jeudi 16 octobre 2008
Nous finissons aujourd'hui les vendanges 2008.
C'est ma 20ème à Pontet-Canet.
C'est là qu'on mesure le temps qui s'est écoulé et les choses qui ont été réalisées.
Tout a changé ou presque. A l'époque, j'étais un jeune adulte de 24 ans, encore célibataire. Maintenant, je suis le père de 2 enfants dont l'un est majeur et en études supérieures!
Le Domaine est toujours là, mais il ne se ressemble plus vraiment. Il était dans le "peloton de queue" des crus de la région; il est maintenant beaucoup plus en vue, même s'il reste beaucoup à faire.
Je ne vais pas vous refaire le coup de vous expliquer ma vision de la viticulture car la "carte blanche à" qui m'a été dédiée en donne les contours.
Je souhaite seulement faire part de mes états d'âme à ce stade de ma vie professionnelle.
Il y a 20 ans, en commençant dans cette belle propriété, j'avais des rêves pour elle.
Je rêvais qu'elle puisse devenir un modèle pour son vin, sa gestion et pour les gens qui y travaillent.
On en était très loin avec un vignoble "souffrant" et du matériel dépassé, en quantité insuffisante.
Nous nous sommes retroussés les manches et avons affronté les difficultés les unes après les autres.
Dans les années 95-96, nous avons aussi supprimé le travail à la tâche pour une meilleure qualité des soins apportés à la vigne et pour avoir des conditions sociales dignes de la fin du 20ème siècle.
J'ai à peu près réalisé tous mes rêves en presque 2 décennies.
Maintenant, je réalise des "extra-rêves", c'est-à-dire que nous avons mis en place avec Alfred Tesseron des choses dont je n'avais même pas rêvé. Je veux parler par exemple de la biodynamie sur l'ensemble du domaine ou même du retour du cheval de trait. Il y a aussi de nombreux autres détails moins "visibles" et qui me donnent une grande satisfaction au quotidien.
Mais il reste encore beaucoup de choses à faire. J'ai pris l'habitude de dire que l'essentiel est encore devant nous.
Même si j'ai le meilleur patron que l'on puisse désirer, la pression constante que génère la vie en bio sur un tel domaine est très forte. C'est peut-être tout simplement moi-meme qui me donne cette pression.
Je ne pourrais plus travailler différemment et j'y trouve beaucoup de satisfaction voire même de sérénité, mais il faut reconnaître que c'est difficile à supporter tant les détails à régler sont nombreux pour espérer obtenir les résultats souhaités.
Corinne en a parlé sur son blog il y a quelques semaines; nous sommes de plus en plus sollicités pour expliquer comment se passe notre vie en bio-biodynamie.
Localement,lorsque mes homologues d'autres grands domaines viennent me poser des questions, je suis un peu surpris qu'ils n'arrivent que maintenant, après 5 ans de bio chez nous, mais surtout après le traumatisme de 2007.
Maintenant, mon analyse des choses est très simple : si le propriétaire est capable d'intégrer l'idée qu'il peut perdre toute ou partie de sa récolte et si le responsable est lui, capable de remettre son poste en jeu en cas de problème, alors le passage en bio n'est plus qu'une formalité. Les problèmes de matériels et autres programmes de traitements ne sont que des détails.
Voilà résumées en quelques lignes, 20 ans de vie pour Pontet-Canet. J'espère que le lecteur ne va pas s'être endormi en lisant au point de casser le clavier de l'ordinateur avec le front. J'ai peur des dommages et intérêts à payer...
Plus sérieusement, j'avais envie de vous faire part de mes états d'âme alors que les dernières grappes viennent d'être coupées pendant que j'écrivais ce texte.
mardi 21 octobre 2008
Nous sommes déjà dans le millésime 2009.
Nous sommes aujourd'hui dans notre deuxième journée de travail post-vendange (si on ne compte pas le week-end travaillé pour 10 personnes dans le chai + moi bien-sûr).
Il y a beaucoup de choses à nettoyer et ranger. Mais déjà, nous sommes de nouveau tournés vers le vignoble. La montée en puissance du travail y est exponentielle.
Pas de pause pour souffler peu.
Pour moi, c'est un moment délicat car je dois rester complètement concentré dans les vinifications dont les premières cuves viennent tout juste de finir de fermenter.
Mais, dans les vignes, il y a tous les travaux d'automne qui commencent. C'est la tombée des fils, les épandages de fumier biodynamique composté, les labours (griffage puis chaussage) sur la totalité du domaine (bio oblige...), la réparation de quelques fils et piquets cassés,...
Le programme de fumure a été préparé pendant mes longues journées dans les chais. Pendant les vinifications, je transfère mon bureau dans les chais pour être en contact permanent avec les cuves.
Le fumier est chez nous depuis 1 an mais le programme, je l'ai élaboré dans ma tête pour chaque parcelle depuis des mois en l'améliorant un peu à chaque passage dans le vignoble et jusqu'à la vendange et au "résultat" de chaque parcelle dans les cuves.
Il faut trouver l'équilibre entre la fumure la plus adaptée et le "techniquement réalisable" sur le terrain. Ce n'est pas simple et on pousse un peu plus loin tous les ans la complexité des chantiers de fumure pour s'adapter à chaque micro-zone. Un jour, il faudra descendre au niveau du cep de vigne, mais c'est encore trop compliqué pour moi. Pourtant, depuis que l'on ne rogne plus la vigne, chaque cep devient encore plus qu'avant une individualité qu'il faut apprendre à gérer en tant que tel. Ce n'est pas simple.
Pour en revenir aux travaux, le vignoble ne doit pas accumuler de retard pour que la taille puisse débuter au moment opportun (dans un mois). N'ayant que des vignerons mensualisés, la vitesse de taille est relativement fixée. Fini le travail à la tache du matin de bonne heure, du soir tard ou week-end comme c'était le cas dans le passé ; ou même les vignerons qui courent dans les rangs pour en faire le plus possible au détriment de la qualité car ils sont payés au pied de vigne taillé.
Un jour de retard au début de la taille signifie un jour de retard à la fin de la taille au printemps et donc le début d'un retard pour le travail suivant. Et ainsi de suite...
Chez nous, cette année il y a en plus à construire les nouveaux matériels supplémentaires destinés aux chevaux. Les idées sont en tête depuis bien longtemps, mais il reste à mettre tout cela en forme avec notre mécanicien qui va ensuite construire seul. Puis, on discutera de chaque point précis ensemble au fur et à mesure de l'avancement du chantier.
