Après la demie catastrophe Grüner Veltliner, rapportée il y a quelques semaines, nous avons pu nous venger sur le Blaufränkisch, non sans succès.
La semaine précédente, donc, nous avions été déçu par une série pourtant prometteuse de Grüner Veltliner : ici . Après avoir testé le cépage iconique blanc d’Autriche, nous partons donc sur le cépage iconique rouge.

Pour se faire, j’ai défini deux séries. La première consiste à goûter des vins qui constituent l’entrée de gamme du cépage. La seconde propose quelques compléments et surtout trois des meilleurs vins du pays… enfin… c’était le plan.

Est-ce que nous allons nous heurter à un problème similaire au blanc ou allons-nous être subjugués ? Sans vouloir spoiler, il est clair pour moi qu’autant le Grüner commence à être problématique, je trouve qu’en rouge l’Autriche a fait d’immenses progrès, sur une base qui était déjà excellente.

Pour ces dégustations, j’ai dégaîné le Psyché 58cl de Lehmann, le Cocoon Bordeaux de Stölzle et le WCS Rioja de Zwiesel. Tous ces verres ont été excellents. Le Cocoon soulignant un peu la puissance des vins. J’ai ouvert tous les vins de la première série un peu à l’avance (début d’après-midi).


Weingut Goldenits, Blaufränkisch 2020

On commence par ce domaine que je connais moins bien. Le vin est… excellent. Beaucoup plus mûr que les autres que nous goûterons par la suite. C’est clairement celui qui présente le profil le plus solaire, avec les fruits les plus cuits et une sensation d’élevage présente mais très agréable. Point de vue RQP… c’est très fort. C’est presque très bon. 85/100.


Weingut T.FX.T Arachon, Blaufränkisch A-kira 2021
Ce vin est issu d’une coopération entre plusieurs grands vignerons d’Autriche. C’est bien simple, ces vins hyper hype ne m’ont jamais convaincu.
Ici, on retrouve exactement le problème récurrent de cette production par ailleurs populaire : un élevage excessif qui dessèche le vin. On aboutit ici à un vin légèrement oxydé du fait de son élevage. Peu d’arômes en dehors des vestiges de bois. Ce n’est clairement pas bon sans être raté. Correct 70/100


Weingut Geselmann, Blaufränkisch 2022

Geselmann en Mittelburgenland est un domaine que j’apprécie plutôt bien. A mon sens, il ne fait pas partie des leaders mais il produit de jolies choses auxquelles il manque juste un poil d’inspiration.
Le vin va exactement dans ce sens. On a un joli Blaufränkisch d’entrée de gamme mais qui ne laisse pas grand souvenir. C’est bien sans plus mais sans moins. Bon ; 80/100


Weingut Krutzler, Blaufränkisch 2020

On entre dans ma trilogie du Mittelburgenland.
Krutzler est fidèle à ce qu’on attend. Il offre ici un vin structuré, marqué par les épices. De la matière, de la longueur… c’est très bon et impossible à départager des deux derniers. Peut-être on tient ici le vin le plus austère, le plus sérieux donc à choisir en conséquence. C’est peut-être mon favoris… 85/100


Weingut Paul Kerschbaum, Blaufränkisch 2021

Kerschbaum est toujours excellent (presque) Et ça ne manque pas. Il propose un entre deux de Krutzler et Iby. Vraiment impossible de dire lequel est meilleur. Celui-ci propose un peu plus de fruit mais moins souple que Iby. C’est encore une fois très bon. 85/100

Weingut Iby, Blaufränkisch Classic 2021

On commence par un domaine que j’adore autant à cause de ses vins que de son adorable géniteur. Le Classic est l’entrée de gamme du domaine et c’est déjà splendide. Un style qu’on pourrait qualifier de féminin, tant il est sur l’élégance et la délicatesse. Habituellement je snobe un peu ce vin à la faveur du Hochäcker mais il faut bien reconnaître que tout y est. Le vin s’est bien tenu à l’ouverture mais il était déjà très bien dès le départ. C’est bon. 85/100 La série de Blaufränkisch d’entrée de gamme a été des plus plaisantes. En réalité, il n’y a guère de problèmes en dehors du plus cher et habituellement décevant TFXT. Mon choix sur porte plus sur les trois derniers, mais Goldenitz propose quelque chose de plus mûr qui n’est pas sans charme. Je n’ai pas été très détaillé dans le CR car ces vins, à mon sens, restent simple. La seule vraie différence va se poser entre le style classique des 3 derniers et le style plus mûr et généreux du premier.

