Vins Allemands
Mercredi 16 février 2005
Une production Ganesh da Capo
Le contexte :
- Après les superbes horizontales des vins mosellans de Markus Molitor puis de Grans-Fassian, nous explorons aujourd'hui une série de vins produits par des domaines réputés, de différentes appellations.
- Les vins ne sont pas dégustés à l'aveugle.
- Nombre de dégustateurs : 10.
- Dégustation préparée par Pascal Perez et Laurent Gibet (achat des vins sur place, en Moselle, en été 2004) et hébergée par Eric Cuestas au « Temps des Vendanges ».
- Participants : Annie Ortet (trop rare représentation féminine dans ces cercles), Miguel Sennoun, Roger Tauzin, Pascal Perez (PP), Jacques Prandi (JP), Laurent Gibet (LG), le vigneron cadurcien Matthieu Cosse, les cavistes Eric Cuestas (que nous remercions vivement pour son accueil), Philippe Lagarde et Pierre Koenig. Merci à eux de nous avoir suivis en confiance sur ces chemins de traverse.
Synthèse des commentaires de dégustation par Laurent Gibet.
Les vins :
1. Ahr - Meyer-Nà¤kel – Spà¤tburgunder S Goldkapsel 2001 (Lot 19/02 – 14°) :
JP15,5 – PP15,5 - LG15
- Une fois n'est pas coutume en ce pays béni des dieux pour le Riesling, on goûte ici une expression haut du pinot noir résolument annoncée de gamme.
- Robe brillante, moyennement intense.
- Ce vin expressif, élégant et non dénué de profondeur dispense des notes typées et agréables de pinot : fruits rouges, fleurs (pot-pourri), épices, fourrure, fumé. Son expression rappelle celle d'un Vosne.
- Bouche veloutée, parfumée, raffinée, un goût de réglisse prononcé complétant harmonieusement les notes du nez. Belle rémanence et finale très légèrement chaude (14°), presque pimentée. On évoque tout de même une acidification subreptice. Un vin « travaillé », réussi tout de même et à revoir d'ici 5 ans.
2. Pfalz - Klaus Schneider - Riesling Alte Reben (vieilles vignes) Terrassen 2003 (Lot 01/04 – 13°) :
JP13 – PP13,5 - LG13,5/14
- Le seul QbA (trocken) de la série (chaptalisation possible), les autres étant en QmP.
- Nez intensément fruité, muscaté, conjuguant des notes variées : pomme blette, mirabelle, miel, guimauve, agrumes, lierre. Insolite parfum de sureau, mi floral, mi fruité, très frais.
- La bouche peut effectivement elle rappeler un muscat sec du Languedoc, aromatique avec ses goûts complémentaires de réglisse, de calisson. Léger perlant, caractère un brin dru et amer, immédiat et sans afféterie.
- Un vin au profil plus « tout-venant », apéritif.
3. Rheingau - Georg Breuer - Riesling Nonnenberg (Rauenthal Nonenberg Trocken) 2001 (Lot 03/02 – 12,5°) :
JP14,5 – PP15,5+ - LG15+
- Le vin décline des notes pures, racées et particulièrement typées ici de Riesling : minéral, viande grasse (surmaturité), poire, citron, fruits exotiques, menthol discret, fumé. Amplification harmonieuse à l'aération.
- Bouche remarquablement corsetée (acide, minéral), persistante. Une finale décidée (acidité limite de citron vert pour certains) suit une attaque plus douce. Pas de masque pour ce profil minéral, végétal et fruité, dans un style fort, sec et tendu qui peut rivaliser avec celui de certains des meilleurs domaines alsaciens (Trimbach, Kreydenweiss, Josmeyer, Boxler). Très beau le lendemain, encore. Attendre encore quelques années.
4. Mosel-Saar-Ruwer - Clà¼sserath-Weiler - Trittenheimer Apotheke - Riesling Spà¤tlese 2002 (Lot 07/03 – 8°) :
JP13 – PP13,5 - LG12
- Robe pâle.
- Olfaction légère : pastille vichy, limonade, craie, tilleul.
- La bouche trahit une présence de soufre trop forte, corrompant une expression en berne, peu franche du collier ; elle manque de netteté gustative et apparaît dissociée (mauvaise cohésion entre le sucre et l'acidité). Pascal est moins rebuté.
- Une des déceptions de la série (pour un domaine jouissant pourtant d'une bonne réputation).
5. Mosel-Saar-Ruwer - Egon Mà¼ller - Scharzhofberger - Riesling Spà¤tlese Versteigerung 2002 (Saar – Lot 13/03 – 8,5°) :
JP16,5 – PP16,5 - LG17,5 (à terme)
- « Versteigerung » désigne un vin sélectionné pour sa qualité comme lot d'enchères (prix conséquemment triplé, voire quadruplé).
