AOC Bandol : état des lieux et perspectives
L’AOC Bandol est située dans le vignoble de Provence, dans le Var, et s’étend sur huit communes (Le Castellet, Sainte-Anne d’Evenos, La Cadière d’Azur, Ollioules, Saint-Cyr-sur-Mer, Le Beausset, Sanary-sur-Mer et quelques vignes éparses dans la commune même de Bandol).
Une telle situation géographique classerait a priori le vignoble de Bandol comme une partie de l’immense océan de rosé provençal, dont la popularité actuelle ne cesse de croître, et qui submerge peu à peu l’ensemble des appellations de l’extrême Sud-Est de nos contrées. Pourtant, il semble que Bandol n’ait pas totalement viré de bord (jusqu’à présent tout du moins) cap rosé : selon les chiffres, entre 22% et 50% de la production reste du rouge, bien que les chiffres actuels tendent plutôt sur la première proportion. Bandol garde malgré tout, avec l’AOC Baux-de-Provence, une place singulière relativement à sa production de vins rouges. Alors que la Provence voit rose, pourquoi un tel maintien ? Cette tendance finira-t-elle par submerger l’îlot et faut-il essayer de la contenir ?
1. Situation, climat et nature des sols
L’AOC Bandol s’étend donc sur 8 communes pour une superficie d’environ 1500 hectares. En somme, il s’agit d’une petite appellation dont les parcelles, souvent nichées autour d’une végétation sudiste (oliviers, pins, garrigue...), forment un grand amphithéâtre naturel donnant au sud sur la mer. Les vignes sont entourées du massif de la Sainte Victoire, mais surtout des monts toulonnais, dont le plus connu, le Mont Caume, a donné le nom à une IGP (IGP Mont Caume).
Le climat de cette zone est très particulier : typiquement méditerranéen, avec environ 3000h d’ensoleillement par an, ce dernier possède quelques particularités qui expliquent une bonne partie de son terroir. D’abord, une influence marine : le vignoble se situe à quelques kilomètres seulement de la mer, apportant une certaine humidité, bénéfique notamment lors des fortes chaleurs en été.
Deuxièmement, le mistral, vent froid traversant la vallée du Rhône, assainit fréquemment le vignoble en empêchant le développement de maladies. Le mistral est un vent violent qui est atténué ici par les mont toulonnais aux alentours et dans une moindre mesure le massif de la Sainte-Victoire.
Enfin, dans une moindre mesure, une végétation encore assez préservée autour des vignes (rares sont les cas de « marées de vignes » où les parcelles s’étendent à perte de vue sans discontinuer), constituée de bosquets, de pinède et de garrigue.
La nature des sols est particulière et ne constitue pas un tout homogène. Les sols marneux et calcaires issus du Quaternaire sont majoritaires, mais il est possible de distinguer : des marnes noires (au sud de l’appellation), des sables rouges (au sud-ouest), des sols argileux (sous Le Castellet ou encore à Ollioules), des marnes sableuses (au nord)...
L’ensemble des caractéristiques de l’AOC Bandol donne un terroir particulièrement adapté à un cépage particulier, originaire d’Espagne, et qui a fait la renommée l’appellation : le Mourvèdre. Ce cépage difficile, nécessitant des rendements bas, une bonne maîtrise de vinification et un élevage long du fait de son caractère puissant et tannique, a trouvé ici une zone où s’épanouir. Utilisé dans les assemblages des vins rosés et rouges, c’est lui qui donne un corps assez consistant pour permettre une bonne garde, même aux rosés d’habitude réputés de courte garde.
2. Les vins de Bandol
Il est possible de produire du Bandol rouge, rosé et blanc. Aujourd’hui, les rendements maximaux autorisés sont à 40hl/hectare. Les récoltes sont effectuées uniquement à la main. La présence de restanques (ou terrasses) est obligatoire au moins sur une partie de chaque domaine.
