Que de choses intéressantes à lire, trop pour que je puisse y répondre en détail sans qu'on me reproche ma longueur.
En vrac donc, quelques réflexions...
Tout d'abord, j'ai l'impression qu'on retourne un peu le débat quand on me dit (à moi ou à d'autres...) que j'encense de manière aveugle les vins du LR ou que je dénigre les Bordeaux. Rien de tout cela dans mon discours, simplement je réfute les jugements définitifs qui assènent qu'aucun vin du LR ne peut être aussi riche qu'un beau Bordeaux ou Bourgogne à maturité sur le plan de la finesse et de la puissance. C'est le côté définitif de cette phrase qui me gêne, sachant qu'on ne laisse pas aux vins du LR le loisir de prouver leur valeur dans le temps, la révolution qualitative dans la région ne datant tout de même pas d'il y a vingt ans.
Je réfute tout aussi catégoriquement le fait que la finesse soit l'apanage des vins âgés. Un vin fin est un vin fin, quel que soit son âge. Vous devez confondre finesse avec complexité aromatique sur les arômes tertiaires, qui par définition, n'apparaît qu'avec l'évolution, plus ou moins longue selon les crus.
Tant je conçois que le fait de boire certains vins de plus en plus jeunes prive les amateurs de certains aspects de leur grandeur, tant je réfute l'idée qu'il n'y a pas de grandeur sans vieillissement prolongé. S'il me paraît clair qu'un Grand Cru de qualité en Bourgogne ou à Bordeaux demande de longues années afin de livrer tous ses secrets, il faut aussi accepter que certaines régions sont capables de produire des vins qui se livrent plus facilement dans leur jeunesse, sans être pour cela moins fins, moins complexes, moins longs, moins équilibrés, en un mot, moins grands. Ils sont tout simplement différents, offrent des plaisirs différents, et pour ma part, je ne fais pas de hiérarchie dans mes plaisirs gustatifs entre plaisirs nobles (censés être apportés par la lente évolution d'un vin âgé vers des arômes tertiaires) et plaisirs que certains qualifieront de simples (car apportés par la dégustation d'un grand vin jeune). Ce doit être mon côté hédoniste qui prend le dessus sur mon côté intellectuel...
Car si les vins du LR (ou les vins chiliens, ou ceux d'autres régions où l'aspiration vers la grande qualité est récente) n'ont sans doute pas encore fait la preuve de leur capacité à se bonifier réellement sur une longue période (un peu de patience, cela viendra...), ils ont déjà démontré qu'en vin jeune, ils n'avaient rien à envier aux plus grands vins de la planète. C'est un bon début, et comme "un grand vin est grand tout le temps, au décuvage, à la mise en bouteille, après dix ans, etc." (ce n'est pas moi qui le dit, c'est Denis Mortet), le fait d'être le meilleur dans sa jeunesse n'interdit pas d'être encore le meilleur 10 ou 20 ans plus tard. L'avenir nous le dira.
Le problème vient sans doute que les références en matière de grand vin à maturité sont les canons offerts par les grands Bordeaux et Bourgognes âgés, et que l'on juge les autres régions sur base de ces canons de qualité qu'elles n'atteindront forcément pas puisque leurs vins sont différents par essence. Mais n'en doutez pas, ils créeront d'autres canons de qualité, qui vaudront par leurs différences et qui, n'en doutez pas non plus, seront snobés par les défenseurs des régions dites historiques qui nous parleront encore et toujours de finesse, de culture, de terroir et d'histoire, mais pas beaucoup de vin et de plaisir.
Dernier mot en ce qui concerne les prix, le fait que certaines nouvelles stars du Sud pratiquent des prix Bordelais ou Bourguignons (prix tout autant injustifiés dans le Languedoc qu'à Bordeaux, je suis d'accord), ne doit pas faire oublier qu'en moyenne, le niveau de prix atteint par les vins du LR est sans commune mesure avec celui atteint par les stars de la Bourgogne ou du Bordelais. En matière de prix, l'indécence n'est pas sudiste, cela me semble l'évidence même.
Luc