Jérôme Bressy : l'alchimiste du terroir
Interview réalisée au domaine Gourt de Mautens à Rasteau par Claude Villaret et Yves Zermatten le 18 octobre 2003.
LPV : D'où provient le nom Gourt de Mautens ?
JB : C'est le nom d'un quartier, d'un terroir cultivé en 1635 et qui a été abandonné par la suite. On a trouvé ce nom sur de vieux écrits et je l'ai repris. En fait, Gourt, c'est l‘ « l'endroit où l'eau commence » et Mautens : « par mauvais temps ». En fait, l'eau ne sort que par mauvais temps de ce quartier-là . Le reste du temps, les sols sont très secs et très compacts.
LPV : Comment définiriez-vous vos terroirs ?
J.B : J'ai 7 terroirs différents sur 13ha de vignes. Chaque terroir apporte sa personnalité. L'un apporte la puissance, l'autre la finesse, un autre, la longueur, un autre la minéralité, un autre la fraîcheur. Je m'intéresse plus aux sols qu'au cépage car ce qui compte vraiment, ce sont les sols. Mon gros travail dans la vigne, c'est de faire ressortir la personnalité de chaque parcelle. Finalement, les cépages ne sont que des intermédiaires. Je pense qu'il est dommage que le côté variétal prenne le dessus sur la terre. Un grand terroir doit dominer le cépage. Si le terroir est moyen, on peut jouer le cépage et le caractère variétal. Mais moi, je fais tout pour que ce soit l'inverse. J'ai déjà la chance d'avoir un bon terroir mais les méthodes culturales sont aussi importantes. A GDM, nous sommes en biologie depuis 15 ans, on laboure tout, il n'y a pas de désherbants. J'ai aussi eu de la chance, car mon père avait eu l'intelligence de toujours ménager ses vignes et d'utiliser un minimum de produits chimiques, même si cela lui rapportait moins à l'époque.
LPV : Quel est l'âge des vignes ?
J. B. : Nous avons de tout. Nous avons 70% du vignoble qui a entre 40 et 85 ans, Pour le reste, j'ai refait des plantations en 2000, j'ai planté un hectare de mourvèdre et de counoise, et j'ai encore des vignes de 15 ans, 18 ans, et 20 ans. Il y en a à peu près un tiers qui a entre 15 et 30 ans.
LPV : Pensez-vous que l'on puisse faire un vin de terroir avec des jeunes vignes ?
J. B Il faut quand même un peu de temps. Ce qui compte, c'est l'enracinement, il faut que la vigne explore le sol. En ne labourant pas, nous favorisons l'enracinement et, pour se nourrir, la plante fait des radicelles qui vont rechercher les éléments minéraux, ce qui fait que l'on retrouve ensuite dans le raisin beaucoup de minéralité, d'oligo-éléments, de saveurs, etc. Si vous désherbez, vous faites presque de la culture hydroponique, du hors-sol, à force de passer des produits chimiques, des désherbants, des engrais chimiques azotés, il n'y a plus d'effet terroir et là , le caractère variétal domine.
LPV : Quel est l'assemblage qui compose le Gourt de Mautens ?
J. B : Il y a 70% de grenache, beaucoup de vieux Carignan, du mourvèdre. Une touche de syrah
LPV : L'élevage
J. B : 98-99 et 2000 étaient dans des petits fûts neufs. Il y avait 1/3 à peu près de bois neufs et en 2001, j'ai arrêté les bois neufs. J'ai revendu et j'ai acheté des fûts d'un vin en Bourgogne, Ceux-là sont des fûts d'un vin que j'ai acheté en Côte d'Or. Cette année je reviens en neuf, mais sur des 600L, des demi-muids, parce que le demi-muid est le contenant traditionnel de notre région. Il correspond mieux à ma recherche de finesse et c'est plus dans mon optique. Là , je les achète, et si ça marche, chaque année j'en achèterai quelques uns, pour les garder. On les achète pour la durée. On se sent vraiment chez nous avec ces contenants. On va voir.
LPV : Déjà le bouchon impressionne…
Ce sont des fleurs de bouchon de 6 ans d'âge. Ils proviennent de plantations spéciales et sont séchés et triés. Ils sont très bien. C'est naturel, il n'y a pas du tout de revêtement et ils sentent plus le pain d'épices que le liège. Il y a des gens qui ne sont pas trop connaisseurs et qui croient que mes bouchons ont un problème et ils sont choqués en les voyant. C'est parce qu'ils sont habitués à voir des bouchons blancs, avec un revêtement à la paraffine. Alors que celui-là , c'est le top. Nous ne sommes que deux à en avoir dans le coin. C'est un lot très rare et difficile à obtenir. Je le veux brut sans paraffine.
