Plus tôt cette saison sur le salon Wine Paris Winexpo, j’ai pu déguster quelques Grüner Veltliner de domaines que je connais bien, dont les vignerons n’ont pas la langue de bois. Il y a déjà plusieurs année que je remarque que peu de Grüner Veltliner me plaisent, surtout dans les meilleurs qualités. Il est un fait marquant que depuis disons 2014, j’ai peu apprécié les Smaragd de Hirzberger, Knoll, FX Pichler… plus récemment j’ai été déçu par ceux de Rudi. Et encore plus récemment…

Une réflexion m’est venue suite à la dégustation que je vous rapporte ici.

Six Grüner Veltliner, de quatre régions différentes.

On commence en douceur avec un vin que j’attends assez solaire.



Weingut Gerhart Markowitsch, Grüner Veltliner Alte Reben 2019 Carnuntum

Il ne déçoit pas. Le nez est très expressif ; exotique. La bouche est intense avec ces mêmes notes de fruits, légères et citron. Vient aussi la réglisse et une finale un peu puissante sur les amers et l’alcool. On est clairement sur un profil solaire de GV. La finale rend le vin un peu moins buvable mais sur table, il fera honneur. On notera une évolution négative à l’ouverture à 24 et 48h. C’est un joli vin, recommandable et d’un bon rqp. Bon+ 85/100

On enchaîne avec mon domaine de prédilection du Weinviertel et une demie déception.



Weingut Pfaffl, Grüner Veltliner Zeisen Weinviertel DAC 2021

Changement de millésime et de région. Et là, on gagne en tout, c’est le Grüner Veltliner que j’aime. Le nez garde l’expressivité du Markowitsch en un peu moins exotique. La bouche presente des agrumes beaucoup plus intenses, bergamotte, pamplemousse… et des fruits exotiques. Beaucoup de fraîcheur en finale. C’est plutôt long et très plaisant. La bouteille est une réussite un rqp de compétition. Très bon 90-/100. Le vin se tient sur 24-48h mais ne gagne pas vraiment à être conservé. De même, ça n’a aucun intérêt à être encavé. 


Weingut Pfaffl, Grüner Veltliner Hund Weinviertel Reserve DAC 2021

Ce vin est habituellement mon coup de cœur de Pfaffl. J’ai dû en déguster une dizaine de millésimes donc j’en attendais beaucoup. Ca n’est pas une déception complète mais tout de même une demie. Le nez, d’abord est éteint. Pas vide mais d’une expression plus plate. La bouche quant à elle est dominée par les notes poivrées et les agrumes « chauds », on retrouve bergamotte et pamplemousse mais ça manque du peps de fraîcheur, à la place on a plutôt une sensation anisée. Beaucoup plus de matière que Zeisen. C’est pas mal. C’est loin du niveau que j’attendais et le jour et la nuit avec Zeisen. C’est bon 85-/100 mais… On notera à 48h une nette amélioration du vin, qui reste en deça du très bon. Je commence à avoir un peu peur.

Surtout qu’on attaque un domaine avec lequel j’ai une relation conflictuelle : Ott.

Weingut Ott, Grüner Veltliner Fass 4 2022, Wagram


Alors là, on va être clair. Ce n’est pas mauvais mais le vin est raté. La bouche présente un côté aqueux totalement vide et plat en milieu de palais avant que l’acidité revienne en finale. Pour moi, il n’y a rien à en tirer de particulier à part ne pas acheter. 70/100 correct Ott est un vrai sujet. J’ai goûté quelques bouteilles littéralement sublimes, à savoir les 2009. Et puis ensuite… pratiquement plus rien de valable. Je pense que cette bouteille va enterrer le domaine pour moi, qui va devenir un « no buy ». 

Mais je suis confiant (non), on arrive en Wachau. On commence soft avec la grosse cavalerie. 


Domäne Wachau, Grüner Veltliner Axpoint Spitz, Smaragd 2019

J’ai choisi ce domaine car d’une part, il est présent en Finlande et d’autre part, il me permet de montrer la différence entre le travail de volume d’une coopérative (qualitative) et le travail de détail d’un petit domaine. Le vin n’est pas démembré comme le Ott. Toutefois… l’aromatique n’est pas ultra plaisante et la texture du vin marqué par l’anis et l’alcool. On est pour moi en face d’un vin récolté très mûr, dont les arômes sont déjà oxydés. C’est épicé et puissant. Pas mal. Mais je ne vois pas dans quel monde ce vin éveillera de grandes emotions, même dans 10 ans. Il manque à mon sens des précurseurs qui pourraient laisser imaginer un futur chatoyant, en particulier, ça manque terriblement d’acidité. Ca se classe en bon 85-/100.  Je n’ai pas encore regoûté le vin mais je reviendrai dessus si je note une amélioration.

