Compte rendu de trois jours de primeurs 2018
Légèrement adepte de la provoc'
l'expression de mes premières impressions ici et là m'a valu quelques regards foncés ces deux derniers jours. Ce fut l'occasion de lancer le débat et d'échanger. Et si deux personnes pour qui j'ai beaucoup d'estime m'ont dit avant les primeurs que ce millésime était grandissime, les gens avec qui j'ai échangé ces derniers jours, qu'ils soient consultants, négociants ou courtiers, se rangeaient tous au même avis: c'est très bon, mais ce n'est pas 2016. Il y avait finalement un large consensus là-dessus, alors que je pensais ramer à contre courant.
Un très bon millésime de rouge donc, généreux, suave, frais malgré des taux d'alcool élevés qu'on ne sent pas du tout gustativement. Hétérogène également, surtout sur certains secteurs comme Pomerol, Margaux et Pessac-Léognan, qui sont pour moi les trois appellations (parmi les plus connues) à faire le yoyo entre les propriétés. D'un point de vue très général, je donnerai l'avantage à la rive droite, dans le sens où elle me semble globalement plus gâtée. J'ai gouté d'excellents vins en rive gauche, mais moins qu'en rive droite. Il est cependant important de noter que désormais tous les grands rive gauche ne se laissent goûter qu'au château, et j'en ai par conséquent gouté très peu. Pas de premiers médocains, pas de Pichon Baron ni de Las Cases, Pontet Canet, Montrose, Palmer ou Ducru Beaucaillou pour bibi. Il en reste beaucoup, mais pas pour avoir une idée de l'excellence...Il en va de même pour les grands Pomerol, pas de Petrus ou Lafleur, ni Hosana, Trotanoy, L'Evangile, Eglise Clinet...
Est-ce le fait de cette dilution des flux, chaque année plus importante, avec une multiplicité effarante des endroits où on peut déguster, mais force est de constater qu'on a déjà vu plus de monde à Bordeaux pour une campagne primeur!
Je vais me contredire...cela m'apprendra à tourner ma langue avant de parler
, du moins, prendre le temps d'avoir un recul un peu global: j'ai gouté quelques "best ever". Ceci dit je ne mets pas ça sur l'effet millésime, plus sur des propriétés qui ont engagé des travaux ou changements qui portent leurs fruits. Quelques commentaires sur des vins qui m'ont marqué:
Commençons par le plus marquant:
Vieux Château Certan. Mazette, quel jus! J'ai mis beaucoup de temps avant de le recracher, ce vin m'a provoqué quelque chose d'exceptionnel: j'ai compris ce que pouvait être un 100/100. Ce vin était parfait, dans un monde idéal, je ne voudrais rien lui retirer, rien lui ajouter, il est majestueux. User 18 superlatifs ne suffirait pas et serait lourdingue. Si fin mais si intense, une énergie fabuleuse qui assure une grande dynamique au vin mais le tout avec calme et grande sérénité. Les arômes fruités et floraux sont géniaux de précision, d'intensité et de délicatesse. Et le vigneron qui rajoute "je n'y suis pour rien", on y est, c'est magique. J'ai eu la chance de le goûter régulièrement en primeur, si c'est toujours une référence, je ne l'ai jamais gouté à ce niveau là de raffinement et d'extase.
Poujeaux Je rejoins Eric sur ce vin, je n'ai jamais gouté un Moulis de ce niveau, et au final, il n'a plus grand chose d'un Moulis. Situé au milieu de (bons) Pessac, il était tout à fait à son aise. Le vin est complet, sans le côté austère de l'appellation, il est fruité, délié, intense, gourmand même! L'effet Derenoncourt, il faut le dire...
Dans la catégorie Saint-Emilion d'un grand raffinement,
Canon occupe une place de choix, le vin est d'une grande douceur, supra-élégant, vibrant, presque fragile mais ce n'est qu'une impression. Le meilleur vin gouté sur l'appellation par bibi. Plus fin qu'Ausone, plus pur que Cheval Blanc, amha.
Clos Fourtet et le nouveau petit frère
Les Grandes Murailles jouent la même partition à un et deux niveaux en-dessous, mais attention, ce sont de grands vins d'un ultime raffinement également.
Un "petit domaine" qui depuis des années sort des jus délicieux et gourmands, c'est
Jean Faux. On a changé de division, mais voila des petits canons qui sont en fait des vins à considérer avec sérieux. En rouge comme en blanc, on a une gourmandise, un éclat du fruit, c'est absolument remarquable en régularité et en qualité, pour des prix sympas. La conversion en biodynamie a apporté beaucoup d'éclat aux fruits depuis quelques années, c'est indéniable. C'est du grand miam.
Un vin que j'aime bien, et qui a sorti le meilleur primeur que j'ai jamais gouté, c'est
Fleur Cardinale. Je l'apprécie pour sa gourmandise, son ampleur, son côté je vous offre beaucoup de plaisir sans trop de prise de tête. C'est un vin en général un peu joufflu, et cette année, il a beaucoup gagné en finesse, en précision, en éclat. Très beau et gouté 3 fois.
Clos du Marquis jouit d'une très belle réputation, mais, pardon, c'est un vin qui ne m'a moi jamais séduit les quelques fois où je l'ai rencontré. Genre de médoc complet mais vraiment austère, classique, trop classique. Boring. Et bien cette année, c'est une grande bouteille qui se montre en primeurs. Voila le cabernet sauvignon idéalement mûr, serré mais avec une trame magnifique et un côté juteux. Il va être à attendre, il faudra de la patience, mais il est terriblement bien né.
On ne parle pas assez également du
Château Haut-Nouchet, un Pessac voisin de Latour Martillac qui est exemplaire dans la régularité et la qualité. Ce n'est pas grand, mais qu'est ce que c'est bon...Le prix reflète le niveau, c'est à dire meilleur que bien des CC de Pessac. Plus les années passent, moins il a à envier à son voisin. C'est du solide, et dans les deux couleurs.
J'ai eu du mal à départager, côte à côte,
Pichon Comtesse et
Grand Puy Lacoste...le premier est d'un raffinement extrême, presque trop, les tanins sont ultra polis, c'est fin, ça glisse, c'est de la soie et ça vibre...GPL n'a rien à voir, lui, il envoie, beaucoup de mâche mais beaucoup de fraîcheur, un vin tout à fait complet, full bodied, imposant, mais aux goûts tellement précis et avec une vraie palette aromatique de Pauillac, sur le cassis, déjà une petite touche de havane, et une grande profondeur...j'ai adoré les deux, qui n'avaient rien à voir, et que je n'ai pas su départager.
Suivront des notes froides et sans commentaires bientôt. Et attention, ce millésime régalera les bretts aussi!