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Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

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jeudi 16 octobre 2008

Nous finissons aujourd'hui les vendanges 2008.
C'est ma 20ème à Pontet-Canet.
C'est là qu'on mesure le temps qui s'est écoulé et les choses qui ont été réalisées.
Tout a changé ou presque. A l'époque, j'étais un jeune adulte de 24 ans, encore célibataire. Maintenant, je suis le père de 2 enfants dont l'un est majeur et en études supérieures!
Le Domaine est toujours là, mais il ne se ressemble plus vraiment. Il était dans le "peloton de queue" des crus de la région; il est maintenant beaucoup plus en vue, même s'il reste beaucoup à faire.
Je ne vais pas vous refaire le coup de vous expliquer ma vision de la viticulture car la "carte blanche à" qui m'a été dédiée en donne les contours.
Je souhaite seulement faire part de mes états d'âme à ce stade de ma vie professionnelle.
Il y a 20 ans, en commençant dans cette belle propriété, j'avais des rêves pour elle.
Je rêvais qu'elle puisse devenir un modèle pour son vin, sa gestion et pour les gens qui y travaillent.
On en était très loin avec un vignoble "souffrant" et du matériel dépassé, en quantité insuffisante.
Nous nous sommes retroussés les manches et avons affronté les difficultés les unes après les autres.

Dans les années 95-96, nous avons aussi supprimé le travail à la tâche pour une meilleure qualité des soins apportés à la vigne et pour avoir des conditions sociales dignes de la fin du 20ème siècle.

J'ai à peu près réalisé tous mes rêves en presque 2 décennies.

Maintenant, je réalise des "extra-rêves", c'est-à-dire que nous avons mis en place avec Alfred Tesseron des choses dont je n'avais même pas rêvé. Je veux parler par exemple de la biodynamie sur l'ensemble du domaine ou même du retour du cheval de trait. Il y a aussi de nombreux autres détails moins "visibles" et qui me donnent une grande satisfaction au quotidien.

Mais il reste encore beaucoup de choses à faire. J'ai pris l'habitude de dire que l'essentiel est encore devant nous.

Même si j'ai le meilleur patron que l'on puisse désirer, la pression constante que génère la vie en bio sur un tel domaine est très forte. C'est peut-être tout simplement moi-meme qui me donne cette pression.

Je ne pourrais plus travailler différemment et j'y trouve beaucoup de satisfaction voire même de sérénité, mais il faut reconnaître que c'est difficile à supporter tant les détails à régler sont nombreux pour espérer obtenir les résultats souhaités.

Corinne en a parlé sur son blog il y a quelques semaines; nous sommes de plus en plus sollicités pour expliquer comment se passe notre vie en bio-biodynamie.

Localement,lorsque mes homologues d'autres grands domaines viennent me poser des questions, je suis un peu surpris qu'ils n'arrivent que maintenant, après 5 ans de bio chez nous, mais surtout après le traumatisme de 2007.
Maintenant, mon analyse des choses est très simple : si le propriétaire est capable d'intégrer l'idée qu'il peut perdre toute ou partie de sa récolte et si le responsable est lui, capable de remettre son poste en jeu en cas de problème, alors le passage en bio n'est plus qu'une formalité. Les problèmes de matériels et autres programmes de traitements ne sont que des détails.

Voilà résumées en quelques lignes, 20 ans de vie pour Pontet-Canet. J'espère que le lecteur ne va pas s'être endormi en lisant au point de casser le clavier de l'ordinateur avec le front. J'ai peur des dommages et intérêts à payer...

Plus sérieusement, j'avais envie de vous faire part de mes états d'âme alors que les dernières grappes viennent d'être coupées pendant que j'écrivais ce texte.




mardi 21 octobre 2008

Nous sommes déjà dans le millésime 2009.

Nous sommes aujourd'hui dans notre deuxième journée de travail post-vendange (si on ne compte pas le week-end travaillé pour 10 personnes dans le chai + moi bien-sûr).

Il y a beaucoup de choses à nettoyer et ranger. Mais déjà, nous sommes de nouveau tournés vers le vignoble. La montée en puissance du travail y est exponentielle.
Pas de pause pour souffler peu.

Pour moi, c'est un moment délicat car je dois rester complètement concentré dans les vinifications dont les premières cuves viennent tout juste de finir de fermenter.

Mais, dans les vignes, il y a tous les travaux d'automne qui commencent. C'est la tombée des fils, les épandages de fumier biodynamique composté, les labours (griffage puis chaussage) sur la totalité du domaine (bio oblige...), la réparation de quelques fils et piquets cassés,...

Le programme de fumure a été préparé pendant mes longues journées dans les chais. Pendant les vinifications, je transfère mon bureau dans les chais pour être en contact permanent avec les cuves.
Le fumier est chez nous depuis 1 an mais le programme, je l'ai élaboré dans ma tête pour chaque parcelle depuis des mois en l'améliorant un peu à chaque passage dans le vignoble et jusqu'à la vendange et au "résultat" de chaque parcelle dans les cuves.
Il faut trouver l'équilibre entre la fumure la plus adaptée et le "techniquement réalisable" sur le terrain. Ce n'est pas simple et on pousse un peu plus loin tous les ans la complexité des chantiers de fumure pour s'adapter à chaque micro-zone. Un jour, il faudra descendre au niveau du cep de vigne, mais c'est encore trop compliqué pour moi. Pourtant, depuis que l'on ne rogne plus la vigne, chaque cep devient encore plus qu'avant une individualité qu'il faut apprendre à gérer en tant que tel. Ce n'est pas simple.

Pour en revenir aux travaux, le vignoble ne doit pas accumuler de retard pour que la taille puisse débuter au moment opportun (dans un mois). N'ayant que des vignerons mensualisés, la vitesse de taille est relativement fixée. Fini le travail à la tache du matin de bonne heure, du soir tard ou week-end comme c'était le cas dans le passé ; ou même les vignerons qui courent dans les rangs pour en faire le plus possible au détriment de la qualité car ils sont payés au pied de vigne taillé.
Un jour de retard au début de la taille signifie un jour de retard à la fin de la taille au printemps et donc le début d'un retard pour le travail suivant. Et ainsi de suite...

Chez nous, cette année il y a en plus à construire les nouveaux matériels supplémentaires destinés aux chevaux. Les idées sont en tête depuis bien longtemps, mais il reste à mettre tout cela en forme avec notre mécanicien qui va ensuite construire seul. Puis, on discutera de chaque point précis ensemble au fur et à mesure de l'avancement du chantier.
Tout doit être prêt dans un mois, pour le début de la taille.

Les chevaux viennent de reprendre le chemin des vignes après quelques jours de repos pendant les vendanges. Mais il semble qu'ils aient perdu un peu de force en chemin. Ils rechignent à tirer les griffes après 2 heures de travail. D'habitude, ils travaillaient 3-4 heures sans s'arrêter. Il va donc falloir les remuscler et y penser pour la prochaine fois.

Voilà en quelques lignes la situation à Pontet-Canet. J'ai souhaité aligner ces quelques mots pour faire imaginer concrètement aux nombreux amateurs de vin, comment fonctionne au quotidien un grand domaine viticole comme le nôtre.
Le vin ne nait pas lorsqu'on remplit les cuves ni même lorsque la vigne commence à pousser. (Je m'excuse auprès de ceux qui penseront que je viens polluer leurs discussions d'amateurs jugeant des vins.)

Pour nous, le 2009 est presque déjà né. Si on peut risquer une comparaison facile, on peut dire que la gestation est déjà commencée. Elle doit durer presque un an.

Puis, dans quelques jours, c'est le fumier destiné à la récolte 2010 qui va arrivé pour y être composté lui-aussi un an, jusqu'à l'automne 2009.
Finalement, c'est un peu le millésime 2010 qui pointe son nez !




mardi 04 novembre 2008

Quelques nouvelles
Dans les chais, les écoulages se poursuivent dans la sérénité.
Par contre, dans les vignes c’est un peu plus compliqué. Nous avions commencé à épandre le compost biodynamique et à griffer les parcelles mais la pluie est arrivée. Cela fait une semaine qu’il pleut tous les jours et souvent toute la journée. On s’achemine vers 100 mm de pluie.
A cette saison, la moindre pluie met longtemps à se drainer. En été, 30 mm dans la journée ne sont plus qu’un souvenir 2 jours après. En novembre, c’est autre chose ! Sourtout lorsque les averses se succèdent les unes après les autres.

Bien-sûr, ici sur nos graves, on peut accéder aux parcelles tout le temps. Mais ce n’est pas parce qu’on peut le faire qu’il faut le faire. Les engins lourds comme l’enjambeur équipé de son épandeur à compost compactent les sols, mais en plus quand ils sont trempés comme actuellement on détruit plus qu’autre chose.

Pour les labours, c’est un peu la même chose. On peut labourer même quand c’est mouillé. Mais là, on pourra encore voir le résultat au printemps car la terre gardera les traces de cette agression.

Dans notre vision actuelle du travail, on tente de supprimer les actions qui sont incompatibles avec le « bon sens paysan ». Donc, depuis une semaine, les engins (et les chevaux) sont au repos. On attend des jours meilleurs pour faire le travail dans de bonnes conditions.
Pour moi, même si je suis persuadé de la justesse de ce qui est fait, c’est dur car je vois les jours passer et j’aperçois aussi très clairement le début de la taille. Je sais que l’on ne pourra pas arriver à être à jour selon mes prévisions et qu’il faudra s’organiser autrement.

Par mes études, je suis issu d’une toute autre façon de voir l’agriculture. Il faut donc que je me raisonne pour ne pas envoyer les tracteurs dans les rangs. Je sais que c’est une mauvaise chose. C’est d’autant plus dur quand tout autour de moi, à perte de vue, je vois des gyrophares d’enjambeurs dans les vignes…

Heureusement, le bon sens paysan me dit aussi qu’il arrivera bien un jour prochain où on pourra finir d’épandre le fumier et labourer les sols dans de bonnes conditions.

Donc, on attend !




jeudi 13 novembre 2008

Réflexions sur notre travail.
Hier, j’étais occupé à réfléchir avec Gilles, notre mécanicien à des modifications sur les engins de traction animale. Gilles est un homme brillant dans son métier. Il travaille avec nous depuis 18 ans. Ensemble, nous avons créé de nombreuses choses et sans lui Pontet-Canet n’en serait pas à son niveau actuel. Ses doigts sont en or. Ici dès qu'on a un problème, on fait SOS-Gilles !

Il me parlait de sa formation de mécanicien. Je lui alors dit que ce qu’il avait appris était sûrement très loin de son occupation du moment c'est-à-dire des brancards à chevaux. Il me l’a confirmé en me disant que pendant très longtemps, il rêvait de machines sophistiquées, d’automatismes, d’hydraulique,…

Je lui ai dit que pour moi, c’était la même chose. Pendant très longtemps, j’ai vu dans l’électronique une voie d’avenir pour notre viticulture. Le couple machinisme-automatismes devait révolutionner notre travail dans le bon sens du terme.

Depuis, nous avons fait ce virage à 180°. Nous en sommes rendus à calculer le montage d’engins tirés par des chevaux. Jamais nous n’aurions imaginé avoir un jour, de telles préoccupations.
Autrement dit, il ne faut jamais penser que la route est toute droite dans la vie.

La traction animale est un challenge difficile. Si on veut le faire avec conscience et honnêteté (comme nous pensons le faire), c’est un investissement humain lourd ; et financièrement aussi. Il n’y a jamais de grosses sommes dans l’addition finale, mais le nombre de lignes de cette addition finit par être conséquent.
Pour parler de l’avancée du projet, je pense que nous avons réglé environ 90% des problèmes. Maintenant, il faut s’occuper des détails (et ils sont nombreux). Si on y arrive, alors, on pourra dire qu’on a réussi. Mais ce moment là n’est pas encore arrivé ; même si les chevaux travaillent tous les jours avec une vraie impression de routine.

Quant aux traitements et autres travaux avec les chevaux, nous allons commencer la construction de la deuxième série d’engins. Il me tarde car j’ai les idées en tête depuis un an et demi et je voudrais bien voir de mes yeux les engins dans l'atelier puis au travail dans les vignes.

Donc là, il reste tout à faire ou presque. Toutes les pièces nécessaires sont là depuis des mois.

Il n’y a plus qu’à…




mercredi 19 novembre 2008

Journée morose.

Depuis des jours, Gilles notre mécanicien et moi réfléchissons à une modification dans notre traction animale pour être plus efficace à certains moments de l’année.
Pour ma part, j’ai des heures et des heures de réflexions, de calculs, de simulations dans ma tête sur le sujet.
Une première ébauche a été abandonnée car trop lourde. A partir de là, je pensais avoir trouvé « la » solution. Nouveaux calculs, nouvelles recherches.
Puis le prototype a été fabriqué.
Je pensais vraiment tenir le bon bout. J’étais très impatient d’atteler les chevaux. La fébrilité m’avait envahi.
Pendant l’attelage, j’ai eu tout de suite l’impression désagréable que le compte n’y était pas. Les chevaux, changés dans leurs habitudes devenaient aussi très inquiets donc agités.
J’ai donc demandé l’arrêt de l’essai et le dételage « express » des animaux.

C’est une grosse déception qui m’a suivi toute la journée.

Ainsi va la vie, parfois tout fonctionne, parfois rien ne marche. Il faut recommencer à zéro.
Et dire que certains pensent aller la fleur au fusil vers la traction au cheval. Quelle naïveté !

Il y a sans cesse de nouveaux détails à régler. Aucun n’est vraiment important, mais on ne peut rien laisser de côté.
Par rapport aux tracteurs, il y a le facteur "psy" des chevaux à ajouter dans la balance.
Pour nous, c'est un nouveau référenciel auquel il faut penser en permanence. Il y a aussi le confort de animaux, leur sécurité,...

Parmi les lecteurs qui aiment sentir la vie d’un domaine viticole, certains auront peut-être, comme moi, un peu le blues ce soir.

Malgré tout, il y a bien plus grave sur terre.




mercredi 10 décembre 2008

Dans ma volonté d’expliquer au cas par cas, la vie d’un domaine comme Pontet-Canet, j’ai pensé à faire une photo d’un « détail remarquable » (selon moi).
Certes, il ne s’agit pas de révolutionner la connaissance que l’on a du domaine (qui existe depuis 3 siècles).
Malheureusement pour les philosophes de la vigne et du terroir, il ne suffit pas de faire de grandes tirades sur le terroir d’un cru pour le connaître.
La réalité est beaucoup plus basique que cela ; terre à terre si je peux se risquer à un jeu de mot facile. La connaissance du terroir s’améliore petit à petit, au fur et à mesure de la découverte de nouveaux détails.
C’est un travail constant et quotidien qui ne peut se faire qu’en étant dehors dans les vignes.
Le « détail » dont je vous parle aujourd’hui pour illustrer mon propos est une petite résurgence d’eau sur le bord d’une parcelle. Je ne l’avais jamais vu avant ; peut-être que la semaine prochaine, elle n’y sera plus.



En voyant de l’eau à cet endroit, j’ai compris un peu mieux la parcelle en question.

Je ne dis pas que cela va complètement modifier l’idée que je m’en fais ; mais, j’ai l’impression d’avoir un peu progressé. J’ai fait un pas en direction du sommet, mais je n’en suis qu’aux premières pentes. L’essentiel de la connaissance reste encore à acquérir. Certes, on connait des choses, mais le subtil reste encore à apprendre.

Et il ne s’agit dans mon exemple que d’un petit « plus » pour une seule parcelle parmi presque 100 parcelles culturales que nous avons. Chaque parcelle recèle de nombreuses « finesses » différentes. Parfois, particulièrement dans le cas de grandes parcelles, on peut distinguer plusieurs « sous-unités » qui n’ont que peu de lien l’une avec l’autre mis à part d’être regroupées sous un même numéro de parcelle.

Donc, la connaissance d’un terroir est une sorte de puzzle à plusieurs milliers de pièces et dont certaines ne « sortent » vers nous que par intermittence. Il faut donc être là au bon moment, prendre le morceau de connaissance et tenter de l’assembler avec autre chose et aussi « comparer » ou mettre en perspective avec la dégustation du vin de l’endroit.
Parfois, un simple coup d'oeil ou une sentation resteront "stockés" quelque part entre deux neurones. Puis, avec un autre détail, plus tard, on arrivera à construire un petit morceaux du puzzle.

On n’en finit jamais mais selon moi, il n’y a pas d’autre solution.

Et pour cela, il faut avant tout aimer la vigne. Sans amour, point de vrais Grands Vins. (à méditer)




lundi 22 décembre 2008

Les fermentations malolactiques viennent de se terminer. Pendant quelques jours, j’ai douté de les voir finies avant Noël.
En général, c’est le cas ; c'est-à-dire qu’elles finissent début décembre. Cette année, les vendanges étaient en retard, les vinifications aussi, donc il était logique de terminer les malos tard.

Il n’y a qu’en 2002, où un lot de vin n’avait pas terminé sa malo au moment des congés de fin d’année. Avec le recul, ce n’était pas la faute du vin mais une erreur de jeunesse de ma part dans la gestion du remplissage des cuves par gravité au moment des vendanges. Cette technique allonge fortement la durée de fermentation. Je ne le savais pas encore et je me débattais avec des fermentations poussives. Donc, un lot avait fini sa fermentation alcoolique très tard et donc, la malo avait elle-aussi été décalée dans le temps. Elle s’était faite en janvier.
Depuis, ce n’est plus arrivé. On a pris un peu plus de maîtrise sur les fermentations alcooliques « lentes » et les malos sont elles-aussi gérées avec sérieux ; dans la sérénité mais avec concentration.
La moitié de la récolte fait les malos en barriques neuves et l’autre moitié en cuves.
Le vin en cuve est maintenu à 20-22°C alors que pour les barriques, c’est tout le bâtiment qui est chauffé.
Grace à cela, les malos se font bien et naturellement.
Pour nous qui présentons nos vins en primeur au printemps, il est important d’avoir fini les malo assez tôt. En cas de retard, c’est le vin qui risque de ne pas être prêt pour le grand examen qui conditionnera en grande partie sa notoriété future.
On peut ne pas être d’accord avec le système de présentation précoce des vins, mais on n’a pas les moyens de repousser les choses. Donc, on fait pour le mieux en se disant comme tout le monde que c’est trop tôt.
Un vin « pas prêt » se dégustera mal, voire même sera gazeux.
Si les malo devaient se poursuivre pendant les vacances de Noël, il faudrait donc continuer à chauffer les vins et laisser une surveillance en place.
Heureusement, cela n’arrivera pas cette année. Le chauffage des locaux vient d’être coupé et on va ouvrir les fenêtres pour laisser le froid entrer dans les chais et exercer son action bien faisante et clarifiante sur le vin.
Actuellement, de plus en plus de malos sont enclenchées par des « levains » bactériens du commerce. Dans peu d’années, on n’aura pratiquement plus de malos spontanées comme les nôtres. La situation sera alors semblable à celle des levures actuellement.
Certains mélangent aussi levures et bactéries juste après les vendanges, sur le moût. Il me semble que l’on appelle cela de la « co-inoculation ». Il y a aussi des levures « intelligentes » et sélectionnées qui « mangent » l’acide malique à la place des bactéries. On n’arrête pas le progrès ! On n’arrête pas non-plus de repousser les limites de la peur que l’on cultive habilement chez les vinificateurs… Je ne suis pas un spécialiste de toutes ces choses et j'ai du mal à en parler avec pertinence.