LPV : Faites-vous des vendanges en vert ?
J. B. Sur les très jeunes vignes, oui, mais on ne touche pas les autres vignes. J'ai fait des essais mais ce n'est pas bon de tomber des raisins sur des vieilles vignes. Sur les jeunes vignes, il faut tomber les raisins pour favoriser l'enracinement. Après il ne faut pas laisser beaucoup de grappes, pour que le peu d'exploration de la vigne dans la terre soit restitué au raisin.
LPV : Et la taille de la grappe ?
J.B. : J'ai aussi essayé mais on déséquilibre. Vous savez, c'est la plante qui décide. J'ai fait des quantités d'essais : j'ai taillé court, j'ai tombé la moitié des grappes. C'est mieux que de ne rien faire mais la plante, psychologiquement, au fond d'elle, elle est réglée pour faire 15 grappes et tout est proportionné. On risque de perdre de l'équilibre et on le sent même dans le verre : les tannins sont plus durs. Si vous lui en ôtez une dizaine et qu'il n'y en a plus que cinq, elle va toujours travailler pour 15 grappes. Il faut trouver l'équilibre avec les sols, l'herbe, les labours, ça ne se fait pas du jour au lendemain.
LPV : Vous effeuillez ?
J.B : Non, presque pas, si on effeuille, les raisins sont rôtis et on perd en finesse, et on obtient des arômes brûlés-cuits que je ne recherche pas. La région est très solaire et les feuilles protègent le raisin. C'est sûr, vous avez plus de couleur, c'est très compoté, c'est plus exubérant mais ça ne m'intéresse pas.
LPV : Etes-vous en bio (ou biodynamie) ?
J. B. La biodynamie, juste un petit peu mais ça en reste au stade expérimental. En revanche, je crois à 100% au bio. Ce sont mes convictions profondes avec ces idées et puis, on préserve ainsi notre terroir et tout ce qu'il y a autour et surtout on se sent bien et en harmonie avec la nature. Je ne peux pas utiliser tout ce qui est molécules chimiques et produits de synthèse car ces procédés sont en désaccord avec la nature. Cela dit, la biochimie, elle, me passionne.
LPV : Avez-vous des modèles ?
J. B. J'ai toujours été fasciné par les grands vignerons comme Jacques Reynaud de Rayas, Gérard Chave, Henry Bonneau. Ces gens ont toujours été mes modèles. J'ai une passion pour eux. Ce sont les dieux du vin. Comme j'ai toujours aimé les vins qu'ils faisaient, j'ai essayé de faire pareil mais ce n'est pas facile.
LPV : à€ vos débuts, on a reproché un caractère lourd et surextrait à vos vins ?
J. B : Je pense que quand on débute, on place la barre très haut et que l'on est un peu prétentieux dans le vin. Il est vrai que j'aimais autrefois les vins très concentrés et j'ai essayé d'aller dans cette direction. A mes débuts, je me disais que j'allais tout vendanger très mûr, à 17°, que j'allais faire cuver 20 jours, piger trois fois par jour, etc. Ce n'est pas l'influence de quelqu'un, c'est simplement le goût. Il n'y avait pas du tout de contexte international ou médiatique. Ca n'a rien à voir. Je le sentais comme ça. C'est humain, ça. Mais si on est perfectionniste et si on aime ce métier, on évolue. En fait, on voit que la nature dit toujours son dernier mot. Moi, j'ai de plus en plus aimé les vins fins, quand j'ai eu plus d'assurance, que j'ai un peu plus vinifié, que j'ai eu différents terroirs et que j'ai goûté de plus en plus de grands vins, je me suis aperçu que les grands vins étaient ceux qui étaient faits avec simplicité. A force de boire des grands vins, j'ai aimé la finesse. Aujourd'hui, je ne bois pratiquement plus de vins concentrés ou surextraits et ce que j'aime, c'est quand un vin parvient à associer puissance et finesse. Un vin doit être beau de l'attaque à la finale. Je vois le vin comme du velours, du satin, de la soie, quelque chose de raffiné, de moelleux de sensuel.
LPV : Mais vos premiers vins sont très bons !
