Boussole
Retour vers l’Ouest, après chaque phase "d’orientalisation", le même processus de désorientation. Oui, je suis à l’Ouest, complètement.
C’est d’ailleurs toujours un peu pareil : une fois que l’acculturation est revenue à son optimum, il faut refaire les bagages et quitter. Je mesure parfaitement que ce « déboussolement » que je vis à chaque retour, connaît son pendant à mon arrivée au Clos Veličane : réapprendre la simplicité, le calme, la paix, le silence, la bienveillance des voisins, leur respect a priori, ne pas être dans la méfiance, ne pas être sur le qui-vive en même temps qu’il faut laisser du temps au corps à redevenir paysan, aux mains, leur capacité à résister au froid, réapprendre cet autre rythme, moins trépident mais tout aussi urgent.
Pourtant, il y a bien une unité de l'urgence au travers de la crise sanitaire que nous vivons. Elle est aussi vive en Slovénie qu’elle l’est en France, avec les mêmes impacts sur les activités : pour preuve, ce retard dans les expéditions lié au fait que les étiquettes n’ont pas pu être livrées à temps car l’entreprise en charge de les produire a dû fermer temporairement.
Cela chamboule les plans, oblige à trouver des solutions : il y en a et les vins partiront quand même, avec juste un peu de retard.
Mais les vins eux restent bien dans leur terroir : j’aime bien cette idée de ce continuum, cet ancrage alors que je suis obligé de déserter : le vin, lui, reste fidèle ; j’ai même le sentiment qu’il progresse pour être toujours plus lié à ce lieu. Il progresse à chaque nouveau millésime, mais il progresse également en bouteille et s’affirme, affirme son identité, avec le temps. Les derniers témoignages postés sur LPV, sur des cuvées dégustées pendant les fêtes, me réjouissent et avancent sur la carte du sans faute. Ils donnent satisfaction, donnent du plaisir, donnent ce que l’on attend d’eux et parfois au-delà.
De ce point de vue, je suis très heureux de voir l’évolution du Riesling 2018 que le temps est en train de dompter, qui garde néanmoins une forte personnalité et qui, j’en suis certain, a encore bien des choses à montrer.
Tous les 2019 se dégustent bien aujourd’hui ; ce sera finalement le pinot gris 2019 qui aura mis le plus de temps à sortir de sa gangue.
Du temps, il en faudra aux 2020, mais ils sont les dignes successeurs et la nouvelle cuvée, finalement nommée « Riesling + » a encaissé la mise sans trop de heurts. Nous avons apporté un grand soin à cette mise en bouteilles pour éviter au maximum que le choc ne soit trop long et trop profond. Mais de toute façon, je sais maintenant que le vin a besoin du temps saisonnier et qu’il faut l’installation du printemps pour que le vin se livre tout à fait, d’autant plus que la cave du Clos est bien froide en ce moment. (Sans rentrer dans les détails ni les secrets, le dosage en sulfites s’est fait a minima et 10 jours avant la mise). En 2020, les cuvées classiques de riesling et de pinot gris auront des noms slovènes : renski rizling et sivi pinot. C’était bien la moindre des choses. Les étiquettes ont également changé sans perdre leur âme tout comme la forme des bouteilles qui est, elle aussi, très Europe Centrale.
2021 marquera à coup sûr un tournant pour le Clos Veličane : tout le riesling se situera au niveau de la cuvée Riesling +, sans doute même au-delà : les vins ont gagné en profondeur, en densité : je le dois au millésime exceptionnel, sans aucun doute, mais aussi à une taille plus sévère (très sévère) et à un contrôle rigoureux des rendements. La charge sur chaque pied n’excédant pas 800 / 900 grammes. Il est également fort probable qu’à l’avenir, la part du liquoreux de pinot gris soit plus importante. En 2021, Pozna Letina est un vin hors norme ; chacune de ses dégustations sur fût donne beaucoup d’émotion. La production a été confidentielle (il y a 100 litres en tout), mais élargir la production est certes un pari risqué, cependant compte tenu du potentiel que j’observe sur ce mode de production, cela vaut sans doute la peine d’aller plus loin. C’était de toute façon mon idée première : elle me faisait peur par manque d’expérience, mais je me rends compte que la réalisation de vendanges aussi tardives, comme je l’ai fait en 2019 ou en 2021 est une aventure exceptionnelle qui, par ailleurs, me fait renouer avec une passion des vins moelleux que j’avais un peu délaissée.
Le tour d’horizon me semble complet, à l’aube de cette nouvelle année, j’y vois même quelques résolutions …
Mon vœu le plus cher reste de toujours aller de l’avant dans la qualité : les derniers témoignages me laissent penser que les vins du Clos Veličane sont sur la bonne voie. Quelque soit la direction du chemin, vers l'Ouest ou l'Est, garder ce cap semble essentiel.