Donc, à partir de la mi-janvier, nes vins clarifiés seront soutirés, assemblés et de nouveau laissés au repos au moins un mois avant les premières présentations en primeur.
Le vin, c’est de la poésie mais c’est aussi et surtout au quotidien, un métier avec ses contraintes et ses impératifs…




lundi 05 janvier 2009

Parmi les travaux de l’année, il y en a un qui a une importance majeure pour la vigne, sa production et son avenir. C’est la taille.

Mon but n’est pas ici d’expliquer ce qu’est la taille et à quoi elle sert. Si certains ont besoin de ces précisions, on peut néanmoins en reparler.
Je souhaite expliquer comme souvent, comment elle est organisée chez nous, concrètement.
Historiquement, la taille était réalisée par des vignerons payés au « prix-fait », c'est-à-dire à la tache. Tous les travaux de l’année étaient organisés avec ce mode de rémunération.
Je n’ai jamais aimé travailler comme cela. Certes les gens gagnent très bien leur vie pendant les périodes où ils sont au prix-fait, mais c’est au prix de journées souvent très longues et de cadences très « soutenues ».
C’est un système souple car les gens ne sont payés que lorsqu’ils travaillent et uniquement en fonction de la quantité de travail effectué. Donc, la surveillance du personnel est beaucoup plus simple quand les ouvriers sont à la tache. C’est pour cela que beaucoup de responsables de vignoble aiment le prix-fait ; leur travail est très allégé.
Par contre, on ne peut pas espérer obtenir une grande qualité de travail car les gens n’ont aucun intérêt à soigner leurs gestes, seule la quantité compte. De plus, le travail à la tache peut faire penser à un système d’un autre âge.
Ceux qui se gargarisent aujourd’hui du mot « social » devraient avant tout supprimer de leur quotidien les systèmes de rémunération basée sur la productivité.
Donc, après quelques années de cette organisation, j’ai souhaité faire évoluer Pontet-Canet vers des conditions plus modernes et capables de nous faire exiger des vignerons la qualité de travail souhaitée, quelque soit le temps nécessaire pour y parvenir.
Dans le milieu des années 90, Pontet-Canet (et Lafon-Rochet dont je m’occupais à l’époque) ont modifié leur système de travail pour ne plus avoir que des vignerons et vigneronnes mensualisés. A l’époque, rares étaient les grands domaines (moins de 5 en Médoc) ayant leur personnel totalement mensualisé. Depuis, la situation n’a pas vraiment évolué ; la plupart des domaines paient encore leurs vignerons à la tache.
Pour permettre de proposer des salaires mensualisés cohérents par rapport au système à la tache, il a fallu repenser tous les travaux pour les rendre économiquement et techniquement compatibles avant la réalité du terrain.
Il a fallu plusieurs années pour rôder le système. Maintenant, on peut dire que l’on est arrivé à un rythme de croisière depuis quelques années.
Travailler avec des salariés mensualisés nécessite d’avoir des relations proches avec eux. Je préfère des relations basées sur une présence permanente proche de l’accompagnement plutôt que des relations hiérarchiques strictes et des sanctions. Si le geste d’un vigneron nécessite d’être rectifié, je lui dit, tout simplement lors d’un de mes tours du vignoble une à deux fois par jour.
Je regarde avec circonspection et amusement les exemples de domaines qui notent le travail de vignerons grâce à des fiches d’évaluation consignée dans un ordinateur et qui font ensuite l’objet de « communication » de résultats à l’intéressé. On est entré dans l’ère des « qualiticiens ». Je pense être d’une époque révolue, celle du bon sens tout simple.
Je ne parle même pas du fait qu’il est impossible de juger correctement une taille lorsque les sarments ne sont plus présents sur le pied. Mais ce « détail » ne gêne pas les qualiticiens…
Il faut dire que la plupart de ces gens, n’ont jamais passé une journée avec un sécateur dans la main, et même bien souvent, n’ont jamais taillé un pied de vigne en conditions réelles. Fin de la parenthèse…
Pour éviter de prendre du retard sur les autres travaux au printemps suivant, le planning de taille est fixé pour la saison qui va de la mi-novembre à la mi-février. Chaque vigneron sait parcelle par parcelle combien de jours de travail sont nécessaires.
Tous les 10 jours (un vendredi soir après la débauche), je fais un point précis, personne par personne de l’avancement des chantiers. Chaque vigneron sait alors comment il se situe par rapport au rythme prévu.
Les tailleurs ont appris à travailler avec cet élément que je leur communique.
En cas de retard, il n’y a pas de sanction. Si la vitesse de travail est plus rapide que le rythme prévu, il n’y a pas de bonus.
Pour chaque parcelle, le travail à effectuer est spécifique. Parfois on gagne du temps, parfois on en perd. Je sais quelles sont les parcelles « points noirs », les vignerons aussi. Mais l’essentiel est de faire le mieux possible à tout moment. Si c’est plus difficile, c’est normal de perdre du temps. Si c’est plus simple, c’est logique d’aller un peu plus vite.
Depuis plusieurs années, les sécateurs électriques ont été pratiquement généralisés.
On ne peut pas dire que la qualité de travail soit la même qu’avec un sécateur manuel mais la majorité des tailleurs n’est plus capable de travailler sans l’outil électrique.

Les vignerons taillent et brûlent les sarments au fur et à mesure dans une brouette brûleuse.
Ils brûlent aussi les souches mortes et porteuses de spores des champignons qui les ont tuées.
A l’heure des bilans « carbone », il est de bon ton de remettre en question ce système de travail simple et pratique.
Je ne sais pas comment nous travaillerons dans l’avenir mais je me refuse à créditer des systèmes de pensée qui, sous prétexte d’éviter de dégager quelques grammes de gaz carbonique nécessitent des consommations importantes de carburant pour récupérer les sarments ou les transporter sur un lieu de compostage.
Je regarde avec intérêt autour de moi, les différents systèmes en cours pour « gérer » les sarments. J’essaie de rester objectif en pesant le pour et le contre dans chaque cas.
Je n’ai jamais pensé que d’envoyer dans la vigne un tracteur qui consomme 15 à 20 litres de fioul par heure pour récolter un ou deux hectare de sarments par jour avait une grande logique écologique.
Peut-être que l’utilisation de chevaux de trait pourra amener quelques éléments de réponse à mes interrogations et surtout une attitude cohérente sur toute la ligne. Mais pour cela, il faudra au préalable avoir régler les millions de problèmes qui se présentent à nous pour utiliser les chevaux dans la vigne et donc justifier leur pérennité dans le vignoble.
Enfin, avant de conclure, je souhaitais quand même dire que la taille est effectuée par des personnes mais ceux-ci ne décident que peu de choses. C’est chaque pied de vigne qui donne au tailleur l’information nécessaire pour lui laisser un nombre de bourgeons.
De plus en plus, on entend des cas de domaines où le nombre de bourgeons par cep est déterminé manu-militari par le responsable ou le directeur. C’est une façon de penser à la petite semaine. Il n’y a aucune logique viticole à cela. Le tailleur doit être au service du cep et pas le contraire.
Donc, ce n’est pas à la taille que l’on décide de la quantité de raisins à venir. Si on laisse trop de bourgeons par rapport à la vigueur des ceps, les rameaux ne se développeront pas bien, ne donneront pas beaucoup de raisins et le cep va s’affaiblir.
Si on laisse trop peu de bourgeons, le cep va prendre de la vigueur et des bourgeons que l’on appelle en fait des « yeux », vont chacun donner plusieurs rameaux au lieu d’un seul. Tous porteront des raisins et on aura ainsi une grosse production.
C’est le b-a ba de la taille mais il est utile de le garder en mémoire.
Voilà comment on taille à Pontet-Canet. Beaucoup de choses pourraient être améliorées mais au moins, dans nos actes, on est en phase avec la volonté de faire bien le travail.




lundi 12 janvier 2009

La complantation

L’hiver, avec la taille il y a aussi le long et fastidieux chantier de complantation. Quand je dis complantation, je devrais dire préparation de la complantation, car à ce stade, on ne fait que préparer la terre à recevoir un nouveau plant de vigne au printemps prochain.
Pour ceux qui ne le sauraient pas la complantation c’est le remplacement de pieds manquants dans une parcelle existante.
Dans les vignobles, il y a une mortalité annuelle constante. En remplaçant les pieds manquants, on permet à la parcelle de rester en pleine production et donc aux vieux pieds de pouvoir continuer d’exister pour produire les grands vins. La mortalité annuelle varie en fonction de plusieurs critères. Tout d’abord, il y a l’âge de la parcelle. Plus la parcelle est âgée, plus le nombre de ceps qui meurent est important. C’est la même chose chez le gens. Plus la population est âgée, plus le taux de mortalité est élevé.
Il y a ensuite l’écartement entre les rangs. Plus l’espace entre les rangs est étroit, plus les risques « d’accidents » avec le matériel sont élevés.
Il y a aussi l’entretien du sol. Si le sol est labouré, les risques de « collision » sont plus importants que lorsqu’on pulvérise un désherbant chimique sous le rang sans s’en approcher.
Il ne faut pas oublier non plus les maladies du bois qui tuent bon nombre de ceps tous les ans. Là aussi, c’est un peu comme chez les gens, certains « s’arrêtent » avant les autres. Le but de ce petit texte n’est pas de refaire le monde mais simplement d’expliquer la réalité quotidienne d’un vignoble. Je peux seulement dire que lorsque dans son blog, Corinne (ma femme) affirmait que nous générons les maladies de la vigne, je ne peux qu’être d’accord avec elle.
Notre façon de faire est à la base de nombreux problèmes que nous subissons. Il faut se donner une ligne de conduite sur le long terme, voire même le très long terme. Mais c’est un autre sujet…
En général, on n’arrache totalement une parcelle que dans les cas extrêmes, c'est-à-dire quand le taux de remplacement annuel des pieds morts est objectivement trop important ou que la parcelle avait une « tare génétique », c'est-à-dire quelque chose qui n’allait pas et qui était rédhibitoire. Cela peut être un problème de végétal inapproprié au lieu, un problème d’eau insurmontable,…
Le cas le plus général est de remplacer les pieds morts chaque année dans chaque parcelle.
Le taux de mortalité est d’environ 1,5% par an pour un vignoble comme le nôtre. Mais après les années de sècheresse et notamment 2003, le taux de mortalité a beaucoup augmenté. Il n’y a donc pas que dans les maisons de retraite que la canicule s’est faite ressentir !
Pour cela, il faut préparer le trou au préalable. Cela veut dire qu’il faut faire un trou avec une tarière installée sur un tracteur. Le trou doit être fait suffisamment à l’avance pour que la terre ait le temps de se re-tasser avec la pluie avant la mise en place du jeune plant.
L’idéal est de le faire à l’automne si les conditions sont sèches. Malheureusement pour nous, nous n’avons pas le temps à ce moment là. D’une part, il y a les vendanges puis l’épandage de compost et enfin les labours. On ne peut pas vraiment commencer la campagne de tarière avant la mi-novembre.
En plus de la tarière, nous utilisons un ensemble d’équipements destinés à rendre le travail le plus efficace possible. Il y a principalement un bac (pour y mettre vieilles souches, racines,…) et un plateau de transport de piquets neufs et de compost, un bac d’alimentation en compost et des distributeurs de piquets. Le bac à compost et les distributeurs de piquets sont simplement destinés à fournir à la personne présente les fournitures avec la meilleure ergonomie et le moindre effort. Je n’ai jamais cherché à rendre les choses plus automatiques car la présence humaine reste indispensable. Aussi, pourquoi rendre les choses encore plus complexes alors qu’il y a une personne disponible pour le faire ?
J’avais conçu le matériel pendant mes premières années à Pontet-Canet. Nous n’avions pas encore de mécanicien sur place donc j’avais fourni mes plans au forgeron local. A l’époque, il y avait un nombre impressionnant de pieds manquants à remplacer. Les moyens étaient limités et je voulais que le travail puisse être fait avec la meilleure chance possible de reprise pour le plant tout en ayant une productivité très élevée.
C’est toujours comme ça, pour combler son retard par rapport aux autres, il faut être plus efficace qu’eux mais avec moins de moyens.
A cette époque, les tracteurs avaient un emploi du temps minuté tellement il y avait de trous à faire. Lorsque la pointe de la tarière devait être changée, je récupérais l’hélice en bout de rang. Puis, j’allais chez le forgeron qui installait une nouvelle pointe. Je revenais au Château et tout était remonté avant l’embauche suivante. Les vidanges étaient faites en dehors des 8 heures de travail effectif dans les vignes. Depuis, le rythme a bien changé et heureusement.
Le choix du compost avait lui-aussi fait l’objet de réflexions approfondies de ma part. Je voulais quelque chose de « stimulant » pour le plant sans pour autant prendre le risque de brûler les racines. J’avais donc fait fabriquer un mélange que je pensais être plus adapté à nos sols de graves maigres et très chargées en cuivre par 100 ans de bouillie bordelaise sans raisonnement.
Mon mélange était-il meilleur ou pas ? Je ne le sais pas mais le supplément de coût était suffisamment faible pour ne pas avoir d’état d’âme.
Depuis, le mélange utilisé a changé mais c’est toujours une fabrication spéciale faite à ma demande.
Un jour, j’espère pouvoir employer le compost biodynamique à base de fumier de ferme, additionné de préparats biodynamique et que nous utilisons en fumure sur le vignoble. Mais pour le moment, je n’ai pas le temps de me pencher sur ce « détail ».
Donc pour le moment, nous utilisons un produit du commerce homologué « bio ». Il est fourni en sacs plastiques. J’ai quelques difficultés avec ces emballages car ils ne sont pas trop dans l’esprit qui est le nôtre. Pour le moment, les sacs finissent en déchetterie. Une filière de valorisation est prévue à l’instar de celle des emballages phytosanitaires.
Je n’arrive cependant pas à me faire au mot « recyclable » lorsque je sais que cela veut dire que les emballages sont brûlés pour faire de l’énergie. Pour moi, recycler c’est être re-utilisé pour autre chose, par exemple un sac d’engrais tout neuf. Je ne suis pas né sur la bonne planète, celle du paraitre, du superficiel et du bla-bla comme le disait Corinne, toujours sur son blog.
Pour en revenir à la complantation, la tarière est placée à la place de la souche disparue. On l’enfonce dans le sol pour faire un cratère. Les racines sont alors enlevées manuellement par une personne. On ne peut pas se passer de ce geste de récupération du maximum de racines ; donc il faut un salarié à cet endroit.
Puis la tarière fouille en profondeur pour décompacter le sous-sol. Mais elle ne doit pas remonter de terre des couches profondes. Elle doit donc remonter en marche arrière. Ce mouvement arrière permet aussi d’homogénéiser le compost qui a été jeté dans le trou.
Puis la personne bouche le trou pour éviter que de l’eau de pluie s’y engouffre au prochain orage. L’idéal est de laisser un petit monticule à l’endroit fouillé. La terre va se tasser lentement en fonction de la pluie.
Avant de partir, il faut placer un marquant, c'est-à-dire le petit piquet support. Depuis quelques années, nous plaçons aussi un deuxième marquant de moindre qualité. Il sera mis en protection du plant face aux charrues, pendant les premières années.
Ce n’est pas obligatoire de poser les marquants à ce stade, mais si on pose 10000 marquants de chaque type (sans retarder pour autant le chantier), cela fait toujours un travail de moins pour les vignerons au printemps.
Comme souvent, les conditions climatiques modifient notre programme de travail.
Pour certaines parcelles de merlot sur argilo-calcaire, il n’est pas question d’aller faire les trous n’importe quand. Il faut avant tout ne pas dégrader le sol. Certes, maintenant avec les gros engins puissants on peut pratiquement aller n’importe où, n’importe quand. Mais faut-il pour autant le faire ? Quand je regarde parfois aux alentours, j’ai l’impression que oui. Ce n’est plus ma façon de voir les choses.
Travailler le sol en hiver n’est jamais une chose facile ni sans conséquence. Heureusement, nos sols de graves sont assez conciliants mais il faut être prudent néanmoins.
Souvent, je dis que comme tout organisme vivant, le cep de vigne n’oublie rien (le corps humain non plus d’ailleurs).
Mais le sol non plus n’oublie pas les agressions qu’il peut subir de notre part.
Donc, si les conditions sont incompatibles avec le respect du sol, on change de parcelle, ou on arrête tout simplement le chantier.
Ce fût le cas la semaine dernière lorsque les sols étaient gelés. On risquait de casser le matériel en plus de faire du mal au sol.
Très souvent dans l’hiver, les sols sont humides même s’ils permettent le travail des tracteurs.
C’est une forme de dégradation des sols, sournoise mais réelle à mes yeux. Et maintenant, je ne regarde jamais les tracteurs avec leurs tarières dans les vignes sans avoir un sentiment de malaise. L’effet du compactage est d’autant plus fort que les sols sont humides et les tracteurs lourds.
Notre façon de faire devra évoluer vers plus de respect des sols. Nous envisageons de faire ce travail avec les chevaux pour ne plus avoir le tracteur dans ces conditions.
Mais, comme toujours, nous avons pris du retard dans notre programme de construction de matériel. Toutes les pièces nécessaires sont dans l’atelier depuis des mois, mais le temps manque. Pourtant, il y a urgence de fouiller d’autres voies.
Voilà donc comment nous préparons la vie des nouveaux plants de vigne. C’est fastidieux mais nécessaire.
Qui a dit qu’il n’y avait rien à faire dans la vigne en hiver ?




vendredi 16 janvier 2009

Cela fait 20 ans aujourd'hui que je suis arrivé à Pontet-Canet. A l'époque, je ne savais pas que cela se transformerait en histoire d'amour avec ce domaine.
J'étais jeune et il y avait beaucoup à faire. On en a fait pas mal, mais il reste encore beaucoup de chantiers devant nous, même si on est passé du stade "gros-oeuvre" à quelque chose de beaucoup plus délicat, sensible et subtil. Je ne dis pas "finitions" pour ne pas faire penser qu'on est proche de la fin du chantier!

Au début, j'avais des rêves pour cette propriété. Je souhaitais qu'elle devienne un modèle, à la fois pour la qualité des vins, les bâtiments mais aussi pour le personnel qui y travaille. A l'époque, c'était sûrement un peu irréaliste de penser à cela tant les choses à faire étaient nombreuses, graves et urgentes.