- Robe presque blanche (ne pas s'en soucier).
- Le vin conte ses origines par un nez en oxymore (compact et aérien à la fois), distingué, mêlant d'appréciables notes : végétal, pierre, fruits (agrumes, fruits exotiques, pêche au sirop, mangue, passion, citron vert , …), menthol, herbes condimentaires aussi (une senteur plutôt inédite d'estragon).
- La bouche est une offrande fruitée succulente, serrée, cohérente (tenue et intégration du sucre magistrales), riche mais fort digeste. Un vin « aux petits oignons », encore un peu sur la réserve, qui ira loin.
- On le sent digne de son producteur ainsi que de sa qualification en lot d'enchères.
6. Rheingau - Robert Weil - Kiedrich Grà¤fenberg - Riesling Auslese 2003 (Lot 29/04 – 8°) :
JP16 vers 17 – PP16,5 - LG16 (à terme)
- Testé en 2 ½ bouteilles.
- Robe livide, de nouveau.
- On respire ici des senteurs bienfaisantes de menthol, de craie, de rhubarbe, associées à une jolie corbeille de fruits frais (fruits exotiques, orange, poire, pêche). Le fruit de la passion se distingue par sa capacité à paraître à la fois « pointu » et charnu. Un peu moins d'éclat néanmoins que dans le cas du Spà¤tlese de Mà¼ller, qui plaçait certes la barre assez haut en termes de pureté.
- Bouche normalement plus épaisse, très gourmande, à l'équilibre convaincant (malgré le millésime). Un vin long, tentateur même avec ses goûts de kumquat, d'orange, mais réservé, à attendre également. La perfection de son prédécesseur amoindrit probablement ses grandes qualités.
7. Nahe - Emrich-Schà¶nleber - Monzinger Halenberg - Riesling Auslese 2002 (Lot 23/03 – 9,5°) :
JP15,5 – PP15,5 - LG(14,5/15)
- Nez un peu trop soufré, ainsi bloqué dans son expressivité, seulement apte à produire un message végétal et mentholé approximatif.
- Bouche durcie par l'excès de soufre, contenant encore un peu de gaz. Pas mal mais la classe, la densité (sans exclure l'harmonie) ne sont pas au rendez-vous en l'état. Une belle acidité (passion, citron) et une belle minéralité (la craie décelée au nez) rappelle un peu le vin de Breuer (avec du sucre).
- Une sorte de petit frère des vins proposés par Mà¼ller, Haag et Prà¼m (un cadet des cadors, sans leur classe). Laissons-lui une chance de se remettre du traitement de choc qu'il a subi.
8. Mosel-Saar-Ruwer - Joh. Jos. Christoffel Erben - àœrziger Wà¼rzgarten - Riesling Auslese ** 2003 (Lot 9/04 – 8°) :
JP? – PP16 - LG?
- Probablement Goldkapsel.
- Robe blanche.
- Nez affreusement soufré, ne laissant place qu'à des senteurs occultées de mandarine et de melon confit.
- En bouche, une maigre expression fruitée (vagues notes de citron vert), plate et bridée est soumise au régime de la camisole. On espère que le vin saura trouver un second souffle. Pascal lui devine une certaine viabilité (son fruit – pêche jaune, abricot, son élégance sa longueur, sa droiture).
- Dommage car l'Auslese *** bu durant l'été 2004 s'était révélé emballant (16,5/20, puissant, fruité, minéral, sans aucune pesanteur pour ce millésime de tous les dangers).
9. Mosel-Saar-Ruwer - Joh. Jos. Prà¼m - Wehlener Sonnenuhr - Riesling Auslese Goldkapsel 2002 (Lot 31/03 – 7°) :
JP17+ – PP17,5 - LG16,5/17 (à long terme)
- Nez réducteur ingrat en l'état (civette, colle, mercaptan, allumette frottée). Confiné et tenace, il laisse s'échapper un chiche touche d'agrumes. Minéralité notable.
- Bouche très dense, particulièrement minérale, masculine pour un vin de Moselle, dont les imperfections aromatiques (moins flagrantes qu'au nez) paraissent presque consubstantielles de la marque de fabrique du domaine. Alors la structure est méritante, avec du « raisin » (extraction) et de la cohérence selon le vigneron qui déguste à ma droite. Plus sombre, moins fruité à ce stade que le vin de Haag, qui paraîtra faire la roue en comparaison (comparution ?) immédiate. Austérité et très gros potentiel (plusieurs décennies pour ce fruit pour le moment enfoui dans le substrat).
10. Mosel-Saar-Ruwer - Fritz Haag - Brauneberger Juffer-Sonnenuhr - Riesling Auslese #09 Goldkapsel 2002 (Lot 9/03 – 7,5°) :
JP17,5 – PP17 - LG16/16,5
- Le seul à préciser sur l'étiquette le n° de lot.
