LPV Paris Nord-Est : soirée mythes
Une fois la rentrée effectuée, et la routine lancinante qui nous entraîne dans la pénombre hivernale affectant notre humeur, le groupe a décidé pour cette réunion de novembre de ne pas s’en laisser compter et de déboucher quelques uns de ses trésors : une soirée mythe avec vue sur le cimetière du Père Lachaise.
L’attrition hivernale ayant fait son œuvre, c’est tout juste au quorum de 5 que nous nous réunîmes.
Les vins ont été servis à l’aveugle, pour la plupart en carafe par notre hôte.
Loire, Pouilly-Fumé, Domaine Didier Daguenau – Buisson Renard 2015
Fiche technique
. Parcellaire de Sauvignon blanc sur un terroir de silex. Elevage en grand fûts de 300L et 600L pendant 12 mois. Carafé. Servi avec des amuse-bouches. 13,5°.
Pourquoi c’est un mythe : Didier Daguenau s’était forgé avant son décès tragique en 2008 qui l’a icônisé une réputation de pasionaria de la qualité et des combats homériques contre l’administration. Les étiquettes sont culte également.
Conformément à la réputation du domaine, le vin a vraiment besoin d’air pour s’exprimer. Robe or transparente à peine teintée. Le nez s’ouvre progressivement sur des arômes de fenouil et de pomme verte puis du citron confit.
Sous le palais, le vin est opulent pour certains mais bien soutenu par une trame acide qui structure un ensemble agréable et joli. D’autres l’ont trouvé ciselé, voir un peu maigre.
Dans l’ensemble, le vin nous paraît être sorti des langes mais encore assez loin de la maturité où le terroir de silex est sensé se manifester plus clairement.
Très agréable avec les saucisses de hareng ainsi que les rillettes de Saint-Jacques.
Alsace Grand Cru, Domaine Zind-Humbrecht – Pinot Gris Rangen de Thann Clos Saint-Urbain 2008
Fiche technique
. 12,5°, 46g/L de SR. Terroir volcanique. Servi avec un curry vert de crevette.
Pourquoi c’est un mythe : c’est la grande cuvée du plus grand producteur alsacien sur le terroir le plus singulier de la région. Terroir de très fort caractère, au travail très laborieux et pénible, ses vins ont une patte incroyable avec une densité hors-norme.
La robe commence à montrer des signes d’évolution avec un or cuivré. Le nez est expressif, des arômes de fruits de haute maturité envahissent les récepteurs : mangue, banane, goyave, amande pour la générosité, mais également du fruit de la passion et de l’ananas pour l’énergie qui domine l’impression globale.
En bouche, c’est délicieux avec une complexité affolante et une intensité impressionnante renforcée par l’intégration achevée du sucre au fruit qui évoque pour certains les grands Sauternes (coings, mandarine confite). La surprise vient d’un perlant digne d’un vin allemand. Evidemment que la texture « trahit » les SR mais il n’y a rien de sucraillon dans l’équilibre du vin qui ne nous a pas semblé le moins du monde fatigué.
Ce vin est une pierre dans le jardin des tenants du sec absolu. En effet, il apparaît douteux aux yeux du groupe que le vin aurait été meilleur si les sucres avaient fermenté jusqu’à 15°.
Accord extrêmement réussi qui a même ému aux larme Jean (qui est fier d’avoir reconnu l’Alsace au premier nez).
Très belle prestation du vin. Au jeu de l’aveugle, j’étais parti sur un PG Brand (après vérif, ZH ne produit que du riesling sur ce terroir), en effet le seul bémol serait que pour ma 4ème expérience sur cette cuvée (2001, 2007 & 2020 précédemment), je n’ai pas trouvé le côté tourbé/lard grillé/fumé. En revanche le PG est bien cintré et il n’y a aucune lourdeur dans ce vin.
Magnifique !
