bon vin
Sève d’automne 2009 : gros et petit mansengs à parité. Elevage en fûts âgés pendant 11 mois.
Nez réservé, léger boisé.Un vin structuré à la belle longueur qui équilibre parfaitement acides et amers. Une très belle typicité dans le genre raffiné et droit. C’est bien.
La Canopée 2010 : 100 % petit Manseng
Heureux mélange du bois et du fruit avec une dominante florale. La bouche présente beaucoup d’amplitude. C’est un vin très ambitieux et complet. Parfaitement réussi. Grande longueur. Ce vin marque un style : on adhère ou pas, mais force est de reconnaître que le résultat est probant. Une cuvée qui a bien évolué dans son style et qui s’est affinée.
Ballet d’octobre 2009 : gros manseng, 6 mois de fûts
Tendu et gourmand. Laisse la bouche nette. Pas très long , un vin facile.
Symphonie de novembre 2009 : petit manseng
Un vin subtil et raffiné sur les fruits exotiques et les agrumes. Bouche moelleuse sur les agrumes confits.
Noblesse du temps 2009 : une trie supplémentaire par rapport au vin précédent. 18 mois de fûts dont la moitié de neufs.
Le nez porte sur l’ananas très mûr, c’est superbe et éclatant. Bouche ample à la grande fraîcheur, c’est la parfaite interprétation de Jurançon. Un vin très long.
Quintessence 2006 : petit manseng passerillé et ayant subi le gel - fermenté et élevé en fûts neufs (deux ans)
La truffe au nez est naissante, mais aussi le coing, la pomme au four sont présents. En bouche on trouve une grande richesse, des notes de café, d’orange amère sur une matière imposante mais magistralement équilibrée. C’est un vin démonstratif et vraiment excellent.
Clos Thou
joli tir groupé
Je ne pouvais pas quitter Jurançon sans passer, trop brièvement, au Clos Thou. Mes notes sont succinctes mais le temps me manquait et je n’avais prévu de passer là car je connaissais déjà les vins.
Sec Guilhouret 2010 : toujours impeccable : beau compromis entre fruit et structure. C’est habile !
Julie 2010 : 60 % de gros manseng et le reste de petit
Un nez curieux que j’ai eu du mal à définir. En bouche, un vin fin, élégant avec un beau fruité et qui se plie lui aussi à la règle de la rétro magique
Suprême 2010 : 100 % petit manseng, barriques et foudres (15 % de bois neuf)
Des notes d’orange amère, d’orange confite. Grande complexité, des notes de café, une très grande longueur. Très beau.