Progressivement, tous les rêves ont été réalisés. Le vin a gagné en réputation. Le personnel ne travaille plus à la tâche et bénéficie de salaires très honorables pour la région. Les conditions de travail y sont bonnes mais dans le sérieux et l'application. Des bâtiments neufs ont été construits pour le matériel de vigne et le stockage des bouteilles. Les vieux bâtiments sont remis en valeur par des tailleurs de pierre de métier qui font partie de notre effectif et qui permettent d'aller au plus loin dans le respect du détail et la préservation de l'âme de ces vieilles pierres.

Depuis quelques années, je suis dans des "extra-rêves", c'est à dire des choses que je n'avais même pas imaginé comme la biodynamie sur la totalité de la surface, la présence des chevaux,,... Je peux aussi ajouter la possibilité de pouvoir mettre en pratique cette viticulture épurée qui m'est si chère et qui nous conduit à nous effacer derrière l'expression la plus pure du terroir.

Vous l'avez vu, mes rêves ne sont pas exceptionnels. Il ne s'agit pas pour moi de devenir propriétaire de cru classé. Je n'en ai pas les moyens et ne les aurai jamais. Non, mes rêves, ou mes extra-rêves, concernent l'amélioration des vins de Pontet-Canet et la mise en valeur du domaine au sens large.

Comme dans tous les moments importants de ma vie depuis 11 ans, je regrette de ne pas pouvoir aussi les partager avec ma maman qui aurait été fière elle-aussi du travail de son fils.
Peut-être qu'elle me regarde. Qui sait?

Je ne me souhaite pas un bon anniversaire car je suis né en mai. Je reprends simplement l'expression de Corinne dans son blog qui souhaite un bon anniversaire au trio Pontet-Canet, Alfred Tessseron et Jean-Michel COMME.

Il est sûr que ce trio là, il est né il y a 20 ans aujourd'hui !




jeudi 29 janvier 2009

Durée d’un pied de vigne

Très souvent, lors de visites du domaine, on me pose la question de la durée de vie d’un pied de vigne.
A cette question (comme à bien d’autres), je ne sais pas répondre simplement car rien n’est simple dans la vie.
Si on veut éluder la question en quelques mots, on peut dire qu’il dure en moyenne 40 ans. Mais on est loin de la réalité qui est beaucoup plus nuancée.
On peut résumer la vie d’un cep en la comparant à celle d’un homme.
Jusqu’à 20-25 ans, un homme cherche sa voie. Il est plein d’ardeur mais désordonné. Le pied de vigne lui, produit beaucoup mais pas de grande qualité.
Ensuite, l’homme devient plus calme et plus réfléchi. Il gagne en expérience tout en étant encore plein de vigueur.
En vieillissant, le pied de vigne calme sa production et propose un vin de plus en plus dense et complexe.
Chez l’homme, il y a un âge mûr pour lequel il est encore en pleine puissance physique tout en ayant acquis de l’expérience. On peut l’estimer à 30-40 ans ; même si depuis quelques temps, on peut reculer ce stade de quelques années ; ce qui n’est pas pour me déplaire...
J’ai l’impression qu’à 30-40 ans, la vigne est au mieux de ses possibilités. Elle produit un vin concentré, mais il y a encore peu de mortalité dans la parcelle. C'est-à-dire que la majorité des pieds qui la compose a l’âge de la parcelle elle-même.
En vieillissant encore plus, l’expérience de l’homme devient de plus en plus importante mais ses performances physiques diminuent inexorablement. A la fin, il ne reste que la sagesse de l’homme car ses forces l’ont quitté.
Pour la vigne, c’est pareil. Plus les ceps vieillissent, moins ils produisent mais meilleure est la qualité du vin produit.
A ce stade, il faut avoir un vin suffisamment cher (ou suffisamment de passion) pour continuer d’entretenir des ceps qui ne produisent que très peu, mais d’une récolte de grande qualité.
Donc, potentiellement, une vigne peut devenir très vieille.
Elle peut être comme Jeanne Calmant qui a vécu jusqu’à 122 ans. Mais elle peut aussi « s’arrêter » plus tôt, voire beaucoup plus tôt dans certains cas, malheureusement. Comme l’homme, elle peut subir des accidents de la vie, des maladies ou tout simplement la vieillesse car tous les humains ne deviennent pas aussi vieux que Jeanne Calmant. Beaucoup nous quittent paisiblement et « naturellement » bien avant d’être centenaires.
Même actuellement pour connaître le potentiel de vieillissement de la vigne, on est encore tributaire des attaques de phylloxéra qui ont décimé les vignobles à la fin du 19ème siècle. Il est donc difficile de trouver des ceps très âgés.
Je suis un peu amusé de voir très souvent des viticulteurs disant qu’ils possèdent des plants francs de pied, c'est-à-dire datant de l’époque pré-phylloxérique. J’en arrive même à me demander si l’attaque du phylloxéra a vraiment existé car bientôt, tout le monde ou presque déclarera avoir de telles parcelles centenaires.
Ce n’est pas le cas à Pontet-Canet, ni au Champ des Treilles.
Quand on est dans les vignes, il arrive régulièrement de trouver des galles phylloxériques, donnant quand même l’indication que le terrible ravageur est encore là.
Cela veut aussi dire en passant, que les plantations « modernes » sans porte-greffe sont vouées à l’échec en peu d’années, sauf conditions très particulières.
Même s’il n’y a aucune règle, on peut supposer qu’une bonne hygiène de vie, une alimentation saine et équilibrée ainsi qu’une activité régulière sont des critères positifs pour une bonne longévité. Pour la vigne, c’est la même chose. Les vigueurs excessives et les pesticides ne doivent pas permettre de durer très longtemps. Mais le débat est ouvert…
Finalement, la vigne et l’homme ne sont pas très différents. Leurs sorts sont liés depuis des milliers d’années. Comme dans les vieux couples, vigne et homme ont fini par se ressembler.
Comme je le dis souvent, dans mon cas et celui de Corinne, on ne fait plus qu’un avec la vigne. On soufre pour elle, on en parle comme d’un membre de la famille et on suppose qu’elle ressent et partage nos maux et nos peines.
Comme c'est le cas pour notre corps, la vigne n'oublie aucun des traumatismes qu'on lui fait subir; et dieu sait qu'on ne la ménage pas, particulièrement dans cette vision "moderne" de la viticulture !




vendredi 06 février 2009

Bientôt, la taille va être terminée. Une de plus. On est entré dans la ligne droite avant le printemps. Le temps s’accélère encore plus qu’avant ; et il n’y avait pas besoin de ça car il allait déjà suffisamment vite…
Encore deux à trois semaines et il n’y aura plus trace de l’ancienne saison dans les vignes.

Historiquement (et logiquement), la taille d’une parcelle est suivie de la réparation de son palissage. Ainsi, le pliage et l’acanage interviennent alors que les piquets usés ou manquants ont été changés.
On reviendra plus tard sur les termes pliage et acanage (travail consistant à attacher la souche).

Lorsque le personnel a été mensualisé il y a pratiquement 15 ans et que le travail à la tâche a été supprimé, j’ai pensé changer cette façon de faire pour l’adapter à une autre logique.

Pour moi, le travail à la tâche à de nombreux inconvénients qualitatifs. Mais il a aussi un avantage qui est une certaine flexibilité du travail. Et pour l’organisation des chantiers de taille, un vigneron qui a perdu du temps (pour maladie par exemple), peut travailler avant ou après les heures de travail officielles ou le week-end pour compenser son retard.
Avec des gens mensualisés, il est beaucoup plus difficile, voire impossible de faire rattraper un retard pris. Aussi, j’ai privilégié la taille à la réparation du palissage.
Ainsi, un vigneron taille d’abord ses parcelles et ensuite il en répare le palissage.
Les vigneronnes interviennent dans la parcelle pour le pliage quand elles le souhaitent, indépendamment du vigneron.
La « perte » en termes de qualité de travail de cette organisation contre-nature est toute relative car il n’y a pas des milliers de piquets à changer dans une parcelle.

Et les vigneronnes repassent aussi dans toutes les parcelles plus tard en mars-avril pour attacher les jeunes plants qui viennent d’être mis en terre. Elles en profitent donc pour attacher tout cep oublié.

En opérant ainsi, on gagne en sécurité car le vigneron se focalise sur la taille. Quand celle-ci est finie, on sait exactement combien il nous reste de temps pour réparer le palissage avant le début du travail suivant (qui est en général la complantation).

On ne peut pas faire sans tailler la vigne ; par contre, on peut très bien rester un an avec un palissage réparé très sommairement ou moins parfaitement qu’il le faudrait. Si un vigneron devient trop en retard pour une cause ou une autre, on a peu de chance de mettre ces parcelles en danger de non-taille lors du débourrement de la vigne.

Pour ne pas prendre de retard pour la suite, il faut que la taille et la réparation du palissage soient achevées au 15 mars.

Donc, en fonction du nombre de jours disponibles, on répare plus ou moins le palissage. Il y a les piquets usagés à changer, les fils à réparer, les piquets de bouts à aligner,…
C’est un vrai travail qu’il faut aussi soigner. On peut aller plus ou moins vite en fonction du niveau de précision que l’on se fixe.
Pour nous qui labourons intégralement les vignes, les piquets (=grands piquets + marquants) sont beaucoup plus sollicités pour protéger les souches lors du passage des charrues.
On en change sûrement plus que ceux qui désherbent chimiquement.
Pendant longtemps, chaque vigneron changeait les piquets seul dans sa parcelle. Quand ils étaient à la tâche, ils avaient tendance à en mettre moins que nécessaire pour aller vite. Je devais donc passer derrière eux et vérifier par moi-même si tout était fait correctement, et parfois faire repasser.
Avec les vignerons mensualisés, il n’y a plus cette tentation du travail fait à moitié. Au contraire, ils se sont mis à faire les choses dans la plus pure logique. Ils travaillent à deux. L’un d’eux place le piquet alors que l’autre regarde le travers du rang pour s’assurer que le piquet est à sa place. C’est la même chose pour les enfoncer : il faut avoir l’œil d’une personne un peu éloignée pour savoir quand il faut arrêter de taper au marteau.
Les deux travaillent mais il n’y en a qu’un à la fois qui manipule les piquets ou le marteau.
C’est plus long, mais sur le long terme, les ceps restent parfaitement alignés dans les deux sens et sont tous enfoncés à la même profondeur.
Le gain qualitatif n’est pas énorme, mais sur le rang, chaque pied à le même espace à sa droite et à sa gauche pour développer ses rameaux. Et en plus, c’est plus esthétique.
Surtout quand on pense que la parcelle doit rester en place au moins 50 ans !

Corinne et moi travaillons séparément à la maison (champ des treilles), je sais que même en s’appliquant, ce n’est jamais parfait, loin de là…

Je ne prends que des piquets en acacia fendu. C’est très difficile à trouver dans les dimensions d’une vigne à 1m.
Le marché des piquets sciés est beaucoup plus important. Mais moi, je suis un paysan et j’ai dans mes gênes quelque chose qui me dit que quand on ne respecte pas le fil du bois, le piquet dure moins longtemps (et peut aussi se déformer).
Lorsque je suis arrivé à Pontet-Canet, il y a 20 ans, il n’y avait plus que des piquets sciés. J’ai pu trouver un approvisionnement de l’Ariège. Mais il s’agissait de petits faiseurs qui ne pouvaient pas assurer une régularité de production. On a donc cédé aux sirènes des piquets en pin injecté. Ils avaient l’avantage d’être produits de façon industrielle donc disponibles à tout moment en en grande quantité.
Malheureusement, mon aversion naissance vis-à-vis des produits chimiques m’a très vite amené à revenir à l’acacia fendu.
Entre temps, le marché des pays de l’Est s’est ouvert et en France, on est devenu trop fort ou trop intelligent pour produire nos propres piquets.
Ils arrivent de Roumanie, Hongrie,…
On pourrait parler des jours entiers sur les difficultés à travailler avec ces gens là, même lorsqu’il y a un distributeur local entre nous.

Souhaitant toujours du fendu, je sais que je reste dans un marché de niche (un peu comme le bio en agriculture).
Mais je n’arrive pas à me faire à l’idée de prendre des jolis piquets minuscules, tout bien sciés dans des petits fagots de 25 mais qui ne durent que le temps de les planter. Certes, ils ne sont pas chers, mais comme il faut les changer souvent, on se demande où est l’économie (à moyen terme). Mais le moyen terme n’intéresse plus personne maintenant. On vit l’instant, pour la suite…

Dans la région, nous sommes quand même quelques uns (pas nombreux) à rechercher du piquet fendu d’assez gros diamètre.
Peut-être qu’un jour, on pourra retravailler avec du bois français. Qui sait ???

Voilà, c’est un peu long, mais vous en savez un peu plus sur notre façon de travailler.

Jean-Michel Comme
08 Fév 2009 09:26 #1

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mercredi 11 février 2009

J’ai le sentiment de m’éloigner de plus en plus de la viticulture que j’ai apprise à l’école.
Pendant des années, j’ai mis en application des raisonnements intellectuels que je ne revendique plus maintenant. J’en étais très fier car les résultats semblaient montrer que nous étions dans la bonne direction. Comme d’autres, j’avais l’impression de « maîtriser » les choses.
Quelle erreur et quelle prétention !
Les relations que nous avons avec les vignes, les maladies, les ravageurs sont beaucoup plus complexes que ne le laissaient imaginer les manuels scolaires.
Maintenant, je pense être passé à côté de l’essentiel. On nous a appris à nous intéresser au grossier de la vie mais pas au subtil qui pourtant fini par faire la différence.
Jamais on ne s’est posé la question du pourquoi des choses. Une maladie ou un ravageur attaquait, donc il fallait intervenir sans trop de discernement.
Pourtant, une « attaque » nous en dit bien plus sur la vigne, le terroir et parfois nous-mêmes que l’on pourrait le penser.
Il faut être capable de se remettre en question pour cette analyse et aussi posséder (ou plutôt acquérir) les « outils » pour y parvenir.
J’ai le sentiment d’avoir perdu des années dans l’acquisition de cette connaissance si indispensable quand on aspire à vivre en paix avec son vignoble et la nature en général.
Comme tout jeune con qui pense tout savoir, je n’ai pas vraiment cherché à profiter de l’expérience d’une vie de mes grands parents alors que la voie professionnelle choisie par moi était celle qu’ils avaient eux épousée par contrainte mais aimé passionnément malgré tout.
Même ma maman disparue trop tôt n’a pas pu me transmettre cette connaissance simple, pratique et sensible qu’elle aussi avait construite en étant dehors tous les jours et en apprenant aussi de ses parents.
Maintenant, je dois tout ré-apprendre patiemment de mon métier. Les vignes, les maladies, le temps qu’il fait,…, tout doit être reconsidéré avec sérieux, persévérance et humilité.
Heureusement, il y a Corinne qui partage cette aventure avec moi. Etant une femme, elle a une approche plus intuitive et sensible que moi. En plus, j’ai le handicap de tracter ma culture et mon éducation…

Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi je dis tout cela !

Il ne faut jamais se désespérer. Mais la route du savoir est longue…et même sans fin !

Jean Michel Comme
16 Fév 2009 00:18 #2

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

jeudi 19 février 2009

Une nouvelle étape vient d’être franchie aujourd’hui dans notre projet de traction animale. Le pulvérisateur tracté par un cheval vient de faire ses premiers tours de roue. Il a aussi traité en conditions réelles, plus ou moins à la même vitesse qu'un tracteur.
Je me demande quand même comment va se passer le nouveau contrôle technique obligatoire de notre pulvérisateur à cheval... Le contrôleur risque d'être surpris en passant le portail du domaine !

J’ai un pincement au cœur et aussi un peu de fierté de voir le cheval tracter ce magnifique engin fabriqué par Gilles, notre mécanicien aux doigts d’or.
Pour ma part, c’est la concrétisation de 2 années de réflexion sur le sujet. Certes, je n’ai pas occupé tout mon temps à ça, mais il y a 2 ans que j’ai commencé à réfléchir aux moyens de transformer en traction animale tous les travaux annuels du tracteur.
A l’époque, il n’y avait pas de cheval sur le domaine. Ils sont arrivés il y a 13 mois environ.
Je ne dois cependant pas crier victoire car rien n’est encore fait. On gagne chaque fois de petites batailles contre la difficulté. Mais il reste tant de choses à faire.
Déjà, un grand pas a été franchi en n’étant plus en guerre contre nos pieds de vigne.
Maintenant, il faut persévérer avec courage, concentration et humilité pour rendre ce beau projet techniquement abouti et économiquement fiable.
Mais si on le replace dans la perspective du grand projet, qui est d’améliorer la qualité du vin de Pontet-Canet à une échéance de 15 ans, on mesure la difficulté qui est encore devant nous.
Pour le moment, on n’a pas fait grand-chose. Donc profil bas !!!

Pour parler un peu technique, une des difficultés que nous rencontrons avec les engins de traction animale vient du fait qu’ils ne sont pas assez lourds ! C’est justement pour avoir des engins moins lourds que les tracteurs que l’on a pris les chevaux. Mais, on a constaté que lorsque les vignes sont chaussées (=labours d’hiver = buttage), les engins à chevaux ne peuvent pas bien se maintenir en ligne s’ils ne sont pas exactement au même écartement que les vignes. On parle là de quelques centimètres de différence.
Avec les tracteurs, c’est beaucoup plus simple : en écrasant le buttage, ils se font leur place, là où ils sont, même s’ils n’ont pas la largeur exacte.
Pour être parfaitement à la bonne voie, beaucoup d’enjambeurs modernes sont à "voie variable", c'est-à-dire qu’ils peuvent varier d’écartement pour s’adapter à différentes largeurs. Je n’en ai jamais voulu car nos écartements ne sont pas très différents, mais surtout, une voie variable alourdit le tracteur d’une tonne de plus ; et il n’y en avait déjà pas besoin !

Donc, avec les chevaux, il faut pouvoir changer facilement l’écartement des roues.
Par rapport aux premières générations d’engins, la nouvelle mouture intègre ce « détail ». De plus en plus de choses deviennent des cas particuliers qu’il convient de considérer comme tels.
Une fois de plus, on se rend compte que la vision industrielle, le nivellement n’ont pas de place dans cette viticulture exigeante.
C’est une raison de plus pour être au service de la vigne et pas le contraire.

Jean-Michel Comme
21 Fév 2009 00:30 #3

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

lundi 09 mars 2009

Aujourd’hui, les chevaux ont pu réaliser leur premier traitement réel. Avant, c’était de l’entrainement pour tout le monde (chevaux, machines, hommes,…)

Mais là, c’est du sérieux. Il y avait un traitement biodynamique. Chevaux et tracteurs ont du cohabiter pour faire le plein de bouillie. C’est une première chez nous et cela doit bien faire quelques décennies que ce n’est pas arrivé.