Geselmann peut-être un poil derrière car trop consensuel… tous ces vins sortent autour de 10€ et franchement… bravo.

Deux semaines plus tard on a enchaîné en montant d’un cran.


Weingut Iby, Blaufränkisch Hochäcker 2021

Le vin, que je classe habituellement comme mon coup de cœur de Iby ne manque pas la cible. En terme de matière et complexité, on est clairement au dessus du Classic. On garde la patte Iby, avec une vin tout en finesse et élégance, avec beaucoup de fruit. La longueur est bonne et l’équilibre excellent… pas grand-chose à redire. Très bon. 85+/100


Weingut Umathum, Blaufränkisch 2019

Umathum est toujours plus retenu que les autres, c’est en particulier dû à son bouchage verre qui ne laisse que très peu le vin évoluer. Ici, on a une proposition extrêmement différente de Iby. Le vin est beaucoup plus sérieux et limite austère. L’acidité est nettement plus élevée et le vin d’une verticalité ébouriffante. C’est infiniment trop jeune. En l’état c’est bon. 80+ mais au bout d’une semaine, c’est devenu très bon 85/100. C’est un vin à qui il faut du temps. A attendre ou ouvrir très à l’avance.


Weingut Paul Achs, Blaufränkisch Edelgrund 2020

Celui-ci est un vrai coup de coeur mais à 24h. A l’ouverture, le vin est expressif sur le petit fruit mais quand même fermé. Je le dis d’expérience. Pour les autres, c’est surtout trop dur. Il n’a pas l’acidité de Umathum mais pas l’expressivité de Iby. En l’état, il est bon. Mais 24h plus tard, c’est proprement magnifique. Les épices se sont réveillée et le vin est d’une jolie complexité et très belle longueur. C’est un rqp de furieux. Du coup on passe de 80+ à 90-… metamorphosé.
Paul Achs est une référence de la chose, ce sont des vins qui ont besoin de temps, toujours d’une élegance remarquable mais impossible à apprécier au débotté.


Weingut Paul Kerschbaum, Blaufränkisch Dürrau 2018

MERDE… la bouteille est morte. Rien à ajouter. Pas de bouchon, juste un côté vinaigre et sec… je soupçonne le bouchon, déséché au possible d’avoir laissé le vin s’oxyder. Rien à en tirer, immonde le lendemain… quelle immense déception.


Weingut Umathum, Blaufränkisch Kirschgarten 2018

Après l’échec cuisant de Grüner Veltliner et la déception Kerschbaum juste avant… je commence à redouter la fin… surtout ce Kirschgarten qui est censé être excellent mais dont je sais aussi pertinemment qu’il peut être totalement fermé… et…
C’est tout à fait excellent. Ouf !! On retrouve bien ici le style en finesse et pas démonstratif de Umathum. Un élevage juste parfait qui ne domine absolument rien de la matière en dentelle de cette bouteille. C’est exemplaire de ce qu’on peut tirer du Blaufränkisch. On est vraiment sur une expression plutôt de fruit, en souplesse, aucune aspérité. La longueur, la matière est très concentrée. C’est l’expérience habituelle du « on dirait qu’il y a plus de vin dans le verre ». Simplement excellent. 90+/100


Weingut Kollwentz, Blaufränkisch Setz 2016

L’honneur est sauf avec Umathum, on aborde donc le sprint final de manière relaxée et optimiste. Je me souviens avant de goûter de la dégustation sur ProWein, où Kollwentz avait remis tout le monde à sa place… nostalgie…
Je plonge le nez dans le verre… première claque. C’est impressionnant d’équilibre, d’expressivité, d’intensité. On a un fruit dense, souligné très finement pas l’élevage. La bouche est pas loin du spectaculaire. On entre dans une autre dimension, c’est grand. La structure est immense, l’aromatique vaste et opulente. La densité est profonde. Long, très long et complexe. Le vin est simplement magnifique. Alors, certes, on remarque beaucoup plus l’élevage qui est encore présent et le cépage s’efface totalement devant le terroir et la patte de Andi Kollwentz… Mais qu’est-ce que c’est bon. Même à 50€, je pourrais dire que c’est un excellent rapport qualité prix. Magnifique et sans doute sublime dans 5 ans. 95+/100 La série deux de ces Blaufränkisch n’a pas déçu à l’exception du Kerschbaum. Il y a vraiment des rouges d’exception en Autriche et quand on y pense, pas si chers que ça, compte tenu du niveau des vins. Sur le Setz de Kollwentz, on est largement au niveau des plus grandes côte rôties ou de GCC bordelais (je compare souvent à des Rhônes sans tannins pour les Blaufränksich, allez savoir pourquoi).