- On butine ici pour le coup des odeurs dévoilées toutes mosellannes, cristallines et aguicheuses : fleurs de pommier ou d'acacia, agrumes, menthol, miel, pomme cuite, craie, minéral, prune.
- En bouche, le gaz encore perceptible fait frétiller un vin déjà léger (taux d'alcool bas) mais dense, élégant au sucre discret. Expression claire, féminine, accessible, fine, dans un registre plus plantureux que celui de Prà¼m (qu'on aurait pu envisager, en le sachant, de boire après). Un régal de gourmandise et d'équilibre aérien, à l'instar des meilleurs vins de Moselle.
11. Mosel-Saar-Ruwer - Egon Mà¼ller - Scharzhofberger - Riesling Auslese 1999 (Saar – Lot 22/00 -9°) :
JP18/18,5 – PP17,5 - LG18+
- Le fameux lot 22 pour cette cuvée dans ce millésime.
- Ce nez mûr distille d'impeccables notes de minéral, de miel de bruyère, de camphre, de thym, de réglisse, de menthol, de tourbe (un côté inattendu d'Islay). Le fruit n'est pas en reste (fruits blancs, agrumes, poires tapées). Balsamique (un peu comme un vieux château Simone), il a l'heur d'être étrange. Comme dans le cas du Spà¤tlese, le vin signale sa classe par cette forme confondante d'évidence d'expression, malgré une signature plutôt inclassable.
- Bouche d'une densité rare (ce côté « essence » et la longueur associée), ultime mais à l'équilibre parfait (sucre entièrement au service du vin), qui irradie le palais par paliers successifs, dans un concert de goûts changeants. Les arômes se complètent de flaveurs de réglisse, d'épices variées, contribuant à donner au vin ce caractère original exceptionnel.
- Impressionnant, inédit, grandiose, ce vin confirme la valeur du domaine. Un dégustateur implore un homard cuisiné à la truffe. Le prix est raisonnable pour ce vin acheté au restaurant à Trèves (97 euros).
12. Mosel-Saar-Ruwer – Mà¶nchhof-Eymaà«l - àœrziger Wà¼rzgarten - Riesling Eiswein 2002 (demi – Lot 17/03 – 8°) :
JP17 – PP17 - LG17
- On s'attend forcément à retomber d'un cran après l'ovni Mà¼ller. On est alors confronté avec bonheur à la frivolité de notes jubilatoires qui concluent parfaitement la série : fruits exotiques, marc, fraise, suc de viande de veau (botrytis).
- La bouche est très friande, dotée d'un magnifique élan floral et fruité (rose, fraise, cassis, groseille) vertébré par une acidité irréprochable. Le monstre précédent parviendrait presque à la faire paraître un peu lourde et courte ?!
Conclusion :
- Dégustation de très haut niveau, confortable, gourmande, dans une cave magnifique propice à l'appréciation du vin.
- Une série mémorable qui nous replonge avec bonheur dans les particularismes des vins allemands, explorés notamment lors du voyage de l'été 2004.
- Les vins, choisis parmi l'élite des vignerons allemands (ne nous leurrons pas), sont à la hauteur des grands vins du monde, exprimant avec force, diversité et originalité le potentiel de leurs terroirs :
- j'ai envie de les qualifier plus de « vins allemands » que de « Rieslings »
- leur degré est faible mais leur équilibre le plus souvent souverain leur confère un caractère assez inimitable
- les flaveurs sont chavirantes, les équilibres aériens, les longueurs conséquentes
- les expressions sont variées, avec de plus à l'intérieur d'une même gamme trois grands et fort différents styles d'Auslese (Mà¼ller, Haag, Prà¼m … excusez du peu)
- 2002 semble un grand millésime (comme en Alsace, chez les meilleurs producteurs du moins)
- ces vins souvent déjà délicieux sont de longue garde (20 ans ne feront pas peur aux meilleurs d'entre eux)
- Egon Mà¼ller confirme (on ne s'en plaindra pas) son statut de star internationale ; un simple Kabinett 2003 bu sur place durant l'été 2004 était déjà fantastique, noté 16/20. Privilège du dégustateur, reste le plaisir de goûter peut-être un jour le célébrissime Trockenbeerenauslese de Scharzhofberg.
- J. J. Prà¼m (potentiel), Haag et Weil (pureté), sans surprise, le talonnent.
- Quelques découvertes intéressantes.
- Pour les taux de sucre affolants (Beerenauslese et Trockenbeerenauslese, ainsi que d'autres interprétations d'Eiswein), voir la qualité des vins testés chez Molitor et Grans-Fassian, qui méritent que l'on casse sa tirelire.
- Pour les grands pinots noirs (et après quelques déconvenues relatives aux USA chez Sine Qua Non et Rochioli), nous repartirons vers le saint du saint bourguignon.
Laurent
Message edité (28-02-2005 18:18)