Enfin, celui que j’attendais :


Weingut Prager, Grüner Veltliner Achleiten Stockkultur 2019 Smaragd

Celui-là, je l’attendais pour en mettre plein la vue comme les Högl 2017 en leur temps. Je n’ai jamais été déçu par ce domaine jusque là. Jusqu’aujourd’hui, donc. Bon posons là, le vin n’est pas raté. Il n’est pas mauvais. Mais il est… bof. On a un nez un peu plus expressif, encore plutôt sur réglisse et poivre. La bouche est très marqué par l’anis, la bergamotte, un peu le pamplemousse, le poivre. Le vin est long, extrêmement long. Mais c’est typiquement ce qu’on peut qualifier avec pudeur de vin de gastronomie. Oui, il est certain que sur le plat approprié, il sera à sa place. Mais diable, on est sur la crème, pas sur une bouteille que je vais devoir habiller d’un beau homard grillé pour lui redonner de la présence… c’est triste et plat… pas tout à fait comme un trottoir de rue mais comme une ornière desséchée. Il y a du relief mais sans vie. Je ne peux pas dire que j’aime vu qu’il n’y a pas d’emotion. C’est un bon vin on ne peut pas dire le contraire 85/100 mais je ne peux en aucun cas recommander de l’acheter… sauf à ce que je le redéguste fantastique cette semaine. Il lui manque trop pour que je puisse espérer une résurrection dans les années à venir. C’est un rqp désastreux. 

Et j’en suis venu à repenser à une discussion plus tôt cette saison… 

Je parlais avec un vigneron du Weinviertel dont je vais taire le nom. Il me disait en me servant les 2022, qu’il avait de plus en plus de mal à sortir des Grüner Veltliner au niveau qu’il voudrait car, selon lui, l’amplitude thermique entre jour et nuit, nécessaire à ce cépage, disparaît. Le résultat sont des vins qui perdent trop en acidité et ne gagnent plus les caractères aromatiques souhaités. Je dois dire que ça m’a frappé quand il m’a expliqué cela, car ses propos résonnaient parfaitement avec mes expériences sur ce cépage depuis une dizaine d’années. J’ai des souvenirs grandioses de Grüner Veltliner de 2006, 2009, 2012… notamment les OTT 2009 totalement sublimes. Mais c’est bien simple, sauf exception très rares, qui se trouvent dans le Kremstal et quelques vignerons comme Högl ou Prager, je n’ai pas retrouvé d’émotion similaire sur les hauts de gamme depuis. Et pratiquement rien en 2018-2019. Je ne dise pas qu’il soit impossible de faire un grand Grüner Veltliner à l’heure actuelle mais ça me semble devenir un réel challenge. Le résultat de la dégustation de ce vendredi est sans appel. Les vins les meilleurs étaient les entrées de gammes : vins faciles, sur des maturités peu poussées.

Mais les trois vins qui auraient dû performer n’étaient pas intéressant et j’en vois peu de potentiel. Est-ce que le Grüner Veltliner sera la première victime du changement climatique ? Je prendrais bien le pari car c’est un cépage non dénué de défauts (l’acidité basse et la sensibilité à la chaleur) qui deviennent difficiles, voire impossible, à gérer avec le réchauffement de la période de fructification. En revanche, j’ai pu goûter un cépage que je trouve apparenté au Grüner Veltliner et qui donne de très beaux résultats : de superbes Viogniers, qui pourrait devenir le relais du Veltliner. Il apporte des textures et aromatiques similaires tout en supportant beaucoup mieux les températures et le climat actuel… affaire à suivre. 

Une dégustation un poil dépressive donc… qu’il conviendra évidemment de confirmer ou infirmer. Mais pour moi, le Grüner Veltliner commence à sombrer dans le classement de cépages que je recommande… il deviendra vraiment nécessaire de tout goûter avant.

Réflexion intéressante. Je ne sais pas si on peut parler de "première victime" par contre. J'ai bien peur que les victimes soient très nombreuses...
 

tomy63 écrit:

Réflexion intéressante. Je ne sais pas si on peut parler de "première victime" par contre. J'ai bien peur que les victimes soient très nombreuses...



 

Honnêtement pas tant que ça. Pour le moment, je trouve que les cépages du sud s'en sortent bien. Le chardonnay n'a pas de souci même le Riesling marche, idem pour le Chenin... les seuls que je trouve vraiment en danger sont le Grüner Veltliner, le Sauvignon Blanc (et encore, ça peut se gérer) et sans doute le Pinot Noir.

Je parle de qualité des vins obtenus, pas des problématiques de rendement.

Et je force aussi un peu le trait... mais j'ai quand même le sentiment que la qualité de GV se casse la gueule depuis 2012. Alors qu'au contraire, en rouge, ça monte (en Autriche).
 

J'ai regoûté Markowitch, Pfaffl et Prager hier soir. 

Markowitsch clairement n'y gagne plus rien. Pfaffl est étonnamment stable. Prager est plus souple mais relativement dépourvu d'interêt...

Il me reste Domäne Wachau et Ott à confirmer...