C'est extrèmement complexe à expliquer et il faudrait pour cela être certain que tout le monde connait ET comprend le système des primeurs, d'une part, le négoce Bordelais, d'autre part et enfin les rapports de la propriété et du négoce depuis deux siècles.
Pour cela, le livre sur l'histoire de Latour est fondamental. On y voit la formation des CC, le classement, les luttes officielles ou officieuses entre crus, entre AOC, entre négoce et propriété.
Il faut ensuite comprendre l'arrivée du télex, puis du fax, puis de l'internet, la montée du négoce corrézien et d'autres, l'arrivée des nouveaux propriétaires attirés par un statut social et un prestige autant que par une rentabilité et enfin de ce qui est en train de nous arriver au moment où j'écris ces lignes : la montée en puissance étonnante d'un monde virtuel qui n'est rien comparé à ce que sera celui des "digital native" (qui n'a pas un enfant de 3 ans et un ipad ne peut pas vraiment comprendre...)
Enfin, on rajoute à cela la mondialisation, la montée des marques de luxe, la formation des groupes incluant mode/cosmétique/bijoux/montres et maintenant vin, l'arrivée des Chinois (BEAUCOUP moins bête qu'on semble le croire), le changement de l'axe du monde au niveau croissance.
On met tout ça dans un cornet, on secoue bien, on rajoute le fait que le vin est un produit dépendant de la nature et, quoi qu'on en dise, d'un terroir, au marketing idiosyncratique, manquant terriblement de créativité et d'entrrepreneurs parce que c'est une industrie lourde et lente. On remue encore.
Et à la fin, quand on met des gens BEAUCOUP plus intelligents que nous autour de la table, avec tous les ordinateurs du monde, ils trouvent le système le plus parfait de distribution au monde. Et un gars leurs dit : ohé, les gars, mais c'est le système bordelais, que vous venez de décrire, là...
Voilà pourquoi c'est pas vraiment près de changer...
Les retours de grands crus, il y en a toujours eu, à Bordeaux (d'ailleurs, les vins sont pas partis...). Et les arrangements discrets entre propriété et négoce sont prévus de longue date bien que jamais écrits...
Il n'y a en fait qu'un seul petit changement possible, et uniquement pour Cheval-Blanc et Latour : être distribué dans les boutiques de leurs propriétaires, en sortant totalement du système. Personnellement, pour de multiples raisons, je n'y crois pas, sauf à créer des boutiques dédiés dans le monde entier à la distribution de tous les premiers et assimilés, un peu comme dans des boutiques de montres de luxe,une par capitale. Au final, la marge réallisée serait à peine suffisante pour couvrir les frais. Il n'y aurait qu'un SEUL avantage : garantir au consommateur l'origine du vin. Hors, si on estime au bas mot la production de faux en Chine à dix fois les vrais premiers importés la bas, on se rend compte que ce serait tout à fait contre productif pour ces marques, la diffusion des faux étant au contraire un véritable atout dans la conquête du marché (pas après, ça va changer...). D'aileurs, la conquète est terminée et tout le monde va resserrer les boulons...
Quelque soit le système de distribution (celui que tu cites est le mien et celui de bien d'autres), il demande des efforts et des coûts colossaux alors qu'en fait, le système du négoce bordelais est, quoiqu'en dise la propriété, le plus efficace et le moins cher. Et surtout le plus adaptable à toute sortes de remous, dans toutes les directions, parce qu'il y a des milliers de chemins vers des millions de clients sur plus de 50 ans après la sortie des meilleurs millésimes (la longue traine, c'est même eux qui l'on inventé, quand internet existait pas...). Et que ça, c'est tout à fait unique. Parce que ça permet en plus de faire faire à d'autres le sale boulot quand il faut le faire, traiter avec la GD, par exemple. Le négoce, quand à lui, est prêt à tout accepter, parce que grace à ces vins, d'abord il gagne directement pas mal d'argent et qu'ensuite, derrière eux, il fait passer des tas d'autres crus qui ne se vendraient pas...
Bon, voilà des éléments, faudrait un we...
P.S. : quand Diage a remis il y a trois ans sur le marché 70 millions de US dollars de Crus Classés, le marché n'a même pas bronché. Le concept de l'hydre, en positif, c'est du tout grand...