Ça faisait quelques mois qu'on se disait qu'il fallait faire quelque chose de spécial pour fêter les dix ans et la centième réunion du CRD-LPV Belgique. Marquer le coup.
Traditionnellement, en décembre, nous trouvons un restaurant qui veut bien nous accueillir avec nos quelques bouteilles "coup de cœur".
Il se fait qu'à
L'Air du Temps
, restaurant double étoilé Michelin tenu de main de maître par Sang-Hoon Degeimbre et son équipe, la possibilité est offerte aux amateurs d'apporter leurs propres bouteilles sans avoir à s’acquitter d'un droit de bouchon. Seule contrainte, il faut que ça se passe un jeudi. Qu'à cela ne tienne, on peut bien déplacer notre réunion de 24 heures quand c'est pour la bonne cause...
D'autant plus que j'ai gardé un excellent souvenir de mon
premier passage
en ce temple de la haute gastronomie belge, en août de cette année.
C'est donc décidé, nous établissons une liste de vins possibles dans laquelle viendra piocher Maxim De Muynck, le sommelier. Les vins sont amenés sur place quelques semaines avant la date fatidique. Une fois le choix des vins effectué, c'est le sommelier qui gèrera tout le reste, en particulier l'ordre de service.
Nous y voilà !
Le bâtiment est une ferme en carré, avec un jardin de 5 ha où poussent herbes et légumes qui raviront nos papilles.
Comme vous pouvez le constater, les deux cofondateurs, les deux organisateurs, les deux meneurs inséparables du CRD-LPV Belgique sont en grande forme et d'humeur plutôt badine. Surtout Alain... Olivier semble avoir plus de mal... Je ne sais pas pourquoi, sans doute écrasé sous le poids... de la responsabilité...
Place aux choses sérieuses ! Vous m'excuserez par avance de l'avalanche de superlatifs, tant concernant les plats que les vins, mais il n'y avait vraiment rien à jeter...
A notre arrivée, on nous sert un petit verre d'eau de cédrat, rafraichissant, aux notes citronnées, marqué par une fine amertume.
C'est bien agréable, mais on n'est tout de même pas venu ici pour boire de l'eau, fusse-t-elle de cédrat ! C'est qu'on a une réputation à tenir, tout de même !
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Mises en bouche
J'ai toujours pensé qu'on pouvait juger la qualité et le sérieux d'un restaurant rien qu'aux mises en bouche. Celles-ci furent assurément d'un très haut niveau.
Poire ridée
Branche d'automne
Lacto de carottes rouges
Echalottes et pied de porc moelleux
Crispy de peau de poulet, foie gras au ponzu
Petits gris et noix
Pour les accompagner dignement, nous avions prévu deux Champagne :
Pierre Moncuit - Grand Cru Blanc de blancs Vieilles Vignes - Champagne brut 2002
La robe est jaune paille, aux bulles très fines. Nez complexe, fruité, pomme, fumé, floral, avec peut-être une toute petite touche oxydative. La bouche est tendue, discrètement dosée, la bulle est belle, bien présente mais sans agressivité, tout cela est très bien équilibré et surtout très long, dans un style fin et tranchant qui ravit mes papilles.
Excellent
Bérèche et Fils - Reflet d'Antan - Champagne Brut
Il s'agit d'un assemblage à parts égales de Chardonnay, Pinot Meunier et Pinot Noir, vinifié en fûts de 600 litres, en réserve perpétuelle depuis 1985. La base est de 2009, dégorgé en juin 2014, dosé à 6gr/l.
Robe jaune paille aux bulles très fines. Nez étonnant, nettement boisé, avec des notes vanillées et de la pomme au four. Plutôt inhabituel pour un champagne, un nez qui évoque plutôt celui d'un beau bourgogne blanc. En bouche, on est sur un style très différent du précédent, mais non moins superbe, moins tendu et plus gras, plus ample, plus vineux, tout en restant parfaitement équilibré et d'une superbe longueur. C'est tout à fait autre chose, mais c'est également une superbe bouteille !
Excellent
Terre et Mer : Maquereau mariné, croustillant de tapioca aux algues - croquette à l'anguille fumée
Tout cela se mange avec les doigts et avec doigté. Et c'est succulent ! En particulier la croquette, qui doit se mettre en bouche en une fois, explosion de saveurs délicates.
Deux grands classiques en accompagnement :
Domaine Didier Dagueneau - Silex - Pouilly-Fumé 2005
Vous pouvez me faire confiance, c'est bien un Silex 2005, même si l'étiquette a quelque peu souffert d'une conservation en cave humide.