Pour le moment, nous ne disposons que d’un seul pulvérisateur.
Pour le deuxième, on va lancer nos chaines de montage. Pour le moment, il faut programmer les robots qui assemblent les pièces des chariots et pulvérisateurs…Je plaisante

Avec un seul pulvérisateur, on a pu traiter sans problème les 7 ha qui sont actuellement en « gestion chevaux ». Demain, on traitera 4 ha de plus avec les chevaux.

Pour ceux que ça intéresse, la consommation est de 0.5 litre de carburant par heure. Je ne sais pas si c’est beaucoup ou pas. Pour la même productivité (2 ha par heure), un enjambeur doit bien consommer 15 à 20 litres par heure.

Progressivement, on peut affiner nos données quant aux nombres d’hectares qu’un cheval peut « assumer ».
Une chose était acquise depuis longtemps, ce n’est pas le traitement qui sera le facteur limitant.

Cette année, avec du matériel déjà fabriqué et utilisé pendant 1 an, on va pouvoir essayer d’optimiser le travail du sol et viser des productivités plus importantes que l’an dernier.
Et dire qu’il y a encore des gens qui pensent que les chevaux chez nous, c’est uniquement un projet de communication !
Si tel était le cas, je ne m’embêterais pas avec tant de détails à régler ou améliorer.

L’an dernier, l’objectif était surtout de pouvoir travailler le sol avec le cheval. Et ce n’était pas gagné.
Cette année, il y avait le traitement à valider. Sans verser dans un optimisme exagéré, on peut dire que c’est un vrai succès.
Donc, il nous reste encore à travailler la rentabilité du travail du sol pour rendre le projet totalement efficace.

Humilité, concentration et profil bas : c'est encore et toujours d'actualité !

Jean-Michel Comme
13 Mar 2009 10:02 #4

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mardi 17 mars 2009

Le printemps arrive.
Encore une journée chaude et même très chaude pour la saison.
Déjà, on commence à voir des bourgeons éclatés.
Aujourd’hui, sur une repousse de porte-greffes, j’ai vu des jeunes feuilles.

La pousse de la vigne, c’est un moment d’intense excitation mais aussi un passage vers le nouveau millésime.
On y pense depuis des mois. La saison dernière nous a amené son lot de constatations, de choses à améliorer ou carrément à changer. Puis, la vinification a donné un éclairage plus précis et parfois différent en confirmant ou infirmant des idées émises.
Maintenant, ça va être le moment de tout tester.
Et chez nous (ici à Pontet-Canet et au Champ des Treilles), il y en a des améliorations à apporter. En découvrant (ou redécouvrant) notre viticulture au fur et à mesure, nous progressons vers ce que nous pensons être la vérité, mais chaque fois, celle-ci s’éloigne un peu plus.

Rien ne peut plus être pris comme une évidence sans avoir été analysé, pesé et estimé dans sa globalité et dans sa place dans le tout que constitue la nature.
Je ne parle pas de grosses machines ni de techniques brutales comme notre société moderne. Je veux plutôt parler des moyens subtils qui peuvent faire la différence à la fin.

Il y en a des idées « nouvelles » à mettre en œuvre en espérant qu’elles feront aller dans ce que l’on peut appeler la bonne direction ; en espérant qu’il y en a une.

Mais la sortie des feuilles, c’est aussi le début des problèmes c'est-à-dire la protection de la vigne contre les maladies. Il ne faut pas se voiler la face, la principale difficulté reste quand même là.
Les moyens subtils, c’est pour améliorer ; la protection, c’est pour continuer d’exister ! Ce n’est pas la même chose; même si les premiers peuvent aider la seconde.

Donc, tous les ans constituent un nouveau challenge ; du moins pour moi. Sachant qu’il y a toujours une part d’incertitude, on ne peut pas se dire que l’on a passé un cap de « maitrise technique » qui nous met définitivement à l’abri de tout problème.
Si j’avais pu en avoir l’impression à la fin de 2006 (après 3 années en bio), l’année 2007 nous a ramené à la dure réalité et à beaucoup plus d’humilité sur le sujet.
Certes, je pense que 2008 a été un succès pour notre projet car la difficulté de l’année était du niveau de 2007 et on s’en est sorti aussi bien que les autres qui sont en lutte « conventionnelle ». Mais les traumatismes de 2007 restent encore plantés dans mon cœur et m’incitent à garder la tête basse et toute ma concentration.
En 2009, comme tous les ans, je ferai tout ce que je peux pour que les choses « se passent bien » mais je ne suis pas sûr d’y parvenir.
C’est là toute la difficulté ! Il ne suffit pas d’avoir sa vie dédiée à la vigne pour s’affranchir des problèmes. C’est une condition nécessaire mais pas suffisante ; pour reprendre une expression de prof de math.

Une chose est sûre cependant, malgré les difficultés et les cicatrices encore vives, je travaille avec une grande sérénité vis-à-vis de la vigne et du personnel qui est tous les jours dans les parcelles. Cela n’a pas de prix.

Jean-Michel Comme
19 Mar 2009 23:08 #5

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mercredi 25 mars 2009

C’est un peu l’effervescence avec le début de la campagne primeur. Pontet-Canet 2008 a commencé à être dégusté. Je le trouve très bon mais je suis mal placé pour en parler. Il y a des gens qui le feront très bien sans moi ; j’espère en bien.
Mon rôle s’arrête aussi un peu là. Ce vin, il ne m’appartient pas physiquement mais dans mon cœur, il est un peu à moi car je l’ai porté depuis un an, d’abord par les soins aux vignes et les angoisses de la saison, puis aux raisins eux-mêmes jusqu’aux vendanges et enfin durant la vinification et le début d’élevage.
Lorsqu’il commence à être présenté aux dégustateurs, j’ai l’impression qu’il ne m’appartient plus autant. Il m’échappe. Bien-sûr, il reste encore plus d’un an d’élevage avant de le mettre en bouteilles. Il aura donc encore besoin de nous et mes décisions conditionneront encore un peu son avenir. Mais quelque chose a changé.
Les dégustateurs commencent déjà à arriver pour se faire une idée du vin. On peut être d’accord ou pas avec le système primeur et sa mondialisation récente, mais il faut quand même reconnaître qu’il est spectaculaire de pouvoir réunir dans une même zone autant de personnes venues du monde entier pour déguster les vins de la région.
Sinon, on est totalement entré dans le millésime 2009 avec l’arrivée des premières feuilles à la faveur des quelques journées de printemps de ces derniers temps.
Il faut terminer le pliage et la réparation du palissage. Les premiers plants de vigne sont arrivés pour les complantations. On doit commencer demain à les mettre en terre.
Il faut intercaler un traitement biodynamique dans le planning ; à la bonne date. Le pulvérisateur à chevaux est une véritable petite merveille qui fonctionne tellement bien qu’il est très vite entré dans la phase de routine.
On choisit le cheval ou le tracteur presque indifféremment.
La seule différence majeure vient de la présence de crottin dans la zone de chargement des cuves de traitement. C’est inhabituel, du moins pour le moment.
Dès que possible, il faudra pouvoir commencer le travail du sol. Il ne faut non plus oublier les orties qu’il conviendra d’aller faucher dans les marais…
On en reparlera en temps voulu…

Jean-Michel Comme
26 Mar 2009 15:40 #6

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mardi 14 avril 2009

Ça y est, la saison commence vraiment.
Dans certaines parcelles, on peut voir de loin un trait continu de couleur vert pâle. C’est la vigne qui pousse.
Depuis la fin de la taille, le palissage a été réparé. Les complants ont été mis en terre et les charrues sont arrivées pour les décavaillonnages.

Par rapport à l’année dernière, notre « flotte » de petits tracteurs est au complet dès le début de la saison. En 2008, ils avaient été mis en service au fur et à mesure de leur remise en état par notre mécanicien.

Cette année, nous avons quand même fait l’achat d’un exemplaire supplémentaire pour ne plus avoir que des engins identiques. Il a bien-sûr fallu le réparer car il ne fonctionnait plus. C’est le plus récent de tous mais il est quand même de 1980. Je regrette que les constructeurs ne daignent plus construire des enjambeurs avec ces principes simples.
Que seront dans 30 ans les tracteurs qui sortent actuellement. Ils auront probablement été recyclés de depuis longtemps !

Avec des chauffeurs au raz des rangs, sans cabine, on a une sensation de relation plus proche avec la vigne.

Dans leurs cabines fermées et climatisées, les chauffeurs « modernes » ont l’air de se protéger de la vigne.

Les chevaux ont eux-aussi commencé leur décavaillonnage. J’avais encore quelques mises au point à faire pour ce travail.
En étant honnête, l’an dernier, on n’avait pas pu avoir des résultats comparables à ceux du tracteur au niveau de la qualité du travail. Au fond de moi, je le savais et il fallait absolument y remédier cette année pour que l’on puisse se tourner vers l’avenir dans la sérénité.

Avec beaucoup d’observations et un peu de réflexion, tous les problèmes semblent avoir été réglés.

Comme toujours, il faut de la modestie dans les ambitions et du sérieux.
Maintenant, les chevaux assument leur part du travail et c’est l’objectif premier.
La productivité des deux modes de traction n’est pas comparable mais dans son cas, je pense avoir optimisé celle du cheval.

Après le passage de la charrue, c’est au tour des hommes et des femmes de passer pour « tirer les cavaillons ». Il s’agit tout simplement de passer à la main, avec un sarcle pour enlever le reste de terre laissée par la charrue autour des souches et des piquets. Souvent, l’outil ne suffit pas et il faut se baisser pour arracher avec les doigts les pieds d’herbe récalcitrants.
Là aussi, quand on regarde les gens travailler, on a une vraie impression d’humilité. Le fait de se baisser rend la personne au service de la vigne.

Dans les grands domaines comme les nôtres, on peut être tenté par une vision industrielle de la viticulture. Pour m’en détacher, j’ai éprouvé le besoin d’aller m’imprégner d’une vision « jardin » de notre métier. Pour cela, je suis allé l’an dernier à Ausone, à Saint-Emilion. J’y ai passé une partie de la journée et j’ai pu me persuader que l’homme doit être au service de la vigne et pas le contraire. C’est l’homme qui doit s’adapter aux contraintes de la vigne et pas le contraire.

J’ai passé quelques heures magiques car j’étais comme un petit enfant devant des cadeaux de Noël. Pour moi, Ausone est un nom presque irréel. Ce domaine est servi par une personne remarquable, Alain Vauthier qui est à la fois simple et accessible, même s’il est le propriétaire du cru. Il est aussi curieux et passionné. C’est un grand Monsieur !

Je suis rentré d’Ausone avec des convictions encore plus affirmées. Depuis, je garde toujours en mémoire cette vision de la viticulture au service du pied de vigne.
Il n’est jamais simple d’appliquer ces grands principes à 80 ha, mais il faut tenir bon. C’est une question de survie à long terme pour la vigne.

Jean-Michel Comme
17 Avr 2009 17:01 #7

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

lundi 04 mai 2009

Il y a quelques jours que je n’ai pas donné des nouvelles de la propriété.

Maintenant, tout est vert dans les vignes. On peut repérer facilement les parcelles de Merlot qui sont plus poussées.
Les traitements ont commencé, mais nous venons de vivre une semaine épouvantable. Il a plu énormément. La semaine précédente, nous avions pu passer traiter dans de bonnes conditions ; beau temps et sol sec.
Puis, il a fallu subir la pluie. Au début, on se dit qu’on est couvert et qu’il n’y a pas de problème. Mais au fur et à mesure que le pluviomètre continue à se remplir, on sent la tension monter et le spectre de 2007 refaire surface. Lorsqu’il continue de pleuvoir alors qu'objectivement le traitement précédent est lessivé, chaque goutte que l’on reçoit est une petite pique dans la peau.
C’est dans ces moments là que le fait d’être en bio prend toute la signification. On n’est plus dans les discours théoriques de salon (ou de forum sur le vin).
Heureusement, nous avons pu enfin passer traiter mais par endroits, les ornières faites par les tracteurs rendent un peu ridicule le discours sur le respect des sols que je tiens assez souvent.
J’espère toutefois que le mildiou nous aura épargnés. On verra dans quelques jours…

Le cheval a fait « sa partie » puis est allé traiter des zones encore trop humides pour être faite sans dégât au tracteur. Pour le moment, nous n’avons qu’un appareil de traitement « hippomobile ».
Il faut un mois de travail à notre mécanicien pour construire un exemplaire car il a autre chose à faire par ailleurs. Donc, on risque de passer la saison avec seulement un appareil…
C’est souvent notre problème, il y a trop de choses en cours au même moment donc tout prend trop de temps. Mais je ne me plains pas car je sais par mon autre casquette de viticulteur au Champ des Treilles, qu’il y a bien pire et qu’au contraire c’est devenu magique d’être là.

Beaucoup trop de responsables de crus classés devraient aller voir les vraies zones défavorisées pour se rendre compte et relativiser leurs « problèmes » ou leurs « difficultés » quotidiens.

On finit par s’habituer à la présence des chevaux mais j’éprouve quand même une certaine fierté de voir ces animaux évoluer tous les jours sur le domaine et effectuer leur part de travail.
Pour les chevaux, on est vraiment entré dans la deuxième phase du projet. Maintenant que les réglages les plus grossiers ont été effectués en 2008, il nous reste à travailler à des détails plus fins et à l’amélioration de la productivité pour que le projet puisse être rentable même dans des conditions de crise comme actuellement.
Pour le travail du sol, les chevaux « débordent » maintenant sur d’autres parcelles que les 7 ha du début. On est confiant, mais il faut toujours rester humble et concentré. Rien n’est encore acquis.

Les vignerons et vigneronnes sont maintenant aidés par des personnes qui resteront jusqu’à la fin juillet. Ils travaillent en petites équipes de 2 à 4 personnes dans les parcelles de vignerons.
Ils commencent les épamprages. Puis dans quelques semaines, il y aura les levages,…

L’épamprage fait partie dans ma philosophie des « règles » qui sont imposées au cep de vigne dans son éducation. La taille est une autre règle ; sans elle, il n’y a plus de vin et ce n’est pas le but recherché.
Dans cette « éducation », le cep de vigne aura par contre une très grande autonomie. On va le laisser au maximum s’exprimer seul. On sera là pour l’aider mais c’est tout (même si c’est beaucoup plus compliqué de faire simple).
Pour le moment, l’épamprage est donc encore un passage obligé. Je ne sais pas de quoi demain sera fait et peut-être qu’un jour, on verra l’épamprage avec le même regard que nous portons sur le rognage, opération qui n’a plus sa place chez nous.

Peut-être que ceux qui ont le courage de me lire attendent un commentaire de ma part sur les primeurs et les notes de Pontet-Canet.
On a eu de bonnes notes et j’en suis content car cela représente des mois ou des années de travail pour en arriver là. Mais très vite, je repense au travail immense qui reste encore devant nous.
Je n’oublie jamais toutes les imperfections ou mêmes les erreurs que j’ai pu commettre et qu’il ne faut plus revoir dans l’avenir.

Notre projet n’en est qu’à son début tant les perspectives semblent immenses. Mais comme je le dis souvent, il faudra aller chercher les gains de qualité en se retroussant les manches dans les vignes car les vrais difficultés sont encore devant nous.

Je regarde avec intérêt dans quelle direction nous amène le vignoble (et son terroir) car c’est avant tout lui qui est à l’origine de la qualité actuelle. Je ne sais pas à quoi ressembleront les futurs millésimes de Pontet-Canet. C’est une découverte à chaque étape !
La biodynamie nous offre des outils pour intervenir sur une partie subtile du vivant que la science bien pensante n’appréhende pas. Mais encore faut-il ne pas se tromper d’outils car là-aussi il peut y avoir des erreurs.
Grâce au travail réalisé avec ma femme Corinne, on apprend à « lire la nature » mais ce n’est pas simple car c’est un travail que l’on n’a pas appris.
Heureusement, par mes racines paysannes, je devais avoir un peu de cette culture de bon sens.
Mais, elle était bien enfouie et mes diplômes d’ingénieur et d’œnologue ont du l’enfoncer un peu plus profond dans le sol…

Jean-Michel Comme
10 Mai 2009 11:52 #8

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

lundi 22 juin 2009

Il y a très longtemps que je n’ai pas donné de nouvelles.

Il faut dire que la tension sur le front du mildiou occupait mon esprit à plein temps et même plus. Il y a peut-être aussi une sorte de superstition qui fait que l’on ne veut pas parler des problèmes afin de ne pas les faire venir. Qui sait ?...

La météo du mois de mai n’a pas été très clémente. Quelques tâches sont apparues sur feuilles et même quelques grappes de façon très sporadiques ont été touchées. Finalement, rien de significatif.

Ce qui rassure, c’est que nous n’avons été ni plus ni moins atteints que le voisinage. Par contre, il faut être dedans en permanence, y compris les week-ends et jours fériés. C’est là la principale différence avec la viticulture « chimique ».

Nous ne sommes pas encore sauvés pour l’année, mais chaque jour qui passe nous rapproche un peu plus de la délivrance de cette pression constante qui écrase tout sur son passage.

Avec un feuillage entièrement sain, j’ai pu faire un pas de plus dans la viticulture dont je rêve. Bien évidemment, les rogneuses ne sont toujours pas sorties des garages...

Le vignoble semble être entré dans une phase de sérénité. Paradoxalement, dans cette viticulture extrême, il y a des choses qui finissent par devenir plus faciles. Comme toujours, on suit la vigne dans sa pousse et on est à son service.

Tout n’est pas parfait, loin de là ! Mais chaque année apporte son lot d’améliorations. Par exemple, nous avons enfin pu avoir les vignes propres. Ce n’est pas ça qui change la qualité finale du vin mais en présentant des vignes sans trop d’herbe, on ne donne pas trop de grain à moudre à ceux qui pensent que bio rime avec mal tenu !...
Mais surtout, nous avons bien évolué dans la compréhension du vivant,…même si ce qui reste à découvrir est infiniment plus volumineux que le peu que nous savons.
Il y a une sorte d’excitation à découvrir un détail et ensuite à mettre en application cette micro-portion de savoir. N’en déplaise à tous les détracteurs de la biodynamie et son environnement, il existe bel et bien un niveau du vivant que la science aux idées courtes ne sait pas appréhender !
Mais quelle énergie il faut déployer pour progresser ne serait-ce que d’un petit détail !

Donc par le travail fait, je tente de retrouver dans les parcelles les pieds de vigne idéalisés que j’ai dans ma tête et qui doivent permettre de produire un vin plus abouti que les précédents.
Quand je me rappelle de tout ce qui n’allait pas les années précédentes, il me semble qu’il y a encore des gros progrès à réaliser.
Mais pour le moment, il n’est pas question de vin et encore moins de gloriole, il faut rester concentré sur le vignoble et ne pas trop lever la tête ; une sorte de position du pénitent…

Jean-Michel Comme
24 Jui 2009 10:35 #9

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

lundi 06 juillet 2009

Nous allons commencer cette semaine la mise en bouteilles du millésime 2007. Avec cette nouvelle étape, c’est une page difficile de ma vie professionnelle qui va se tourner. Les blessures ne sont toujours pas refermées mais le temps a passé et il a montré qu’il était possible de réussir dans cette voie difficile que nous avons choisie.

