Monsieur Pérez bonjour,
Je viens de dévorer votre livre en quelques heures.
Félicitations pour cet ouvrage qui, à maintes reprises, m'a amené à me dire que vous disiez tout haut ce que je pense tout bas. A certains moments, je l'ai trouvé brillant et, la plupart du temps, intelligent.
Le propos qui va suivre n'a pas pour but de débattre (je ne suis pas un habitué des forums qui me mettent mal à l'aise, vous comprendrez pourquoi avec ce qui suit...) mais simplement de vous faire part de mes réactions pour alimenter votre propre réflexion.
Le premier moment où j'ai eu envie de réagir fut votre analogie avec la musique (page 50). Vous y revenez d'ailleurs à la fin de votre livre lorsque vous dites que le vin partage la capacité d'être l'objet de discussions, de discussions, de critiques, avec l'art.
Je suis totalement d'accord avec vous, de même qu'avec la notion d'"évidence" que vous évoquez 2 pages plus tard, pour décrire ce qui frappe le passionné lorsqu'il a le sentiment d'avoir découvert un grand vin.
Ce qui m'amène à me demander s'il est bien utile de tant parler du vin...
Le deuxième moment de forte approbation fut l'évocation de "terroiristes". Comme vous, j'ai pu constater la dégradation de la ligne éditoriale de la RVF et l'irruption récente d'un terroiriste en la personne de Pierre Citerne. Si ses qualités de dégustateur peuvent difficilement être mises en doute vu les prix qu'il a remportés, le strapontin que la direction de la RVF lui a fait en lui donnant la responsabilité d'une région mineure (de leur point de vue), l'amène à forcer le trait et à se faire, de façon péremptoire, le chantre des pseudo-terroirs languedociens. Quitte à ne pas être capable de conseiller des bouteilles à moins de 15 euros voire 30 euros lorsqu'il décrypte une appellation languedocienne... (c'est vraiment ridicule, convenez-en)
Et je fais le lien avec le 3ème moment, votre phrase : "C'est une façon un peu fermée d'auto-enrichir ce qui est établi sans finalement voir ce qui émerge, mais surtout sans s'en donner les moyens." Peut-on vivre de sa passion sans se compromettre ? Je pense qu'il y a un certain embourgeoisement, une certaine fainéantise qui se développe lorsque l'on fait partie du sérail... Tout comme il est intéressant de constater qu'il est très masculin d'écrire et de parler du vin, d'être démonstratif, de débattre, comme en politique...
Ce qui m'amène à cette réflexion : quel manque d'humilité dans ces débats ! Ce qui me plait le plus dans ma passion du vin, c'est de rencontrer les vignerons, sur leurs terres, dans leurs chais. A chaque grande rencontre, et j'ai eu la chance d'en faire souvent dans ces circonstances, une chose revient toujours : c'est le sentiment d'humilité qui se dégage des grands vignerons (et qui me ramène aussi à davantage d'humilité, moi qui ne suis pas un créatif comme eux). Et cela contraste fortement avec le sentiment de vanité, de suffisance que m'inspirent la plupart des critiques.
Je l'ai aussi trouvé plusieurs fois dans votre propos, malgré vos précautions liminaires (et notamment les hésitations que vous avez eues à rédiger un livre). Pages 100 et 101 : vous vous amusez du peu d'audience des blogueurs, ex-intervenants sur votre site pour dire ensuite des intervenants "comme si ce site était le leur". Hé bien, pour moi, c'est bien le leur puisque ce sont eux et non vous qui le faites (vous n'en êtes qu'un contributeur même si vous en êtes à l'origine).
Autre manque d'humilité, la phrase "je me rappelle très bien le tollé provoqué lorsque la nouvelle de ma présence au lac de Côme en 2012 s'était répandue". Quel manque d'humilité, quel égocentrisme ! Car bien que passionné par le vin depuis plus d'une quinzaine d'années, je n'ai jamais entendu parlé de vous, même si j'ai été amené à me retrouver sur votre site à l'occasion de recherches sur internet...
Autre exemple quelques pages plus tard : "Ce qui se jouait dans cette jalousie ne relevait pas de l'évènement lui-même, mais je pense qu'il était plus centré sur ma personne. [...] à la reconnaissance de ce qu'était LPV et que je symbolisais". Hum, hum, pas terrible... tout comme "acteur incontournable du petit monde du vin sur la toile" à la page suivante... (page 128 aussi, quel manque d'humilité encore !)
Le summum est quand même atteint dans la description de la guéguerre avec Bettane. S'il est assez gonflé de vous placer au même niveau que Bettane (au moins en terme de notoriété), il serait bien plus intelligent de l'ignorer. De toutes façons, vous êtes plus jeune que lui et c'est vous qui gagnerez dans quelques années, lorsqu'il aura disparu (idem pour Parker). Ils sont déjà has been, même s'ils ont sans doute été des dégustateurs hors pair.
Un terme que j'aurais aimé trouver dans vos propos : l'überisation. Tous disparaitront, soit de leur belle mort, soit parce que les consommateurs auront de plus en plus les moyens de se passer des intermédiaires entre eux et les vignerons : en fait, tous les intermédiaires ont du soucis à se faire, négociants, critiques inclus, si puissants soient-ils ou pensent-ils être.
Et être invité sur les bords du lac de Côme n'était qu'une façon pour la clique du vin d'inféoder un électron libre pour lui faire croquer une part du gâteau, en espérant qu'il apprécie et qu'il cesse de dénoncer, à juste titre, le système.
Bettane l'a fait en son temps, au début des années 80, avant de s'embourgeoiser à son tour (comme Parker un peu avant).
Heureusement, il y a cette phrase page 135 "l'excès d'humilité est autant à craindre que l'inverse". Ca m'a bien fait rire après ce qui précédait !
Ceci étant, vous finissez néanmoins à faire preuve de lucidité page 142 : "Du reste est-il intéressant de se demander si un débat sert réellement à convaincre ou s'il ne se résume pas finalement juste à montrer sa force, un peu comme un chien qui montre ses crocs."
Oui, c'est bien cela, et c'est en cela que je disais que tout cela est très masculin. C'est un peu à celui qui veut avoir la plus grosse sous les douches après un match de foot...
Des femmes ne se comporteraient pas comme cela et ce serait tout à leur honneur.
Finalement, votre conclusion est la bonne. Entre volonté de liberté et démarche esthétique, ce n'est pas le doute mais la certitude qui rend fou comme l'écrivait Nietzche (en écho à la page 151).
Restez rêveur, romantique et idéaliste, faites votre vin !
C'est encore ce qui vous distinguera le mieux de ces vieux critiques qui n'en sont pas capables, par manque de courage ou d'énergie et en attendant, continuons à boire du vin, à découvrir, à dénicher, à faire profiter nos amis moins passionnés ou connaisseurs.
Avec les moments de rencontre avec les vignerons, mon moment préféré dans ma passion du vin est de passer une bonne soirée entre amis autour d'une bonne bouteille et de leur demander : "alors qu'est que tu en penses ?".
A chaque fois, ils me disent : "je ne sais pas quoi dire, je n'ai pas les mots pour m'exprimer, je ne m'y connais pas comme toi".
Et de répondre : "on s'en fout de ça. C'est bon ou pas ?". S'il me dit oui avec les yeux qui pétillent, ça vaut toutes les réponses érudites !
Encore merci pour ce livre,
Bien cordialement