J.B. : Le terroir dit toujours son dernier mot. Un grand terroir parvient toujours à corriger les erreurs que nous faisons. Mes premiers millésimes étaient plus serrés mais, avec le temps, le terroir gomme finalement toutes les « erreurs », si l'on peut dire.
LPV : Après combien de temps le terroir revient ?
J.B. : Quand on met beaucoup de bois neuf et qu'on pige beaucoup, le terroir réapparaît après 6-7 ans.
LPV : Vos vins traversent-ils les phases de fruit, de fermeture et de réouverture ?
J. B : Tout à fait : un an après la mise en bouteilles, ils se referment. Après ils s'ouvrent à nouveau. Ensuite, ils se referment. Dans les premières années, ça peut varier de semaine en semaine et même de jour en jour.
LPV : Ce sont les montagnes russes !
J. B : Oui, et plus le vin est vivant, plus cela est sensible. Après, à partir de 7 ans, il y a une période de stabilité.
LPV : Et combien de temps vont-ils se garder ?
J. B. Cela dépend des millésimes. Le 2000 par exemple, j'en ai dégusté une bouteille pendant les vacances et je ne le reconnais plus. En revanche, une autre bouteille s'était goûtée à merveille. C'était tout patiné, du velours, du velouté suave et avec de la fraîcheur. Je trouve qu'il n'est absolument pas besoin de boire un verre d'eau entre chaque gorgée, comme certains l'ont affirmé sur LPV ! Celui qui a écrit cela ne se doutait probablement pas que ce vin allait évoluer de la sorte. Je pense personnellement que mes vins sont généralement bus trop tôt et que l'on passe à côté de leur véritable expression. C'est un vin qui a deux visages, comme un être humain. Mais c'est dur à expliquer aux gens et ils ne veulent plus être patients. Je rêverais d'avoir les moyens de stocker les bouteilles et de les laisser atteindre leur apogée avant de les vendre.
LPV : Comme à Vega Sicilia !
J. B : Oui, mon idéal, c'est Vega Sicilia. Ils sortent le vin en restauration, vous pouvez le boire mûr et vous vous régalez. C'est prêt. Si un jour j'ai de l'argent, je le ferai, c'est sûr. C'est mon rêve. Franchement, si je réussis, mon premier investissement sera de creuser des caves et stocker, stocker, stocker les vins et les sortir à point. Comme ça les gens sont contents et ils se régaleront. Le vin sera à sa plus belle expression et là , ils auront vraiment une idée juste du domaine. Sinon, on va dire : moi quand je l'ai goûté, il était comme ça, un autre va dire qu'il était autrement, un autre tombera sur de la réduction ou sur un jour fermé ou un jour où il était bon. C'est ça le problème, ce n'est pas évident. D'un côté, c'est bien comme ça, le vin n'est jamais pareil.
LPV : Pour vous, qu'est-ce que le terroir?
JB : C'est le sol, la géologie, c'est un chamboulement géologique sur des millions d'années et chaque époque a apporté quelque chose de différent. Il y a eu des argiles amenées des Alpes, déposées par le Rhône, etc. Mais le terroir, c'est aussi le microclimat : l'exposition, la latitude, les bois qui amènent la fraîcheur qui est restituée la nuit, les haies, les ruisseaux, etc.
LPV : Les vins de quelle région préférez-vous ?
J.B. : Je suis un amoureux de la Bourgogne. J'aime tous les grands, j'adore les Côtes de Nuits, évidemment, mais aussi les Côtes de Beaune, les Corton par exemple, mais aussi les Savigny-les-Beaune car je trouve qu'ils ont un beau grain. J'aime aussi les Volnay jeunes. J'adore ces vins, ils ont un grain superbe.
LPV : Et la tendance plus extraite ?
J. B. Non, je n'aime pas les vins bleus. J'aime les pinots noirs mûrs, pas maigres, mais avec de la finesse et de la délicatesse. Les pinots noirs comme du café, j'aime pas trop. J'aime beaucoup Leroy et la Romanée-Conti a un style unique au monde, c'est la classe. C'est un vin aérien, il y a quelque chose. J'aime beaucoup ça.
LPV : Quelle est la plus grande bouteille que vous ayez jamais bue ?