C’est un peu dur de le dire, mais le millésime à mettre en bouteilles n’est plus dans mon esprit depuis longtemps. On lui donne toutes nos attentions mais à partir du moment où il y en a un autre de plus récent, on change les priorités.
Déjà 2008 est un peu passé au second plan au profit de 2009. Ce dernier millésime n’est pas encore né mais déjà, on y pense et on l’imagine en regardant les grappes qui grossissent et qui vont commencer à changer de couleur dans les jours prochains.
Que peut-on faire ou ne pas faire à la vigne pour rendre le vin meilleur dans quelques mois ?
C’est la question que se posent tous les viticulteurs ou presque. Ici, on va toujours dans le même sens ; on épure les gestes portés aux pieds de vigne.

Il faut être capable d’amener à maturité des raisins avec une action humaine la plus « neutre » possible. Qu’est ce qui est « neutre », qu’est ce qui ne l’est pas ?? Grande question !

Pour en revenir à la mise en bouteilles, c’est un travail que nous faisons par nous-mêmes avec notre matériel.
Depuis plusieurs années, le vin n’est plus collé. Il ne s’agit surtout pas d’une décision unilatérale de ma part !
C’est le vin qui décide. Il nous le dit, certes à sa façon à lui mais c’est lui qui a la décision : lorsque je fais des essais de collage, l’échantillon témoin non-collé est systématiquement meilleur. Donc, on ne colle pas.

Il y a quelques années, dans les mêmes conditions, c’était le contraire, donc on collait mais si les meilleurs résultats étaient avec des doses très faibles de blanc d’œuf.
C’est donc le signe palpable que le travail fait à la vigne et en vinification a modifié la qualité des tanins.

Par contre, on continue de faire une filtration très légère. Le filtre est monté en ligne entre la cuve de mise en bouteilles et la tireuse. La porosité des médias filtrants est juste suffisante pour retenir de très grosses particules. Je ne peux pas envisager de supprimer tout passage du vin dans un filtre.
Mais on est très loin d’une filtration stérile ou même serrée.

Les bouteilles sont ensuite stockées en casiers métalliques jusqu’à leur reprise pour le conditionnement. Ce dernier commence après les vendanges.
Comme tous les crus, nous faisons aussi des demi-bouteilles et des gros formats. Il y a des commandes de négociants et aussi un stock qui reste au domaine pour les générations futures.
Les bouteilles supérieures à 6 litres ne sont pas conservées sur place ; sauf millésime exceptionnel. Elles ne correspondent qu’à des commandes. Donc, tous les ans nous embouteillons entre autres, quelques Melchior (18 litres) !
C’est toujours très impressionnant…

Jean-Michel Comme
12 Juil 2009 19:42 #10

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mardi 21 juillet 2009

Depuis le 20 juillet, je vois des baies vérées (=ayant changé de couleur). Je ne sais pas s’il y en a eu avant, mais je ne les avais pas vues.
Cela nous donne trois jours d’avance par rapport à l’an dernier. Il n’y a pas de grande signification à trouver dans la date d’arrivée des premières baies vérées car la suite de la météo peut changer fondamentalement les choses. Une pluie bien placée peut hâter le processus. Au contraire, trop de chaud ou de froid peut le ralentir. On arrive donc dans le dernier virage avant la ligne droite finale vers les vendanges.

Les risques mildiou sur grappe sont maintenant derrière nous. Idem pour l’oïdium.

Pour le moment, j’ai pu tenir mon programme de non-rognage total pour tous les cépages. Même chose pour l’effeuillage qui a disparu de Pontet-Canet depuis plusieurs années.
Ce n’est pas simple et particulièrement pour certaines parcelles plus vigoureuses. C’est donc un moment d’angoisse pour moi. Je dois choisir pour chaque cas, si on continue ou si on arrête. Chaque option a ses avantages et ses inconvénients.
Une chose est sûre, pour ces parcelles j’ai la conviction de travailler pour les années futures car un pied de vigne se souvient de tout ce que l’on lui a fait. Il s’en souvient à sa façon, mais il s’en souvient !

Pour l’année en cours, c’est juste une question de gestion au mieux du quotidien. Rien de plus. L’essentiel est tourné vers le futur.

Donc, progressivement Pontet-Canet s’est totalement couvert de « ponts » pour tenir les branches non-coupées. Je ne sais pas au juste combien on en a fait, mais comme ça à la louche, je dirais un million. Rien que le chiffre m’impressionne et me fait frissonner.

Je pense avoir beaucoup de chance de travailler dans cette propriété qui me permet d’aller jusqu’au bout de cette viticulture différente, cas unique à Bordeaux. C’est la raison pour laquelle je m’y sens bien depuis plus de 20 ans ; même s’il y a 20 ans, les préoccupations étaient bien différentes…

C’est la première année que je peux aller totalement au bout du raisonnement pour les quatre cépages. Avant, c’était surtout pour les cabernets.
J’ai fait quelques pas de plus dans la compréhension de chaque terroir et chaque cépage. Je peux donc maintenant essayer pour leur appliquer à chacun une viticulture encore plus spécifique.
Je perçois un peu mieux le caractère profond de chacun (terroirs et cépages) en les voyant réagir. J’apprends beaucoup sur eux ; et sur moi aussi car ils m’aident à me construire. A chaque nouveau progrès, je me sens un peu différent d’avant. C’est aussi la même chose pour ma femme Corinne car nous progressons ensemble ou plus exactement l’un grâce à l’autre.

Mais pour le moment, il manque le plus important : le vin. Ce sera chose faite dans 3 mois, avec la fin des vinifications. Si tout se passe bien…

Sinon, les décavaillonnages touchent à leur fin. Nos petits et vieux tracteurs des années 70 ont montré une fois de plus qu’ils n’ont pas encore été égalés. Avec environ 6 litres de carburant pour un hectare à labourer, on n’est pas loin de la perfection.
Je tente de mettre en pratique ici aussi la philosophie appliquée chez moi au Champ des Treilles, c'est-à-dire de travailler le sol avec le moins possible de passages et d’énergie consommée. Dans les deux cas, les objectifs « esthétiques » et les moyens ne sont pas les mêmes mais la ligne directrice est similaire.

Pour la suite, ce sera un griffage dans la foulée puis c’est tout jusqu’après les vendanges.
C’est tout pour aujourd’hui…

Jean-Michel Comme
22 Juil 2009 12:12 #11

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

vendredi 31 juillet 2009

Moment particulier cet après-midi : les salariés partent en congé d’été pour 4 semaines.
Lundi, il ne restera que quelques personnes sur le domaine. L’activité va particulièrement baisser. Puis au retour, après cette parenthèse, on se retrouvera pour ne plus penser qu’aux vendanges.
Pour le moment, on n’y pense pas beaucoup. Les raisins ont commencé à changer de couleur depuis une dizaine de jours mais la mi-véraison n’est pas encore atteinte. Par contre, dans un mois, tous les raisins auront changé de couleur ; et là on sentira vraiment les vendanges.

Ce soir, tout le monde se dit qu’une année s'est déjà écoulée depuis les dernières vacances d’été. On n’a pas vu le temps passer. Il y a deux ans, on se morfondait au milieu des raisins détruits par le mildiou. Aujourd’hui, c’est un sentiment différent, d’espoir et de fierté qui me touche mais que ressentent aussi beaucoup des salariés du domaine. La récolte est belle et pleine de promesse, les stigmates de 2007 dans le vignoble ont disparu (même s’ils restent ancrés pour longtemps dans mon cœur).

Finalement, la biodynamie en Médoc, s’est possible, on l’a montré.

En prenant un peu de recul, on peut se rendre compte que nos résultats en matière d’état sanitaire sont meilleurs que dans de nombreuses autres propriétés locales, pourtant en conventionnel (ou chimique selon la sensibilité de celui qui parle). C’est un bon signe pour le respect de la nature et des gens qui travaillent dans les vignes.

Mais il faut rester humble et concentré car rien n’est encore acquis. L’année est loin d’être terminée et les saisons suivantes sont autant de recommencements. Donc, on ne claironne surtout pas !!!

Aujourd’hui est aussi une journée particulière pour Pontet-Canet. On tourne une page. Certes, ce n’est pas une page du domaine en papier glacé doré à l’or fin mais une page du quotidien. Après plus de 18 ans de présence, Carmen notre responsable du conditionnement part à la retraite.
Pourquoi je vous raconte tout cela ? Parce que les gens qui travaillent sur le domaine font que le vin existe. Je l’avais engagée, elle et son mari comme vignerons. Lui a été un de nos meilleurs vignerons. Il avait une sensibilité viticole peu commune et avait changé de place à 40 ans alors qu’il avait déjà 26 ans d’ancienneté dans le précédent vignoble !

Puis, un jour il est décédé en 97 à 47 ans quelques semaines après ma maman. Quelle année !!!

Je lui ai dédié une parcelle qu’il travaillait et qui depuis porte son nom.

Carmen est restée seule sur le domaine. Comme elle semblait se débrouiller au conditionnement dans le fonctionnement des machines (chariot élévateur, étiqueteuse, …) nous lui avons proposé de prendre en charge un poste que nous avons créé, celui de responsable de conditionnement.
Les choses devenant de plus en plus complexes, nous ne pouvions plus travailler comme avant, « à la bonne franquette ». Elle a pris le poste et n’a jamais démérité malgré un parcours scolaire arrêté très tôt. Elle n’a jamais fait d’erreur dans son travail même si les ordres de mise sont en passe de devenir plus complexes que les schémas électriques de la navette spaciale.

Je suis très fier de lui avoir proposé ce poste. Maintenant, c’est une autre vigneronne du domaine qui va la remplacer ; en espérant qu’elle fera aussi bien.

Les deux cadres qui me secondent au quotidien, à la vigne et au chai, sont eux aussi « issus du rang ». C’est par leur travail sans état d’âme qu’ils ont montré leur grande qualité. Puis, un jour au moment d’une réorganisation de notre fonctionnement, on leur a proposé cette promotion qu’ils n’avaient jamais espérée. Depuis des années, ils font leur travail avec conviction et sincérité. J’apprécie beaucoup leur présence sur le domaine.

Voilà ce que je voulais dire ce soir. Cela n’a rien à voir avec la qualité du vin mais le vin reste toujours aussi un peu le fruit du travail des hommes. Et quand les hommes sont bons, le vin devient très vite meilleur.

Jean-Michel Comme
01 Aoû 2009 15:25 #12

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mardi 08 septembre 2009

Après quelques semaines de trêve estivale, c’est la reprise avec les vendanges en point de mire.
J’ai toujours le même sentiment tous les ans. Lorsque je pars en congé à la mi-août, on est encore dans le cycle cultural de la vigne. On est tourné vers le printemps.
Puis au retour, c’est fini, on s’est tourné vers le futur proche c'est-à-dire les vendanges, on ne regarde plus derrière. Les bilans viendront après.

Ici, comme ailleurs, l’ambiance est bonne. On est très loin de l’état d’esprit qui prévalait l’an dernier à la même époque. Pourtant, en bon paysan, je sais que rien n’est encore acquis et comme toujours en disant cela, j’ai les doigts croisés pour éviter le mauvais sort…

On en arrive quand même à souhaiter un peu de pluie. L’idéal pour nous aurait été d’en avoir vers la mi-aôut. Mais rien n’est venu.
La vigne ne souffre en général pas particulièrement mais les sols sont quand même secs.
Plus la pluie arrivera tardivement avant les vendanges, moins elle sera souhaitable.

Quoi qu’il en soit, on ne contrôle rien à ce niveau là. On prend donc les choses comme elles viennent.

Dans les vignes, les tracteurs ont arrêté tout travail du sol depuis presque un mois.
Les traitements sont eux-aussi terminés depuis quelques temps.
Seuls les vignerons coupent à la cisaille les ponts faits dans l’été pour tenir les rameaux.
La vigne retrouve ainsi un aspect proche de celui des autres vignobles. Le but est de supprimer tout excès de végétation et supprimer tout obstacle au passage des rayons du soleil vers les raisins.

Pour les chevaux, c’est une période très calme. Comme ils ne vont plus dans les parcelles, ils sont utilisés à ramasser les souches mortes, herbes sèches et autres piquets cassés qui sont présents dans les sentiers. Mais comme nous n’avons pour l’instant qu’une remorque de ce genre, on fait des rotations d’une demi-journée chacun. Ainsi, ils conservent leur forme olympique.

Quelques vigneronnes commencent le conditionnement du vin de la récolte 2007. C’est un travail de plus en plus précis et fastidieux.
Pour les autres, c’est le nécessaire nettoyage des locaux destinés aux vendangeurs. Il faut que tout soit prêt le jour J.
La grande nouveauté de l’année vient des cuisines de vendanges qui ont été totalement rénovées. Je suis très impressionné par la beauté et la qualité de l’ensemble. On est très loin des anciennes cuisines qui nous renvoyaient plus aux années 50 qu’au 21ème siècle.

Je suis très fier de participer par mon travail à rendre tout cela possible. Travailler à Pontet-Canet est devenu pour moi une sorte de rêve où progressivement on peut réaliser tout les souhaits que l’on pouvait avoir ; même parfois les plus ambitieux.

Mais avant tout, il doit y avoir le passage du marathon du médoc samedi prochain. C’est l’attraction de l’année dans la région. 8000 coureurs vont passer dans la cour samedi matin.

Dernier point, je n’ai pas encore fait de contrôle de maturité car cette année je ne pense pas que la richesse en sucre soit le facteur fondamental dans la décision des vendanges. J’en ferai quelques uns, mais c’est surtout en me baladant dans les vignes et en goûtant les raisins que je me forgerai un avis.
Mais gare aux prises de poids…

Jean-Michel Comme
09 Sep 2009 19:15 #13

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

vendredi 18 septembre 2009

On attend, on nettoie, on prépare.
Encore une semaine qui se termine et qui nous rapproche un peu plus de l’échéance.

C’est ma 21ème vendange (déjà) à Pontet-Canet. Je pense que c’est une pré-vendange des plus sereines, au moins jusqu'à à ce moment. Il n’y a aucune attaque de pourriture, la récolte est sucrée juste ce qu’il faut, les acidités sont bonnes et surtout les baies ont très bon goût.
Je ne suis plus du tout un adepte de l’analyse. Tout ou presque est maintenant du ressenti dans le travail. On est loin de ce que j’ai appris à l’école…

Nous avons eu quelques gouttes de pluie dans la semaine et un peu aujourd’hui. Il en est prévu aussi ce week-end.

On peut penser que quoi qu’il arrive, les merlots feront de très beaux merlots car même avec de la pluie, les maturités seront bonnes. La seule chose qui pourrait nous arriver serait d’avoir à trier si l’état sanitaire devait se dégrader ; ce qui n’est pas pour demain.

Pour les cabernets, ce n’est pas encore acquis. Là encore, tous les voyants sont au vert et le potentiel est très bon. La pire des choses serait l’arrivée de pluies durables sur la région. Mais là aussi, en partant d’une situation actuelle sans aucune attaque de pourriture, on peut être confiant.

Il ne faut pas non plus commencer à claironner trop tôt que l’on tient l’année du siècle car à force, plus personne n’y croit.

Nul ne peut dire encore quelle sera la qualité vraie du millésime. On sait que l’on aura de très beaux vins si tout se passe bien jusqu’à la fin. Mais pour terminer une course, il faut franchir la ligne d’arrivée ; ce qui n’est pas encore fait.
Les problèmes potentiels qui peuvent encore nous tomber dessus sont nombreux. Il faut franchir les étapes une à une, sans précipitation, avec motivation, concentration et toujours humilité.

Chez nous il y a un autre paramètre que d’autres n’ont pas. Notre viticulture est en devenir, c'est-à-dire en évolution.
Lorsqu’on ne change rien d’une année sur l’autre, on ne peut guère compter que sur l’effet millésime.
Pour nous qui faisons évoluer les soins apportés à la vigne (dans une direction encore peu ou pas explorée), on ne sait pas d’avance quels seront les résultats des idées mises en pratiques. Je l’ai dit précédemment, mais je me sens un peu comme un acteur des changements car en charge du vignoble mais aussi un peu observateur extérieur car je ne maîtrise pas l’évolution gustative des vins. C’est le vivant qui fait vraiment la différence.

Plus on va se rapprocher de l’échéance, plus il va me tarder de commencer. C’est le fruit d’un an de travail qui va se concrétiser.
Par rapport aux millésimes précédents, 2009 sera celui qui aura le plus bénéficié de toutes les évolutions de notre viticulture.
En espérant que tout cela aille dans le bon sens…

Jean-Michel Comme
20 Sep 2009 16:54 #14

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

jeudi 01 octobre 2009

On y est…

Les vendanges ont enfin commencé en début de semaine. Pour le moment, ce n’est pas encore la pleine activité car pour récolter le Merlot, on ne prend qu’une équipe sur deux. La seconde doit arriver pour terminer ce cépage en fin de semaine.

Il règne une ambiance bizarre dans les chais. Tout est calme. Aucune cuve n’est encore en fermentation donc il n’y a pas les odeurs caractéristiques. De temps en temps, à l’occasion d’un remontage, on sent bien l’odeur agréable du jus de raisin mais rien de plus.

Une seule ligne de réception de vendange est en activité. Donc, il y a des gens autour, des va-et-vient de transpalettes transportant les cagettes pleines ou vides, mais tout à l’air très bien rodé.
Je me dis que j’ai de la chance d’être là. Je mesure le chemin parcouru. C’est (déjà) ma 21ème campagne à Pontet-Canet… Je ne connais pas d’installation plus fonctionnelle, logique, respectueuse du raisin que la nôtre. Il peut en exister de plus médiatiques, mais ce point n’a pas d’importance. On n’est pas là pour faire du beau mais pour faire de l’efficace !
Il y a quand même des moments de solitude car pendant les semaines à venir, je mets ma vie de famille entre paranthèse.

Quoi qu’il arrive dans les jours prochains, les vendanges 2009 resteront obligatoirement dans les mémoires pour le temps magnifique, les degrés, la qualité des raisins, leur état sanitaire parfait,…
Comme tous les ans, j’ai migré dans le petit bureau qui se trouve dans le cuvier, au premier étage. Les cuves ne sont qu’à quelques mètres. J’ai abandonné mon bureau « de chef » jusqu’à la fin des vinifications. C’est ma transhumance annuelle ; fin septembre dans un sens, début novembre dans l’autre. Mon bureau « officiel » n’est qu’à quelques dizaines de mètres mais de là-bas, je suis coupé des cuves.
Installé dans le cuvier, je fais corps avec elles. Je peux vivre et ressentir les choses.
Les tables de tri sont en permanence en face de moi ; c’est plus facile pour surveiller le travail fait.

Je peux aussi entendre les gens chanter pendant qu’ils travaillent. Souvent, ils ne s’en rendent pas compte. Certains chantent juste, d’autres particulièrement faux. Mais en général, tous chantent très fort pour couvrir le bruit des machines.

