[size=x-large]A la rencontre de Frédéric Mugnier et du millésime 2014[/size]
Lorsque j'ai eu la confirmation de la visite de la part du Domaine, "it made my day" voire ma semaine. C'est avec l'excitation et l'impatience d'un petit garçon devant son premier sac de friandises que nous prenons la route depuis l'Ile de France vers Chambolle Musigny. Conformément à mes principes Pingouinesques: 20 minutes de retard. J'ai beau faire une partie du chemin la veille au soir, rien y fait :p. Je dois cependant être béni: la visite n'a pas commencé et notre hôte du jour est d'une grande amabilité. Monsieur Mugnier, toutes mes plates excuses. Ah oui, je ne vous l'ai pas indiqué?
Nous avons la grande Chance d'être reçus par Frédéric Mugnier (un professionnel croisé plus tard me confirmera que c'est bien un rare privilège). Des légendes, il en reste dans la région. La grande écoute portée aux explications et réflexions du maître vigneron en atteste. L'assemblée du jour est complétée de Philippe Bretaudeau et de ses amis restaurateurs. Nous n'avons pas perdu une seule goutte, ni des propos, ni des vins.
[size=x-large]Un peu d'histoire[/size]
Nous sommes accueillis dans la cuverie historique.
- Elle date de 1900. Nous en utilisons également une autre à côté. Je ne fais pas de distinction selon les crus. Il se peut que les Grands Crus passent en inox. C'est un choix qui va notamment dépendre des quantités de raisins.
- Pouvez-vous nous raconter un peu l'histoire du domaine?
- Nous avions des vignes familiales, mises en location puis reprises. Moi, je suis né, j'ai fait ma formation d'ingénieur et j'ai travaillé à Paris. Au Moyen Orient également. Rien ne me prédestinait à devenir vigneron. Comment y vient-on? Il est arrivé un moment où nous nous sommes demandés "Que faire du domaine?". Il n'était pas mis en valeur. J'ai pris un congé sabbatique. J'ai fait le lycée viticole et j'ai pris 1 an pour comprendre. Je ne suis jamais reparti. Nous sommes en 1985.
- Les premières années n'ont-elles pas été trop difficiles?
- J’ai eu la grande chance d'avoir 2, 3 contacts pour éviter de me fourvoyer. Des clients fidèles et des collègues vignerons de bon conseil.
- Et il y a eu le moment où vous avez repris vos vignes à Faiveley.
- En 2004, nous récupérons le Clos de la Maréchale. Nous passons de 4 à 14 ha. Il s'agit du plus grand agrandissement au domaine depuis 1902.
- Cela fait une grande surface pour la région.
- Je me suis posé la question de la manière dont j'allais pouvoir vendre toute la production. Je pensais que cela allait prendre quelques années. Ca a pris 1 an. Des replis en cascade, un peu de négoce. L'important à l'époque était d'éviter les stocks. 2005 s'est vendu tout seul. Nous avons plus ce souci désormais.
- Combien de personnes travaillent au domaine?
- Nous sommes 7 permanents et atteignons une soixantaine de personnes au moment des vendanges.
Sur le Chambolle Musigny village:
- Il a été soutiré ce matin, c'est le deuxième. Je ne l'ai pas encore goûté. Il est l'assemblage de la Combe d'Orveau et des Plantes.
- Ne sont-ils pas tous deux premiers crus?
- La Combe d'Orveau est morcelée. Elle existe une partie en village, une autre en premier cru et un lieu-dit à l'intérieur du climat "Musigny". Nous avons ici le village.
- N'avez-vous pas voulu séparer les Plantes?
- Non. Ils sont meilleurs assemblés. Les Plantes sont sévères seules. Nous avons ainsi un "super" village
.
Chambolle Musigny 1er cru les Fuées
SP: Un nez très floral, de la groseille, de la gourmandise. Une belle acidité en bouche. De la rondeur, un vin très fluide et une finale épicée. C'est vertical, aérien. Je trouve la matière un peu ténue.
B-
Nol: robe rubis très très clair, nez sur les petits fruits rouges, touche florale, bouche (très) légère, acidité assez haute, peu de matière, on est un peu sur le fil ;
B-
[size=x-large]Quelques éléments de vinification[/size]
- Il y a une finesse caractéristique dans vos vins. Comment l'avez-vous insufflée?
- Le style est venu tout naturellement. Il s'est imposé de lui-même avec les terroirs.
- Vous avez évoqué le soutirage du village. Regardez-vous les niveaux de CO2 et de SO2?
