Une année vigneronne
Alors que le si prometteur millésime 2021 était en cuve, s’affinant pour les secs, finissant de fermenter pour le liquoreux, cette nouvelle année commençait. De toutes celles de notre jeune histoire vigneronne, ce fut sans conteste la plus difficile, celles où les doutes m’ont assailli régulièrement, la plus compliquée à la vigne, la plus âpre dans la gestion du domaine, mais également la plus porteuse non seulement d’espoir mais aussi de résultats. Je mesure que finalement, c’est celle qui a fait réellement passer Clos Veličane du statut de hobby à celui d’entreprise avec tout ce que cela comporte.
On peut se persuader que son terroir est immense et que son vin est fantastique, si on reste dans le fond de sa cave à s’en auto-persuader, il est évident qu’on ne fera pas du vin très longtemps. Pour pérenniser, il faut vendre et il faut donc pousser des portes : accepter même si son terroir est immense et que son vin est fantastique que l’on doive frapper à quinze pour qu’une s’entrouvre et qu’on a intérêt à mettre le pied dans l’entrebâillement le plus délicatement possible sous peine de se la prendre dans le nez.
Si LPV a aidé au démarrage, si le réseau tissé depuis tant d’années a été facilitateur, 2022 a montré qu’il n’était pas suffisant et que personne n’avait réellement besoin de Clos Veličane mais qu’en revanche, Clos Veličane avait besoin du plus possible. C’est donc des démarches, du temps passé, des discussions, des rencontres, des explications à donner, provoquer, susciter : de ce point de vue, 2022 a été une année cruciale, que je ne pouvais pas me permettre de rater et tous ces efforts ont été récompensés : le vin commence à être distribué en Slovénie, ce qui était pour moi essentiel, il est à la carte de deux restaurants étoilés (Ljubljana et Kranj), il est référencé chez des cavistes en France, vendu sur Internet (Vignalis) en France et bientôt en Suisse (CAVE SA), et possède une solide et fidèle clientèle particulière grâce à LPV. Cette aventure suisse m’a confronté aux réalités douanières de façon assez douloureuse et stressante, mais finalement ce que l’on retient, c’est ce beau succès, voire cet honneur pour mes vins. (la palette bloquée à la frontière pendant près de 3 semaines pour des raisons administratives : peu de sommeil pendant cette période !)
Je n’ai aujourd’hui plus rien à vendre, il y a plus de demande que d’offre et cela a permis ce que je souhaitais : laisser le vin plus longtemps en cave avant d’être proposé à la vente. Le millésime 2021 sera donc celui proposé en 2023, à partir du printemps : et mes vins montrent bien que c’est essentiel pour qu’on les apprécie pour ce qu’ils sont. A ce sujet, je viens de regoûter le riesling 2019 au sujet duquel la plupart des dégustateurs ne devinaient le cépage il y a un an : je suis certain que personne ne trouverait pas le riesling aujourd’hui ! Je vois bien comme le riesling 2018 si difficile à sa naissance se goûte de mieux en mieux aujourd’hui (et celui-là n’a pas finit de nous surprendre !). Les 2020 prennent le même chemin et du reste semblent rentrer dans une sorte de fermeture : sauf le pinot gris, qui lui, s’il est carafé la veille donne beaucoup de plaisir aujourd’hui.
Avec tout ce travail, ces bases posées, 2021 n’aura sans doute pas de mal à trouver preneurs et c’est sans conteste le meilleur millésime produit au Clos Veličane sur toutes les cuvées : elles seront au nombre de quatre : Renski Rizling, Sivi Pinot, Plešivica et Pozna Letina.
Jamais autant qu’en 2022, la gestion parfois et trop souvent lointaine du domaine n’aura été aussi problématique et jamais il n’a été aussi difficile d’imposer mes choix sans heurter : de la taille, à la conduite de la vigne, jusqu’aux choix en cave, il a fallu jongler avec les coutumes et us locaux, les susceptibilités, les incompréhensions pour arriver au bout de cette année sans compromettre les liens dont j’ai absolument besoin et c’est sans doute la cave qui se vide de son stock qui a été mon meilleur allié. C’est du management là où je ne m’attendais pas à le trouver : le pratiquant au quotidien dans mon autre vie, je saisis que là aussi, où il n’était question que de passion, la professionnalisation prend le pas (mais n’entame pas la passion pour autant).
A la vigne, 2022 fut une année difficile : non pas pour le millésime à venir qui s’est fait dans des conditions plutôt très favorables et sans traumatisme de sécheresse (merci le terroir !) mais à cause de cette terrible maladie, la flavescence dorée, qui nous toucha violemment. J’ai ôté tout le végétal touché que je voyais et ce fut un supplice : il y aura tous ces pieds à arracher, autant à replanter et je sais parfaitement que nous n’en avons pas fini avec cette saloperie : il faudra quelques années pour que les efforts et la vigilance qui ne doivent pas relâcher portent ses fruits définitifs. Alors que cette maladie n’était pas présente dans cette partie de la Slovénie jusqu’à présent, elle fait désormais partie de notre quotidien pour longtemps : un élément de plus à prendre en compte. J’envisage de plus en plus des traitements de la vigne à base d’huile essentielle d’orange douce : les résultats sur l’éradication des cicadelles sont reconnus ; cela permet en outre une bon traitement des maladies (mildiou et oïdium) tout en diminuant le dosage en cuivre.
Il en résulte en 2022 des volumes amoindris, mais la qualité est vraiment prometteuses avec des vins qui semblent avoir pris, comme je le souhaitais et déjà à partir de 2021, plus de densité et d’intensité. Le contrôle drastique des rendements en est la première raison, la fenêtre de richesse initiale également mieux ciblée en est la seconde, le millésime une autre.
L’année 2022 a été également marquée par des investissements en matériel à la cave qui permettent une plus grande autonomie et une meilleure précision dans tous les gestes que nous avons à y effectuer.
Voilà donc ma réalité vigneronne au crépuscule de cette année 2022 et à l’aube de la nouvelle :Bref, l’intérêt de 2022 aura été de permettre 2023 au Clos Veličane et que des projets s’y développent. Il n’en manque pas ; le principal n’a pas changé : faire le meilleur vin possible !