Tout y passe depuis la Marseillaise, les standards de la chanson française, jusqu’aux tubes plus récents. Parfois, en écoutant, je souris tout seul. C’est un signe évident de bonne humeur. Chacun fait son travail avec conscience mais le cœur léger. C’est très bien ainsi.
Quand la zone de réception de la vendange ou le chai ressemblent à un champ de bataille, ce n’est jamais bon signe !

Voilà, la chronique d’un jour (presque) ordinaire dans un chai médocain.

Jean-Michel Comme
02 Oct 2009 17:22 #15

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

dimanche 04 octobre 2009

A propos des cagettes…

Il y a quelques jours, ce sujet a été évoqué un peu plus haut mais on n’a pas pris le temps d’expliquer quelques détails sur cet objet et les raisons de son utilisation.

Nous vendangeons en cagettes depuis 1999 à Pontet-Canet mais on avait « rodé » le système l’année précédente à Lafon-Rochet quand que les deux domaines travaillaient ensemble.

A l’époque et depuis une dizaine d’années, nous utilisions des bennes élévatrices à vis en inox. Nous savions que ce système était périmé et nous souhaitions « passer à la cagette ».

Les raisons sont multiples. La principale mais qui ne veut rien dire de précis, c’est le respect du raisin entre le moment où il est coupé et l’encuvage. En fait, en mettant les grappes dans un petit contenant peu profond, on évite l’écrasement donc l’oxydation, ainsi que la trituration de peaux.

Mais il faut aussi reconnaitre que chez nous à Bordeaux, le principal ennemi du raisin à ce moment de l’année, c’est la pourriture. Un raisin pourri va se dégrader beaucoup plus vite s’il est tassé, transvasé, manipulé. Il va alors libérer son jus souillé par toutes les enzymes du champignon et va polluer le reste de la vendange. Il est donc important de trier de la vendange entière et intacte. C’est là que la cagette prend tout son intérêt.

Mais il existe plusieurs types de cagettes de tailles et de formes différentes. Au milieu des années 90, alors que nous réfléchissions à ce changement, j’avais en tête le principe que nous utilisons, c'est-à-dire une petite cagette qui remplace le panier.
Traditionnellement, les gens dans la vigne travaillent par groupes de 5 ; 4 coupeurs équipés de paniers alimentent 1 porteur de hotte qui transporte la vendange hors de la parcelle.

Si la cagette remplace la hotte, elle doit être de gros volume pour contenir environ 30 kg de raisin. Il y a assez peu de cagettes à manipuler mais il faut conserver le panier à la vigne. Le panier est vidé dans la grosse cagette. Donc pendant la manipulation des grains sont écrasés ou triturés. Puis durant le transport, la hauteur de vendange est importante (tout est malgré tout relatif), soit 40 cm. Il y a un risque d’écrasement supplémentaire. Pour vider 30 kg, il faut en général mécaniser ; ce qui rend le vidage un peu brutal donc source d’écrasement supplémentaire. Chez nous, il faudrait 500 grosses cagettes.

Si la cagette remplace le panier, elle peut être beaucoup plus petite et contient en moyenne le poids d’un panier, soit 7.5 kg. C’est mieux mais il en faut 4 fois plus que dans le cas précédent. Il y a donc beaucoup plus de manipulations. Pour le lavage, c’est pareil, il y a en a 4 fois plus à laver. Mais le raisin ne subit aucune agression ; le vendangeur le met dans la cagette et il arrive sans manipulation ni écrasement au tapis de tri. Il y a 10 cm d’épaisseur de raisin dans la cagette. Le vidage se fait facilement à la main. On a donc la possibilité d’adapter le geste à l’état de la vendange pour la garder totalement intacte.
Il nous faut 2000 cagettes. En fait, nous en avons 3000, soit 150 palettes de 20 cagettes.

Dans les années 90, quelques châteaux locaux utilisaient des systèmes de hottes amovibles ou grosses cagettes. Mais ce n’était pas le plus abouti possible pour le respect du raisin.
Donc, nous n’avons pas voulu choisir de tels systèmes sachant qu’il pouvait exister mieux. En Formule 1, on ne gagne jamais une course avec le moteur de la saison précédente…
Mais n’ayant pas d’exemple sur lequel s’appuyer, j’ai fait des mesures et des essais en 97 à Pontet-Canet puis de savant calculs.

Enfin, avec un peu d’angoisse (il n’y a pas droit à l’erreur) et d’espoir, nous avons pu lancer les choses en vraie grandeur en 98 à Lafon-Rochet.
On a corrigé quelques imperfections, mais le résultat visuel était très probant. Pour être franc, à l’époque, lorsque je rentrais de Lafon-Rochet et que je passais devant le tapis de tri de Pontet-Canet, j’avais un peu honte… Je peux le dire car depuis le temps, il y a prescription !

Enfin en 99, on a appliqué ce système à Pontet-Canet en multipliant par deux ce qui existait dans l’autre domaine. On a rendu les choses un peu plus complexes en installant les deux lignes de réception de vendange au premier étage ; comme à l’époque de la construction du bâtiment…en 1895 ! On n’invente rien…
Depuis, ce système de cagettes s’est beaucoup développé, ici et ailleurs.

Comme tous les outils, il ne fait pas la différence. Mais, un détail, plus un détail, plus un détail, finissent par faire une petite différence. Des petites différences mises bout à bout en font une moyenne. Etc. etc. etc…

Jean-Michel Comme
05 Oct 2009 11:28 #16

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

samedi 17 octobre 2009

Les vendanges 2009 sont finies, le millésime 2010 est commencé.

Je ne vais pas parler de la technique de vinification car c’est dans une autre rubrique qu’il faut en parler…

Je préfère aborder les vinifications comme source d’informations pour le futur du domaine. Pendant les longs week-ends dans les chais, on a aussi du temps pour écrire.

Tous les jours, ce sont des dizaines de petits détails qui me parviennent et qui m’aident à comprendre un peu mieux le vignoble et son évolution. Ici, on n’a pas encore sombré dans l’organisation administrative de notre métier, avec un temps pour les vendanges, un temps pour les vinifications puis un temps pour l’analyse des résultats et enfin une planification des actions à mener.

Ce peut être le raisin d’un bout de parcelle qui semble être différent du reste, une odeur particulière pendant un remontage, la couleur d’une parcelle en ce moment, son rendement,…
Il ne faut pas oublier le plus important, la dégustation des cuves. Je les déguste toutes tous les jours, voire même plusieurs fois par jour pour certaines quand elles sont dans des phases sensibles. Mais parfois, lorsque je pense à une parcelle bien précise, je prends mon verre et pars déguster le vin qui en est issu pour essayer d’y détecter la sensation gustative qui me permettra de répondre à une question sur la parcelle.
Je compare aussi ce que je déguste au travail fait dans l’année pour essayer de trouver le lien.

Tout se dessine dans ma tête au fur et à mesure. Chaque détail est une sorte de brique dans l’élaboration d’un mur qui serait la connaissance fine d’une parcelle.

La prochaine décision pour le vignoble concerne la fumure. Progressivement, le programme s’affine. J’ai commencé à y réfléchir il y a plusieurs mois lorsqu’en me baladant dans les vignes, je pensais à la saison prochaine. Puis, les choses se sont précisées au fur et à mesure, jusqu’à la vinification. L’examen de chaque parcelle va me permettre de prendre les décisions les plus adaptées (selon moi). Ce n’est pas une science absolue mais un ressenti « global » de chaque cas.
Lorsque j’étais juste sorti de l’école, je regardais les analyses de terre pour savoir quoi faire. Parfois, je « corrigeais » un paramètre car il n’était pas dans la norme. J’avais appris à faire ainsi. On ne regardait que très peu les parcelles c'est-à-dire les pieds de vigne eux-mêmes. Une vraie viticulture de bureau…qui est néanmoins sur le point de se généraliser avec l’appui massif des « qualiticiens » !

Maintenant, je fais plutôt le contraire.
A quoi sert de remonter le taux de matière organique qui est un peu faible par rapport à une norme alors que la parcelle n’a aucun problème, ni de vigueur, ni de production, ni de carence ?

Pour la fumure, je n’utilise plus que du fumier de vache composté un an et additionné avec les préparas biodynamiques. On est monté en puissance sur plusieurs années quant au pourcentage du vignoble recevant ce produit. Depuis quelques temps, on n’a plus recours aux produits du commerce.
Mais il a fallu que j’apprenne à utiliser ce fumier que je ne connaissais pas assez finement pour l’utiliser en entretien. Depuis toujours, j’utilise du fumier mais avant plantation, donc avec des doses et des objectifs totalement différents.
Je ne prétends pas tout savoir maintenant, mais je commence à avoir un peu de recul pour en savoir un peu plus sur les quantités par hectare, la fréquence la plus adaptée et le résultat final.
Tout doit être prêt dans quelques jours.

Avant, il faut ranger tout ce qui a été utilisé pour les vendanges. Cela va prendre une petite semaine. Mais si on ne le fait pas tout restera en plan.

Après la fumure, il y aura aussi la taille qui va bénéficier des informations reçues du millésime 2009.

Pour les travaux en vert 2010, il faut attendre un peu. Mais j’y pense et il me tarde d’y être pour améliorer ce qui a fonctionné et faire différemment pour les choses qui ne se sont pas passées comme je l’espérais…et il y en a.

Jean-Michel Comme
19 Oct 2009 11:02 #17

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mercredi 21 octobre 2009

Vos informations seraient franchement bien venues pour aider les pros qui lisent LPV et qui veulent continuer avec les levures indigènes, car nous sommes faces à des situations que nous n'avons jamais vu, que ce soit en 2005, 1990, etc...

Tout d'abord, je ne veux pas jouer au vieux sage qui distille la bonne parole. Je ne suis rien ou pas grand chose pour donner mon avis !

La question posée sur la « maîtrise" des fermentations avec levures indigènes est intéressante mais il n’existe pas de solution miracle.
Quand on a un cancer en phase terminale, il n’y a guère que les miracles qui sauver le patient. C’est un peu pareil avec les cuves arrêtées.

La vinification avec des levures indigènes ne se décrète pas, tout comme la vinification sans soufre, le non-collage, la non-filtration, le non-soutirage,…
C’est la vendange qui doit le permettre, donc c’est le vin qui décide. Comme c’est dans la vigne que les choses se passent, c’est la vigne qui décide si on peut le faire ou non.

Une cuve de rouge qui s’arrête avant la fin représente une catastrophe car il est difficile de ne pas écouler.
Il y a deux raisons à cela. La première c’est l’erreur dans le travail. En général, il s’agit d’un pic de température et la cuve s’arrête. Cela se voit sur la courbe de fermentation car il y a une pente avant le pic de température et une pente beaucoup moins forte après, voire même plus de pente du tout.

La deuxième, c’est le milieu « malsain ». Ce peut être effectivement une concentration très élevée en sucre, une teneur faible en azote (qui constitue la nourriture des levures), mais tout autre chose difficilement palpable.
Dans ce cas, en l’extrapolant, la courbe de densité nous indique si la fermentation a des chances d’aller au bout ou pas. Si, on pense que des problèmes sont à venir, il faut donc anticiper pour éviter que la fatalité ne s’exerce. Il faut donc essayer de comprendre ce qui se passe et pourquoi la cuve fermente mal.

Depuis que j’ai la charge de la vinification à Pontet-Canet (1999), je n’ai jamais acheté un gramme de levure. Pourtant, on vinifie en moyenne 40 cuves par an.
Ici, les fermentations lentes sont recherchées pour extraire les tanins dans la douceur. Le vignoble est peu vigoureux et donc les mouts sont carencés, ou très carencés en azote (teneur mini 2009 : 32 ml/l). Je fais systématiquement doser l’azote dans les mouts pour savoir de quoi on parle. Par contre, je n’en tiens pas forcément compte quand il s’agit d’ajouter ou non de l’azote.
Les puristes diront qu’il ne faut pas ajouter d’azote. C’est un peu le problème de ces gens là ; ils préfèrent s’auto-détruire plutôt que de déroger un peu à la règle la plus rigide qu’ils s’imposent. Parfois, sans apport d’azote, la fermentation ne peut pas se terminer. J’ai la responsabilité du vin mais cela veut dire aussi, des emprunts du domaine, des salaires des gens,…

Donc, depuis quelques années, quand il s’agit de prendre la décision d’ajouter ou non de l’azote, je regarde plus l’évolution de la courbe que l'analyse. L’an dernier, j’ai employé seulement 3 kg d’azote.
Cette année, ce sera un peu plus car les concentrations en sucre sont plus élevées et je compense cette difficulté en rendant la vie plus facile (ou moins difficile) aux levures.

En moyenne, chez nous une fermentation alcoolique "classique" dure 3 semaines. L’an dernier, c’était plutôt 2 semaines, mais en 2005 on était à 4 semaines. Cette année, ce sera pareil.
Donc, une fermentation dans ces conditions, c’est un peu comme prendre le volant d’une formule 1 sous la pluie avec des pneus lisses. Il faut du doigté, de la concentration, beaucoup de sérieux et d’attention. Sinon, c’est le mur et quand on est dans le mur, c’est fini.

Pour y parvenir, ou au moins essayer d’y parvenir, on suit des règles de vie strictes. On refuse les systèmes automatiques de contrôles des températures. Chaque cuve est thermo-régulée en chaud et froid, mais tout est contrôlé et mis en œuvre manuellement ; Aussi, il y a toujours quelqu’un sur les cuves pour prendre les températures, surveiller. On sent vivre la cuve. Les deux personnes qui surveillent les températures dans la journée (et la nuit) sont devenus des métronomes de la température. En remplissant les fiches, je suis parfois impressionné et fasciné par la précision qu’ils peuvent avoir.

Les températures, c’est mon premier travail du matin, à 6 h et cela me prend environ 1 heure. C’est long, rébarbatif et je pourrais déléguer à quelqu’un ; mais c’est le prix à payer pour vivre la vinification totalement.
Ensuite, je saisis les densités et les températures sur des feuilles en papier. J’ai un logiciel de gestion du chai mais on ne peut pas rentrer dans l’intimité de chaque cuve. Les courbes sont jolies, mais on ne les vit pas. On peut même saisir les chiffres sans regarder les courbes.

Avec une gestion papier, c’est différent. Lorsque je trace mon point sur la courbe, je me dis ou non qu’il est à « sa » place, c'est-à-dire à l’endroit qui veut dire que tout se passe bien. Si le point est erroné, il y a deux explications : erreur de mesure ou problème sur la cuve. J’évalue donc la situation avant de passer à la fiche suivante.
Lorsque j’ai fini, je revois toutes les fiches pour adapter la vinification et aussi pour revoir toutes les courbes avec un peu plus de distance, au cas où…
L’intensité du travail n’est pas énorme pour moi car le travail physique est fait par d’autres. C’est pour cela que j’ai du temps pour écrire dans LPV…

Mais je ne sors pas beaucoup à l’extérieur pour l’instant car je tiens à être dedans ; « dedans » la vinification et les fermentations et pas « dedans » le chai.

Lorsque la fermentation arrive à la fin, il faut changer d’appareil de mesure et prendre un « extracto-oenomètre ». C’est un densimètre très précis et gradué de 0.1 en 0.1 au lieu de 1 en 1. Ainsi, on peut suivre des évolutions de densité très lentes; quand on perd 1 point par jour, voire moins. Lorsque que la densité chute, c’est signe qu’il y a de la vie !
En fin de fermentation, on ne peut pas le voir avec un densimètre.

Les volatiles sont plus élevées en levures indigènes . Ce n’est pas grave car c’est pour la bonne cause ; cela vient du travail fait sur les cuves pour rendre le vin meilleur.
Ensuite, il faut être propre pendant l’élevage et il n’y a pas de problème. Par contre, une volatile qui monte pendant l’élevage, c’est le signe que les gens travaillent salement. Et là, ce n’est pas normal.

Notre vinification, c’est donc énormément d’énergie, d’efforts et de sacrifice familial mis au service de ce vin ; 7 jours sur 7 aussi longtemps que le vin le nécessite.
C’est un travail d’accompagnement des raisins pour les extractions et des levures pour les fermentations.

Et en plus, vous savez quoi ? Tout cela ne sert pas à grand-chose car la qualité, la vraie qualité qui fait passer un vin au niveau de Grand Vin, elle vient du vignoble et elle est arrivée dans les chais avec le raisin !

Pour 2009, mis à part les fermentations qui sont lentes, les extractions se sont faites seules ou presque et le résultat semble être impressionnant…

Jean-Michel Comme
07 Nov 2009 15:02 #18

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

dimanche 25 octobre 2009

Revenons-en à des choses que l’on connait, le domaine et son évolution.
Les vins, ils y a des gens dont c’est le métier de les commenter et de les juger.

Quelques mots des fermentations. Les densités (et donc les sucres) descendent doucement. On va se retrouver dans la situation de 2005 où j’attendais que les sucres soient assez bas pour pouvoir écouler. Je ne veux pas crier victoire trop tôt ; superstition quand tu nous tiens…

Les écoulages sont prévus pour la semaine prochaine. Pour le moment, le programme concerne des cuves sèches, mais ensuite…

Comme je le disais une fois précédente, on est reparti dans les vignes. Pas en masse ; car entre ceux et celles qui sont aux caisses pour les expéditions du 2007 et ceux qui sont dans les chais, il ne reste pas beaucoup de gens pour s’occuper des pieds de vigne. L’important actuellement, c’est le vin qui ne doit souffrir d’aucun manque d’attention et de moyens humains pour le servir. Le programme de travail a été très légèrement allégé pour le week-end histoire de faire souffler les gens.

Pour moi qui ne transpire pas beaucoup, je me dois d’être présent tous les jours. On ne peut pas déguster toute la journée, ni refaire en permanence le monde, ou plus basiquement la viticulture. Donc, c’est un peu long. Mais comme je le disais précédemment, c’est le prix que je pense devoir payer pour faire corps avec ce vin en devenir et avec le domaine qui l'a fait naitre.

Ce week-end, il y avait quand même les heures des gens à ressembler et mettre en forme pour que la comptable puisse faire les bulletins de salaire. Vu le contexte de la saison, il y a une bonne journée de travail, sans compter ceux qui ont oublié de donner leurs heures et à qui il faut les redemander.
On peut difficilement rendre les choses plus automatiques car on travaille artisanalement et donc il n’y a rien de figé dans les plannings ; c’est le vin qui commande.
De plus, je ne veux pas tomber dans une organisation administrative qui n’autorise aucune entorse par rapport à l'ordre établi. Juste après le vin, il y a l’homme !

