Je suis invité par un client américain, grand amateur de vin, extrêmement passionné, passionnant et sympathique, qui réunit dans son appartement parisien des vignerons qu'il aime, pour un repas informel et détendu autour de quelques vins cultes.
Je ne sais pas vraiment ce qu'on va boire, je sais son épouse fan de la petite Sibérie et voyage donc le matin même avec un magnum de 2004. Je découvre au dernier moment que François Audouze sera là, alors je cherche dans ma cave un vin ancien qui pourrait l'amuser et qui supportera la voyage. Un Sémillon 1942 de Mendoza, acheté au domaine il y a bien longtemps et que je pensais liquoreux devrait pouvoir tirer son épingle du jeu. Bon, c'est raté. Le reste est fort réussi.
J'arrive vers 20 heures, tout le monde est là, la cuisine embaume et tout le monde a plutôt l'air gai : on va boire sans trop se prendre la tête, ça me va... Il y a surtout des vignerons de CDP, véritable concentré de France dans la France. Je crois que j'aime les gens de là bas autant que les vins de là bas ;-)
Je reprend la liste des vins dans le bon ordre ;-), mais il n'y avait que peu d'erreurs dans le descriptif de François. En plus, ça me fait gagner un temps précieux... La cuisine est superbe, parait simple mais a demandé un travail colossal de préparation, assurée par le futur second de Thierry Marx à Paris. Les produits, à la base, sont exceptionnels. L'ambiance est chaleureuse. Il n'y a pas d'ordre, c'est décousu, on dirait un truc d'étudiant alors que nous allons boire quelques uns des vins les plus célèbres du monde. Personne ne semble s'occuper de la température des vins, ni de la décantation, ce qui m'étonne un peu.
Pour l'apéritif, nous commençons par un Chateauneuf-du-Pape Cristia Vieilles Vignes magnum 2006, sans qu'on sache vraiment pourquoi. C'est sans aucun doute le meilleur 2006 Châteauneuf gouté à ce jour (par moi..), le vin a tout, et surtout beaucoup de Grenache. Nez, soyeux, volume, longueur, il caresse le gosier et nous réjouis. 3° de température en moins et on aurait bu que ça. Mais bon, j'en ai déjà trop bu... On parle de 2006, totalement éclipsé par 2005 et 2007 et ça me donne envie de m'y repencher sérieusement : les vins sont merveilleux en bouteilles et on doit encore en trouver à des prix raisonnable, vu que Bob avait gardé ses 100 pour 2005 et 2007.... Dominique nous rejoint et sera ma voisine de table, de quoi passer une bonne soirée...
Il est suivi d'un Chateauneuf-du-Pape "Pure" domaine de la Barroche magnum 2005, un des vins préféré de Bob qui en boit dès qu'il peut au restau
et l'a de nombreuses fois récompensé par un 100. Je l'ai mieux gouté auparavant en bouteille. Le vin est trop chaud, il aurait du être décanté et du coup, il est juste exceptionnel alors qu'il aurait pu être... inoubliable. Moins soyeux que Christia au niveau texture, plus "grenache traditionnel", il a en revanche une palette aromatique incroyable, changeante et complexe et une longueur phénoménale, la plus importante, indiscutablement, de la soirée, plus même que la petite Sibérie ce soir là, ceux qui ont gouté comprendront. C'est très très bon, mais pas dans le bon timing. Je me jure de le regoûter plus tard, et puis, bien sûr, j'oublie, alors, là, je suis pas content. Il est mémorisé dans ma petite tête car au delà d'un très bon vin, il a une personnalité propre, ce qui n'est pas courant. C'est comme son papa, Julien, en grande forme ce soir là ;-)
Nous passons à table et nous goûtons deux vins blanc américains : le Marcassin Hudson Vineyard Carneros Chardonnay 1993 et le Marcassin Gauer Vineyard Alexander Valley Chardonnay 1993. Le premier possède une très légère déviation liègeuse détectée par Yvan qui ose s'exprimer sur le sujet, ce que personne n'ose faire, parce que c'est si faible que je pense que seuls des pro peuvent y être sensibles. Ce n'est pas du TCA mais une influence du liège autre, plus discrète, qui empêche le vin de se développer. Il n'est pas conforme, mais au restaurant, c'est le genre de vin qui peut vous causer une grosse, grosse engueulade avec le sommelier qui peut ne pas être d'accord avec vous. Il est tout à fait buvable, mais, du coup, le Gauer lui met une grosse claque. C'est la première fois que je bois un Marcassin Chardonnay et je suis totalement sous le charme : c'est mûr, certes, mais pas plus qu'un Montrachet de la Conti, et c'est à la fois riche et frais, tout en retenue, fruit compact mûr mais pas trop, boisé bien intégré, encore explosant de jeunesse, parfait pour une petite baguette fraiche et du beurre cru de Bordier.... C'est un très grand vin, parce qu'il est très bon, d'une part, parce qu'il a, là encore, une personnalité propre. J'en reboirai volontiers...