J. B : Rayas 78. C'est phénoménal. C'est mon plus grand vin. Dans les immenses bouteilles, il y a encore Célestins 89 de Bonneau, Musigny 99 de Leroy. Ce sont mes trois plus grandes bouteilles et mes trois modèles. Quand je les ai bues, j'avais les larmes aux yeux. Ah, j'oubliais, il y a aussi Vega Sicilia Unico 70. C'est fabuleux. Il y a aussi Le Montrachet de la Romanée-Conti. C'est un blanc unique au monde. Mais Rayas 78 reste celui que je préfère. Mais si on me demandait ce que je voudrais boire tout le temps, alors sans hésiter je dis : Rayas 78 ! Tous les jours j'en voudrais. J'en ai bu deux fois.
LPV : Et les Bordeaux ?
J. B : Yquem, c'est quand même quelque chose. J'en ai bu deux fois, mais il y a vraiment quelque chose chez Yquem. Après, j'ai connu pas mal d'autres crus en allant visiter, Latour, etc. C'est superbe mais on boit les Bordeaux beaucoup trop jeunes.
LPV : Et comment situez-vous les grenaches du Priorat par rapport à ceux du Rhône Sud ?
J.B. : Ici, ce sont des sols argilo-calcaires alors que, dans le Priorat, on trouve des schistes. Le grenache s'y exprime complètement différemment et on ne peut pas comparer des grenaches sur schistes à des grenaches sur des sols argilo-calcaires. C'est incomparable. J'aime bien certains vins du Priorat mais j'apprécie moins d'autres, de tendance internationale, qui sont écÅ“urants et pas désaltérants. Il faut donc arriver à trouver l'adéquation entre le bon cépage et le bon terroir. Les Anciens ont mis les grenaches et les carignans dans des endroits bien précis et ils ne se sont pas trompés. Après, on joue sur l'assemblage.
LPV : Comment définiriez-vous la longueur en bouche ?
J. B. : Je pense que la longueur en bouche est la carte d'identité d'un vin et que le prix devrait être fixé en fonction de la longueur en bouche. La longueur est précisément ce qui permet de décrypter un vin. Aujourd'hui, on voit beaucoup de vins très colorés, très extraits et démonstratifs, avec de l'allonge bâtie sur l'acidité ou les tannins, mais ils ne font que 15'' en longueur, ce que nous trouvons dans des petits vins de table de la région et je ne parle pas ici des notes vanillées de bois, mais des saveurs, des petits fruits, de minéralité, tout ça. La vanille n'est pas une composante de la longueur. Malheureusement, on englobe tout dans la longueur maintenant. En fait, la longueur d'un vin, c'est cette suavité qu'on a en bouche et ces petites subtilités qui font saliver. Et ça, on peut compter combien de temps ça reste. J'ai eu la chance de visiter le domaine de la Romanée-Conti il y a deux ans, et la Romanée-Conti faisait 71 caudalies de longueur ! C'est le vin le plus long que j'aie bu de ma vie. Je n'avais encore jamais bu un vin aussi long. Yquem est peut-être le vin le plus long du monde, il dépasse la minute. Il existe seulement trois ou quatre vins de ce calibre dans le monde. Après, je pense que des vins qui ont une longueur supérieure à 30 caudalies sont de grands vins. Mais bon, malheureusement, on fait actuellement de moins en moins attention à tout cela. Autrefois, l'INAo prenait surtout en compte la longueur pour hiérarchiser les terroirs et donner les agréments et, d'une façon presque mathématique, on pouvait dire, un Côtes du Rhône, ça fait tant de longueur, un Châteauneuf du Pape tant. C'était la vérité du vin parce que s'il n'y avait pas la longueur attendue, il y avait un doute sur la provenance des terroirs ou sur des rendements excessifs. Si vous avez beaucoup de raisins, il y a forcément moins de caudalies, c'est logique puisque c'est dilué. C'était donc le temps de la vérité de la dégustation. Malheureusement, aujourd'hui, cette méthode est de moins en moins appliquée et c'est dommage. Ca correspond d'ailleurs à l'évolution générale du monde, où tout reste en surface. Il faut que l'on voie les choses et où on ne veut pas aller les chercher en profondeur, ça ne doit pas être difficile d'accès. Une certaine éducation est nécessaire, ce n'est pas du jour au lendemain que l'on arrive à compter les caudalies. Aujourd'hui, on veut tout accélérer…En deux jours, on voudrait tout savoir. Le vin et la dégustation sont pour moi l'école de la modestie. C'est du plaisir et de la simplicité.
LPV : Vous êtes manifestement un vigneron heureux !
