Cela faisait bien longtemps que le petit groupe informel, constitué autour de Jean-Luc et de l'auberge des Morainières à Jongieux, ne s'était reformé. La venue de Charles sur Paris, en cette fin octobre, fut donc l'occasion, le prétexte de nous retrouver, animés par ce même désir fondateur de partager un moment d'amitié avec de beaux accords mets-vins.
Pour célébrer ces retrouvailles capitales, nous choisîmes un lieu qui m'est cher, qui fut mon premier 3 macarons, où j'ai beaucoup de souvenirs heureux, un lieu d'exception, tenu par un homme pour qui j'ai le plus profond respect et une très grande amitié,
M. Jean-Claude Vrinat, l'hôte du Taillevent. Qu'il soit ici vivement remercié pour toutes les attentions qui nous ont été portées, pour cette gentillesse immédiate et cette joie sincère de toute l'équipe, à nous voir aussi heureux.
En cette année mouvementée où la valeur d'une cuisine est jugée plus dans les couloirs d'un guide que dans les salles de restaurant,
Taillevent reste une référence : une cuisine classique, précise et juste, réalisée avec le talent sans esbrouffe qu'on connaît à
Alain Solivérès, un service qui représente l'excellence française, une sommellerie détendue mais ultra-professionnelle grâce à
Marco Pelletier, le chef sommelier et son adjoint,
Manuel Peyrondet.
Notre déjeuner du 31 octobre restera un de mes plus grands repas, toutes maisons confondues, aussi brillant, dans un registre classique, que les plus belles envolées créatrices de l'Astrance ou de mon ami Marc Veyrat.
En voici un compte-rendu approximatif, subjectif au plus haut point, sous l'influence persistante du plaisir éprouvé.
Rémoulade de tourteau à l'aneth, sauce fleurette citronnée
Krug Collection, 1985
1985 est un millésime qui manque d'un soupçon de tension. Cela se ressent nettement sur le Vintage et nous avions ce souvenir commun avec Charles. Sur le Collection, ce défaut minime est moins perceptible, d'autant que le vin a gagné en complexité. C'est élégant, subtil, profond avec un milieu de bouche ample. L'accord sur le tourteau, le radis rose, les notes citronnées de la sauce fleurette fonctionne bien ; l'aneth, qui avait pourtant été allégée à ma demande, reste un peu trop persistante ; le champagne s'en accomode toutefois grâce à sa maturité et l'évolution aromatique acquise.
Saint-Pierre aux coquillages, huile d'argan et citron confit
Montrachet Domaine des Comtes Lafon, 1992
J'étais certain que cet accord fonctionnerait avec ce Montrachet riche, onctueux, peu minéral. Le plat est une perfection : cuisson idéale du St Pierre, dosage subtil de l'argan, citron confit délicieux et petits légumes goûteux, cuits avec une précision rare. Le vin va réagir sur les différents éléments du plat, excité par l'acidité du citron, résonnant dans les senteurs plus suaves du confit et de l'argan, vibrant sur la texture ferme du St Pïerre.
Langoustines rôties, artichauts poivrade au basilic
Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive, 1992
Certains seront surpris par le choix de l'enchaînement. Mais Marco Pelletier ayant goûté le Bâtard-Montrachet 1992 une semaine auparavant et ayant déjà goûté ce Montrachet, j'avais décidé, après de multiples discussions entre nous, de privilégier un vin plus tendu avant les vins rouges. Ce Chevalier-Montrachet est exactement ce que j'aime en Bourgogne : minéralité, bouche précise, tension, équilibre. Le plat simple met inévitablement le vin en valeur, le basilic très subtilement dosé répondant à la fraîcheur du vin et l'artichaut poivrade interagissant sur les notes minérales.
Ris de veau aux légumes caramélisés
Richebourg Domaine Gros Frères et Soeurs, 1978
Un vin à parfaite maturité, avec un fruit encore présent et des notes plus évoluées, complexes. Le toucher de bouche est somptueux, délicat sans être décharné, souple et soyeux. Le ris de de veau est cuit à la perfection : la chair ferme et fondante est un de mes supports préférés à de tels vins et leur texture enveloppante. On retrouve la très grande maîtrise de la préparation des légumes.
Palombes, Poêlée de cèpes
Château Cheval Blanc, 1982
Des palombes, un peu fermes, cuites à la goutte de sang fut le plat que proposa Mr Vrinat pour accompagner le Cheval Blanc 1982, château qu'il connaît particulièrement bien. Que dire d'un tel vin, d'un tel mythe ! Je pense qu'il faut le boire car il me semble à son apogée. Le nez est prodigieux, envoûtant et la bouche délicate, riche, élégante, pleine, délicieuse. Les lamelles de cèpes crues sont une brillante idée, en contre-point des saveurs douces d'une poêlée de cèpes d'une qualité remarquable. Un plat simple, sans chichi, qui fonctionne immédiatement avec ce magnifique vin.
Cristalline aux coings et pamplemousse, infusion de Sauternes
Château d'Yquem, 1986
Un dessert sur mesure pour mettre ce vin en valeur. C'est un Yquem qui n'est pas riche ni sirupeux, avec une belle liqueur et un bel équilibre, qui va s'accorder aussi bien avec les notes caramélisées de la tuile de nougatine, le fruit miellé du coing qu'avec l'acidité agrumeuse du pamplemousse. Le plat est léger, très intelligemment construit, dans le même équilibre que le vin.
Café et mignardises
Commandaria Centurion-Liquo Domaine Etko (Chypre)
Cette Commandaria, issus de raisins noirs, dans cette cuvée qui bénéficie de vingt ans d'élevage, ne présente aucune lourdeur, dans une richesse typique mais avec un rancio délicat et un équilibre étonnant.
Un tel repas est un grand privilège. Tous les six, nous partageâmes un moment unique, inoubliable. Je souhaite saluer à nouveau l'investissement de toutes les équipes du Taillevent qui ont travaillé, avec rigueur, précision et intelligence, pour nous offrir ce repas. Les températures de service des vins ont été exemplaires, chaque plat a été pensé et réalisé dans l'esprit du vin qui l'accompagnait. C'était touchant de voir leur enthousiasme, leur complicité, leur passion s'accorder et résonner pleinement avec les nôtres.
Jean-Philippe Durand