Pour les vins rouges, l’élevage minimum est de 18 mois en foudres (selon la tradition originelle à Bandol) ou en barrique (moins répandu). Le décret d’AOC prévoit une obligation d’assemblage : le Mourvèdre est le cépage principal dont la proportion atteint au minimum 50% et au maximum 95%. Les cépages complémentaires sont le Grenache, le Cinsault et des cépages accessoires (max. 10% de Syrah et Carignan). Ce sont généralement des vins de longue garde qui, s’ils sont bien nés, peuvent affronter plusieurs décennies sans problème. Ce sont les vins rouges qui, originellement, on fait connaître l’appellation.
Pour les vins rosés, les cépages autorisés sont le Mourvèdre (minimum 20%, maximum 95%), le Cinsault, le Grenache et en cépages secondaires Bourboulenc, Carignan, Clairette, Syrah et Ugni blanc. Les vins rosés de Bandol ont la particularité, encore une fois sous condition de qualité initiale, de développer leurs arômes après quelques années de vieillissement, chose très rare pour ce type de vin. Ils constituent lors des précédents millésimes la large majorité des vins produits en AOC Bandol (env. 70%). Le vieillissement minimum est jusqu'au 1er mars de l'année suivant la récolte, tout comme les blancs.
Bien plus confidentiels et peu connus en règle générale, les vins blancs ne constituent qu’environ 5% des vins produits. Ils sont composés de Clairette (50% à 95%), Bourboulenc, Ugni Blanc et avec pour cépages secondaires Sauvignon blanc, Marsanne, Sémillon et Vermentino.
3. Les producteurs et millésimes
Les producteurs
Il existe environ une soixantaine de caves indépendantes qui produisent du Bandol. S’ajoutent à cela 2 grandes caves coopératives, qui rassemblent environ 300 récoltants. Il est possible de distinguer les domaines qui vinifient le Mourvèdre de manière traditionnelle, et d’autres qui utilisent des méthodes de vinification plus modernes pour faire des vins accessibles plus jeunes.
Quelques producteurs notables de l’appellation :
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Château Pibarnon : certainement le domaine le plus connu de l’appellation avec le domaine Tempier. Production de Bandol rouge, rosé et blanc. Style plutôt moderne. Les vins rouges vieillissent particulièrement bien. Deux cuvées rouges (Château à 90% de Mourvèdre et Les restanques), deux cuvées rosé (Château et Nuances élevé en amphores) et un seul blanc.
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Château Pradeaux : l’un des piliers de l’appellation, qui fait des vins très traditionnels (pour les rouges 95% de Mourvèdre pour le Château, élevages longs, style costaud, haute proportion de Mourvèdre pour les rosés, pas de blancs). Le rosé tient assez bien la garde et s’épanouit après quelques années, le rouge nécessite un temps de garde très long, au minimum 10-15 ans. Deux gammes, le Château (rouge/rosé), Le Lys (rouge), puis quelques cuvées de Côtes de Provence et d’IGP Mont Caume.
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Domaine Tempier : reconnu comme le plus qualitatif de l’appellation par la plupart des guides. Les vins ont une tendance plutôt moderne bien qu’il soit pour autant difficile de classer le domaine tel quel. Une cuvée rouge de base, puis ses trois crus : la Migoua (sur la finesse), la Tourtine (style plus traditionnel), et Cabassaou (encore plus concentrée et complexe, assez rare). Le vin rosé est également reconnu, le blanc un peu moins. Le domaine a d’ailleurs acquis récemment le domaine de la Laidière pour améliorer sa production de blanc et augmenter celle de rosé.
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Domaine de la Tour du Bon : profil moderne. Réputé pour ses rouges : cuvée classique, cuvée Révolution (quasiment 100% égrappée) et Saint-Ferréol (élevage long et quasiment non égrappé). Production de rosé et de blanc plutôt anecdotique. Cuvée en amphore (hors AOC Bandol).
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Domaine Lafran-Veyrolles : traditionnel et réputé pour se rouges. Les parcelles sont situées sur la zone argileuse située sous Le Castellet. Deux cuvées en rouge dont une cuvée Spéciale concentrée et qui tient très bien la garde. Rosé et blanc plutôt ignorés.