Autriche, Burgenland, Ernst Triebaumer -Bläufrankisch Ried Mariental 2002 (mon apport)
Fiche technique
. 14°, vielles vigne sol fortement calcaire. Carafé 1h. Cépage autochtone d’Europe centrale que les Autrichiens hissent de plus en plus haut depuis maintenant 30 ans. Peterka et Hyllos sont de fins connaisseurs et ont déjà régulièrement partagé des travaux remarquables. Triebaumer a récupéré le fermage en 1976 et sortit le premier millésime 10 ans plus tard après un grand travail à la vigne.
Pourquoi c’est un mythe : quand le premier millésime fut mis sur le marché en 1986, cela fit l’effet d’un coup de tonnerre parmi les dégustateurs : un grand vin rouge issu d’un vignoble à blancs sinistré par le scandale de l’antigel l’année précédente.
Si depuis lors, de nombreuses cuvées l’ont rejointe au sommet, elle demeure le porte-flambeau de la région.
La robe est dense et sombre, il n’y a pas le moindre signe d’évolution. Le nez est là encore expressif : pruneau, chocolat, fleur de badiane, mûres, cassis.
Le vin tapisse le palais avec beaucoup d’intensité et de densité, les tanins sont intégrés mais pas soyeux. La poigne est d’acier, le corps est baraqué et l’endurance impressionnante sur le fruit noir. Ce n’est pas séducteur mais puissant, défini, affirmé.
Le vin ne fera que s’améliorer et se délier progressivement au fil de la soirée. C’est très beau et encore presque trop jeune.
Ce mythe, étranger pour presque tout le monde aura fait beaucoup voyager à l’aveugle car les dégustateurs ont trouvé des caractéristique bourguignonnes, rhodaniennes ou ligériennes. En effet, l’école bourguignonne a trouvé un côté PN 2020 « trop » solaire, les rhodaniens une densité fabuleuse, et les cultistes du cabernet franc cette non-séduction fascinante. Quant à moi, j’étais soulagé d’avoir reconnu le cépage dès la première gorgée.
Rhône Sud, Chateauneuf-du-pape, Domaine La Barroche – Pure 2005
Fiche technique
. 100% vielles grenaches sur sable. 15°. Carafé et servi en accompagnement d’une tourte délicieuse.
Pourquoi c’est un mythe : 100/100 Parker !
La robe est pratiquement impénétrable, la texture présente ceci-dit une viscosité supérieure à la Blaufrankisch.
Le nez oriente rapidement vers le sud chaud et solaire : pruneau cuit, cassis, fraise écrasée. En bouche, c’est la texture qui interpelle par sa suavité qui évoque irrésistiblement le grenache. Il y a de la complexité et de la profondeur dans ce vin et l’accord est parfaitement fonctionnel avec la tourte dont la texture embrasse le vin.
Globalement le groupe n’a pas eu trop de difficultés à identifier le cépage. Pour ce qui est du style, avec le grenache, il est limpide que l’alcool est issu de la fermentation du sucre parce que l’on sent les deux 😉 ! Philippe adore et trouve ce vin tout terrain pour l’hiver.
Sud-Ouest, Madiran, Château Montus Prestige 1994
Fiche technique
. 90% Tannat, 10% Cabernet Franc. Long élevage en fût. 12,5°
Pourquoi c’est un mythe : Alain Brumont, le seigneur du Sud-Ouest avec ses vins d’une longévité inouïe.
Nous avons là encore une robe d’une densité et d’une couleur sombre, profonde, impénétrable et sans trace d’évolution. Le nez évoque rapidement le sud ou sud-ouest avec ses effluves de fruits rouges mélangés à une pointe de végétal noble.
Sous le palais, le vin impressionne par son volume à la fois sphérique et rustique. L’astringence des tannins a disparu mais continue d’exercer une emprise sur les gencives impressionnante longtemps après la déglutition.