Tout doit être prêt dans un mois, pour le début de la taille.
Les chevaux viennent de reprendre le chemin des vignes après quelques jours de repos pendant les vendanges. Mais il semble qu'ils aient perdu un peu de force en chemin. Ils rechignent à tirer les griffes après 2 heures de travail. D'habitude, ils travaillaient 3-4 heures sans s'arrêter. Il va donc falloir les remuscler et y penser pour la prochaine fois.
Voilà en quelques lignes la situation à Pontet-Canet. J'ai souhaité aligner ces quelques mots pour faire imaginer concrètement aux nombreux amateurs de vin, comment fonctionne au quotidien un grand domaine viticole comme le nôtre.
Le vin ne nait pas lorsqu'on remplit les cuves ni même lorsque la vigne commence à pousser. (Je m'excuse auprès de ceux qui penseront que je viens polluer leurs discussions d'amateurs jugeant des vins.)
Pour nous, le 2009 est presque déjà né. Si on peut risquer une comparaison facile, on peut dire que la gestation est déjà commencée. Elle doit durer presque un an.
Puis, dans quelques jours, c'est le fumier destiné à la récolte 2010 qui va arrivé pour y être composté lui-aussi un an, jusqu'à l'automne 2009.
Finalement, c'est un peu le millésime 2010 qui pointe son nez !
mardi 04 novembre 2008
Quelques nouvelles
Dans les chais, les écoulages se poursuivent dans la sérénité.
Par contre, dans les vignes c’est un peu plus compliqué. Nous avions commencé à épandre le compost biodynamique et à griffer les parcelles mais la pluie est arrivée. Cela fait une semaine qu’il pleut tous les jours et souvent toute la journée. On s’achemine vers 100 mm de pluie.
A cette saison, la moindre pluie met longtemps à se drainer. En été, 30 mm dans la journée ne sont plus qu’un souvenir 2 jours après. En novembre, c’est autre chose ! Sourtout lorsque les averses se succèdent les unes après les autres.
Bien-sûr, ici sur nos graves, on peut accéder aux parcelles tout le temps. Mais ce n’est pas parce qu’on peut le faire qu’il faut le faire. Les engins lourds comme l’enjambeur équipé de son épandeur à compost compactent les sols, mais en plus quand ils sont trempés comme actuellement on détruit plus qu’autre chose.
Pour les labours, c’est un peu la même chose. On peut labourer même quand c’est mouillé. Mais là, on pourra encore voir le résultat au printemps car la terre gardera les traces de cette agression.
Dans notre vision actuelle du travail, on tente de supprimer les actions qui sont incompatibles avec le « bon sens paysan ». Donc, depuis une semaine, les engins (et les chevaux) sont au repos. On attend des jours meilleurs pour faire le travail dans de bonnes conditions.
Pour moi, même si je suis persuadé de la justesse de ce qui est fait, c’est dur car je vois les jours passer et j’aperçois aussi très clairement le début de la taille. Je sais que l’on ne pourra pas arriver à être à jour selon mes prévisions et qu’il faudra s’organiser autrement.
Par mes études, je suis issu d’une toute autre façon de voir l’agriculture. Il faut donc que je me raisonne pour ne pas envoyer les tracteurs dans les rangs. Je sais que c’est une mauvaise chose. C’est d’autant plus dur quand tout autour de moi, à perte de vue, je vois des gyrophares d’enjambeurs dans les vignes…
Heureusement, le bon sens paysan me dit aussi qu’il arrivera bien un jour prochain où on pourra finir d’épandre le fumier et labourer les sols dans de bonnes conditions.
Donc, on attend !
jeudi 13 novembre 2008
Réflexions sur notre travail.
Hier, j’étais occupé à réfléchir avec Gilles, notre mécanicien à des modifications sur les engins de traction animale. Gilles est un homme brillant dans son métier. Il travaille avec nous depuis 18 ans. Ensemble, nous avons créé de nombreuses choses et sans lui Pontet-Canet n’en serait pas à son niveau actuel. Ses doigts sont en or. Ici dès qu'on a un problème, on fait SOS-Gilles !
Il me parlait de sa formation de mécanicien. Je lui alors dit que ce qu’il avait appris était sûrement très loin de son occupation du moment c'est-à-dire des brancards à chevaux. Il me l’a confirmé en me disant que pendant très longtemps, il rêvait de machines sophistiquées, d’automatismes, d’hydraulique,…
Je lui ai dit que pour moi, c’était la même chose. Pendant très longtemps, j’ai vu dans l’électronique une voie d’avenir pour notre viticulture. Le couple machinisme-automatismes devait révolutionner notre travail dans le bon sens du terme.
Depuis, nous avons fait ce virage à 180°. Nous en sommes rendus à calculer le montage d’engins tirés par des chevaux. Jamais nous n’aurions imaginé avoir un jour, de telles préoccupations.
Autrement dit, il ne faut jamais penser que la route est toute droite dans la vie.
La traction animale est un challenge difficile. Si on veut le faire avec conscience et honnêteté (comme nous pensons le faire), c’est un investissement humain lourd ; et financièrement aussi. Il n’y a jamais de grosses sommes dans l’addition finale, mais le nombre de lignes de cette addition finit par être conséquent.
Pour parler de l’avancée du projet, je pense que nous avons réglé environ 90% des problèmes. Maintenant, il faut s’occuper des détails (et ils sont nombreux). Si on y arrive, alors, on pourra dire qu’on a réussi. Mais ce moment là n’est pas encore arrivé ; même si les chevaux travaillent tous les jours avec une vraie impression de routine.
Quant aux traitements et autres travaux avec les chevaux, nous allons commencer la construction de la deuxième série d’engins. Il me tarde car j’ai les idées en tête depuis un an et demi et je voudrais bien voir de mes yeux les engins dans l'atelier puis au travail dans les vignes.
Donc là, il reste tout à faire ou presque. Toutes les pièces nécessaires sont là depuis des mois.
Il n’y a plus qu’à…
mercredi 19 novembre 2008
Journée morose.
Depuis des jours, Gilles notre mécanicien et moi réfléchissons à une modification dans notre traction animale pour être plus efficace à certains moments de l’année.
Pour ma part, j’ai des heures et des heures de réflexions, de calculs, de simulations dans ma tête sur le sujet.
Une première ébauche a été abandonnée car trop lourde. A partir de là, je pensais avoir trouvé « la » solution. Nouveaux calculs, nouvelles recherches.