Robe jaune pâle. Nez au départ un peu réduit, fumé, qui s'ouvre bien sur de belles notes d'agrumes, bien mûres, nous évitant en grande partie les notes variétales trop marquées. En bouche, c'est tendu et gras à la fois, ample, sec et volumineux, mais sans lourdeur. Grand équilibre sur le fil du rasoir, très belle longueur, parfaitement à l'aise sur le maquereau, c'est un superbe vin.
Excellent
Domaine Zind-Humbrecht - Clos Saint-Urbain - Riesling Grand Cru Rangen de Thann 2008
Robe jaune-or. Nez superbe, particulièrement minéral, mûr, sur les agrumes confits, avec de légères notes terpéniques rappelant le cépage. En bouche c'est sec, tendu, puissant et ample, parfaitement équilibré, très longue finale saline. S'il a semblé un peu moins à l'aise sur le maquereau, il nous délecte avec la croquette d'anguille fumée. A vin à son niveau habituel, à savoir au sommet.
Excellent
Saint-Jacques, céleri au jus de coquillage, camomille
Bon, là, n'y allons pas par quatre chemins, ce sont les meilleures Saint-Jacques que j'ai mangé de ma vie, et il me semble que je n'étais pas le seul à avoir la même impression à table. Texture impressionnante de finesse et de délicatesse, grand plat !
Les deux vins qui suivent seront-ils à la hauteur de ce plat impressionnant ?
Vincent Dauvissat - Chablis Grand Cru Les Preuses 2005
Robe jaune tirant sur l'or. Nez typique des vins encore un peu jeunes du domaine, avec une réduction assez marquée sur la croûte de fromage, qui persiste après aération brutale. Les bouteilles ont pourtant été ouvertes quelques heures à l'avance. Pas encore assez pour celle-ci, manifestement.
En bouche, par contre, c'est superbe, tendu et ample à la fois, d'un équilibre parfait et d'une longueur digne de son pedigree. Il s’accommode par ailleurs magnifiquement des Saint-Jacques.
Une bouteille qu'il faut impérativement aérer longuement avant le service.
Très bien ++ en l'état, mais sans aucun doute excellent si on parvient à gommer ce petit côté réduit.
Clos Rougeard - Brézé - Saumur 2002
La robe se pare d'un or intense. Superbe nez mûr, tourbé, au boisé présent mais bien intégré aux notes de miel, de coing et de fleurs blanches. En bouche, on note une très légère pointe de gaz, très belle tension malgré le gras indéniable, c'est ample, très bien équilibré et surtout très long. J'ai déjà goûté l'une ou l'autre bouteille moins en forme de cette cuvée sur ce millésime, mais celle-ci est remarquable !
Excellent
Huître de Maldon, émulsion d'huile de fenouil, concombre fermenté
Bon, si je vous dit que c'est la meilleure huitre que j'ai mangé de ma vie, vous allez dire que j'exagère (à peine...) ou que je ne mange pas souvent d'huitres (ce qui n'est pas faux). Cela étant dit, je ne peux rien dire d'autre de ce plat qui se mange en une gorgée et qui explose en bouche de mille saveurs. Pas de vin pour l'accompagner, on nous avait prévu un verre de saké. Certains ont marqué leur étonnement, voire leurs craintes pour l'état de leurs papilles, mais force est de constater que c'était le bon choix, d'autant plus que l'alcool a su rester discret. Remarquable !
Les légumes du jardin de l'Air du Temps : Jus lacté et huile de sapin Douglas
Un classique de la maison, un plat composé de légumes uniquement, il y a de la betterave, de la feuille de choux, du pin Douglas, et plein d'autres choses encore que je n'ai pu noter. Quelle fraîcheur, quel éclat, c'est succulent !
Deux vins, une fois encore, pour accompagner ce très beau plat :
Château-Grillet 2007
Robe jaune paille. Nez réduit, qui s'améliore bien à l'aération sur les fruits secs, des notes exotiques et florales. En bouche, c'est riche et gras, sans doute même un peu trop à mon goût, mais étonnamment (ou pas...), l'acidité du plat parvient à superbement équilibrer le tout et éviter la mollesse et lourdeur qui me semblaient au départ inévitables, apportant au vin un supplément de tension et de longueur. Du coup, alors que je me dirigeais vers ma première semi-déception de la soirée, le plaisir a finalement été au rendez-vous.