Le Meursault Perrières Jean François Coche Dury 2002 est dans une phase de totale fermeture. Le vin est désuni, manque un peu de maturité (surtout après les autres...), a peu de fruit et une acidité mordante. On est pas sur plaisir, contrairement à un meursault générique 1998 bu il y a peu et qui là, aurait pu lutter. Mais bon, il est difficile de lutter contre la légende, alors, je me tais. Pas persuadé que le temps va arranger les choses, Meursault n'étant pas Chablis Grand Cru...
On patiente avec un Meerlust Rubicon Afrique du Sud magnum 1984, chargé d'histoire pour notre Ed. Fait pendant l'apartheid, le vin est bluffant de jeunesse, encore noir, extrêmement fumé au nez, assez soyeux mais assez court. On est assez dur avec lui. Yvan s'amuse à proposer une dégustation comparative avec les des CC de Bordeaux du même millésime. Sur un morceau de viande grillée, on lui aurait fait sa fête et j'en garde pour ma part un très bon souvenir.
Le Chateauneuf-du-Pape Lou Destré d'Antan Christian Barrot 1976 est un Châteauneuf comme on en fait plus, "à l'ancienne". Sans doute peu égrappé, acidité corrigée, peu de cuvaison, peu de remontage, peu d'élevage et peut-être pas totalement de 1976... Mais il y a prescription et on regrette souvent cette époque quand on boit certains CDP actuels... Peu de texture, couleur moyenne mais nez superbe, complexe et complet; la bouche déçoit un peu par rapport au nez. C'est néanmoins bourré de charme, effectivement, et surtout de personnalité, avec des fins de bouche assez fraîches et des gammes aromatiques fraîches et attirantes. On parle boutique, avec le producteur, et de la manière dont on faisait le vin à l'époque, pour le meilleur et pour le pire. Là, c'était pour le meilleur. Mais on est dans le bon, l'émotif, le charmant, pas dans le grand, et ça n'empêche pas d'apprécier. On change de registre avec le Chateauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 1997 que Laurence a apporté. Dans ce vin, il y a tout, et surtout l'immense talent d'une vigneronne qui sait lequel de ses vins allait se présenter au mieux ce soir là : et bien c'est lui. Le vin a toute la délicatesse et le charme du Grenache à maturité, dans la vigne et dans le temps, il fait l'unanimité avec ses notes compotes, ses poivres divers et variés, sa bouche caressante et tout simplement délicieuce. Ce n'est pas le plus truc ni le plus machin, c'est le meilleur, ce jour, là, point.
Les langoustines de compétition ne sont sans doute pas non plus un compagnon parfait, sur le gingembre, les épices, le combava, et c'est pareil sur le Vosne-Romanée Les Chaumes domaine Méo-Camuzet 1996 qui n'est pas à sa place ce soir là, au niveau du menu : le vin est austère, assez fermé, de grande qualité mais à contre-pied. Pas de chance pour Yvan...
François sert le Château Gruaud Larose 1921, au nez qui évoque les notes fumées du vin sud africain. Surprise, effectivement, c'est le nez, simplement, et en bouche, le 21 tient la route pendant vingt bonnes minutes, se permettant même de nous suprendre part quelques tannins encore perceptibles. La couleur est assez soutenue pour un vin de cet âge (J'ai peu bu de 21), le fruité sympathique, la bouche agréable et la finale douce et fine, mais avec encore du fond. C'est un beau vin ancien. Le bar est le meilleur que j'ai mangé cette année et, très étonnament, sa chair à la texture très particulière (il est très frais...) se marie bien avec le... Brane-Cantenac. Car moi, il m'a semblé boire un Brane Cantenac, mais bon, j'étais peut-être déjà allumé ;-)
Arrive La Tâche domaine de la Romanée Conti 1986. Euhh. Je repense à la discussion sur les les vins autrichiens, la dégustation aveugle, etc... Personne ne semple impressionné. Et personne ne se répand en dithyrambes. Le nez est somptueux, comme souvent sur les vins de la DRC, mais il faudrait s'isoler et se concentrer pour en saisir la quintessence. En bouche, c'est un pinot noir pas très concentré, assez fin, pas très long. Personne ne défaille, mais disons qu'il y autour de la table des gens habitués à boire du lourd et à qui il en faut plus pour se déjuger devant une étiquette. Bon, mais je n'y reviendrai pas. A mille lieux des 1990, au top de mon panthéon personnel en ce moment..