Puis le prototype a été fabriqué.
Je pensais vraiment tenir le bon bout. J’étais très impatient d’atteler les chevaux. La fébrilité m’avait envahi.
Pendant l’attelage, j’ai eu tout de suite l’impression désagréable que le compte n’y était pas. Les chevaux, changés dans leurs habitudes devenaient aussi très inquiets donc agités.
J’ai donc demandé l’arrêt de l’essai et le dételage « express » des animaux.
C’est une grosse déception qui m’a suivi toute la journée.
Ainsi va la vie, parfois tout fonctionne, parfois rien ne marche. Il faut recommencer à zéro.
Et dire que certains pensent aller la fleur au fusil vers la traction au cheval. Quelle naïveté !
Il y a sans cesse de nouveaux détails à régler. Aucun n’est vraiment important, mais on ne peut rien laisser de côté.
Par rapport aux tracteurs, il y a le facteur "psy" des chevaux à ajouter dans la balance.
Pour nous, c'est un nouveau référenciel auquel il faut penser en permanence. Il y a aussi le confort de animaux, leur sécurité,...
Parmi les lecteurs qui aiment sentir la vie d’un domaine viticole, certains auront peut-être, comme moi, un peu le blues ce soir.
Malgré tout, il y a bien plus grave sur terre.
mercredi 10 décembre 2008
Dans ma volonté d’expliquer au cas par cas, la vie d’un domaine comme Pontet-Canet, j’ai pensé à faire une photo d’un « détail remarquable » (selon moi).
Certes, il ne s’agit pas de révolutionner la connaissance que l’on a du domaine (qui existe depuis 3 siècles).
Malheureusement pour les philosophes de la vigne et du terroir, il ne suffit pas de faire de grandes tirades sur le terroir d’un cru pour le connaître.
La réalité est beaucoup plus basique que cela ; terre à terre si je peux se risquer à un jeu de mot facile. La connaissance du terroir s’améliore petit à petit, au fur et à mesure de la découverte de nouveaux détails.
C’est un travail constant et quotidien qui ne peut se faire qu’en étant dehors dans les vignes.
Le « détail » dont je vous parle aujourd’hui pour illustrer mon propos est une petite résurgence d’eau sur le bord d’une parcelle. Je ne l’avais jamais vu avant ; peut-être que la semaine prochaine, elle n’y sera plus.
En voyant de l’eau à cet endroit, j’ai compris un peu mieux la parcelle en question.
Je ne dis pas que cela va complètement modifier l’idée que je m’en fais ; mais, j’ai l’impression d’avoir un peu progressé. J’ai fait un pas en direction du sommet, mais je n’en suis qu’aux premières pentes. L’essentiel de la connaissance reste encore à acquérir. Certes, on connait des choses, mais le subtil reste encore à apprendre.
Et il ne s’agit dans mon exemple que d’un petit « plus » pour une seule parcelle parmi presque 100 parcelles culturales que nous avons. Chaque parcelle recèle de nombreuses « finesses » différentes. Parfois, particulièrement dans le cas de grandes parcelles, on peut distinguer plusieurs « sous-unités » qui n’ont que peu de lien l’une avec l’autre mis à part d’être regroupées sous un même numéro de parcelle.
Donc, la connaissance d’un terroir est une sorte de puzzle à plusieurs milliers de pièces et dont certaines ne « sortent » vers nous que par intermittence. Il faut donc être là au bon moment, prendre le morceau de connaissance et tenter de l’assembler avec autre chose et aussi « comparer » ou mettre en perspective avec la dégustation du vin de l’endroit.
Parfois, un simple coup d'oeil ou une sentation resteront "stockés" quelque part entre deux neurones. Puis, avec un autre détail, plus tard, on arrivera à construire un petit morceaux du puzzle.
On n’en finit jamais mais selon moi, il n’y a pas d’autre solution.
Et pour cela, il faut avant tout aimer la vigne. Sans amour, point de vrais Grands Vins. (à méditer)
lundi 22 décembre 2008
Les fermentations malolactiques viennent de se terminer. Pendant quelques jours, j’ai douté de les voir finies avant Noël.
En général, c’est le cas ; c'est-à-dire qu’elles finissent début décembre. Cette année, les vendanges étaient en retard, les vinifications aussi, donc il était logique de terminer les malos tard.
Il n’y a qu’en 2002, où un lot de vin n’avait pas terminé sa malo au moment des congés de fin d’année. Avec le recul, ce n’était pas la faute du vin mais une erreur de jeunesse de ma part dans la gestion du remplissage des cuves par gravité au moment des vendanges. Cette technique allonge fortement la durée de fermentation. Je ne le savais pas encore et je me débattais avec des fermentations poussives. Donc, un lot avait fini sa fermentation alcoolique très tard et donc, la malo avait elle-aussi été décalée dans le temps. Elle s’était faite en janvier.
Depuis, ce n’est plus arrivé. On a pris un peu plus de maîtrise sur les fermentations alcooliques « lentes » et les malos sont elles-aussi gérées avec sérieux ; dans la sérénité mais avec concentration.
La moitié de la récolte fait les malos en barriques neuves et l’autre moitié en cuves.
Le vin en cuve est maintenu à 20-22°C alors que pour les barriques, c’est tout le bâtiment qui est chauffé.
Grace à cela, les malos se font bien et naturellement.
Pour nous qui présentons nos vins en primeur au printemps, il est important d’avoir fini les malo assez tôt. En cas de retard, c’est le vin qui risque de ne pas être prêt pour le grand examen qui conditionnera en grande partie sa notoriété future.
On peut ne pas être d’accord avec le système de présentation précoce des vins, mais on n’a pas les moyens de repousser les choses. Donc, on fait pour le mieux en se disant comme tout le monde que c’est trop tôt.
Un vin « pas prêt » se dégustera mal, voire même sera gazeux.
Si les malo devaient se poursuivre pendant les vacances de Noël, il faudrait donc continuer à chauffer les vins et laisser une surveillance en place.
Heureusement, cela n’arrivera pas cette année. Le chauffage des locaux vient d’être coupé et on va ouvrir les fenêtres pour laisser le froid entrer dans les chais et exercer son action bien faisante et clarifiante sur le vin.
Actuellement, de plus en plus de malos sont enclenchées par des « levains » bactériens du commerce. Dans peu d’années, on n’aura pratiquement plus de malos spontanées comme les nôtres. La situation sera alors semblable à celle des levures actuellement.