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Domaine de Terrebrune : domaine situé à Ollioules sur un sol très argileux, réputé pour son rouge (style « bourguignon »), mais surtout pour son rosé, reconnu comme l’un des meilleurs et d’importante longévité. Production de blanc.
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Domaine Ray-Jane : traditionnel. Connu pour ses vins rouges (3 cuvées) dont le fleuron du domaine,
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Château Vannières : assez controversé, mais connu pour ses rouges au style boisé. Production de rosé et de blanc moins connue.
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Château J-P Gaussen : fait avec Pradeaux un des rouges les plus traditionnels et les plus puissants de l’appellation. Production de rosé et de blanc moins connue.
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Domaine du Gros’Noré : vins plutôt modernes, qui tiennent bien la garde. Rosé de très bonne facture. A noter : une cuvée parcellaire en rouge (Cuvée Antoinette) peu commentée.
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La Bastide Blanche : traditionnel, domaine qui met en avant le vin rouge. Cuvée de base, 2 cuvées parcellaires (Fontaneou et Estagnol). Autres vins moins connus.
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Domaine La Bégude : situé sur les hauteurs de l’appellation. Moderne, vins frais. Connu pour ses très beaux rosés et sa cuvée parcellaire rouge « La Brûlade ».
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Domaine la Suffrène : moderne, moins connu, mais produit des rouges et rosés de très bonne qualité (cuvée « Les Lauves » en rouge). A noter : un très bon blanc.
Et beaucoup d’autres (Ott, Bunan, La Vivonne, Pieracci...), sans compter les quelques négociants de qualité (Dupéré-Barrera en tête).
Les millésimes
Excellents millésimes : 2011, 2007, 2004, 2001, 1998
Très bons millésimes : 2010, 2009, 2006, 2000
Millésimes inégaux : 2014, 2013, 2008, 2005, 2003
Millésimes faibles : 2012, 2002
4. L’AOC Bandol : évoluer pour (sur)vivre ?
Le défi de l’urbanisation galopante
La côte méditerranéenne, tout particulièrement le littoral varois, est en proie à une urbanisation importante malgré des tentatives visant à contenir un étalement urbain toujours plus conséquent. Le vignoble de Bandol ne fait pas exception à ce principe, et voit la pression immobilière réduire petit à petit certaines zones plantées de vignes. En témoigne la vision par satellite du domaine de Terrebrune, qui paraît bien seul au milieu des constructions ollioulaises.
L’urbanisation est certainement l’enjeu le plus important à court / moyen terme pour l’appellation. La gestion des constructions immobilières au sein du territoire de l’AOC est nécessaire non seulement à la survie de certains domaines qui se retrouvent en limite de zone urbaine, mais aussi pour l’image renvoyée par le vignoble, qui évoque dans l’esprit collectif une notion de nature et de terroir qui ne peut d’ailleurs se détacher d’une appellation ayant vocation à produire des vins de qualité.
Quelles solutions ? Planter dans des zones escarpées et non encore touchées par l’urbanisation (« s’échapper » dans les collines en somme, qui n’est pas forcément la solution la plus bénéfique à long terme). Négocier avec les collectivités concernées par l’extension urbaine afin de limiter strictement certaines constructions et la destruction d’une partie du vignoble. Mais la solution la plus efficace à long terme : donner une image très forte à l’appellation dans le milieu viticole, en produisant des vins de haute qualité auxquels il ne serait pas possible de porter atteinte. En résumé, faire rentrer Bandol dans la cour des grands.
Les règles de l’AOC
La plupart des articles et forums parlant de l’AOC Bandol soulignent les possibles évolutions de certaines règles, tout particulièrement concernant l’abaissement de la durée d’élevage pour les rouges (18 mois). Certains producteurs avancent comme motif le fait que dans certaines années, 18 mois d’élevage est une durée trop importante. La seconde évolution possible serait concernant la proportion de Mourvèdre autorisée dans les vins (max. 95% actuellement).