Très bien
Alphonse Mellot - Edmond - Sancerre 2011
Robe jaune paille. Nez mentholé, avec de belles notes d'agrumes, mais aussi les notes végétales (cosse de petit pois) que j'ai retrouvé dans nombre de blancs de Loire issus de ce millésime difficile. En bouche, si la fraîcheur est belle et le volume tout comme la longueur sont corrects, ce caractère végétal est toujours présent. Par contre, une fois de plus, le vin est sublimé par le plat avec lequel il s'accorde très bien. C'est là qu'on se dit que sommelier, c'est un métier...
Très bien -
Lotte en cendre d'aubergines, risotto noir, jus pil pil
Que dire... je vais arrêter les superlatifs, parce que ça devient lassant, mais la cuisson de cette lotte... tout simplement parfaite (cuisson à basse température, si j'ai bien noté, 3 minutes à 84 °, puis repos de 30 minutes, puis à nouveau 3 minutes à 84°). J'en ai surpris en train de lécher leurs assiettes, la sauce n’était donc pas mauvaise non plus. Le maintient se perd, je vous le dit, mais qui les blâmerait ? Pas moi...
On avait tout de même pas mal de vins rouges à placer dans cette maison ou le menu fait habituellement la part belle aux blancs. Ceux-ci ont été servis un peu plus frais qu'à l'accoutumée. Comme je vous le disais, c'est un métier...
Domaine Amiot-Servelle - Chambolle-Musigny 1e Cru Les Amoureuses 2006
Robe de faible intensité aux reflets rubis. Beau nez sur les fruits rouges, avec une petite touche de verdeur qui apporte un peu de fraicheur, floral, boisé particulièrement discret. En bouche c'est particulièrement frais, tout en finesse et en longueur, dans un style peut-être un peu strict pour ceux qui, comme moi, aiment les vins gourmands, avec des tannins toujours fermes qui demanderont quelques années supplémentaires pour se fondre. L'acord avec la lotte a divisé l'assemblée, certains étant dubitatifs, d'autres comme moi, davantage convaincus. Une belle bouteille, encore un peu jeune.
Très bien +
Château de Fonsalette - Côtes-du-Rhône 2004
Bizarrement, je constate que mes notes sur ce vin sont assez succinctes. Sans doute que l'évidence qui nous a sauté aux nez et aux papilles ne m'a pas incité à m'appesantir davantage...
Robe de faible intensité mais de forte turbidité, aux reflets grenat. Au nez, on est sur la réglisse, les fruits rouges confits, le cuir et la petite touche verte caractéristique. La bouche est fraîche et ample à la fois, très bien équilibrée, gouleyante, soyeuse, longue. Du plaisir, rien que du plaisir...
Très bien ++
Gibier à plumes : Faisan laqué au feu de bois, pomme de terre au Saindoux, fritons des pattes
A nouveau , perfection dans les cuissons, c'était plus que très bon, mais bizarrement, c'est sans doute le plat qui m'a laissé le moins de souvenirs, sans doute parce que toute mon attention a été retenue par un des vins qui l'accompagnait...
Roagna - Pajé - Barbaresco 2004
Robe d'intensité faible à moyenne aux reflets rubis. Nez relativement simple mais très plaisant sur les fruits rouges acidulés, le cuir, avec une petite touche verte. La bouche est très fraîche, souple, soyeuse et très bien équilibrée. Les tannins sont fins, la finale est longue, rien à dire, c'est vraiment très bon, mais le verre placé à ses côtés était encore meilleur...
Très bien ++
Château Rayas - Châteauneuf-du-Pape 1999
Robe de faible intensité aux reflets grenat. Dès le nez, on a tous compris à qui on avait affaire, sans doute qu'on en boit un peu trop souvent... Cuir, rose fanée, épices orientales, rafle, le bouquet est classique et plus que plaisant. En bouche, on se trouve devant un ensemble parfaitement équilibré ou l'alcool est particulièrement bien intégré, les tannins fondus, la texture d'un soyeux rare, et la longueur tout simplement exceptionnelle. Avoir dégusté Fonsalette et Rayas lors du même repas permet de comprendre que c'est sur ce point précis que la différence est la plus grande. Hors concours.
Grand vin
Le meilleur des bois : filet de chevreuil, caviar, patate douce, tonka
L'association chevreuil et caviar, aussi étonnante qu'elle soit, n'en était pas moins convaincante. Encore une fois, un plat d'un niveau très élevé !