Certains mélangent aussi levures et bactéries juste après les vendanges, sur le moût. Il me semble que l’on appelle cela de la « co-inoculation ». Il y a aussi des levures « intelligentes » et sélectionnées qui « mangent » l’acide malique à la place des bactéries. On n’arrête pas le progrès ! On n’arrête pas non-plus de repousser les limites de la peur que l’on cultive habilement chez les vinificateurs… Je ne suis pas un spécialiste de toutes ces choses et j'ai du mal à en parler avec pertinence.
Donc, à partir de la mi-janvier, nes vins clarifiés seront soutirés, assemblés et de nouveau laissés au repos au moins un mois avant les premières présentations en primeur.
Le vin, c’est de la poésie mais c’est aussi et surtout au quotidien, un métier avec ses contraintes et ses impératifs…
lundi 05 janvier 2009
Parmi les travaux de l’année, il y en a un qui a une importance majeure pour la vigne, sa production et son avenir. C’est la taille.
Mon but n’est pas ici d’expliquer ce qu’est la taille et à quoi elle sert. Si certains ont besoin de ces précisions, on peut néanmoins en reparler.
Je souhaite expliquer comme souvent, comment elle est organisée chez nous, concrètement.
Historiquement, la taille était réalisée par des vignerons payés au « prix-fait », c'est-à-dire à la tache. Tous les travaux de l’année étaient organisés avec ce mode de rémunération.
Je n’ai jamais aimé travailler comme cela. Certes les gens gagnent très bien leur vie pendant les périodes où ils sont au prix-fait, mais c’est au prix de journées souvent très longues et de cadences très « soutenues ».
C’est un système souple car les gens ne sont payés que lorsqu’ils travaillent et uniquement en fonction de la quantité de travail effectué. Donc, la surveillance du personnel est beaucoup plus simple quand les ouvriers sont à la tache. C’est pour cela que beaucoup de responsables de vignoble aiment le prix-fait ; leur travail est très allégé.
Par contre, on ne peut pas espérer obtenir une grande qualité de travail car les gens n’ont aucun intérêt à soigner leurs gestes, seule la quantité compte. De plus, le travail à la tache peut faire penser à un système d’un autre âge.
Ceux qui se gargarisent aujourd’hui du mot « social » devraient avant tout supprimer de leur quotidien les systèmes de rémunération basée sur la productivité.
Donc, après quelques années de cette organisation, j’ai souhaité faire évoluer Pontet-Canet vers des conditions plus modernes et capables de nous faire exiger des vignerons la qualité de travail souhaitée, quelque soit le temps nécessaire pour y parvenir.
Dans le milieu des années 90, Pontet-Canet (et Lafon-Rochet dont je m’occupais à l’époque) ont modifié leur système de travail pour ne plus avoir que des vignerons et vigneronnes mensualisés. A l’époque, rares étaient les grands domaines (moins de 5 en Médoc) ayant leur personnel totalement mensualisé. Depuis, la situation n’a pas vraiment évolué ; la plupart des domaines paient encore leurs vignerons à la tache.
Pour permettre de proposer des salaires mensualisés cohérents par rapport au système à la tache, il a fallu repenser tous les travaux pour les rendre économiquement et techniquement compatibles avant la réalité du terrain.
Il a fallu plusieurs années pour rôder le système. Maintenant, on peut dire que l’on est arrivé à un rythme de croisière depuis quelques années.
Travailler avec des salariés mensualisés nécessite d’avoir des relations proches avec eux. Je préfère des relations basées sur une présence permanente proche de l’accompagnement plutôt que des relations hiérarchiques strictes et des sanctions. Si le geste d’un vigneron nécessite d’être rectifié, je lui dit, tout simplement lors d’un de mes tours du vignoble une à deux fois par jour.
Je regarde avec circonspection et amusement les exemples de domaines qui notent le travail de vignerons grâce à des fiches d’évaluation consignée dans un ordinateur et qui font ensuite l’objet de « communication » de résultats à l’intéressé. On est entré dans l’ère des « qualiticiens ». Je pense être d’une époque révolue, celle du bon sens tout simple.
Je ne parle même pas du fait qu’il est impossible de juger correctement une taille lorsque les sarments ne sont plus présents sur le pied. Mais ce « détail » ne gêne pas les qualiticiens…
Il faut dire que la plupart de ces gens, n’ont jamais passé une journée avec un sécateur dans la main, et même bien souvent, n’ont jamais taillé un pied de vigne en conditions réelles. Fin de la parenthèse…
Pour éviter de prendre du retard sur les autres travaux au printemps suivant, le planning de taille est fixé pour la saison qui va de la mi-novembre à la mi-février. Chaque vigneron sait parcelle par parcelle combien de jours de travail sont nécessaires.
Tous les 10 jours (un vendredi soir après la débauche), je fais un point précis, personne par personne de l’avancement des chantiers. Chaque vigneron sait alors comment il se situe par rapport au rythme prévu.
Les tailleurs ont appris à travailler avec cet élément que je leur communique.
En cas de retard, il n’y a pas de sanction. Si la vitesse de travail est plus rapide que le rythme prévu, il n’y a pas de bonus.
Pour chaque parcelle, le travail à effectuer est spécifique. Parfois on gagne du temps, parfois on en perd. Je sais quelles sont les parcelles « points noirs », les vignerons aussi. Mais l’essentiel est de faire le mieux possible à tout moment. Si c’est plus difficile, c’est normal de perdre du temps. Si c’est plus simple, c’est logique d’aller un peu plus vite.
Depuis plusieurs années, les sécateurs électriques ont été pratiquement généralisés.
On ne peut pas dire que la qualité de travail soit la même qu’avec un sécateur manuel mais la majorité des tailleurs n’est plus capable de travailler sans l’outil électrique.
Les vignerons taillent et brûlent les sarments au fur et à mesure dans une brouette brûleuse.
Ils brûlent aussi les souches mortes et porteuses de spores des champignons qui les ont tuées.
A l’heure des bilans « carbone », il est de bon ton de remettre en question ce système de travail simple et pratique.
Je ne sais pas comment nous travaillerons dans l’avenir mais je me refuse à créditer des systèmes de pensée qui, sous prétexte d’éviter de dégager quelques grammes de gaz carbonique nécessitent des consommations importantes de carburant pour récupérer les sarments ou les transporter sur un lieu de compostage.