Dans le vignoble, on a donc commencé à épandre le compost sur les parcelles qui doivent en recevoir.
On est aussi entré dans une nouvelle dimension avec la mise en place de la fertilisation au pied de vigne, à la main. C’est une expérience qui me trottait dans la tête depuis quelques temps ; c'est-à-dire depuis que l’on a abandonné le rognage. Chaque pied est différent de son voisin et on se rend compte que la fumure par parcelle, ou même par zone de parcelle n’est plus assez précise. Avec la vigueur faible que nous avons, certains pieds sont trop maigres alors que d’autres sont encore trop vigoureux. Il n’est donc pas logique de distribuer pareil à tous. Les gens partent donc dans les rangs avec une brouette et un pichet pour ne donner qu’à ceux qui « ont faim ».
Je ne sais pas si c’est une voie promise à un avenir ou pas.
C’est un peu vertigineux de voir que la viticulture que l’on met en place s’accommode de moins en moins de machines ; les machines c’est quand même bien pratique !!!
Finalement, on a pu faire à la main beaucoup plus de parcelles que ce que j’avais prévu au départ. On va même continuer car plus on regarde les rangs, plus on voit l’intérêt de faire ainsi.
Certaines parcelles, maigres de façon homogène ont reçu le compost au tracteur. Cette possibilité de s’adapter à chaque cas me plait bien. Il n’y a pas de sectarisme c’est le bon sens qui prévaut.

En voyant les gens dans les rangs avec leur brouette, je repense à la phrase de Michel Bettane faisant la distinction entre « très bon vin » et « grand vin ». C’est ainsi, quand on aspire à produire du « grand », il faut se donner des moyens qui ne sont plus les mêmes que pour du « très bon ». Ce n’est pas l’assurance pour y arriver, mais une des conditions pour y arriver.
Le bilan sera fait l’an prochain. Pour le moment, on fait le mieux possible…toujours avec humilité, concentration et détermination.

Ensuite, il faudra labourer toutes les parcelles. Pour le moment, c’était mission impossible avec la sècheresse. Nous n’avons même pas pu semer les engrais verts sur les parcelles arrachées ni l’herbe dans un champ de 5 ha qui doit nous fournir du foin pour les chevaux.

Justement, les chevaux ont repris le chemin de la vigne. Ils griffent leurs parcelles. Maintenant, on ne parle plus de 7 ha mais de 16 ha cultivés au cheval. Si on devait prendre la décision d’en avoir un de plus, il y aurait alors 24 ha en traction animale ; un petit tiers du domaine.
Mais on n’en est pas encore là…

Jean-Michel Comme
07 Nov 2009 15:04 #19

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mardi 16 février 2010

Cela fait plus de 2 mois que je n’avais pas donné de nouvelle du domaine.
Je n’étais pas très loin et j’ai continué à survoler les interventions diverses et variées. Quelques pages de plus sur le sujet de la biodynamie n’ont pas départagé le cartel des biodynamo-phobes des quelques intervenants qui se sont encore risqués dans le débat.

J’ai pu aussi réfléchir à l’intérêt pour l’entreprise qui m’emploie, d’expliquer son travail au quotidien pour faire plaisir à l’amateur en demande d’informations, au risque de donner des arguments, bons ou mauvais à des professionnels qui ont choisi la critique de l’autre comme moyen pour se mettre en valeur. La question n’est pas tranchée…

La taille juste commencée lors de ma dernière intervention, vient de se terminer. On a fait griller de la ventrêche au bout des rangs pour fêter l’évènement. Je ne suis pas un adepte des casse-croûtes mais là, c’est un passage obligé pour moi et aussi un moment de convivialité sincère avec les tailleurs. J’en ai profité pour les remercier d’avoir mené à bien ce marathon de pratiquement 3 mois, en taillant un pied après l’autre quelque soit la météo du moment. Même si je n’étais pas à la plus mauvaise place, j’ai remarqué qu’une fois de plus le temps s’était écoulé très vite. Trois mois, c’est long mais quand on les regarde après coup, on se souvient du début comme si c’était la semaine dernière.

J’ai profité de l’hiver (et des heures économisées à écrire sur LPV) pour marcher et marcher encore dans le vignoble. Pratiquement tous les jours, je fais le tour du personnel à pied. Cela peut paraître anecdotique mais il faut 3 heures pour le faire. Aussi, il faut éviter les rendez-vous qui n’ont pas de caractère vital. Je ne parle pas des réunions car chez nous, il n’y en a pas. Quand on a quelque chose à se dire, on se parle ; tout simplement.

Ma connaissance du vignoble est encore trop partielle même s’il fait partie de ma vie depuis plus 21 ans. Plus exactement, c’est moi qui fais partie d’un petit instant de sa longue vie.
Je dois marcher et marcher encore, les sens en éveil, pour espérer avoir un détail qui puisse m’aider dans une compréhension plus fine. Je ne demande rien, je prends les choses quand elles viennent et si elles viennent. Certains jours, j’apprends un petit détail. Souvent, rien du tout. Du moins, rien d’immédiat car peut-être qu’un petit quelque chose s’est caché dans un neurone et qu’il ressortira un jour grâce à un regard, un bruit, une odeur à un instant particulier.
C’est une sorte de démarche de pèlerin que j’effectue. Les heures à passer sont une sorte de prix à payer pour espérer en apprendre un peu plus ; sans certitude que cela se produise.

Notre projet chevaux continue son chemin avec sérieux, détermination et toujours humilité car rien n’est encore acquis. Du nouveau matériel est venu s’ajouter à l’actuel.
Il y en a encore à construire.
Maintenant, il y a une dame parmi les meneurs. J’ai toujours eu la conviction que les dames pouvaient s’en sortir au moins aussi bien que les messieurs car elles ont une sorte de douceur naturelle que les chevaux ressentent et la force ne sert à rien. Un cheval se mène avant tout au mental. Dans notre projet, il n’y a aucune pénibilité pour les meneurs.

Cet hiver, les traitements biodynamiques ont été faits au cheval pour respecter les sols. C’est une avancée majeure et une grande fierté car le spectacle des ornières laissées par les tracteurs est pour moi de plus en plus insupportable à regarder.
Comme au foot, c’est l’époque des transferts. La plus vieille des juments va laisser sa place à une plus jeune afin de pouvoir mieux assurer la réalisation de nos objectifs.

Dans les chais, c’est le calme habituel de cette saison. On soutire.
Mais déjà, un début d’agitation fait penser que la période des dégustations "primeur" n’est pas loin. Les premiers rendez-vous sont déjà pris depuis longtemps.
La qualité du 2009 a fait couler beaucoup d’encre depuis les vendanges…et même avant les vendanges.
Comme toujours, il faut garder la raison et laisser les dégustateurs se faire leur propre idée du millésime.

C’est tout pour le moment…

Jean-Michel Comme
20 Fév 2010 14:08 #20

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

vendredi 19 février 2010

Je n’avais pas prévu de reprendre la parole aussi tôt.
L’autre jour, j’ai évoqué l’arrivée d’un nouveau cheval sans plus développer le sujet. Maintenant, je pense qu’il est intéressant d’en reparler…

Donc, exit Babette (21 ans), qui est remplacée par Opale (8 ans).
Babette repart d’où elle vient ; une sorte d’échange standard. Elle avait un caractère bien trempé et au retour sur son ancien domaine, elle n’a pas voulu descendre du camion avant 9 heures du soir ! Elle est sortie seule quand elle l’a voulu.

Opale qui vient d’arriver est déjà parfaitement dressée. Pourtant, elle ne fera son apprentissage dans les vignes que dans la semaine prochaine car elle doit s’approprier son nouvel environnement. Donc, pour l’instant elle tire une remorque pour ramasser des vieux piquets dans les sentiers. Elle est toujours stressée mais les choses s’améliorent. Le premier jour, elle avait la diarrhée ; ce qui est un signe évident d’inquiétude.
Elle n’est pas totalement rassurée pour autant. Il faut du temps et de l’affection pour la tranquilliser totalement.

Les autres chevaux si calmes d’ordinaire sont toujours un peu excités. Joël, qui me seconde à la vigne a choisi de les descendre au pré pour le week-end dès cet après-midi pour surveiller leur comportement avec un peu plus de temps. C’était une sage précaution car la descente a été pour le moins « sportive » !

Si tout va bien, la semaine prochaine, Opale sera attelée aux chariots de vigne, d’abord dans les sentiers puis ensuite dans les rangs avec un autre cheval à côté d’elle ; histoire de la rassurer pendant sa formation.

Avec le recul, je me dis que l’arrivée de trois chevaux il y a deux ans, dans un environnement nouveau, avec des gens sans compétence équine relevait au minimum d’un pari osé, sinon de l’inconscience.
Il faut ajouter que sur les 3 chevaux, 2 n’avaient pratiquement aucune expérience réelle en attelage. Les débuts un peu « agités » que nous avons connus n’étaient que pure logique. De plus, nous n’avions aucun équipement ni matériel.

Actuellement, alors que nous disposons de personnel aguerri, de 2 chevaux habitués au lieu et travaillant tous les jours, l’arrivée d’un nouvel animal nécessite une très grande attention pour ne pas hypothéquer l’avenir. Le cheval, c’est un métier !

Enfin, dernier point que je voulais ajouter à l’intention de tous ceux qui pensent que tout peut se mettre en équation du premier degré à une inconnue : Babette depuis son box à l’intérieur d’un bâtiment a senti ou ressenti que le camion qui passait le portail de la cour n’était pas un camion comme tous les autres mais qu’il contenait un de ses congénères. Elle a henni alors que je ne l’ai pas entendu depuis le début de sa présence à Pontet-Canet
En rentrant des vignes à midi, Reine avait aussi senti de loin qu’il y avait un intrus.

La nature est impressionnante quand on prend le temps de s’y intéresser.

Jean-Michel Comme
20 Fév 2010 14:09 #21

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

lundi 08 mars 2010

Depuis ma dernière intervention, les travaux dans la vigne ont continué. Les vigneronnes finissent de plier et les vignerons sont toujours à la réparation du palissage. Ils devraient finir dans les jours à venir.

Je pense l’avoir déjà dit l’an dernier mais traditionnellement, la réparation du palissage se fait après la taille et avant le pliage. Mais lorsqu’on a mensualisé le personnel au milieu des années 90, j’ai changé cette organisation pour privilégier d’abord la taille. Si une personne vient à manquer, il est moins pénalisant de ne pas changer les piquets que de ne pas tailler !
C’est donc une entorse à la tradition que j’assume et qui n’a aucune conséquence sur la qualité des vins ni la pérennité du vignoble.

Les chevaux ont pu pratiquement traiter deux fois tout le vignoble pour les traitements biodynamiques d’hiver. On leur a épargné quelques parcelles les plus reculées ; dont deux sont à deux kilomètres des bâtiments entre Grand-Puy Lacoste et Lynch-Bages et ne verront donc sûrement jamais de cheval.
En échange, ils ont pu faire d’autres travaux plus utiles que des promenades interminables sur la route.

Par contre, ils ont traité l’ilot de 14 ha que nous avons à la sortie de Pauillac au bord de la route qui va à Saint-Estèphe. J’ai pris beaucoup de plaisir à les voir évoluer. Certes, il y avait de la fierté en pensant au chemin parcouru en 21 ans mais il y avait de l’amusement en voyant les voitures ralentir pour les regarder ou même les gens s’arrêter pour les prendre en photo avec leur téléphone portable. Le plus impressionnant était de voir les deux chevaux traitant côte à côte dans la même parcelle. Les gens n’ont plus l’habitude de voir des chevaux au travail, alors quand il y en a deux à la fois, tirant des pulvérisateurs du futur,…

Gilles notre mécanicien travaille toujours à la conception de nouvelles machines. C’est quelque chose qui prend du temps, pour lui et pour moi aussi, car nous « concevons » ensemble.
Je lui dis ce que je veux puis on fait des croquis à la craie où chacun apporte ses idées sans retenue et on parle des dimensions. Ensuite, il passe à la création proprement dite en utilisant son immense compétence. On fait de nombreux points durant lesquels je joue le critique. Souvent, c’est très bien, mais parfois c’est à refaire ou au moins à modifier.

On travaille ainsi depuis de nombreuses années. Il reste un salarié du domaine sous mes ordres et il n’est pas un « ami » mais c’est beaucoup plus que ça. Malgré son caractère « fort », il reste un de mes proches les plus sincères. Nous avons une vraie amitié réciproque l’un pour l’autre.

Dans les chais, on en est à la remontée du 2008 en cuves béton pour le préparer à la mise en bouteilles. La préparation n’est pas impressionnante car le vin ne sera pas collé. On va simplement marier entre eux les différents lots de tonneliers et laisser le vin tranquille ; tout simplement.

Maintenant, j’aime assez remonter les vins un peu plus tôt et les laisser plus longtemps dans les cuves en béton brut. On finit d’affiner les derniers tanins du vin.

Les dégustations « primeur 2009 » ne sont plus qu’une question de jours. Je suis serein mais j’ai toujours un pincement au cœur en voyant le vin partir pour la première fois vers l’extérieur. Je dois revivre en raccourci tout le travail réalisé pour en arriver là, le doute, l’angoisse, les joies parfois,…

Voilà pour les nouvelles du moment.

Jean-Michel Comme
12 Mar 2010 18:04 #22

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

jeudi 11 mars 2010

Un petit détail dans la vie du vigneron.

La semaine dernière, j’ai trouvé par hasard sur le sol d’une parcelle un petit bout de métal couleur vert-de-gris. J’ai compris qu’il s’agissait d’un gros et vieux rivet en cuivre traversant un autre morceau de cuivre qui devait servir de rondelle. En le prenant dans la main, je me suis demandé combien d’années il pouvait avoir. Rien ne peut permettre de le dire.

Mais en imaginant le morceau tombant au sol, j’ai essayé de penser à ce que pouvait être le domaine à ce moment-là ; il y a 50-100-200 ans. L’endroit est resté sensiblement le même mais tout le reste a changé. Les sabots de bois ont été remisés et maintenant ce sont des chaussures de sécurité qui foulent les graves. Les tracteurs ont pris la place des bœufs et des chevaux.
Ce n’est pas notre projet de traction animale qui peut changer cette réalité car avec les panneaux solaires, on est dans un autre monde !

C’est toujours avec émotion que je regarde des vestiges du passé.

J’ai le même état d’esprit en sortant une vieille bouteille de la cave. Je pense toujours aux changements qui se sont produits entre le moment où la bouteille a été couchée là et le moment où je la prends pour la redresser. Finalement, le vin présent dans la bouteille devient presque secondaire.

Sinon, je continue de marcher dans les vignes pour faire le tour des vignerons. Lorsque je prends ma voiture pour faire le tour plus rapidement, j’en arrive à avoir des remords !

Je marche tellement que mes nouvelles chaussures pas encore faites à mon pied me font terriblement souffrir !

Dans mon dernier texte, j’utilisais le mot « pénitent ». Mon mal au pied en est-il la suite logique ? Une sorte de rédemption nécessaire pour espérer en apprendre un peu plus sur le terroir ?

Pour moi qui ne suis pas croyant, de tels mots ont une consonance particulière. Il ne manque plus que la quête du Graal pour terminer cette série mystique.

Mais au-delà de toute connotation religieuse, la quête du Graal n’est-elle pas tout simplement un parcours personnel pour atteindre une sorte d’idéal que l’on se fixe, chacun dans un domaine particulier.

Pour le sportif, c’est une médaille olympique ou plus modestement l’ascension d’un col des Alpes.
Pour le responsable de vignoble que je suis, ce peut être, chez la personne à qui il fait déguster son vin, de sentir un éclair d’émotion qui lui traverse le regard.
Mais il peut aussi s’agir de faire un pas de plus dans la connaissance du vivant.

Au quotidien, c’est la seconde solution que je cherche à atteindre. Pourtant je sais que comme pour la quête du Graal, la vérité à quelque chose d’inaccessible et elle s’éloigne un peu plus à chaque instant où je pense m’en rapprocher un peu.

C'était la soirée "Etats d'âme"...

Jean-Michel Comme
12 Mar 2010 18:05 #23

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

lundi 22 mars 2010

C’est fait, les premiers échantillons de 2009 ont été présentés.
C’est un peu un nouveau chapitre qui se termine dans l’histoire de ce millésime.

Mes préoccupations ne sont plus là car il faut avant tout penser au vin de 2010 qui arrivera dans quelques mois.
Les choses ne se décideront pas lors des vinifications mais bien avant pour de nombreuses parcelles.
Certains traitements biodynamiques sont déjà réalisés et d’autres le seront avant même que la première feuille ne soit apparue dans les vignes. C’est là qu’une part de la qualité des futurs lots va se jouer.
Evidemment, en fonction des conditions climatiques du millésime, le niveau de qualité changera, mais le vrai potentiel du lot de vin sera scellé.

Le printemps est maintenant là.
Les parcelles sont inondées d’odeurs subtiles des petites fleurs qui y poussent. Quel est leur rôle réel dans la nature ? Je ne le sais pas vraiment et je continue d’essayer d’apprendre à lire la nature.
Et avec de tels parfums ce n’est que du bonheur.

On a commencé les labours depuis la fin de semaine dernière. Pour le moment, c’est encore timide car seuls les tracteurs ont commencé. Pour les chevaux, il y a une modification des charrues afin de les rendre plus fiables et plus performantes. C’est un peu toujours la même chose ; on court après le temps et on fait au dernier moment ce que, l’an dernier, on s’était promis d’avoir fait avant la fin de l’hiver. Le projet chevaux est une suite sans fin de détails à régler. Pour les plus gros, c’est assez évident car sinon rien ne fonctionne. Par contre, les « petits » détails sont plus insidieux ; ils permettent au travail de se faire mais on n’est pas dans des conditions idéales, donc on ne travaille pas comme on pourrait le faire.

Lorsque la terre est retournée, on replonge facilement dans une dimension mystique car le travail du sol n’est pas anodin ; il a une signification symbolique très forte.
Plus concrètement, lorsqu’elle est en vie, la terre fraichement labourée dégage une odeur envoutante qui fait vibrer jusqu’au fond des entrailles.

Les quelques journées chaudes ont favorisé la pousse de la vigne. Parfois, des bourgeons protégés par un piquet sont proches de laisser apparaitre les feuilles. Généralement, les bourgeons sont au moins bien gonflés.

Bientôt, il y aura des feuilles. Pour moi, c’est un moment fort car c’est un moment de doute.

Serai-je à la hauteur pour amener la vigne où je souhaite l’amener ?
Les idées que je compte mettre en application donneront-elles les résultats escomptés ?
Aurai-je suffisamment de force pour aller puiser au fond de moi l’énergie qui me sera nécessaire pour passer les moments difficiles ?
Beaucoup de questions qui me hantent.

En me relisant, il y en a une autre qui vient et qui n’était pas prévue : jusqu’où faut-il aller pour payer le prix de cette viticulture différente ?

Je n’en ai pas la réponse et il vaut mieux ne pas la chercher. La vie m’a toujours guidé et elle continuera à le faire ; du moins je l’espère…Et puis, la vigne est ma seule passion.

Jean-Michel Comme
23 Mar 2010 20:16 #24

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mercredi 07 avril 2010

Le printemps est là.

