Propriétaire avec sa femme du Château du Champ des Treilles en Ste-Foy-Bordeaux, mais aussi régisseur du célèbre Château Pontet-Canet, Jean Michel Comme nous signe sa carte blanche, sincère, émouvante, passionnée et déterminée.
www.lapassionduvin.c...
Jean Michel Comme, Château du Champ des Treilles, Ste Foy Bordeaux
régisseur du Château Pontet-Canet, Pauillac
Qu’est ce qui peut pousser une personne à prendre tous les risques pour améliorer la qualité des vins dont il a la charge ?
C’est tout simplement l’amour de ce vin et de son métier en général.
Et tout d'abord, je dois signaler que je suis avant tout un fils de paysan et c'est important. De ces origines, j'ai sûrement gardé une certaine proximité affective avec la terre sans le savoir. Puis, j'ai fait des études agricoles et viticoles durant lesquelles on m'a appris les fondements de l'agriculture "moderne".
Pendant des années, j'ai appliqué la viticulture qu'on m'avait apprise et qui donnait de bons résultats malgré tout. Puis un jour, j'ai commencé à changer ; d'abord dans ma tête puis dans mon travail. Qu'est ce qui a engendré cette évolution? Plusieurs choses non décisives lorsqu'elles sont prises individuellement.
J'ai eu le sentiment désagréable que l'on ne maitrise en définitive rien de l'utilisation des pesticides malgré toute la technicité que l'on pense avoir.
Petit à petit, je me suis senti "aspiré" dans une voie dont le « bio » est la partie la plus visible mais pas forcément la plus importante.
C'était une vision effrayante car avec mon poste à Pontet-Canet, je sentais que la route ne serait pas facile ; tout en étant solitaire.
Heureusement, j'ai pu y mettre en œuvre ces idées grâce à la profonde affection que porte la famille Tesseron à cette propriété. Je dois ici rendre hommage à Alfred Tesseron qui depuis que je le connais fait preuve d’une volonté sans faille de faire progresser le cru.
Cette évolution s'est faite pas à pas, mais toujours avec Corinne, mon épouse qui partage ma vie depuis le Lycée de Sainte-Foy la Grande et avec qui nous produisons notre vin au Champ des Treilles.
Après plusieurs années de réflexion sur mon métier et la vie en général, j'ai la conviction que tout est beaucoup plus complexe et plus subtil que ce que l'on nous a appris à l'école.
Notre société et notre système de pensée n'intègrent pas du tout cette dimension là.
C'est l'avantage de la biodynamie qui tente d’appréhender la subtilité du vivant pour essayer de l'orienter dans le sens que nous souhaitons.
Il faut cependant beaucoup de modestie et d’abnégation pour progresser dans cette voie.
Plus on avance, plus on progresse dans la connaissance, plus on voit apparaitre de nouvelles questions.
Je suis passé de la conviction de « maîtriser mon métier » grâce à mes beaux diplômes et à l’aide de l’industrie chimique, à la certitude que tout doit s’appréhender à un niveau très fin, bien plus fin que nous le permettent nos gros doigts.
Je dois réapprendre mon métier tous les jours alors que je suis sorti de l’école…en 1988.
Concernant le vin lui-même, j’ai maintenant le sentiment que nous avions atteint un palier en termes d’évolution qualitative en utilisant les techniques mises en œuvre depuis mon arrivée à Pontet-Canet, telles que la vendange verte et qui ne s’intéressaient qu’au cep de vigne lui-même. Quelques années auparavant, l’amélioration qualitative avait commencé au chai avec un meilleur équipement et une meilleure maitrise technique.
Si l’on veut continuer d’augmenter la qualité de nos vins, il faut changer les recettes utilisées depuis 20 ans.
Sur le pied de vigne lui-même, cela passe par une prise en compte du cep dans sa globalité. On ne peut pas séparer, taille, vigueur, rognage, effeuillage, fertilisation, vendanges vertes,…Chaque fois que l’on agit sur un élément on bouscule les autres. L’idée est donc de recréer un équilibre qui permette au cep de se développer de façon harmonieuse. La viticulture « nature » que je cherche à mettre en place est basée sur l’absence de rognage, d’effeuillage et de vendange verte tout en ayant au bout du compte une petite récolte.
Le chemin n’est pas simple mais quand on y arrive, les ceps respirent la sérénité…et moi aussi.