Je regarde avec intérêt autour de moi, les différents systèmes en cours pour « gérer » les sarments. J’essaie de rester objectif en pesant le pour et le contre dans chaque cas.
Je n’ai jamais pensé que d’envoyer dans la vigne un tracteur qui consomme 15 à 20 litres de fioul par heure pour récolter un ou deux hectare de sarments par jour avait une grande logique écologique.
Peut-être que l’utilisation de chevaux de trait pourra amener quelques éléments de réponse à mes interrogations et surtout une attitude cohérente sur toute la ligne. Mais pour cela, il faudra au préalable avoir régler les millions de problèmes qui se présentent à nous pour utiliser les chevaux dans la vigne et donc justifier leur pérennité dans le vignoble.
Enfin, avant de conclure, je souhaitais quand même dire que la taille est effectuée par des personnes mais ceux-ci ne décident que peu de choses. C’est chaque pied de vigne qui donne au tailleur l’information nécessaire pour lui laisser un nombre de bourgeons.
De plus en plus, on entend des cas de domaines où le nombre de bourgeons par cep est déterminé manu-militari par le responsable ou le directeur. C’est une façon de penser à la petite semaine. Il n’y a aucune logique viticole à cela. Le tailleur doit être au service du cep et pas le contraire.
Donc, ce n’est pas à la taille que l’on décide de la quantité de raisins à venir. Si on laisse trop de bourgeons par rapport à la vigueur des ceps, les rameaux ne se développeront pas bien, ne donneront pas beaucoup de raisins et le cep va s’affaiblir.
Si on laisse trop peu de bourgeons, le cep va prendre de la vigueur et des bourgeons que l’on appelle en fait des « yeux », vont chacun donner plusieurs rameaux au lieu d’un seul. Tous porteront des raisins et on aura ainsi une grosse production.
C’est le b-a ba de la taille mais il est utile de le garder en mémoire.
Voilà comment on taille à Pontet-Canet. Beaucoup de choses pourraient être améliorées mais au moins, dans nos actes, on est en phase avec la volonté de faire bien le travail.
lundi 12 janvier 2009
La complantation
L’hiver, avec la taille il y a aussi le long et fastidieux chantier de complantation. Quand je dis complantation, je devrais dire préparation de la complantation, car à ce stade, on ne fait que préparer la terre à recevoir un nouveau plant de vigne au printemps prochain.
Pour ceux qui ne le sauraient pas la complantation c’est le remplacement de pieds manquants dans une parcelle existante.
Dans les vignobles, il y a une mortalité annuelle constante. En remplaçant les pieds manquants, on permet à la parcelle de rester en pleine production et donc aux vieux pieds de pouvoir continuer d’exister pour produire les grands vins. La mortalité annuelle varie en fonction de plusieurs critères. Tout d’abord, il y a l’âge de la parcelle. Plus la parcelle est âgée, plus le nombre de ceps qui meurent est important. C’est la même chose chez le gens. Plus la population est âgée, plus le taux de mortalité est élevé.
Il y a ensuite l’écartement entre les rangs. Plus l’espace entre les rangs est étroit, plus les risques « d’accidents » avec le matériel sont élevés.
Il y a aussi l’entretien du sol. Si le sol est labouré, les risques de « collision » sont plus importants que lorsqu’on pulvérise un désherbant chimique sous le rang sans s’en approcher.
Il ne faut pas oublier non plus les maladies du bois qui tuent bon nombre de ceps tous les ans. Là aussi, c’est un peu comme chez les gens, certains « s’arrêtent » avant les autres. Le but de ce petit texte n’est pas de refaire le monde mais simplement d’expliquer la réalité quotidienne d’un vignoble. Je peux seulement dire que lorsque dans son blog, Corinne (ma femme) affirmait que nous générons les maladies de la vigne, je ne peux qu’être d’accord avec elle.
Notre façon de faire est à la base de nombreux problèmes que nous subissons. Il faut se donner une ligne de conduite sur le long terme, voire même le très long terme. Mais c’est un autre sujet…
En général, on n’arrache totalement une parcelle que dans les cas extrêmes, c'est-à-dire quand le taux de remplacement annuel des pieds morts est objectivement trop important ou que la parcelle avait une « tare génétique », c'est-à-dire quelque chose qui n’allait pas et qui était rédhibitoire. Cela peut être un problème de végétal inapproprié au lieu, un problème d’eau insurmontable,…
Le cas le plus général est de remplacer les pieds morts chaque année dans chaque parcelle.
Le taux de mortalité est d’environ 1,5% par an pour un vignoble comme le nôtre. Mais après les années de sècheresse et notamment 2003, le taux de mortalité a beaucoup augmenté. Il n’y a donc pas que dans les maisons de retraite que la canicule s’est faite ressentir !
Pour cela, il faut préparer le trou au préalable. Cela veut dire qu’il faut faire un trou avec une tarière installée sur un tracteur. Le trou doit être fait suffisamment à l’avance pour que la terre ait le temps de se re-tasser avec la pluie avant la mise en place du jeune plant.
L’idéal est de le faire à l’automne si les conditions sont sèches. Malheureusement pour nous, nous n’avons pas le temps à ce moment là. D’une part, il y a les vendanges puis l’épandage de compost et enfin les labours. On ne peut pas vraiment commencer la campagne de tarière avant la mi-novembre.
En plus de la tarière, nous utilisons un ensemble d’équipements destinés à rendre le travail le plus efficace possible. Il y a principalement un bac (pour y mettre vieilles souches, racines,…) et un plateau de transport de piquets neufs et de compost, un bac d’alimentation en compost et des distributeurs de piquets. Le bac à compost et les distributeurs de piquets sont simplement destinés à fournir à la personne présente les fournitures avec la meilleure ergonomie et le moindre effort. Je n’ai jamais cherché à rendre les choses plus automatiques car la présence humaine reste indispensable. Aussi, pourquoi rendre les choses encore plus complexes alors qu’il y a une personne disponible pour le faire ?
J’avais conçu le matériel pendant mes premières années à Pontet-Canet. Nous n’avions pas encore de mécanicien sur place donc j’avais fourni mes plans au forgeron local. A l’époque, il y avait un nombre impressionnant de pieds manquants à remplacer. Les moyens étaient limités et je voulais que le travail puisse être fait avec la meilleure chance possible de reprise pour le plant tout en ayant une productivité très élevée.
C’est toujours comme ça, pour combler son retard par rapport aux autres, il faut être plus efficace qu’eux mais avec moins de moyens.