Concernant la durée d’élevage, un abaissement serait-il favorable ? Il est vrai que la confiance envers les producteurs de l’appellation, qui sont capables de gérer leurs élevages, est ici la clef qui permet de comprendre cette question. Une appellation est nécessairement l’émanation des vins produits par les domaines qui la composent, et ne doit pas contraindre trop strictement ces derniers sous peine de perdre son essence, avec des vignerons qui chercheraient à sortir de ce cadre trop rigide. La durée d’élevage n’est en plus de cela en rien synonyme de Grand vin ou de qualité. Mais le problème est que les longues durées d’élevage renvoient à l’idée d’un caractère sérieux, permettant de façonner des vins de plus grande garde, d’adoucir certains cépages coriaces (dont le Mourvèdre fait partie)... Plusieurs exemples peuvent être cités, surtout à l’étranger : les Reserva espagnoles (Priorat, Ribera...) certains vignobles italiens (Brunello, Taurasi, Barolo...) qui bénéficient d’une solide réputation. Un abaissement de la durée d’élevage pourrait donc avoir un effet involontairement négatif sur l’image de l’appellation, même si la qualité des vins ne change pas.
Concernant les proportions de Mourvèdre autorisées, le fait de limiter au maximum à 95% la proportion de ce dernier semble illusoire : tout d’abord par ce qu’il est très probable que certains domaines ne respectent pas l’obligation d’assemblage et proposent un vin 100% Mourvèdre (ce qui dans les faits est difficilement contrôlable), alors qu’il est possible de mettre en doute l’influence de 5% d’un autre cépage avec 95% de Mourvèdre. Toujours dans la même logique d’amélioration de l’image (tout du moins d’une tentative de rendre plus claire cette dernière), donner la possibilité d’élaborer des Bandol à cépage unique pourrait être bénéfique, quitte à imposer un élevage en bouteille avant commercialisation pour rendre le vin plus accessible lors de sa sortie.
Le rosé : menace ou opportunité pour le vignoble bandolais ?
La question du rosé est centrale dans le cadre de l’avenir du vin de Bandol. Déjà actuellement, la tendance au rosé s’est largement diffusée dans l’AOC, ce dernier étant maintenant nettement majoritaire. Même si beaucoup de domaines mettent en avant le vin rouge, qui ne bénéficie pas d’un a priori négatif contrairement au rosé, de plus en plus de personnes ne connaissant les vins de Bandol qu’à travers le rosé.
Le rosé peut représenter une opportunité à plusieurs niveaux pour l’appellation. Premièrement, c’est généralement un rosé de qualité, qui peut supporter parfois quelques années de garde en développement des arômes plus complexes. Le second argument est le plus important pour les domaines : le rosé permet de faciliter leur trésorerie en n’étant pas obligé d’attendre plusieurs mois pour faire rentrer de l’argent. Le rosé est un produit à la mode, qui se vend très bien. Enfin, cela nécessite des investissements moins importants notamment pour le stockage, et l’assurance d’écouler rapidement une partie de leur production.
Mais le rosé peut aussi avoir à long terme des effets beaucoup moins souhaitables. Tout d’abord, la mauvaise image du rosé auprès de beaucoup d’amateurs peut peser dans la perception de qualité des vins de Bandol. Le rosé n’ayant pas les faveurs du vin rouge auprès de beaucoup d’amateurs et surtout de critiques, l’impact sur le nom Bandol s’en ressentirait donc. Enfin et surtout, le rouge a toujours constitué l’âme du Bandol : l’appellation s’est fait connaître grâce à ses vins rouges au caractère bien trempé. Or la multiplication du rosé entraînant peu à peu la conversion de vignes destinées à la base à des cuvées rouges pourrait entraîner un recul très important de la production de ces dernières (sans pour autant parler de disparition, il y a ici une réelle menace de perte d’identité du vin rouge de Bandol).