Mais surtout, j’ai le sentiment que les gains qualitatifs à venir passeront obligatoirement par le terroir, c'est-à-dire une plus grande prise en compte du sol. Cela n’a pas été vraiment fait jusqu’à présent malgré les grandes tirades sur le terroir que nous émettons tous depuis longtemps et qui ne sont bien souvent que des paroles en l’air.
Pour atteindre cet objectif de redonner de la vie dans le sol, il faut d’abord arrêter de le dégrader.
Il n’a pas de «revitalisation » du sol sans arrêt de l’utilisation des pesticides. Le « bio » est donc un passage obligé avant même d’être une philosophie.
Le compactage est plus sournois encore car ses effets néfastes augmentent lentement sans vraiment que l’on s’en rende compte. Par contre, le chemin inverse est au moins aussi long car je ne l’envisage que par des moyens naturels (cycles humidité/sécheresse, hiver/été,…)
L’arrivée des chevaux de trait à Pontet-Canet est à replacer dans ce contexte beaucoup plus global ce qui lui donne une logique et éloigne le spectre de l’opération de communication si souvent associée à ces animaux quand ils s’approchent des vignes. On ne sait pas encore si on arrivera à atteindre les objectifs fixés. Mais on y travaille avec sérieux et lucidité.
Et la biodynamie dans tout ça ?
Elle constitue l’articulation de l’édifice. Elle est un outil majeur pour atteindre les objectifs fixés.
On peut supprimer les pesticides sans pour autant être en biodynamie. On peut aussi penser que le non-rognage n’a rien à voir avec la biodynamie.
Mais ce n’est pas tout à fait vrai car à tous les niveaux la biodynamie intervient sur les ceps et le sol pour nous aider à surmonter les difficultés.
Certes, les « outils » utilisés n’ont rien à voir avec de l’artillerie lourde. Ils agissent dans la finesse et la subtilité de la vie.
C’est très bien ainsi car je ne souhaite pas produire des vins plus tanniques, plus colorés, des vins « plus-plus ». Je souhaite aller vers plus de finesse et de subtilité. Les moyens mis en œuvre sont donc, selon moi, parfaitement adaptés.
Il y a quelques mois dans la période troublée de 2007, alors que je commençais à avoir des doutes sur la pertinence de ma démarche, j’ai découvert une phrase de Michel Bettane qui faisait la distinction entre le « très bon » et le « grand ». Pour moi, ce fut une révélation. J’ai enfin pu mettre des mots sur mon travail. Je ne prétends pas produire des grands vins, mais je pense que les derniers millésimes de Pontet-Canet s’en rapprochent plus que ceux d’avant. La raison en est simple ; espérer produire du grand par rapport au très bon, ne nécessite pas du tout les mêmes moyens, la même technique ni la même philosophie.
C’est peut-être de là que vient l’incompréhension de certains autres viticulteurs vis-à-vis de notre travail. On ne recherche plus la même chose.
C’est ce qui fait la différence entre un moteur de formule 1 et un moteur de voiture de tourisme, même de haut de gamme. La complexité du premier et les réglages qui lui sont nécessaires n’ont rien à voir avec ceux du second. Malheureusement, même avec le meilleur moteur, on n’est jamais assuré de gagner la course. Tous les détails comptent.
Le chemin est encore long. Après 20 années passées au service de Pontet-Canet, j’évalue encore à 15 ans la durée nécessaire pour atteindre les objectifs qualitatifs recherchés. Les vrais gains qualitatifs sont encore devant nous mais il faut aller les chercher par un travail de tous les instants.
Au Champ des Treilles, nous n’avons que 10 années de recul. Les objectifs et les moyens ne sont pas les mêmes, mais le travail à réaliser reste immense.
Y arriverons-nous ? Je ne le sais pas moi-même. La vie nous amène bien de surprises.
Même si la période passée a pu être difficile à vivre pour moi, je ne m’attends pas à ce que le futur soit plus aisé.
J’ai même le sentiment que c’est tout le contraire car les vraies difficultés sont encore devant nous et qu’il y aura encore souvent douleur, peine et larmes.
C’est dans ces moments là qu’il faut que sève et sang soient mêlés « à la vie à la mort » comme le disent les enfants.
Il faut aussi une famille soudée pour pouvoir franchir les moments difficiles. Ce fut le cas l’an dernier et je garderai toujours en mémoire la présence constante de Corinne auprès de moi.
Mais existe-t-il un plaisir plus intense que de ressentir dans le vin les résultats de tous les efforts que l’on a consentis ?
C’est dans tous les cas ce genre de frissons qui me permet de me lever le matin pour aller travailler avec toujours la même motivation qu’au premier jour.
Jean-Michel Comme