Bonne année à tous et toutes mes excuses pour ce long silence, mes derniers jours au Japon ayant été quelques peu agités!
De retour avec le Shibori aujourd'hui, qui fera l'objet de plusieurs post car j'ai beaucoup à dire autour du sujet
Le Shibori (par analogie avec la vinification, le pressurage) intervient en fin de fermentation. Nous allons voir les différentes étapes préliminaires ainsi que les indicateurs de "fin" de fermentation. Dans le monde du vin, ces guillemets n'auraient que peu de sens, on effet, la fermentation de la plupart des vins est menée à son terme naturel, soit par la transformation totale des sucres fermentescible (donnant des vins secs) soit par "l'épuisement" des levures dans un milieu devenu inhospitalier (alcool, résidus de fermentation, forte quantités de Sucres résiduels...etc.). Lorsqu'une fermentation est arrêté volontairement, on dit que le vin est "muté", - un vin peut notamment être muté par ajout d'alcool, ou de SO2 (dans la plupart des cas: passage à basse température, filtration et sulfitage)-il s'agit alors de conserver une quantité donnée de sucre résiduel dans le vin. Cette technique est quelque peu risquée car si le milieu est propice à la fermentation, une reprise en bouteille est toujours à craindre, une dose importante de SO2 est donc préconisée, autant dire que cette pratique est aux exceptions près plutôt l'apanage de gros faiseurs de vins blancs ou rosés "de soif" légèrement sucrés.
Mais revenons à notre Shibori, vous vous en rappelez, nous conduisons pour le saké une "fermentation parallèle" soit la transformation de l'amidon en sucre en parallèle d'une transformation du sucre en alcool. Un arrêt de fermentation par une consommation totale du substrat voudrait donc dire une consommation totale de l'amidon de riz. Pour des raisons que nous évoquerons plus loin, il n'en est rien, en effet, selon les sakés c'est près de la moitié du riz (en poids, voir plus loin "taux de kasu") qui ne sera pas consommé. Par ailleurs, la fermentation du saké, de par ses caractéristique particulières permets d'atteindre un taux d'alcool de 23% avant son arrêt naturel, soit le niveau d'alcool le plus élevé enregistré pour une boisson fermentée. Or ce niveau n'est pas atteint sans heurt, en effet, les levures peinent à atteindre un si haut degré et "souffrent" dans ce milieu riche en alcool et en déchets de fermentation, il en résulte l'apparition de composé aromatiques néfaste. De plus, lors de cette phase finale, l'activité des levures est ralenties, l'activité enzymatique est en revanche bien moins sensible à ces modifications du milieu. De l'écart de ces deux activités résulte une augmentation du taux de sucre (peu gênante, la plupart des sakés présentent des SR), et une augmentation des peptides et acides aminés. Ces derniers, présents en trop grande quantité "alourdi" le saké, notamment par un caractère umami (pour ceux à qui ça ne parle pas, umami est une saveur au même titre que sucré-amer-acide-salé, les japonais la connaissent depuis toujours mais les occidentaux ne l'avaient jamais remarquée) trop prononcé. La fermentation doit donc être arrêtée par la main de l'homme afin de prévenir l'apparition de ces défauts.
La première étape pour stopper la fermentation est donc le Shibori qui consiste à séparer la partie solide (qui contient l'amidon, substrat de la fermentation) de la partie liquide. Le principe ancestrale, encore utilisé de nos jours pour les cuvées haut de gamme est simple (bien que couteux en main d'œuvre, comme beaucoup d'opération traditionnelle), il consisté à placer le mout dans des sacs de coton d'environ 12L et à laisser s'écouler le jus (de 12 à 36h). Une fois la totalité du "jus de goutte" écoulé, on pressait les sacs entre deux grand panneaux de bois poussés de chaque côté par les kurabito, aujourd'hui on renvoie plutôt le mout restant dans les machines de shibori (voir plus loin). On constate ici qu'il y à donc comme pour le vin rouge un "jus de goutte" et un "jus de presse". Certaines Kura proposent des Sakés "de goutte", occupant presque toujours le sommet de la gamme de la maison, ces sakés étant réputés plus délicats. Pour autant la partie "jus de presse" n'est selon les dires des producteurs en rien inférieurs aux cuvées pressés classiquement, et ces jus rejoignent généralement le second haut de gamme de la maison. Si la qualité supérieure de ces cuvées peut tout à fait s'expliquer par une moindre extraction de composées issus du kasu (=marc nous y reviendrons un peu plus loin), la profession ne semble pas s'accorder sur un très net bénéfice de la technique. Ayant moi-même gouté plusieurs de ces sakés, je dois bien convenir de leur excellente facture, mais ne suis pas certain que la différence soit très significative avec un pressurage délicat et bien mené (un avis parmi d'autres, à confirmer). Avec les avancées de la mécanisation, un système mécanique s'est rapidement imposé sans les Kura, très simple, il consiste en une presse mécanique verticale de forme rectangulaire. Ce système (que je ne détaillerai pas, la plaque descend, ça presse...), a été supplanté aujourd'hui dans la plupart des Kura par le système pneumatique Yabuta, présentant un meilleur rendement de travail (pressurage en 13h).
Ce système mérite que l'on s'y attarde quelque peu. Il est constitué de 120 plaques de métal indépendantes d'environ 1m^2, chacune placée dans un filtre (imaginez une taie d'oreiller). Le moût est distribué entre les plaques par un astucieux système d'ouverture dans un des coins supérieur. Une fois la machine remplie, celle-ci est mise sous pressions, une plaque sur deux est gonflée à l'air comprimé, pressant ainsi le mout contre l'autre plaque. Le liquide traverse le filtre et ressort de la machine par une ouverture située dans le coin opposé de la plaque.
Un schéma sur le site du constructeur:
Une fois le pressurage terminée, les plaques sont séparées une par une afin de retirer le "kasu" (=le marc) celui-ci, collé aux filtres, est retiré à la spatule et précieusement récupéré. Jaunâtre, il est constitué de lies et des grains de riz partiellement digérés par les enzymes (la forme de certains est encore parfaitement distincte) et contient environ 8% d'alcool TAP. Il est vendu brut par les Kura à des industriels, des supermarchés ou des cavistes afin d'être utilisées comme ingrédient de cuisine. Bien entendu, le kasu des sakés de meilleures qualités sont vendus plus cher.
To be continued...