Je dois dire que l'idée d'organiser un repas autour du cigare m'était venue lors d'une discussion avec Jean-Philippe Durand lors d'une soirée organisée par Francois Audouze, que je crois tous deux très assidus sur ce site. C'est ma première visite. Je leur rends hommage, a l'un pour m'avoir fait ressentir que la cuisine est une partition musicale qui n'a pas de limite, à l'autre pour m'avoir donner le gout des vins anciens, sans les juger, mais simplement chercher à les comprendre.
J'ai plaisir a vous transmettre les commentaires de ce magnifique moment passé entre amis.
HABANOS EPICURE CLUB Repas du 20 décembre 2008
Enchanté l’an dernier par la magie du lieu de l’Abbaye de la Bussière et de son jeune chef, un des plus talentueux de sa génération, nous décidons cette année encore de nous lancer dans une nouvelle aventure culinaire pour notre désormais traditionnel rendez vous « Especiale ».
Tout club de cigare se trouvant aujourd’hui confronté à des règles qui ne se limitent plus à la bienséance et au respect de l’autre, l’idée cette année était donc de mettre les nobles vitoles… dans l’assiette. Ajoutez sans retenue le prodige d’Elzie (Olivier Elzer, « The » Chef) et le talent orchestral de Julien : nous allons entrer dans une dimension jamais atteinte jusqu’alors.
Alors que j’opérais une brève vérification des vins qui avaient été ouverts à 11 h par l’équipe de sommellerie, remarquablement conduite par Freddy et Aurélien, les membres qui avaient eu la chance de répondre présent dégustaient le Champagne Lanson 1976, Magnum, dégorgé 2008, servi dans le grand salon. Les bulles sont encore présentes et très fines. Le nez légèrement brioché laisse progressivement place à des coings compotés. En bouche, une légère amertume et des goûts moins nets, peut être du a un repos insuffisant, nous donne l’impression cependant de gouter un excellent « vin», confirmée lorsque le sommelier me tend un verre classique pour abandonner la traditionnelle coupe. C’est meilleur comme cela. Les amuse bouches sont servis dans une cave à cigare, et des nems claro claro se présentent dans des cendriers avec quelques braises et une fumée légèrement odorante. L’allumage est parfait. Beau clin d’œil.
Nous rejoignons, la joie déjà présente, la magnifique salle aux voutes croisées d’ogive, donnant sur le parc. La table est parfaitement dressée, avec les verres en ordre de marche, qui attendent, impeccablement alignés, tels de nobles puros.
« Nous sommes dans un lieu offert par l’amour du seigneur. Or, son amour est lumière et nous déjeunons dans ce lieu de lumières, au sein de la vérité : que les deux nous éclairent ». Frère Frank avait parlé, cette fois ci en allemand.
Toute ressemblance à des personnages existants est purement fortuite : notre impétrant libanais orthodoxe ne parle que 6 langues étrangères, philosophie comprise. Nous pouvons commencer.
Le Pouilly Fuissé, J.P. Sève, 1990 ouvre le repas. C’est sans doute une des premières cuvées de ce – toujours – jeune viticulteur de talent. La roche de Solutré surplombe avec bienveillance sa demeure et donc sa cuverie. La pierre à fusil se gomme légèrement sur des agrumes et des abricots cuits, puis revient. Le ton minéral est donné.
Le foie gras de canard chaud en escalope, jus au poivre infusé à la Havane, est servi avec des effluves de cigare délicatement encloses dans un grand verre renversé. L’habileté synchronisée des serveurs emplit la salle d’une belle odeur connue. Le Muscat d’Alsace, domaine G. Kuenh, 1982, ultime témoin d’un héritage paternel, montre un nez pétrolé et de vieux fût encore séduisant. Sa bouche exprime une bonne minéralité.
Arrive le premier vin surprise, moelleux à souhait, avec une acidité vivifiante, aux arômes de poire, de miel, subtilement épicé. Personne ne trouve, et pour cause : Vendange d’automne, F. Charles, Nantoux, Vin de table (cote de beaune). L’année n’est pas indiquée car plus rien ne l’impose, mais il doit s’agir de 2004. Intense émotion. L’Amitié est partage, découvertes.
Le Corton Charlemagne, F. Follin Arbelet, 2001, vin d’empereur, couleur or, vient s’associer avec force et vigueur à un Carpaccio de coquille saint jacques aux épices de cigare dominicain et agrumes, servi sur 3 petits galets. Le tartare nature est subtilement relevé par un piment d’Espelette et de la poudre de fève de tonka. Des pointes de citron et d’orange sautillent sur les papilles en fin de bouche. Magnifique association, un plat d’une justesse de gout qui me ramène un doux souvenir d’une autre composition poisson/agrume d’Anne-Sophie Pic. Nul doute que ce jeune chef connaitra les mêmes honneurs.
