Vino Vdovjak : visite du 27 juillet 2018
Je prends le risque de jouer à l'extérieur, en terre inconnue mais pas forcément hostile et curieusement un sentiment assez curieux m'habite, comme si je n'étais pas à ma place, comme si je ne devrais pas être là, comme si je trompais un peu mon interlocuteur et moi-même en même temps.
J'ai rencontré Matus Vdovjak pour la première fois dans un cadre tout à fait différent, lors d'un voyage de travail à Trebisov, la ville slovaque la plus proche et où pour agrémenter le séjour des visiteurs, on leur faisait découvrir, le soir, après le travail, des particularités locales. En l’occurrence la particularité locale ne résidait pas en la personne de Matus mais dans le fait que la région s’enorgueillissait de produire aussi du Tokaj.
J'avais alors rencontré un jeune homme qui se lançait dans l'aventure de faire du vin, son vin, sur les terres familiales : il nous reçut dans sa cave enterrée traditionnelle, en costume non moins traditionnel, ce qui, outre le côté délicieusement kitch et désuet, marquait bien l'attachement aux traditions. J'avais alors été particulièrement séduit par certains vins et sans doute dois-je mon amour immodéré pour la Lipovina de cette rencontre.
De mes différents voyages devenus fréquents je n'avais accordé à Matus qu'une seule visite, sans doute parce que les chemins qu'il prenait ne correspondait que peu à ma faon de voir le vin, mais une fois encore j'avais été subjugué par un vin de Lipovina assez foudroyant.
J'avais quelques nouvelles, à distance, notamment par Igor qui confirmait la route alternative prise par Matus Vdovjak à l'instar de quelques autres producteurs locaux.
Je décidai cependant de prendre rendez-vous et Matus se souvenait parfaitement de notre passé commun et nous convînmes d'une dégustation.
La métamorphose a été radicale et le frêle et timide jeune homme a troqué les habits traditionnels contre short large et tongs, barbe nourrie et belle assurance décontractée. Un accord parfait avec les deux amphores qui accueillent le visiteur devant la maison familiale qui elle aussi s'est bien métamorphosée, preuve que cette affaire, ça doit nourrir son homme !
Le ton était donné donc, mais Matus s'est cru obligé de me prévenir, j'y ai vu le signe d'une grande attention et prévenance, qu'il avait pris des voies nouvelles : je l'assurai que j'étais au courant et que je venais en connaissance de cause ce qui nous a permis d'évoquer Igor Vizner et son travail remarquable de cartographie qui orne d'ailleurs le mur de la salle de dégustation.
Je dois bien avouer ma grande incompétence dans la description de la plupart des vins que nous avons dégustés : je n'avais pas de repère et quand j'en avais, mon hôte tordait le nez sur des arômes qu'il imputait au soufre quand moi, je trouvais enfin un vin lisible !
Matus, engagé qu'il est, n'est pour autant pas un jusqu’au-boutiste et utilise le soufre quand c'est nécessaire ou plutôt quand il juge que ça l'est, ce qui est une nuance de taille. Par exemple, le millésime 2016 n'a pas donné les raisins avec suffisamment de pureté pour faire des vins sans utiliser des sulfites : je trouve bien entendu cette façon de voir les choses fort sage.
Pour autant, sur les vins dégustés, je n'ai pas retrouvé les repères habituels, les marqueurs de la région, sauf sur ceux qui se rapprochaient le plus d'une approche traditionnelle. J'ai goûté les autres avec curiosité et intérêt, j'en ai trouvé plusieurs intéressants, plusieurs autres totalement barrés et désagréables.
Enfin, le dernier vin dégusté sur fût, une Lipovina 2017, était tout à fait remarquable.
Outre les vins et les modes de vinification, ce qui m'a finalement le plus heurté, c'est la volonté de rompre. Rompre avec la vinification traditionnelle ou conventionnelle pour aller vers des vins dits "nature" (ça m'écorche d'écrire un truc pareil !), mais plus encore, la volonté de rompre avec une certaine tradition et celle du Tokaj en particulier. Je pense que si j'étais né là, avec des terres familiales dans ce secteur, riche de l'histoire unique de ce terroir et de ce mode de vinification unique au monde, je ferais du vin comme on en fait ici et pas forcément comme on en fait en Géorgie. Mais je sais aussi que certaines étiquettes "libres" me crient déjà : "on s'en bat les couilles !"
(même si je sais toutes les pincettes qu'il faut prendre avec cette notion de tradition, ce qui d'ailleurs m'a inspiré
ce texte
)
Effervescent : muscat et bleu de franconie pour la couleur : très pomme verte et belle acidité. C'est propre et net
Mephisto 2017 : furmint et lipovina en amphore, fermentation avec peaux pendant 7 mois. Oxydatif rancio assez joli. Très bele bouche tendue et très longue. Ébouriffant !
Sabotage 2016 : Wlaski Rizling : 6 mois en amphore, 5 mois sous voile. Mou, piquant sur des notes de moutarde : je n'aime pas
Wlaski rizling 2017 : 14 jours de macération avec peaux et élevage en cuve inox. Sulfité au minimum : un peu piquant par une volatile élevée, un vin épicé avec un bel équilibre. Fraîcheur renforcée par la perle.
Furmint 2016 : pour le coup un vin qui me redonne des repère et que Matus n'apprécie pas ... pas beaucoup d'envergure par la limite du millésime, mais bel équilibre.
Ordinarius 2015 : furmint lipovina deux ans en fûts. C'est certes très boisé encore mais il y a un très fort potentiel dans ce vin que j'aimerais voir évoluer, car il doit attendre pour digérer son élevage. Il semble armé pour cela.
Dégustation sur fûts : des vins de 2017 qui continuent de fermenter dont un muscat ottonel très joli et une Lipovina de rêve !
fûts traditionnels de Tokaj - 136 l