Bonsoir Gastronomix,
il me paraît difficile de donner une règle précise et intangible sur le service des chenins. Je vais essayer d'expliquer ma pratique, qui n'a rien d'universelle ni ne peut être considérée comme la panacée. Juste résultat de mon expérience, limitée forcément.
Je distingue avant toute chose les chenins jeunes des chenins vieux (plus de 20 ans). Pour les chenins vieux, j'ai tendance à proscrire le passage en carafe, mais cela peut être utile pour certains demi-secs et moelleux un peu trop soufrés (fréquents dans les années 70/80, notamment à Vouvray). J'aime percevoir l'évolution des vieux chenins (secs à liquoreux) dans le verre. Il faut consacrer du temps à ces vins vénérables, d'autant plus lorsqu'ils sont bons et sont le témoins d'une époque révolue.
Pour les "plus jeunes" (fin des années 80 jusqu'à maintenant) :
je distingue grosso modo selon que les vins ont subi une malo (partielle) ou non et/ou un élevage ambitieux sous bois (fûts neufs, un à deux vins) :
- pour les chenins sans malo, que l'on rencontre principalement en Touraine (Vouvray, Montlouis, Jasnières, Coteaux du Loir, Coteaux du Vendômois, etc.), je me réfère aux propos de Philippe Foreau : j'ouvre la bouteille quasiment au dernier moment et je laisse le vin s'exprimer dans le verre, en lui laissant le temps d'évoluer. C'est souvent passionnant de le suivre, surtout s'il est bien né. Pour les Vouvray de plus de 7 ans, par exemple, cela me paraît judicieux, car ce sont des vins qui s'expriment sur la finesse et la complexité. Aérer fortement n'est pas profitable à la dégustation, à mon avis.
- pour ceux ayant connu un élevage ambitieux : si pas de FML (fermentation malo-lactique) effectuée, alors une ouverture préalable est intéressante, permettant d'atténuer les scories boisées. Je le fais avec Rémus, mais aussi avec les vins de Leroy, de Cossais, etc. Bon, si c'est vraiment jeune (e.g. 2006, 2005), un passage en carafe (1h pas plus) peut se révéler salutaire si on le sert directement à table.
- pour les chenins ayant eu une FML (partielle généralement), qui s'accompagne , le vin jeune gagne, à mon goût, à être ouvert à l'avance, sans forcément un passage en carafe. J'ai eu de bons résultats avec les Savennières de Laureau (Bel Ouvrage 2001 en particulier). Pour ceux qui ont été élevés, en outre, dans des barriques neuves ou presque, comme on le rencontre chez Eric Morgat (en particulier les 2000; 2001), un passage en carafe de plusieurs heures peut se révéler nécessaire.
- concernant les Savennières "traditionnels", la haute teneur en soufre et une acidité parfois revêche (malique si pas de FML) nécessitent généralement un bon passage en carafe pour épurer le vin et le rendre plus disert, si on veut les boire dans les 5/10 ans après la mise. Les anciens conseillent de ne les aborder qu'après une bonne dizaine d'années.
Bien sûr, il y a le mythe Coulée : 24h à 48h nécessaire à l'éclosion du vin de sa gangue de réduction... même si certaines bouteilles sont bonnes dès l'ouverture (ou mauvaises quelque soit le traitement ultérieur).
Une règle essentielle (qui s'applique à tous les chenins pour préserver leur finesse et plus généralement aux blancs fins comme les riesling) : pas de carafage violent, dans un seau à glace, sinon, le vin se referme irrémédiablement (comme ce fut le cas avec un 90 au resto). Je ne sais pas si cela vient d'une FML partielle, d'un élevage en fûts particulier, d'un problème de bouchon, du soufre ou de la bio-d:D, mais la Coulée reste à part.
Voilà, grosso modo, mon point de vue (théorique) sur la question. Personnellement, depuis quelque temps, je ne carafe pratiquement plus mes chenins : j'aime les "étudier" en les ouvrant et les dégustant sur une bonne semaine. Sinon, si c'est pour servir à des amis ou la famille lors d'un repas, ouverture à l'avance et je goûte : si trop de bois ou vin pas en place, alors passage en carafe fraîche (non glacée), sinon, je replace au frais en attendant le service.
J'espère avoir en partie répondu à ta question.