Nenin 1952
Il y des vins que nous achetons sans savoir pourquoi. Encore un achat impulsif. Encore un achat dû à un emballement lors d'une vente aux enchères. Surement frustré de ne pas avoir obtenu les lots convoités il fallait que mon numéro raisonne dans la salle comme étant le gagnant d'une enchère. Je ne repartirais pas avec des Mission 62 mais bien avec un Nenin 52. Et toc !
Me voici donc l'acquéreur d'une bouteille de Nénin 52 pour une poignée d'euros. Au moins ce sera une expérience. Je ne connais pas le millésime 52, ni de réputation, ni pour l'avoir gouté. Ce sera donc une occasion de voir ce qu'il en retourne.
Et puis voilà que cette bouteille reste en cave quelques années. Je la savais posée quelque part, allongée parmi ses petites sœurs beaucoup moins âgées. Jamais je n'avais encore eu l'occasion de l'ouvrir. Toujours cette appréhension de savoir ce qu'elle pouvait bien délivrer comme message. Ce n'est pas comme si c'était le trésor de la cave, mais j'y tenais à cette bouteille. Parce que je me souvenais de son achat, et puis à force de retarder son ouverture, force est de constater que je commençais à l'apprécier pour ce qu'elle était alors : un piège à souvenirs. Je me souvenais de son achat, de son stockage, de ses innombrables aller retour dans les casiers de la cave. Je me souviens des nombreuses fois ou je me suis dis "mais j'en fais quoi de cette vieille ? Mais bois là !".
Et puis en ce jour de Noël, l'occasion se présenta d'enfin la découvrir. Sur un plat de fruit de mer en plus. Car en effet, certains membres de ma famille ont un gout prononcé pour ce que j'appellerai une expérimentation-nite aiguë pour les accords mets-vins. Je fus assez soufflé quand la clameur générale me demanda de boire un rouge sur un plateau de fruits de mer et des huitres. Soit. Mais encore. Le chablis Forest 2005 de Dauvissat ne vous est donc pas suffisant ? Il vous faut donc votre verre de vin rouge, qu'importe le plat ?
Et c'est à ce moment là que me vient l'idée du Nénin 52. Et oui, pourquoi pas. Le plateau est presque fini. Ne serais ce pas le moment de l'ouvrir ?
Me voici donc à la recherche de ma promise. Après quelques minutes d'intenses musculations, la voici dans mes mains. Ne voulant encore pas passer pour un clown de l'ouverture (je suis le spécialiste du "ah ben dis donc le bouchon il flotte", je me faufile dans la cuisine à la recherche du bilame, je retraverse la salon, passe comme si de rien n'était devant la tablée et je m'enferme dans la salle de bains. En bon Dexter addict ayant pris des notes sur la disposition de protections pour éviter toutes traces fâcheuses, je protège l'évier de tout débordement possible. Et je commence mon œuvre.
Pschiiitttttttttttttttt. Voici le premier mot de Madame. Ça commence bien. A peine je commence à enlever le bouchon que cette dernière commence à crier. Dans ma tête je pense que ça y est c'est la fin, s'il y a du gaz c'est que c'est madérisé. Mais que nenni !
Le bouchon est enlevé. Évidemment ce fut encore une fois une boucherie. Il y a de nombreux morceaux de bouchons partout mais hors de la bouteille... Dans la série "j'ai un prix de Nobel de "bousillage de bouchon" que même que Terminator face à moi c'est un Mickey", je me demande moi même.
J'hume le vin. De la truffe, encore de la truffe mais pas que la truffe. Il y a de petites notes de cuirs et de petits fruits noirs. Viens le moment de le servir à table. Évidemment je n'empêche pas une partie des invités de dire "ah oui un vieux bordeaux, ça doit être bon un madère". Je fi donc fis de l'adversité en expliquant que était une expérience. Je repris ma place. Le vin truffe toujours autant, mais cela se fait plus précis, plus charmeur. Les notes de truffes s’amenuisent et se mêlent avec plus de délicatesse avec les notes de cuir. Je dirais qu'il y a une certaine harmonie, alors qu'à l'ouverture c'était plus brutal.
En bouche c'est très fin. Évidemment les tannins sont non pas absent, mais fusionnent pour se faire douceur et caresse. C'est élégant sans lourdeur. Ce n'est pas d'une grande concentration mais juste ce qu'il faut. Le vin est très bon, pas de signe de faiblesse mais je me doute que 50 ans de garde supplémentaire ne lui iront pas forcement. Il est à noter que les personnes qui l'ont gouté ont aussi pris du plaisir et découvert que non, un vieux Bordeaux ce n'est pas forcement le meilleur ami de l'huile d'olive pour accompagner de la salade.
Ce que je retiens de ce Nénin 52 est son charme, son calme. C'est un vin plaisir. Pas un grand vin mais un des vins dont je me souviendrais de part le contenu mais aussi de part l’histoire de la bouteille elle même. Surtout que je n'attendais pas à ce que le vin soit encore vivant, et encore moins qu'il soit bon.