Le Moulin à Vent Château des Jacques, 1957, Magnum, appartenant aujourd’hui à la maison Jadot, dévoile de subtiles fragrances de framboise, de pruneau, pour s’évanouir avec brio sur des arômes de Porto. Il me rappelle l’odeur « du vieux fauteuil humide en cuir dans ma maison de campagne », s’étonne l’un de nous. Vient alors naturellement s’asseoir la Cocotte de filet de volaille « Mieral » cuite au foin, betteraves acidulées et jus crémé au rhum ambré pour rappeler les danses cubaines. Son émiettée de cigare dominicain sert un décolleté angélique à ce morceau de poulette d’une divine blancheur. La bouffée olfactive qui enivre la pièce est encore présente lorsque j’écris ces lignes, ainsi que le gout diaboliquement bon de ce jus de volaille crémé, venant se fondre avec cette poitrine enfin offerte qui pouvait se déguster sans couvert par des baisers croquants, tellement sa chair était délicate et moelleuse. Le Cote Rôtie les Essartailles, vin de vienne, 2005 confirme la compétence du trio maintenant célèbre du Rhône, avec ses gouts typiques de syrah jeune que l’on adore toujours.
Une nouvelle surprise arrive avec un Croze-Hermitage, la Guiraude, A. Graillot, 2003. Une majestueuse carafe « Riedel » le présente sur un piédestal dont il ne redescendra plus. Bouteille rare, arômes complexes et fins d’une immense persistance. Je cesse de parler. Respect.
Nos rires se reposent. L’amitié se sustente de badineries fugaces. Le bonheur est si simple. La finesse du granité, véritable cristal parfumé à l’XO, est un entracte princier. On sent que le chef veille avec précision et justesse et on s’impatiente de sa venue pour lui dire tout le bien qu’on pense de ses délicieuses créations.
Le Clos des Papes, P. Avril, 1994, n’a pas été élu meilleur vin monde - pour son millésime 2005 - par un prestigieux magazine américain pour rien. Epicé, peu extrait et peu boisé en raison de l’élevage, il exhale une très fine complexité. Quelques groseilles, de belles mûres, ses arômes déjà évolués se fondent dans des tanins soyeux. Il se marie avec plaisir avec le dos de sanglier au robusto hondurien, oignons doux compotés et chocolat noir au piment d’espelette. L’infusion hondurienne relevée d’un léger jus de truffe, jalousement gardée dans mon assiette, vient ensuite caresser le Comte de M, Kefraya, 1999, surprenant grand cru libanais, composé de cabernet et de syrah. Jeune pour sa classe, on ressent un immense talent sous son humble retenue. Peau de prune, fruits rouges jeunes, mais aussi épices fumées, tabac et encens gras, enveloppent la bouche avec longueur.
Avec le Cîteaux à la truffe de Bourgogne, mâche et noisettes, excellemment affiné et travaillé avec du mascarpone, le pas de deux en pinot, indispensable danse pour les descendants burgonds que nous sommes, se compose d’un Corton 1er cru les Maréchaudes, Capitain Gagnerot, 2003 et d’un Côte de nuit village G. Jayer, 2003. Arômes nets, concentrés, étoffés, persistants, chaleureux, avec une sonorité gustative parfaite entre le nez et la bouche. Fort appréciés, ce sont des vins d’une grande personnalité, à l’image de leurs architectes et de leur donateur.
La pochée de pomelos au vermouth, croustillant au miel de bourgogne, arrive à poings nommés pour boxer nos sens un peu engourdis. Le combat laisse vite place à un harmonieux tango avec le Loupiac, crème de tête, domaine Y. Réglat, 1990. Sa température fraiche est idéale. D’une grande richesse olfactive, des pêches blanches mûres semblent se distinguer. Sa saveur miélée joue un accord parfait.
Elzie, qui pourra être élu 1er Torcedor d'Or pour son immense talent, nous laisse comblés et regagne d’un magistral coup de cape sa Vuelta Abajo pour un repos mérité.
Quelques alcools choisis et un cigare du père noël buxérois ponctuent cette journée généreuse dans ce bout de paradis, habité de bons esprits, et dont on n’a jamais envie de partir tellement on est heureux. Une pensée à tous nos amis qui n’ont pas été là. Mais l’année prochaine, année en… 9, années de très grands millésimes du XXème siècle, se prépare déjà.
Merci à toute l’équipe.
Excellente fin d’année.
Jean-Pierre FOURRIER
www.abbaye-dela-buss...
Tous les vins ont été très appréciés et un classement de synthèse semble impossible cette fois ci. Je transmets juste mon vote, qui ne ressemble à aucun autre :
1- Crozes Hermitage, la Guiraude, A. Graillot 2003
2- Vendange d’automne, F. Charles, vin de table, Nantoux (2004)
3- Clos des Papes, P. Avril 1994
4- Corton 1er cru, les Maréchaudes, 2003