A cette époque, les tracteurs avaient un emploi du temps minuté tellement il y avait de trous à faire. Lorsque la pointe de la tarière devait être changée, je récupérais l’hélice en bout de rang. Puis, j’allais chez le forgeron qui installait une nouvelle pointe. Je revenais au Château et tout était remonté avant l’embauche suivante. Les vidanges étaient faites en dehors des 8 heures de travail effectif dans les vignes. Depuis, le rythme a bien changé et heureusement.
Le choix du compost avait lui-aussi fait l’objet de réflexions approfondies de ma part. Je voulais quelque chose de « stimulant » pour le plant sans pour autant prendre le risque de brûler les racines. J’avais donc fait fabriquer un mélange que je pensais être plus adapté à nos sols de graves maigres et très chargées en cuivre par 100 ans de bouillie bordelaise sans raisonnement.
Mon mélange était-il meilleur ou pas ? Je ne le sais pas mais le supplément de coût était suffisamment faible pour ne pas avoir d’état d’âme.
Depuis, le mélange utilisé a changé mais c’est toujours une fabrication spéciale faite à ma demande.
Un jour, j’espère pouvoir employer le compost biodynamique à base de fumier de ferme, additionné de préparats biodynamique et que nous utilisons en fumure sur le vignoble. Mais pour le moment, je n’ai pas le temps de me pencher sur ce « détail ».
Donc pour le moment, nous utilisons un produit du commerce homologué « bio ». Il est fourni en sacs plastiques. J’ai quelques difficultés avec ces emballages car ils ne sont pas trop dans l’esprit qui est le nôtre. Pour le moment, les sacs finissent en déchetterie. Une filière de valorisation est prévue à l’instar de celle des emballages phytosanitaires.
Je n’arrive cependant pas à me faire au mot « recyclable » lorsque je sais que cela veut dire que les emballages sont brûlés pour faire de l’énergie. Pour moi, recycler c’est être re-utilisé pour autre chose, par exemple un sac d’engrais tout neuf. Je ne suis pas né sur la bonne planète, celle du paraitre, du superficiel et du bla-bla comme le disait Corinne, toujours sur son blog.
Pour en revenir à la complantation, la tarière est placée à la place de la souche disparue. On l’enfonce dans le sol pour faire un cratère. Les racines sont alors enlevées manuellement par une personne. On ne peut pas se passer de ce geste de récupération du maximum de racines ; donc il faut un salarié à cet endroit.
Puis la tarière fouille en profondeur pour décompacter le sous-sol. Mais elle ne doit pas remonter de terre des couches profondes. Elle doit donc remonter en marche arrière. Ce mouvement arrière permet aussi d’homogénéiser le compost qui a été jeté dans le trou.
Puis la personne bouche le trou pour éviter que de l’eau de pluie s’y engouffre au prochain orage. L’idéal est de laisser un petit monticule à l’endroit fouillé. La terre va se tasser lentement en fonction de la pluie.
Avant de partir, il faut placer un marquant, c'est-à-dire le petit piquet support. Depuis quelques années, nous plaçons aussi un deuxième marquant de moindre qualité. Il sera mis en protection du plant face aux charrues, pendant les premières années.
Ce n’est pas obligatoire de poser les marquants à ce stade, mais si on pose 10000 marquants de chaque type (sans retarder pour autant le chantier), cela fait toujours un travail de moins pour les vignerons au printemps.
Comme souvent, les conditions climatiques modifient notre programme de travail.
Pour certaines parcelles de merlot sur argilo-calcaire, il n’est pas question d’aller faire les trous n’importe quand. Il faut avant tout ne pas dégrader le sol. Certes, maintenant avec les gros engins puissants on peut pratiquement aller n’importe où, n’importe quand. Mais faut-il pour autant le faire ? Quand je regarde parfois aux alentours, j’ai l’impression que oui. Ce n’est plus ma façon de voir les choses.
Travailler le sol en hiver n’est jamais une chose facile ni sans conséquence. Heureusement, nos sols de graves sont assez conciliants mais il faut être prudent néanmoins.
Souvent, je dis que comme tout organisme vivant, le cep de vigne n’oublie rien (le corps humain non plus d’ailleurs).
Mais le sol non plus n’oublie pas les agressions qu’il peut subir de notre part.
Donc, si les conditions sont incompatibles avec le respect du sol, on change de parcelle, ou on arrête tout simplement le chantier.
Ce fût le cas la semaine dernière lorsque les sols étaient gelés. On risquait de casser le matériel en plus de faire du mal au sol.
Très souvent dans l’hiver, les sols sont humides même s’ils permettent le travail des tracteurs.
C’est une forme de dégradation des sols, sournoise mais réelle à mes yeux. Et maintenant, je ne regarde jamais les tracteurs avec leurs tarières dans les vignes sans avoir un sentiment de malaise. L’effet du compactage est d’autant plus fort que les sols sont humides et les tracteurs lourds.
Notre façon de faire devra évoluer vers plus de respect des sols. Nous envisageons de faire ce travail avec les chevaux pour ne plus avoir le tracteur dans ces conditions.
Mais, comme toujours, nous avons pris du retard dans notre programme de construction de matériel. Toutes les pièces nécessaires sont dans l’atelier depuis des mois, mais le temps manque. Pourtant, il y a urgence de fouiller d’autres voies.
Voilà donc comment nous préparons la vie des nouveaux plants de vigne. C’est fastidieux mais nécessaire.
Qui a dit qu’il n’y avait rien à faire dans la vigne en hiver ?
vendredi 16 janvier 2009
Cela fait 20 ans aujourd'hui que je suis arrivé à Pontet-Canet. A l'époque, je ne savais pas que cela se transformerait en histoire d'amour avec ce domaine.
J'étais jeune et il y avait beaucoup à faire. On en a fait pas mal, mais il reste encore beaucoup de chantiers devant nous, même si on est passé du stade "gros-oeuvre" à quelque chose de beaucoup plus délicat, sensible et subtil. Je ne dis pas "finitions" pour ne pas faire penser qu'on est proche de la fin du chantier!
Au début, j'avais des rêves pour cette propriété. Je souhaitais qu'elle devienne un modèle, à la fois pour la qualité des vins, les bâtiments mais aussi pour le personnel qui y travaille. A l'époque, c'était sûrement un peu irréaliste de penser à cela tant les choses à faire étaient nombreuses, graves et urgentes.