JB : Je suis heureux de faire ce que je fais, c'est une passion. Je fais ce métier pour moi avant tout. En fait, ma famille était à la cave coopérative et moi, depuis tout petit, j'ai toujours voulu être vigneron, faire du vin, travailler les vignes comme mon grand-père et mon père, j'étais tout le temps dans la vigne. Dès que je venais de l'école, je jetais le cartable et j'allais dans les vignes. Je suis né là -dedans, j'ai toujours voulu faire mon vin parce que ça me frustrait un peu de livrer notre raisin à la cave coopérative. Alors, le soir, j'en faisais un peu avec mon grand-père dans un tonneau pour m'amuser. On le buvait après, dans des bonbonnes. J'ai toujours eu cette fibre. Et puis, je rêvais, je me disais qu'un jour je serais vigneron et c'est pour cela que j'admirais Chave, Rayas et Bonneau parce que pour moi, ils sont des artistes, des dieux du vin. Ce qu'ils font, c'est de l'art. J'étais admiratif de ces gens-là parce qu'ils incarnent tout un art de vivre. En fait, ils ont tout sacrifié pour ce métier et pour cette passion. Aujourd'hui, le vin est très à la mode et on en parle mais, il y a 15 ou 20 ans, peu de gens connaissaient Château Rayas ou Chave. Là , ça s'est débloqué depuis 7 ou 8 ans. à‡a a explosé maintenant et tout le monde les connaît. Tout le monde veut en acheter et en boire. Je me suis toujours dit qu'un jour je ferai aussi du vin comme ça mais, dans ma tête, je ne le voyais que pour moi et pour le partager avec des amis, des proches.
LPV : Par qui aimez-vous que vos vins soient bus ?
J. B : Surtout par des gens réceptifs. Je suis content de voir des gens qui ont senti le message passer et quand il y a de la sensibilité et de l'émotion. Je ne suis parfois pas d'accord avec les gens qui, comme vous le faites parfois sur LPV, décortiquent un vin, le comparent à un autre, etc. ni avec ceux qui disent ce soir je débouche telle ou telle série de bouteilles. Personnellement, je pense que les gens devraient être plus modestes et ne pas parler de leurs grandes bouteilles. J'aime les gens sensibles, qui comprennent le message et l'émotion qui doit passer. J'estime que quand on boit un vin, on doit comprendre le lieu et le vigneron car nous défendons quelque chose. C'est d'ailleurs notre rôle de le faire. Faire du vin, ce n'est pas seulement faire du vin, le vendre et ramasser le pognon. Je ne vois pas ce métier comme cela.
LPV : Et le phénomène Parker ?
J. B : Le phénomène Parker est dangereux aujourd'hui. Il y a une quinzaine d'années, j'étais assez d'accord avec lui sur les commentaires de dégustation. C'est quand même lui qui a sorti Bonneau, Rayas, Chave. Ils n'étaient connus que par un cercle restreint d'amateurs et il les a fait connaître au grand public. Mais aujourd'hui, je trouve que ce phénomène est presque malsain pour le vin et que c'est dommage. Maintenant, il y a un enjeu économique, on redoute son jugement, il faut absolument une note correcte. Les importateurs attendent la sortie des notes pour acheter le vin.
LPV : Parker est-il venu vous voir ?
J. B : Non jamais. Il va chez quelques vignerons. Comme nous savons tous où il va, certains font le forcing pour faire déguster leurs vins. Je pourrais aussi lui faire parvenir un échantillon à la Fédération, où il vient déguster les vins de la région. Je n'ai jamais fait la démarche parce que je n'ai pas envie de faire le forcing. Et puis, Parker n'a jamais demandé d'échantillons. Il y a des guides qui demandent des échantillons. Finalement, j'aime bien que ça se passe tout seul. C'est comme un guide Michelin, les restaurateurs n'appellent pas le Guide pour qu'ils viennent les noter ! (Rires)
LPV : En tout cas, LPV est venu ! (re-rires)
J. B : Moi, j'aime bien, je refuse personne, et puis les gens aiment ou aiment pas mes vins ! Mon importateur US, qui connaît très bien Parker, n'a jamais fait le forcing. En général, quand on commence, on fait du vin, on le fait déguster à Parker et, de suite, tous les importateurs viennent. Certains d'entre eux ne viennent que parce que la note est élevée. Chez moi, c'était l'inverse : j'ai fait du vin, des gens sont venus déguster, il y en a qui aimaient, d'autres pas, et les gens qui ont ensuite travaillé avec moi ont acheté mon vins parce qu'ils aimaient mon style. Donc, ceux qui achètent mon vin le font parce qu'ils aiment mon vin.