Au moins autant que celui des vins qui l'ont accompagné :
Domaine Armand Rousseau - Mazy-Chambertin 2006
Robe de faible intensité aux reflets rubis. superbe nez complexe et fin, sur un fruité rouge mûr, à la limite du confit, des belles notes florales, des épices, une petite touche verte évoquant la rafle, et un début d'évolution sur le sous-bois et le cuir. La bouche est droite et fine, parfaitement équilibrée, aux tannins soyeux, et surtout, d'une longueur exceptionnelle. Quelle belle bouteille, qui ne fait que renforcer mes regrets d'avoir du abandonné les achats dans cette superbe maison au vu des prix pratiqués...
Excellent +
Guigal - La Mouline - Côte-Rôtie 2006
Robe intense aux reflets rubis. Nez boisé, lardé, avec de la réglisse, des fruits noirs bien mûrs et des épices. On peut être gêné par l'élevage affectivement assez prégnant au nez, ou on peut considérer que le vin est encore très jeune et s'intéresser de plus près à ses qualités gustatives. Car en bouche, pas de doute, on est en face d'un grand, et sans doute même d'un futur très grand. L’attaque est fraîche, le milieu de bouche est ample et rond, puissant et fin à la fois, la finale est très longue et possède le soyeux de texture habituel des grandes cuvées produites dans cette maison. Une bouteille qui mérite assurément quelques années de garde supplémentaires pour digérer son élevage, mais qui offre déjà un immense plaisir aujourd'hui.
Excellent
Isole e Olena - Syrah - Toscana IGT 2006
Robe intense aux reflets rubis. Nez mûr et épicé, boisé et chocolaté. La bouche est ample et puissante, avec une fraîcheur bien conservée, des tannins présents mais soyeux, et une belle longueur. Vous l'aurez compris, aucun défaut pour ce vin qui n'a eu comme seul souci de passer après deux grandes bouteilles qui l'ont quelque peu éclipsé.
Très bien
Souvenir de montagne : le Comté mi vieux en crème tendre, jus lactiques, kimchi
Qui dit Comté dit vin oxydatif, on a trouvé ça en magasin...
Domaine Julien Meyer - Zellberg - l'hermitage - Sylvaner nature 2006
Robe or intense. Très joli nez si on n'est pas rebuté par le style oxydatif, pomme cuite, fruits secs, floral et épicé. En bouche, c'est frais, de demi corps et de longueur moyenne, sans défaut mais un peu peu limité face à la puissance du plat qui a tendance à l’écraser quelque peu. Cela dit, ça se laisse boire avec plaisir.
Bien +
Les agrumes de Monsieur Bacchès : les amers, les acides, le sucre en équilibre
On finit avec un très beau dessert centré sur les agrumes, très frais, pas trop sucré, qui laisse nos papilles parfaitement disposées à apprécier à leur juste valeur les deux derniers vins :
Didier Dagueneau et Guy Pautrat -Les Jardins de Babylone - Jurançon 2007
Robe jaune or. Très beau nez épicé, floral, sur le miel, les agrumes confits, le pain d'épices. La bouche est remarquable de fraîcheur, la sucrosité n'est pas trop imposante, équilibre parfait, très longue finale acidulée. J'aime cette cuvée depuis sa création, un peu moins son prix, mais c'est un autre problème...
Excellent
Domaine Huet - Clos du Bourg - Vouvray Moelleux 2002
La robe est d'un or ambré. Nez marqué par le botrytis, le coing, le miel, avec de jolies notes truffées. La bouche est fraîche, ample, avec une belle sucrosité, un équilibre irréprochable, une finale très longue et fraîche, particulièrement salivante. Inutile de dire que j'ai beaucoup aimé.
Excellent
Voilà qui clôture en beauté cette superbe soirée qui restera gravée dans ma mémoire comme un des si pas le plus beau repas de ma vie, et le mieux accompagné. Un grand merci à Sang-Hoon Degeimbre, qu'on a déjà eu l'occasion de féliciter de vive voix en fin de soirée quand il nous a fait le plaisir de sa présence parmi nous, à toute son équipe, en particulier à Maxim De Muynck pour ses excellents choix quant à l'ordre de service des vins, et à l'équipe qui a assuré le service, irréprochable, d'une grande gentillesse et simplicité, qui a su nous mettre à l'aise dès les premiers instants. Rien que le service des vins, 18 verres différents pour 18 bouteilles, tout cela sans nous demander le moindre droit de bouchon, c'est tout simplement exceptionnel.
Tout ce que j'espère, c'est qu'on ne va pas attendre 10 ans pour remettre ça !
Luc