La vigne est en léger retard par rapport aux autres années mais je ne suis pas inquiet car quand la vigne débourre tôt, il y a ensuite une période de flottement de quelques jours durant lesquels elle ne pousse plus.

Donc, si la vigne démarre et ne s’arrête plus, le retard sera vite rattrapé.

Les tracteurs et les chevaux ont commencé les labours depuis quelques jours. Avec les seconds, on envisage de cultiver 24 ha, soit 8 ha par cheval. Mais rien n’est acquis car il faut énormément de motivation, de sérieux et d’humilité pour y arriver. On fera au mieux et on en reparlera en fin de saison.

Derrière le labour, vignerons et vigneronnes finissent d’enlever la terre et l’herbe qui reste autour des ceps après le passage des charrues. C’est un long et méticuleux travail où l’homme doit se pencher vers chaque souche.

C’est un vrai geste d’humilité et un témoignage de révérence vis-à-vis des ces pieds de vigne que nous servons.

Chevaux et tracteurs ont réalisé le dernier traitement biodynamique d’avant débourrement. Les conditions humides ont perturbé notre organisation. Mais c’est aussi la nature qui décide.
Pour les planifier, je pense avoir tenu compte de tous les détails de connaissance du terroir que j’ai pu acquérir depuis que je foule cette terre.
L’an prochain, j’en saurai un peu plus ; j’espère…

La semaine dernière, c’était la présentation générale du millésime 2009. Pour la première fois, nous n’avons présenté le vin qu’au château ; en libre accès et sans rendez-vous.

Je pense que le vin nous a dit merci car nous avions des conditions de dégustation idéales.

Souvent, les visiteurs pouvaient apercevoir les chevaux dans le lointain ; vision surréaliste à l’époque d’internet.

Je pensais que cette nouvelle organisation me permettrait de pouvoir « m’enfuir » dans les vignes le plus souvent possible. Mais j’ai du me rendre à l’évidence, que je ne pourrais voir les vignes que de loin car il y a eu du monde tout le temps. Jamais la foule, mais juste assez pour alimenter au moins deux sinon les trois postes de dégustation.

J’ai fait contre mauvaise fortune bon cœur et j’ai finalement pris du plaisir à expliquer comment le vin est produit et quelle est la philosophie qui se cache derrière. Et oui, nombreux sont les professionnels qui ne savent pas encore que Pontet-Canet travaille en biodynamie !

Pourtant, en ayant le vignoble sous les yeux, je ne pouvais m’empêcher de penser à tout le travail qu’il nous reste à accomplir pour atteindre ce but ultime qui s’éloigne sans cesse et qui est le vin « absolu ».

Les premières notes sont tombées mais mon esprit est déjà dans le millésime 2010 qui devient de moins en moins virtuel avec l’arrivée des feuilles.

Jean-Michel Comme
11 Avr 2010 23:28 #25

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

jeudi 08 avril 2010

La réflexion du soir…

C’est maintenant la troisième semaine de dégustation primeur au château.
Je ne souhaite pas parler du vin ici car je ne suis pas bien placé pour le juger.

Lorsque nous recevons les visiteurs, le sujet qui revient souvent est l’épisode "traitement chimique" de 2007.
Il s’agit de deux semaines dramatiques mais seulement deux semaines dans 5 ans de biodynamie totale appliquée à 80 ha de cru classé de Pauillac. Et même 6 ans si on intègre les 14 ha de 2004.
Pourtant, on passe plusieurs minutes à expliquer pourquoi et comment.
Je n’en veux à personne, car les gens tentent de comprendre et aussi de démêler le vrai du faux. C'est déjà bien.

Si j’avais été bon cette année là, on n’aurait maintenant pas besoin de se justifier.
Mais voilà, j’ai été mauvais et je dois le payer en racontant encore et encore.

L’autre jour, dans un précédent message j’évoquais la vision mystique que je me fais de plus en plus de mon métier.

J’en ai une nouvelle illustration. Les 2 semaines de 2007 constituent une sorte de croix que je dois porter et qui va me suivre encore longtemps !

Jean-Michel Comme
11 Avr 2010 23:29 #26

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mercredi 28 avril 2010

Le printemps est maintenant bien ancré. Les jeunes pousses mesurent plus de 10 cm et on a sorti les pulvérisateurs.

Dans le garage à tracteurs, la bonne odeur des tisanes est revenue. Le ballet des chevaux et des tracteurs a repris lors des traitements. Chacun remplit sa cuve à son tour.

Toute la propriété a été décavaillonnée et pour la première fois depuis que nous sommes en bio, on est à l’heure dans tous les travaux.

Le décavaillonnage est l’opération qui consiste à aller chercher la terre mise sous le rang à l’automne en la ramenant dans l’inter-rang. Ainsi, les herbes sont retournées et meurent.
Puis c’est le travail des petites mains (personnel de la vigne aidé de quelques extérieurs). Avec un sarcle, ils vont enlever le reste de terre et éventuellement d’herbe autour des souches.



Le décavaillonnage est l’opération la plus longue et fastidieuse de l’année. Il nécessite de l’application et du savoir faire. Les tracteurs et les chevaux, chacun dans sa parcelle, ont effectué ce travail durant quelques semaines.
C’est vraiment l’opération qui a conduit les gens à se tourner vers les solutions chimiques pour tuer l’herbe ; avec les conséquences que l’on sait.

Maintenant pour nous, c’est le moment de griffer les rangs. C’est beaucoup plus rapide et moins risqué pour les souches.

L’épamprage vient de commencer ce matin. C’est aussi une opération longue et fastidieuse qui nécessite tous les vignerons, vigneronnes et personnes supplémentaires employées pour la saison.

Là aussi, il faut essayer de sortir des habitudes pour redécouvrir le travail en pensant totalement au pied de vigne et à son bonheur.

Je continue à marcher le plus possible dans les vignes pour bien ressentir le vignoble et le vivant.
Il m’est apparu que ma viticulture est devenue une viticulture d’émotion. C'est-à-dire que très souvent, mon jugement sur un sol, une plante ou l’état d’un cep, se fait par l’émotion. C’est un ressenti inexplicable plus que des valeurs objectives.
Un beau pied de vigne peut pratiquement amener à verser une larme tellement il est beau. Mais c'est difficile d'expliquer en peu de mots pourquoi il est beau.

Mais on peut aussi dire que les relations que j’ai avec le domaine lui-même, dépassent le cadre normal des relations vigne-régisseur. Là aussi, on est dans l’émotion, l’affectif. Sinon, je ne supporterais pas la lourdeur extrême de cette démarche de viticulture « ultime ».

Pourtant, les récentes dégustations primeur ont montré que tous les professionnels qui sont venus, ne sont pas encore prêts à accepter l’idée de cette démarche. Certes, ils ne sont pas hostiles à la biodynamie ou au « bio » mais ils sont déstabilisés lorsque nos relations avec le vin s’éloignent de la proportion de cépages, du pourcentage de bois neuf, ou de valeurs analytiques. Autre déstabilisation en entendant le discours selon lequel les vendanges vertes ou l’effeuillage ne sont que des constats d’échec ; c'est-à-dire que quand on les fait, cela veut dire qu’on s’est trompé avant.

Ce n’est pas très grave car le discours n’est rien et le vin reste le plus important et c’est très bien ainsi !

Avec l’arrivée des feuilles, c’est aussi le moment des décisions, des risques et des doutes.
Le traumatisme de 2007 est toujours là. Vous savez, la croix que je porte…

Jean-Michel Comme

photo : Eric B
02 Mai 2010 20:12 #27

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

mardi 03 août 2010

Depuis quelques mois mes interventions se sont faites plus discrètes. Trop de travail, volonté de ne pas entrer dans des débats qui ne donnent jamais rien de positif, sinon des noms d’oiseaux entre participants.
Surtout, retour à l’essentiel, la vigne qui nous fait vivre et qu’il faut aider, comprendre et servir ; en un mot qu’il faut aimer.

Mais comment intervenir sur le forum sans redire un mot des sorties « primeur » du 2009. Le prix « confortable » de Pontet-Canet est devenu presque bon-marché en comparaison d’autres crus qui ont (définitivement) quitté le monde des vins qui se boivent.

En ce qui concerne Pontet-Canet, par vanité, je prends à mon compte une petite partie du succès du cru.
C’est pour moi le résultat d’une abnégation totale à servir le domaine depuis si longtemps.
Je l’ai dit précédemment, mais les relations que j’ai avec Pontet-Canet sont maintenant dans l’émotion et plus vraiment dans la technique pure.

Le millésime 2010 devient un peu plus tous les jours une réalité palpable. J’ai pu affiner la viticulture que je tente de façonner depuis plusieurs années.
Comme tous les ans, certaines idées fonctionnent bien lorsqu’on les met en pratique. Pour d’autres, c’est plus difficile. Dans ce cas, on pense à l’année prochaine et aux modifications qu’il faudrait apporter pour que les résultats deviennent positifs.

Tout le monde s’entend pour dire que l’année a été facile dans la maîtrise du mildiou. C’est une bonne chose même si cela n’a pas changé grand-chose pour nous dans notre concentration et notre application dans les traitements.
2010 aura été une campagne où on pouvait battre des records en terme de faibles traitements anti-mildiou.
Certains ont pu pratiquement ne pas traiter certaines parcelles.
Mais ici le raisonnement est un peu différent car avec 80 ha sur 80 en bio, il n’est pas question de compter sur la chance pour s’en sortir. Tout doit être pensé comme s’il y avait une pression maximale.

La biodynamie appliquée aux parcelles a elle aussi tenu compte des conditions de l'année. Point de recette toute faite et définitive.

La gestion épurée des ceps de vigne, sans rognage, effeuillage ou vendange verte est maintenant dans une phase de croisière. C’est de plus en plus facile car vigne et gens finissent par avoir l’habitude et on a acquis un certain savoir-faire dans cette viticulture différente.
Il y a bien eu quelques raisins coupés sur deux ou trois parcelles et quelques feuilles enlevées sur quelques ares fougeuses ; mais pour tout le reste, le cap a été tenu. C'est une grande fierté pour moi lorsque je me promène dans les vignes.

Pour les chevaux, on est passé de 7 à 24 ha.
Dans l’ensemble, le résultat est positif même si tout ne s’est pas déroulé comme nous l’aurions souhaité.

Si les traitements ont pu être réalisés sans problème, ce fut plus difficile avec le travail du sol. Le temps sec a retardé l’avancement des labours.
Il ne faut pas se dire que c’est une situation exceptionnelle et que l’avenir sera plus facile. Il faut être capable d’assumer le travail en temps et heure quelles que soient les conditions météo. Nous avons évalué ce qu’il convient de revoir et déjà on aimerait être en 2011 pour se confronter à une nouvelle saison.

Il y a eu aussi des problèmes de positionnement des harnachements sur les animaux. Lorsqu’on travaille 7 ha avec trois chevaux ou 8 ha par cheval, le temps dans les vignes avec les harnachements n’est pas le même. Les réglages deviennent beaucoup plus fins pour ne pas blesser la peau. Peu de gens ont cette connaissance bien utile.

C’est pourtant le genre de difficultés auxquelles nous sommes confrontés quotidiennement.
Rien n’est un sujet majeur mais tout compte pour pouvoir prétendre à la réussite.

Dans les chais, c’est maintenant la période calme de l’année. Le millésime 2008 est en bouteilles depuis quelques jours. Il se repose après ce traumatisme bien nécessaire que représente le passage en bouteilles.
Les chais appartiennent désormais au seul millésime 2009 qui se trouve sagement en barriques.

Celles du millésime 2010 viennent d’être commandées. Elles arriveront juste avant les vendanges.

Depuis la fin de semaine dernière, l’essentiel du personnel est en vacances. Il ne reste que quelques personnes. Nous terminons le travail du sol avec tracteurs et chevaux. J’espère avoir un peu de pluie pour rendre le sol plus facile à griffer.

La pluie rendrait aussi la véraison plus rapide et donc plus homogène. La vigne ne souffre pas vraiment de la sécheresse mais un peu d’humidité donnerait le petit déclic nécessaire au changement de couleur.

Jean-Michel Comme
04 Sep 2010 16:42 #28

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

vendredi 03 septembre 2010

Retour de congés

Après quatre semaines de congés pour le personnel et beaucoup moins pour moi, c’est la reprise à Pontet-Canet.
Au bout de la route, il y a les vendanges. Elles deviennent une réalité gustative de plus en plus fréquente pour moi qui passe mon temps à déguster des raisins, sinon à les manger tout court !

C’est quand même bien d’être en bio. Pas d’appréhension en mettant une baie en bouche…

La préparation des vendanges à proprement parler n’a pas encore débuté.
Les vigneronnes ont commencé le conditionnement du millésime 2008 mis en bouteilles dans l’été.
Elles entreront dans le vif du sujet lorsqu’elles passeront dans la cour avec les piles de draps pour faire les lits des vendangeurs ; qu’elles feront revivre la cuisine de vendange assoupie depuis l’an dernier,…

Les vignerons coupent au sécateur ou à la cisaille les « ponts » faits entre les branches dans l’été et qui étaient destinés à éviter le rognage des rangs.
Maintenant que la vigne a arrêté sa pousse, il faut supprimer l’excès de végétation pour permettre à la lumière et à la douce chaleur d’automne de mieux atteindre les raisins.

C’est un travail long et fastidieux mais je n’ai pas d’autre alternative pour mettre en pratique la viticulture que je souhaite. Donc, on le fait et on ne se pose pas de question philosophique.

Au chai, on soutire et on en profite pour déplacer les barriques et ainsi faire la place pour les fûts neufs qui vont arriver en fin de mois.

Mais le plus important reste la récolte qui est sur pied.
La coulure du mois de juin est bien visible dans les Merlots, particulièrement dans les vieilles parcelles. A ce titre, le non-rognage n’était pas forcément une grande inspiration sur ce point cette année, car il diminue la récolte en réduisant la proportion de fleurs qui se transforment en grains de raisin.
Mais ici, le non-rognage s’inscrit dans une logique beaucoup plus large donc il faut aussi en accepter les contraintes.

On a fait tout ce que l’on a pu pour les pieds de vigne et leurs raisins. Maintenant, il faut attendre et suivre leur évolution.
Je pense que l’on a une année à Cabernet Sauvignon.
Les peaux sont déjà particulièrement savoureuses.

Sans vouloir enfoncer des portes ouvertes, on a un beau potentiel mais il faudra attendre le remplissage des dernières cuves de cabernet pour se faire une idée vraie.

Pour l’instant, on croise les doigts…

Jean-Michel Comme
04 Sep 2010 16:43 #29

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Pontet-Canet au fil des saisons par Jean-Michel Comme

dimanche 03 octobre 2010

Les vendanges ont commencé mercredi à Pontet-Canet avec un premier arrêt pour le week-end. Nous récoltons d’abord le Merlot avec une seule des deux équipes.
Si le temps le permet, on travaillera ainsi dans la semaine prochaine pour terminer ce cépage en suivant la maturité optimale des différents terroirs.

Si on devait utiliser l’équipe au complet, on vendangerait le Merlot en 3 jours. Aussi, il faudrait faire un choix entre commencer tôt ou commencer tard. Mais, pour certaines parcelles, ce serait trop tôt, pour d’autres trop tard.
Là, on essaie d’être au plus proche de la réalité du terrain.

Idéalement, la seconde équipe n’arriverait alors que pour les Cabernets. Mais, tout peut très vite changer…

L’état sanitaire est particulièrement sain. C’est du reste logique car on vient de vivre une très longue période de sècheresse.

On n’a pas encore assez de recul pour juger des équilibres sur Merlot mais on peut raisonnablement penser que les degrés seront plus élevés que la moyenne des dernières années avec toutefois des acidités « normales ». Rien n’est encore entré en fermentation et on ne peut pas dire que le travail de vinification soit vraiment commencé.

Quant aux rendements, ils semblent être proches de ceux de l’an dernier, mais là encore, il est encore trop tôt pour le confirmer car pour le moment, nous n’avons vendangé que des jeunes vignes. Et cette année, ce sont surtout les vieilles parcelles de Merlot qui ont subi la coulure.

La « nouveauté » toute relative à Pontet-Canet, c’est l’utilisation des 3 chevaux pour le transport de la vendange.
L’an dernier, on en avait utilisé un seul, à titre expérimental et finalement l’expérience était concluante.
Chacun tracte 6 palettes de cagettes contre 10 pour un tracteur ; ce qui n’est pas ridicule.

Soyons clairs sur ce point, les chevaux au transport de la vendange n’ont rien à voir avec notre projet destiné à supprimer le compactage des vignes.
Mais, c’est une façon naturelle de continuer à les utiliser durant cette période calme pour eux. Ce sont des sportifs dont il faut entretenir la musculature au quotidien.

Devant renouveler une remorque à vendange très abimée, il semblait plus logique de privilégier la traction animale sachant que c’est la voie dans laquelle nous nous dirigeons pour le futur.
Nous avons donc remplacé notre remorque usagée de 10 palettes contre deux remorques à chevaux de 6 palettes.

Il faut aussi reconnaitre que le transport de la vendange à l’aide des chevaux, donne une toute autre dimension à la chose.
L’ambiance dans l’équipe paraît être plus sereine.
Il semble que le rythme général de la récolte soit donné par le pas du cheval, c'est-à-dire calmement mais sûrement.

Et qu’est ce que c’est beau ce cheval attelé à sa remorque de cagettes !

img821.imageshack.us...

Dans les chais, on reçoit un peu tous les jours les barriques neuves qui vont être préparées en vue du remplissage futur.
Depuis des années, je me bats pour faire diminuer les emballages qui les protègent durant le transport. La barrique est devenue tellement chère que les clients ne souhaitent pas le moindre défaut à l’arrivée. Aussi, les tonneliers les surprotègent.

J’ai pensé il y a longtemps, qu’il fallait arrêter cette dérive stupide et que les films plastiques n’avaient pas lieu d’être. Les cartons sur les bouts peuvent au moins partiellement être réutilisés car généralement, un sur deux n’a jamais touché le sol !
Le bon emballage reste celui qui n’a pas été produit et pas celui qui a été recyclé !

Heureusement, les choses s’améliorent un peu. On commence même à parler de chaussettes géantes et réutilisables à l’infini. Mais je n’en ai pas encore vu.

Le respect de l’environnement reste souvent un vœu pieu ou une opération de communication et plus rarement une réalité vraie !

Les vendanges à demi-vitesse permettent de pouvoir commencer les labours d’hiver dès maintenant dans les parcelles déjà vendangées et qui ne nécessitent pas de fumure. On prend un peu d’avance…

Justement, la fumure sera une priorité immédiatement après les vendanges.
Je commence à y réfléchir en fonction du comportement général de chaque parcelle durant le millésime. Dans notre viticulture de l’émotion, le rendement n’est qu’un des éléments de décision. C’est le ressenti global dans la parcelle qui me guide.

Une façon d’entrer doucement dans le millésime 2011.

Jean-Michel Comme
04 Oct 2010 14:24 #30

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