Clairement un vin de gastronomie pour accompagner une blonde d’Aquitaine ou une Galice bien persillée avec des poivrons sur une pierrade.
Très beau vin pour gastronome éduqué et beaucoup de plaisir pris par le groupe avec cette bouteille.
Pour info, à Vinapogée Alain Brumont a fait partie du podium des meilleurs stands de la journée à chaque fois que je suis venu.
Avec le plateau de fromage (absolument délicieux), retour vers le blanc
Jura, Domaine Ganevat – Les Vignes de mon père 2000
100% savagnin ouillé. 130 mois d’élevage en fût de 600L. C’est la plus grande cuvée du domaine.
Pourquoi c’est un mythe : Le domaine Ganevat a maintenant atteint une reconnaissance critique immense. Cette cuvée est un OVNI qui constitue un Graal de dégustateur.
La robe est d’une clarté, transparence & éclat incroyables avec un peu de turbidité (pas de filtration). La texture est visqueuse (un peu comme le Kabinett 2001 d’Egon Müller bue le mois dernier). Le nez évoque à la plupart un chenin, il y a effectivement un arôme de coing indéniable, mais c’est aussi très floral qu’un fin voile de noisette et de sotolon entrelacé vient couvrir indiquant une influence oxydative.
En bouche, la texture et la complexité sont vraiment marquantes. Douce, confortable, apaisée le vin caresse magiquement le palais en véhiculant des saveurs multiples : fleurs, fruits mûrs ou frais, noix diverses, un peu de croûte aussi,
l’expérience est vraiment superbe.
Le vin est rapidement identifié avec un peu de psychologie inverse et les indices donnés par Julien. La jeunesse du vin est hallucinante, et un aussi long élevage apporte une véritable patte de texture. L’aspect oxydatif est très léger mais indéniable, et plausible après plus de 10 ans passé dans un matériau poreux.
Tous les fromages se sont bien accordés (ossau-iraty, comté fruité 24 mois, saint-nectaire, chèvre avec confiture de piment d’Espelette).
Un grand merci à Julien, et ça nous a permis de discuter anthropologie sur la notion de potlatch 😊.
Avec le dessert, une tarte grenade/noisette/agrume absolument bombesque en provenance de Carl Marletti vient notre dernier mythe.
Sud-Ouest, Monbazillac, Château Tirecul-la-Gravière – Cuvée Madame 1996
Fiche technique
. Muscadelle (environ 50%) Sémillon (45%), le reste de sauvignon. Environ 24 mois d’élevage en barrique. Tri grain par grain pour obtenir la plus grande concentration de pourriture noble. 12° + probablement plus de 150 g/L de SR.1996 est d’un équilibre frais avec une acidité saillante.
Pourquoi c’est un mythe : c’est la meilleure crème de tête du Sud-ouest hors Bordelais, et représente une quintessence du rôti qui fait la fascination de ce genre de vin.
La robe a bien évolué et pris une teinte cuivre foncé. Le nez est ouvert avec le joli rôti de botrytis. C’est évidemment délicieux sous la dent avec ce fruit confit, un équilibre optimum et une finale onctueuse et suave sans être sucraillonne. On se régale.
L’accord est superbe avec la tarte, la grenade répondant à l’acidité, les agrumes apportant une pointe d’amertume et la noisette s’associant parfaitement avec le rôti.
C'est magique ! Il paraît que Nicolas ira rapidement visiter la pâtisserie avant de passer chez G.Detou.
Il n’a pas été trop difficile de trouver la cuvée, merci Nicolas.
Conclusion
C’était une excellente soirée avec une véritable joie de se retrouver et des vins qui ont donné de belles prestations. Ce sont probablement les blancs qui ont tiré leur épingle du jeu même si ce fut surtout un immense succès pour les accords.
NB : victime du double bug (mise en page puis perte de l'intégralité du message en essayant d'insérer une photo au mauvais format), encore heureux que j'avais une base de travail enregistrée.