Progressivement, tous les rêves ont été réalisés. Le vin a gagné en réputation. Le personnel ne travaille plus à la tâche et bénéficie de salaires très honorables pour la région. Les conditions de travail y sont bonnes mais dans le sérieux et l'application. Des bâtiments neufs ont été construits pour le matériel de vigne et le stockage des bouteilles. Les vieux bâtiments sont remis en valeur par des tailleurs de pierre de métier qui font partie de notre effectif et qui permettent d'aller au plus loin dans le respect du détail et la préservation de l'âme de ces vieilles pierres.
Depuis quelques années, je suis dans des "extra-rêves", c'est à dire des choses que je n'avais même pas imaginé comme la biodynamie sur la totalité de la surface, la présence des chevaux,,... Je peux aussi ajouter la possibilité de pouvoir mettre en pratique cette viticulture épurée qui m'est si chère et qui nous conduit à nous effacer derrière l'expression la plus pure du terroir.
Vous l'avez vu, mes rêves ne sont pas exceptionnels. Il ne s'agit pas pour moi de devenir propriétaire de cru classé. Je n'en ai pas les moyens et ne les aurai jamais. Non, mes rêves, ou mes extra-rêves, concernent l'amélioration des vins de Pontet-Canet et la mise en valeur du domaine au sens large.
Comme dans tous les moments importants de ma vie depuis 11 ans, je regrette de ne pas pouvoir aussi les partager avec ma maman qui aurait été fière elle-aussi du travail de son fils.
Peut-être qu'elle me regarde. Qui sait?
Je ne me souhaite pas un bon anniversaire car je suis né en mai. Je reprends simplement l'expression de Corinne dans son blog qui souhaite un bon anniversaire au trio Pontet-Canet, Alfred Tessseron et Jean-Michel COMME.
Il est sûr que ce trio là, il est né il y a 20 ans aujourd'hui !
jeudi 29 janvier 2009
Durée d’un pied de vigne
Très souvent, lors de visites du domaine, on me pose la question de la durée de vie d’un pied de vigne.
A cette question (comme à bien d’autres), je ne sais pas répondre simplement car rien n’est simple dans la vie.
Si on veut éluder la question en quelques mots, on peut dire qu’il dure en moyenne 40 ans. Mais on est loin de la réalité qui est beaucoup plus nuancée.
On peut résumer la vie d’un cep en la comparant à celle d’un homme.
Jusqu’à 20-25 ans, un homme cherche sa voie. Il est plein d’ardeur mais désordonné. Le pied de vigne lui, produit beaucoup mais pas de grande qualité.
Ensuite, l’homme devient plus calme et plus réfléchi. Il gagne en expérience tout en étant encore plein de vigueur.
En vieillissant, le pied de vigne calme sa production et propose un vin de plus en plus dense et complexe.
Chez l’homme, il y a un âge mûr pour lequel il est encore en pleine puissance physique tout en ayant acquis de l’expérience. On peut l’estimer à 30-40 ans ; même si depuis quelques temps, on peut reculer ce stade de quelques années ; ce qui n’est pas pour me déplaire...
J’ai l’impression qu’à 30-40 ans, la vigne est au mieux de ses possibilités. Elle produit un vin concentré, mais il y a encore peu de mortalité dans la parcelle. C'est-à-dire que la majorité des pieds qui la compose a l’âge de la parcelle elle-même.
En vieillissant encore plus, l’expérience de l’homme devient de plus en plus importante mais ses performances physiques diminuent inexorablement. A la fin, il ne reste que la sagesse de l’homme car ses forces l’ont quitté.
Pour la vigne, c’est pareil. Plus les ceps vieillissent, moins ils produisent mais meilleure est la qualité du vin produit.
A ce stade, il faut avoir un vin suffisamment cher (ou suffisamment de passion) pour continuer d’entretenir des ceps qui ne produisent que très peu, mais d’une récolte de grande qualité.
Donc, potentiellement, une vigne peut devenir très vieille.
Elle peut être comme Jeanne Calmant qui a vécu jusqu’à 122 ans. Mais elle peut aussi « s’arrêter » plus tôt, voire beaucoup plus tôt dans certains cas, malheureusement. Comme l’homme, elle peut subir des accidents de la vie, des maladies ou tout simplement la vieillesse car tous les humains ne deviennent pas aussi vieux que Jeanne Calmant. Beaucoup nous quittent paisiblement et « naturellement » bien avant d’être centenaires.
Même actuellement pour connaître le potentiel de vieillissement de la vigne, on est encore tributaire des attaques de phylloxéra qui ont décimé les vignobles à la fin du 19ème siècle. Il est donc difficile de trouver des ceps très âgés.
Je suis un peu amusé de voir très souvent des viticulteurs disant qu’ils possèdent des plants francs de pied, c'est-à-dire datant de l’époque pré-phylloxérique. J’en arrive même à me demander si l’attaque du phylloxéra a vraiment existé car bientôt, tout le monde ou presque déclarera avoir de telles parcelles centenaires.
Ce n’est pas le cas à Pontet-Canet, ni au Champ des Treilles.
Quand on est dans les vignes, il arrive régulièrement de trouver des galles phylloxériques, donnant quand même l’indication que le terrible ravageur est encore là.
Cela veut aussi dire en passant, que les plantations « modernes » sans porte-greffe sont vouées à l’échec en peu d’années, sauf conditions très particulières.
Même s’il n’y a aucune règle, on peut supposer qu’une bonne hygiène de vie, une alimentation saine et équilibrée ainsi qu’une activité régulière sont des critères positifs pour une bonne longévité. Pour la vigne, c’est la même chose. Les vigueurs excessives et les pesticides ne doivent pas permettre de durer très longtemps. Mais le débat est ouvert…
Finalement, la vigne et l’homme ne sont pas très différents. Leurs sorts sont liés depuis des milliers d’années. Comme dans les vieux couples, vigne et homme ont fini par se ressembler.
Comme je le dis souvent, dans mon cas et celui de Corinne, on ne fait plus qu’un avec la vigne. On soufre pour elle, on en parle comme d’un membre de la famille et on suppose qu’elle ressent et partage nos maux et nos peines.
Comme c'est le cas pour notre corps, la vigne n'oublie aucun des traumatismes qu'on lui fait subir; et dieu sait qu'on ne la ménage pas, particulièrement dans cette vision "moderne" de la viticulture !
vendredi 06 février 2009
Bientôt, la taille va être terminée. Une de plus. On est entré dans la ligne droite avant le printemps. Le temps s’accélère encore plus qu’avant ; et il n’y avait pas besoin de ça car il allait déjà suffisamment vite…
Encore deux à trois semaines et il n’y aura plus trace de l’ancienne saison dans les vignes.