Les vins qui m’ont vraiment marqué sont nombreux sur ces séries, quasiment tous, en fait. Je ne peux que vous recommander d’en rentrer quelques uns. Essayez par contre de toucher les millésimes les plus vieux possibles. Pas trop de risque niveau millésime en Autriche, à part 2010, il n’y a pas eu de raté réel en rouge depuis que je goûte (2005, qui était moyen). Et chez les gens comme Kollwentz ou Umathum, je n’ai jamais rien goûté de mauvais.

Merci Matthieu pour cette série. Des CR toujours au top, argumentés avec enthousiasme et expertise.
 
Etant passé chez Kollwentz la semaine dernière (Rédaction des CR en cours  ici) , les rouges étaient très beaux même si je n'ai pas eu Setz (c'était Point 2020 en 100% BF et Steinzeler 2020 & 2015 "Schatzkammer"). Ried Point avait une concentration et une profondeur impressionnante de mûre avec beaucoup de chair, le tout accompagné des épices, de la trame acide qui soulève l'ensemble sur une grande longueur et une absence totale d'astringence, les tanins parfaitement soyeux.

A titre personnel, Kirschgarten et les rouges de Kollwentz m'ont apporté des plaisirs équivalents à du pedigree français ultra prestigieux (et qui étaient à la hauteur dans le verre) tout en gardant leur patte. A l'aveugle, et dépendamment de la culture œnophile du sujet français, ces grandes BF peuvent évoquer le Rhône nord, les grands cabernets francs à maturité ou également certains PN de Bourgogne de beau calibre.

Quant à Steinzeler, c'est marqué par le cabernet-sauvignon (pour moi, le cépage "souverain") sans écraser le BF et le Zweigelt et on atteint un niveau de puissance, tension assez vertigineux sans obérer l'élégance.

En "entrée de gamme" (Kollwentz est devenu trop prestigieux pour en faire des réelles niveau prix), Eichgokel avait un bon caractère même si j'ai finalement pris un Leithakalk pour faire découvrir aux collègues.

Bonjour Matthieu,

puisque tu les connais, comment positionnerais-tu les bons MF slovènes  : Suklje, Marof ou Roka (je ne sais pas si tu as goûté les vins de Roka d'ailleurs) ?

Roka, je n'ai pas goûté. 

Le problème en BF de la Slovénie vs Autriche c'est que leur prix est souvent trop élevé. Alors attention, je parle en général

Si on prend les exemples que tu donnes. Marof pour moi est très proche en style et philosophie de TFXT Arachon. C'est extrait, très élevé et cher. Personnellement, j'ai goûté deux fois Marof et je n'aime pas du tout. Je ne pense pas que ce soit meilleur que Suklje par exemple. Ceci dit à 36€, il se situe largement en dessous de Umathum, ce qui n'est pas totalement déconnant... sauf que je mettrais 20 dans ce type de vin.

Si tu prends Suklje, il est très bien positionné puisque son entrée de gamme est un peu plus simple que ce qu'on trouve en Autriche (plus sur le côté juteux et immédiat) mais c'est justement un peu moins cher. Donc... très bien positionné. Et sur son haut de gamme, il est à mon sens un peu en dessous de Kirschgarten (et encore, à voir en dégustation à l'aveugle, ce que je compte faire bientôt car j'ai des bouteilles en attente) mais meilleur que le Achs par exemple. Or il se positionne à 25€, ce qui est largement moins que Umathum et un peu plus que Achs. Pour moi, Suklje est parfaitement positionné en niveau prix/qualité. Avec son identité propre. Mais je pense justement que Guillaume est TRES raisonnable sur ses prix. D'ailleurs si on compare avec un domaine comme Gesellman, pour le coup, il est meilleur qu'eux et il est moins cher. Mais Guillaume pourrait te donner son opinion là dessus car on a goûté un Kirschgarten 2007 à la maison quand il est venu. C'est une bouteille que je touchais à 35€ à l'époque (2010 ou 2011). 