- Il nous arrive de dégazer à l'azote. Nous cherchons en général 500-550. Ce sera ajusté selon l'acidité. Pour le SO2, nous en mettons à 3 étapes: à l'encuvage au début de la fermentation, en fin de malo et à la mise. Le premier paraît le moins nécessaire. On a essayé d'en mettre moins. C'était une erreur. On a pu vérifier le vieil adage qui dit "Sulfiter tôt pour sulfiter peu".
Bonnes Mares grand cru
SP: Les tannins sont plus ronds, plus précis à la fois. Ce sont des milliers de petits fruits qu'on ne résiste pas à vouloir croquer.
TB+
Nol: nez davantage sur les fruits noirs, épices, davantage de densité et de matière, mais on reste sur un registre frais et fin ;
TB+
- Les vignes sont plus jeunes. Nous égrappons à 100%. La vinification est rigoureusement la même pour l'ensemble des vins. La fermentation démarre à froid et elle monte parfois jusqu'à 33°C. L'élevage dure 18 mois.
- Comment choisissez-vous vos fûts?
- Je travaille avec François et Rémond. Je demande seulement des fûts qui ne marquent pas.
- Et quelle est la proportion de fûts neufs?
- 15 à 20%. Et le parce se renouvelle sur 10 ans.
- Il est assez rare de garder des tonneaux si longtemps.
Chambolle Musigny 1er cru les Amoureuses
SP: Frais, fin, gourmand, sur la fraise. En humant de nouveau, le nez se fait un peu alcooleux et on perçoit de manière surprenante une légère verdeur en bouche. Une très belle et subtile longueur, un peu de réglisse. Le fond de verre sur la fleur de violette et la rose est très, très beau.
TB
Nol: très beau nez sur les fruits frais, fraise écrasée, le vin est très long, mais il y a un peu de verdeur en milieu de bouche ;
TB-
Musigny grand cru
SP: Un début de "waouh effect". Le nez est déjà fort complexe: de la fraise, de la groseille, une gelée de fruits rouges. Cela virevolte déjà. De la rondeur. La bouche mêle gourmandise, densité, finesse et légèreté à l'unisson. L'intégralité des papilles est sollicitée: largeur, hauteur et surtout une longueur XXL. L'unité est superbe.
Excellent potentiel
Grand
Nol: nez d’abord sur les fruits noirs puis les épices, en bouche c’est d’abord une explosion, on est littéralement envahi par cette matière dense et puissante, puis le vin s’étire de façon interminable ; c’est un peu sauvage (les tanins sont un peu marqués) mais très grand ;
Grand vin en devenir
- C'est encore un peu raide. Cela a besoin de s'assouplir. Le vin sera mûr à 40-50 ans.
- Je trouve cela déjà fort agréable.
- Les tannins sont encore bruts. Dans 10 années déjà, il passera à la classe supérieure. A maturité, l'ensemble sera poli, soyeux. Et il n'y aura pas juste le fané de la rose.
- Est-ce pour cela que vous avez décidé de retarder la vente des Musignys?
- Oui. J'étais irrité d'en voir déjà proposés aux cartes des restaurants à peine commercialisés. Je trouve que le consommateur perd le goût des vins plus âgés. C'est dommage. Forcément, il prend ce qui lui est proposé sur les cartes.
Assurément l'un des 2 vins rouges de notre séjour! Lorsque mes camarades et moi évoquons ce moment, nous en salivons encore et nos yeux se remplissent à nouveau d'étoiles. A noter que ma moitié a tout de même préféré le Bonnes Mares.
Nuits-Saint-Georges 1er cru Clos de la Maréchale
- L'ordre de dégustation est-il favorable à ce cru? Il est peut-être compliqué de passer après le Musigny.
- Je ne trouve pas. Vous allez voir.
SP: Une attaque haute, aérienne, nette, très gourmande avec une belle matière. Elle accompagne d'ailleurs les 2/3 du temps de bouche. Quelle présence! La surprise est assez grande. Le vin n'est certes pas Musigny mais il tient parfaitement la route. Il appartient à cette rare caste de vin qui vous s'impose avec délicatesse mais certitude, peu importe le vin qui l'a précédé.
TB+
Nol: nez sur les fruits noirs bien mûrs, en bouche le vin est très gourmand, immédiatement accessible et séducteur, avec un côté solaire qui contraste avec les Chambolle ;
TB+
- Dans quelle proportion exportez-vous?
- 70% à l'étranger, 30% en France.