Historiquement (et logiquement), la taille d’une parcelle est suivie de la réparation de son palissage. Ainsi, le pliage et l’acanage interviennent alors que les piquets usés ou manquants ont été changés.
On reviendra plus tard sur les termes pliage et acanage (travail consistant à attacher la souche).
Lorsque le personnel a été mensualisé il y a pratiquement 15 ans et que le travail à la tâche a été supprimé, j’ai pensé changer cette façon de faire pour l’adapter à une autre logique.
Pour moi, le travail à la tâche à de nombreux inconvénients qualitatifs. Mais il a aussi un avantage qui est une certaine flexibilité du travail. Et pour l’organisation des chantiers de taille, un vigneron qui a perdu du temps (pour maladie par exemple), peut travailler avant ou après les heures de travail officielles ou le week-end pour compenser son retard.
Avec des gens mensualisés, il est beaucoup plus difficile, voire impossible de faire rattraper un retard pris. Aussi, j’ai privilégié la taille à la réparation du palissage.
Ainsi, un vigneron taille d’abord ses parcelles et ensuite il en répare le palissage.
Les vigneronnes interviennent dans la parcelle pour le pliage quand elles le souhaitent, indépendamment du vigneron.
La « perte » en termes de qualité de travail de cette organisation contre-nature est toute relative car il n’y a pas des milliers de piquets à changer dans une parcelle.
Et les vigneronnes repassent aussi dans toutes les parcelles plus tard en mars-avril pour attacher les jeunes plants qui viennent d’être mis en terre. Elles en profitent donc pour attacher tout cep oublié.
En opérant ainsi, on gagne en sécurité car le vigneron se focalise sur la taille. Quand celle-ci est finie, on sait exactement combien il nous reste de temps pour réparer le palissage avant le début du travail suivant (qui est en général la complantation).
On ne peut pas faire sans tailler la vigne ; par contre, on peut très bien rester un an avec un palissage réparé très sommairement ou moins parfaitement qu’il le faudrait. Si un vigneron devient trop en retard pour une cause ou une autre, on a peu de chance de mettre ces parcelles en danger de non-taille lors du débourrement de la vigne.
Pour ne pas prendre de retard pour la suite, il faut que la taille et la réparation du palissage soient achevées au 15 mars.
Donc, en fonction du nombre de jours disponibles, on répare plus ou moins le palissage. Il y a les piquets usagés à changer, les fils à réparer, les piquets de bouts à aligner,…
C’est un vrai travail qu’il faut aussi soigner. On peut aller plus ou moins vite en fonction du niveau de précision que l’on se fixe.
Pour nous qui labourons intégralement les vignes, les piquets (=grands piquets + marquants) sont beaucoup plus sollicités pour protéger les souches lors du passage des charrues.
On en change sûrement plus que ceux qui désherbent chimiquement.
Pendant longtemps, chaque vigneron changeait les piquets seul dans sa parcelle. Quand ils étaient à la tâche, ils avaient tendance à en mettre moins que nécessaire pour aller vite. Je devais donc passer derrière eux et vérifier par moi-même si tout était fait correctement, et parfois faire repasser.
Avec les vignerons mensualisés, il n’y a plus cette tentation du travail fait à moitié. Au contraire, ils se sont mis à faire les choses dans la plus pure logique. Ils travaillent à deux. L’un d’eux place le piquet alors que l’autre regarde le travers du rang pour s’assurer que le piquet est à sa place. C’est la même chose pour les enfoncer : il faut avoir l’œil d’une personne un peu éloignée pour savoir quand il faut arrêter de taper au marteau.
Les deux travaillent mais il n’y en a qu’un à la fois qui manipule les piquets ou le marteau.
C’est plus long, mais sur le long terme, les ceps restent parfaitement alignés dans les deux sens et sont tous enfoncés à la même profondeur.
Le gain qualitatif n’est pas énorme, mais sur le rang, chaque pied à le même espace à sa droite et à sa gauche pour développer ses rameaux. Et en plus, c’est plus esthétique.
Surtout quand on pense que la parcelle doit rester en place au moins 50 ans !
Corinne et moi travaillons séparément à la maison (champ des treilles), je sais que même en s’appliquant, ce n’est jamais parfait, loin de là…
Je ne prends que des piquets en acacia fendu. C’est très difficile à trouver dans les dimensions d’une vigne à 1m.
Le marché des piquets sciés est beaucoup plus important. Mais moi, je suis un paysan et j’ai dans mes gênes quelque chose qui me dit que quand on ne respecte pas le fil du bois, le piquet dure moins longtemps (et peut aussi se déformer).
Lorsque je suis arrivé à Pontet-Canet, il y a 20 ans, il n’y avait plus que des piquets sciés. J’ai pu trouver un approvisionnement de l’Ariège. Mais il s’agissait de petits faiseurs qui ne pouvaient pas assurer une régularité de production. On a donc cédé aux sirènes des piquets en pin injecté. Ils avaient l’avantage d’être produits de façon industrielle donc disponibles à tout moment en en grande quantité.
Malheureusement, mon aversion naissance vis-à-vis des produits chimiques m’a très vite amené à revenir à l’acacia fendu.
Entre temps, le marché des pays de l’Est s’est ouvert et en France, on est devenu trop fort ou trop intelligent pour produire nos propres piquets.
Ils arrivent de Roumanie, Hongrie,…
On pourrait parler des jours entiers sur les difficultés à travailler avec ces gens là, même lorsqu’il y a un distributeur local entre nous.
Souhaitant toujours du fendu, je sais que je reste dans un marché de niche (un peu comme le bio en agriculture).
Mais je n’arrive pas à me faire à l’idée de prendre des jolis piquets minuscules, tout bien sciés dans des petits fagots de 25 mais qui ne durent que le temps de les planter. Certes, ils ne sont pas chers, mais comme il faut les changer souvent, on se demande où est l’économie (à moyen terme). Mais le moyen terme n’intéresse plus personne maintenant. On vit l’instant, pour la suite…
Dans la région, nous sommes quand même quelques uns (pas nombreux) à rechercher du piquet fendu d’assez gros diamètre.
Peut-être qu’un jour, on pourra retravailler avec du bois français. Qui sait ???
Voilà, c’est un peu long, mais vous en savez un peu plus sur notre façon de travailler.
Jean-Michel Comme