Laurence nous offre un vin ancien, bouchonné depuis toujours, dommage... François pense qu'en lui laissant du temps, il va se refaire... J'ai oublié ma baguette magique, alors, bien sûr, ça ne change pas...
j'avais mis deux quilles de Sorcières du Clos des Fées 2010 et j'ai bien fait. Le vin est bien sûr plutôt de la France d'en bas ;-) mais il explose de fruit et nous rince la bouche. 15 minutes après, Claudine me tend le fond d'un verre : réchauffé, le vin a perdu la moitié de ses qualités : de bons verres, la bonne température, on boit deux fois meilleur pour le même prix.... Grande sincérité me plait assez ;-)
Le Screaming Eagle cabernet sauvignon Napa valley 2003 est indiscutablement un grand vin. Ce n'est pas aussi démonstratif que je l'imaginais, au final, et le vin m'évoque après coup l'adjectif "classe". Le vin a de la classe, de la complexité, de la retenue aussi et une très belle épine dorsale de tannins d'une grande élégance. Voilà typiquement le vin qui m'aurait piégé dans la dégustation LPV de Saint-Emilion tant il n'est pas typé "nouveau monde". Laurence Féraud donne l'idée de mettre la petite Sibérie à côté, j'adhère à l'idée que je n'aurais pas eu spontanément. Mais du coup, un peu frais à l'ouverture, le magnum est fermé à double tour, le vin ne minaude pas ce soir là mais, l'un à côté de l'autre se mettent presque en valeur l'un l'autre. C'est très étonnant, en fait, et le duo fonctionne bien, l'un plus sur les épices, l'autre sur le fruit noir, les deux longs et frais malgré la richesse alcoolique. Intéressant.
Les deux Sine Qua Non "the 17th nail in my cranium" syrah Californie 2005 et "a shot in the dark" syrah Californie 2006 sont deux vins assez hallucinants, en cela que malgré leur richesse, leur densité, leur complexité, ils restent stupéfiant d'équilibre. La patte du vigneron est évidente, très intrusive, mais le tout est remarquablement fait, à la hauteur du prestige et du prix de ces vins, tout à fait uniques et exceptionnels. Les USA ont sur se créer de grands vins cultes autochtones et pas sur du vent : les textures sont formidables, extrêmement serrées et compactes, sortes de liqueurs tapissant le palais de tannins soyeux, crémeux et raffinés. Mais c'est très, très, très, très concentré et, même si c'est particulièrement réussi dans le genre, en boire une bouteille à deux me semble relever de la punition et non du plaisir. On était 16, une bouteille, c'était bien...
Le Sauternes Arche Vimeney 1921 n'a que peu d'intérêt. Le sucre résiduel s'est effacé, les traces d'oxydations sont trop présentes, le vin ne devait pas être terrible au départ, le temps n'a rien arrangé et vu ce qu'il y a sur la table à finir, ce serai du vice que d'y revenir. C'est bien sûr toujours émouvant de penser que 1921 est l'année où on a inventé "la Vache qui rit", celle du premier vol en hélicoptère ou de l'exécution de Sacco et Vanzetti, mais à part ça, je passe...
J'ouvre mon 1942 qui se révèle être un Sémillon "comme un vin jaune". Pour une surprise, c'est est une, et surtout une déception. Comme tous les vins oxydé, son immense qualité est d'être oxydée, ce qui pour tous les autres vins est un défaut. Je le sers sans conviction, les amateurs s'extasient, les autres, dont je suis, se désolent, même avec le Comté, délicieux mais trop affiné pour le vin au point qu'on a même pas le mariage espéré...
Bon, je me refais une petite lichette de Christia 2006, en douce, sur le fromage, avec le Pégau, ce sont les deux vins de la soirée...
François nous raconte son voyage à Rennes et sa découverte du vin de 1690. On est pas vraiment concentré et un peu chaud, et puis on est du Sud, et encore jeunes et fougueux, alors, on se conduit pas bien et on est un peu dissipé. François nous rappelle à l'ordre vite fait bien fait (désolé, François...) et c'est vrai que la bouteille est jolie. Et puis 1690, c'est un année importante pour Claudine, celle ou Henry Habert de Vauboulon est nommé nouveau gouverneur de la Réunion et où il commence à vouloir lever des impôts auprès des quelques familles de l'ile et à se disputer avec le père Hyacinthe, ce qui ne sera pas sans conséquence sur l'avenir de l'ile Bourbon ;-). Mais à part ça, le vin est un vin oxydé, qui ressemble à un vin oxydé, 20, 100 ou 400 ans plus tard...
Il est tard, on a trop bu, très bien mangé et je suis prêt désormais à payer cher quelques vins américains si l'occasion se présente. Merci Ed !