- La part domestique est assez importante pour la région.
- C’est une portion historique. Pour l'exportation, on en retrouve de part le monde, du Nord au Sud.
- Combien de flacons produisez-vous?
- 50 000 par an. 60 000 seraient mieux.
- Ne craignez-vous pas voir le contrôle de la distribution vous échapper avec les réseaux secondaires?
- Le vin circule, nous dit Frédéric, c'est normal. Ce que je n'aime pas, c'est que l'on me mente.
Vin mystère 1
SP: Gourmand, légèrement épicé, un peu fumé. C'est dense, d'une bonne consistance sur le palais. La basse température ne permet pas une pleine expression.
TB+ en l'état néanmoins.
Nol: moins immédiat que le 2014, mais davantage de structure, de profondeur et de complexité, un très beau vin ;
Excellent-
Nuits-Saint-Georges 1er cru Clos de la Maréchale 2013
[size=x-large]A propos des millésimes[/size]
- 2015 se dit être un millésime qualitatif mais de quantité faible.
- 2015 est tout petit. Ca aurait pu faire plus. 2014 est normal. Depuis 2009, les volumes sont bas. Selon les années, c'était nécessaire. Sur 2013 par exemple, les petits volumes étaient la condition de la qualité. 2013 était une année froide. Nous avons vendangé en Octobre. Le dernier millésime tardif que j'ai en tête c'est 1984. La différence vient de l'état des vignes, de petits rendements.
- Beaucoup 2013 goûtés chez vos confrères étaient bien bons.
Monsieur Mugnier y trouve une explication pertinente dans le cycle végétatif : "A mon avis, si 2013 se révèle ainsi, c'est grâce à la longueur du cycle végétatif. Il fut étendu avec un débourrement précoce."
Vin mystère 2
SP: Frais, acidulé, droit, salivant avec une finale finement épicé. Le vin se prolonge pendant une large dizaine de secondes.
TB+
Nol: ... Ami Paul est encore subjugué par la Musigny et le Clos Maréchale
Bonnes Mares grand cru 2013
- Qu'avez-vous changé depuis votre arrivée? les étiquettes par exemple?
- Non, elles datent de 1880. Nous travaillons mieux la vigne. Cela permet d'atteindre la maturité plus vite qu'auparavant je trouve. En dehors de cela, nous n'avons rien changé depuis les 15 dernières années.
Vin mystère 3
SP: Un nez plus confit. Quelques notes de champignon. Une belle justesse en bouche. Une légère acidité relance le milieu à point nommé. Du clou de girofle. Le volume est ample et la matière aucunement mince. Je crois percevoir un infime résidu d'élevage dans le dernier instant.
TB+
Nol: nez un peu évolué, épicé, pointe de champignon et aussi d’alcool ; bouche très mûre, sur les fruits noirs compotés et épicés, avec presque une petite sensation sucrée, c’est concentré mais soyeux, un 2005 qui se goûte magnifiquement bien ;
Excellent
Chambolle Musigny 1er cru les Fuées 2005
Le maître des lieux revient sur l'importance du travail du bois: "Je ne regarde plus les tonneaux. C'est le travail du tonnelier et je leur fais entièrement confiance. Chacun son métier et je ne vais pas m'improviser expert en la matière. Il ne faut pas mettre cela au premier plan. Mon métier, ce n'est pas parfumeur. (...) Je ne suis pas fabricant... Je suis un accompagnant. Ce qui m'intéresse est ce que je ne contrôle pas. Il n'y a pas de vérité qui soit définitive. Le vin, ce sont d'abord les raisins. Le vigneron a pour rôle de s'assurer que le terroir arrive de la manière la plus fidèle possible dans la bouteille. Il faut un caractère, une cohérence, une harmonie. Ca ne m'intéresse pas d'utiliser une technique ou une autre. C'est reproductible partout, même à l'autre bout de la planète. Non, ce qui m'intéresse ce sont les terroirs des Amoureuses, de Musigny, etc. Ca c'est unique."
Il est malheureusement temps de repartir. Nous remercions à nouveau ici Frédéric Mugnier pour ces 2 heures passionnantes. Nous avons pu échanger avec un vigneron qui transpire l'humilité, l'intelligence. Il ne prend jamais rien pour acquis. Il prend son temps pour choisir ses mots. Il a indéniablement la trempe des grands. La passion du vin, c'est ça: des rencontres extraordinaires.
Edit: des précisions apportées par le domaine, notamment sur l'année de création de l'étiquette.