LPV : Parker a pourtant noté le 2000.
J.B. : Mon importateur américain m'a dit : sais-tu que le 2000 a été noté par Parker ? C'est sorti dans la semaine. J'étais étonné. Il m'envoie le fax et c'est comme cela que j'ai appris que le 2000 avait obtenu 92 pts.
LPV : Pas mal !
J.B. : Oh, je m'en fiche !
LPV : Et s'il avait mis 80 ?
J. B : C'est pas grave ! Dans sa description de mon vin, il dit que c'est étonnant que ce vin soit aussi civilisé pour un vin de Jérôme Bressy.
LPV : Peut-il affirmer cela sans vous connaître ?
J. B : Il dit que c'est dû au millésime. Je ne conteste pas qu'il puisse juger mon vin, mais il ne doit pas dire que ce millésime est civilisé par rapport à mes vins, à mon style, et que cela est dû au millésime. Il n'y a pas un millésime semblable. Il parle de moi sans connaître ma philosophie, ma démarche, ma sensibilité. C'est pour ça que s'il si un jour il vient, je lui expliquerai mon travail. Voilà .
Les vins
2000 et 2001 en bouteille:
J. B. : Il faudrait le carafer deux heures. C'est encore très fermé. Ca s'exprime mieux quand on le carafe. C'est fin, c'est velouté, c'est soyeux. Je peux mieux faire, on peut encore aller plus loin. Ma recherche, c'est ça. C'est de faire un vin qui va encore dans une autre dimension, qui procure encore plus de plaisir. On peut y arriver. Celui qui a bu le 98 et le 2000 et qui boit le 2001 après, notera un changement de style. Le vin est plus subtil, plus fin, on va plus vers la gastronomie. Avant c'était plus surmûri, plus rôti.
LPV Avec quel plat serviriez-vous ce vin ?
J.B : Le 2001, je le vois bien sur un pigeonneau rosé ou une bécasse, quelque chose de fin.
LPV : Et le 2000 ?
J. B. : Je le verrais bien sur un tournedos Rossini. On est dans un autre registre et le caractère charnu conviendrait bien avec la chair du bÅ“uf et le foie gras qui enroberait un peu tout ça.
Dégustation des 2003 sur fût :
barrique 1 : vieux Carignan-grenache 2003 sur fût.
J.B. Aucun millésime n'est identique. J'essaye de m'adapter, de comprendre le millésime et de l'exprimer. Ces dernières années, je suis en recherche de finesse. La couleur est moins dense, Il n'y a plus de pigeages non plus. J'ai pigé jusqu'en 2000. Dans les millésimes où j'ai pigé, J'ai vraiment peu pigé, et depuis 2001, j'ai eu envie d'arrêter et je laisse faire le raisin dans les cuves, justement pour obtenir de la finesse. Donc, c'est le raisin et seulement le raisin qui a décidé de la couleur que vous voyez dans vos verres. Cette barrique contient des vieux grenaches et carignans, issus de terrains argilo-calcaires. Je vinifie tous mes terroirs séparément et ensuite je compose un assemblage.
Barrique 2 : syrah 2003 sur fût.
J.B Ca, c'est vraiment le peu de syrah que nous avons, Nous n'en avons pas beaucoup, parce que sur les terroirs solaires... mais on en met sur ce terroir car il est un peu particulier, ce sont des marnes et des argiles. On en met toujours un peu pour rehausser l'assemblage.
Barrique 3 : grenache 2003 sur fût.
J.B.Ce sont de vieux grenaches de 85 ans, un coteau sur des marnes bleues. Ce sont des vignes en gobelets de grenaches. C'est la terre qui parle, on sent l'argile, le gras de l'argile.
Barrique 4 : vieux carignan et grenache sur fût
J. B. Ici, ce sont de vieux carignan et des grenache. C'est un autre terroir que les premiers que nous avons goûtés, avec exposition nord-ouest, avec plus de marnes jaunes, ça n'a rien à voir avec le précédent, qui était plein sud.
LPV : où en sont les 2002 ?
J. B : Les malos traînent un peu, mes 2002 ne sont pas faits encore. Je les ai assemblés avant les vendanges et maintenant c'est en pleine malo, c'est acide, mais je préfère laisser faire, comme cela les vins se construisent lentement, il n'y a pas de levurages, ce ne sont que des populations naturelles, juste un petit sulfitage à la vendange et à la mise, c'est tout. Sinon, on ajoute rien et on ne met pas d'acides.