Mais si je prends la moyenne Slovène, les prix sont globalement un peu trop élevés. J'ai reçu les tarifs par exemple de Santomas et je me suis étouffé et il y a encore beaucoup de domaines qui ont une approche très standardisante des vins ou au total opposé, complètement barrée Remarque, c'est aussi ce qui est attachant

Ilroulegalet écrit:

Merci Matthieu pour cette série. Des CR toujours au top, argumentés avec enthousiasme et expertise.
 
Etant passé chez Kollwentz la semaine dernière (Rédaction des CR en cours  ici) , les rouges étaient très beaux même si je n'ai pas eu Setz (c'était Point 2015 en 100% BF et Steinzeler 2020 & 2012 "Schatzkammer"). Ried Point avait une concentration et une profondeur impressionnante de mûre avec beaucoup de chair, le tout accompagné des épices, de la trame acide qui soulève l'ensemble sur une grande longueur et une absence totale d'astringence, les tanins parfaitement soyeux.

 

Tu décris parfaitement les vins de Kollwentz... faut dire ce qu'il en est. C'est grand, souvent. Et du coup, on ne peut même pas dire que c'est cher car des vins de ce calibre se trouveraient à 150€ en France.

Setz est souvent un peu mois vertical que Point. Mais les deux sont excellents et vraiment très proches tout en étant très identifiables... facile hein

Et puis pour ne rien gâcher, Andi est un type formidable. Tellement gentil et même pas prétentieux alors que je connais peu de vigneron aussi exigeant que lui.

Je vais très vite essayer de goûter Kollwentz.
De mon point de vue en Slovenie, les 3 que j’ai cités sont les meilleurs. C’est vrai que Marof c’est concentré mais je trouve la grande cuvée de MF très élégante voire racée.
Mais Vrbanjka 20 comme l’était le 18 c’est vraiment du joli vin.
Tu devrais goûter Roka.

Dès que possible pour Roka mais faut trouver ça

Marof, le souci c'est que je trouve ça top extrait et trop élevé. Ca me donne l'impression de devenir 15 ans en arrière J'ai goûté 2015 récemment par exemple, c'est désseché par le bois. En fait on dirait un vin forcé.

Kollwentz se trouve : au domaine en direct ou facilement sur weinshop24 par exemple. Par contre j'ai eu deux bouteilles foireuses probablement à cause du stockage... (pas du Kollwentz mais une Lackner-Tinnacker et le Kerschbaum)

Lors de mon passage, Andi était en "Sommelier Ausbildung" et mon allemand bien que correct nécessite de la concentration et un peu de temps. Résultat c'est sa femme qui m'a fait toute la visite ainsi que la dégustation - très sympa également - avec une dizaine de vin. Puis une fois le groupe parti, j'ai pu parler un petit peu avec Andi.

A Paris en tout cas, beaucoup de restaurants ouvrent (et ferment) ; je constate une progression des vins d'Europe Centrale proposés au verre dans les cartes et c'est à mon sens le segment à viser pour eux. En effet, les gens fréquentent moins les cavistes et ont peu de curiosité pour ces achats (hors Espagne/Italie, le client veut du français et du vin pas cher - basé sur les retours des 40 caves de mon employeur). Mais a contrario, les gens vont beaucoup plus souvent au restaurant que 30 ans en arrière et ils font maintenant plus facilement confiance à la sommellerie (payer 20-30 ou 50€ pour l'accord met-vin est devenu courant à Paris) où ces vins en semi-aveugle peuvent cartonner tout en offrant de bonnes marges au restaurateur.

Parce qu'un Gloria ou un Katterstein pour 12€ ou même 18€ au verre offre une qualité excellente en blanc. Un Kirschgarten d'Umathum à 10€ ou 15€ serait tout simplement exceptionnel pour beaucoup de gens.

Sinon comme vin d'été, les vins secs d'Hans Tschida à 4,20€ HT m'ont très agréablement surpris également (sans oublier le RQP phénoménal des Spätlese pour le même tarif).

Tu m'en diras tant pour les Chardonnays de Kollwentz. Bois-ça avec dix ans de cave et tu vas voir où ça se place à l'aveugle... pour une indécente fraction du prix.

Les Tschida sec sont de fabuleux rqp en effet.

Et les Spätlese... n'en parlons pas