Dégustation Château d'Yquem, salon Lucien Legrand galerie Vivienne 13/02/2018. Cuisine de Nicolas Gauduin.
Sandrine Garbay, maître de chai depuis environ 24 millésimes (deux exceptions près) au château d'Yquem est présente au comptoir pour parler du vin. Ce sont ses propos ici rapportés, avec mes impressions sur les vins servis ce soir là. S'il y a des approximations, contresens ou inexactitudes, n'hésitez pas à reprendre le fil de ce message.
Les traces des premiers vins botrytisés remontent au milieu du XVIIè siècle pour le bordelais. Le vin du château d'Yquem est consacré en 1855 "premier cru supérieur". En 1999 LVMH investit le fleuron, en 2004 départ d'Alexandre Lure-Saluces. L'exigence de qualité demeure, par exemple (une des deux exceptions précitées) pour le millésime 2012 suite à une année climatique qui n'a pas permis d'élaborer un vin jugé digne de porter le nom de Château d'Yquem, décision en ce sens de ne pas produire le vin pour ce millésime sous cette étiquette.
C'est un microclimat, des sols et des cépages qui déterminent le potentiel d'excellence du vin. La pérennité des équipes aussi : Antoine Depierre, chef de culture depuis 27 ans, Francis Mayeur, directeur technique depuis 34 ans, Pierre Lurton qui préside depuis 2004 (à bonne fin de "libérer les énergies" comme le souligne ce soir là Gerard Sibourd-Baudry). Quarante vignerons sont responsables de parcelles dédiées. 65 salariés s'affairent au château pour 105 ha en production. Chaque pied de vigne permet de produire un verre de vin (alors que la norme d'usage pour un grand vin rouge du bordelais est d'une bouteille par pied). Yquem détient la plus grande surface des Sauternes classés. c'est un atout de par la variété des sols à l'intersection de quatre terroirs, un relief avec le point culminant (80 m) du secteur, la situation privilégiée des brouillards matinaux précoces.
Y d'Yquem 2016,
Y d'Yquem 2000,
Huître passion.
"Y" est produit depuis 1959. C'est un vin de fin de vendange, vin sec avec quelques grammes de sucres résiduels. En comparaison du vin principal, c'est le ressenti d'un léger manque de concentration (et de sucres) en bouche. L'élevage est de 18 mois en fûts neufs. Depuis 1999, c'est un fruit avec plus de fraîcheur qui est recherché pour un raisin ramassé avant le développement de la pourriture noble. Depuis 2004, Y est systématiquement millésimé.
Y d'Yquem 2016. 75% sauvignon, 25% sémillon.
La robe est or blanc, le nez floral et miellé avec une pointe de cire, le bouquet reprend les flaveurs, buis, bourgeon de cassis mais avec une touche de fruits exotiques.
L'élevage comporte 1/5 barriques neuves, le reste de barriques d'un vin. Le sémillon de l'assemblage apporte une jolie rondeur et un potentiel de garde au vin.
Y d'Yquem 2000. 50% sauvignon, 50% sémillon.
La robe est or jaune, le nez miellé, la touche de cire accrue, la bouche est ronde briochée et vanillée.
L'élevage comporte 1/2 fûts neufs et 1/2 fûts d'un vin. Ce vin est souvent fermé dans une période comprise entre cinq et douze ans après la mise en bouteille. Il n'y a pas de parcelles dédiées, la qualité recherchée sur les mêmes pieds de vigne pour une à deux grappes (le reste étant destiné à ce qui donnera le vin principal après sélection). Y-a-t-il de la pourriture noble sur 2016? Le sémillon a été vendangé en légère surmaturité afin de tempérer l'aspect tannique. Le blanc sec "fait bouillir la marmite" pour pallier à la désaffection actuelle du marché pour les vins liquoreux. L'appelation "Bordeaux Blanc" peine également à s'imposer comme vin de qualité. Sur le château, environ 2 ha sont arrachés chaque année pour une jachère de 4 ans avant que de nouveaux plants soient installés par sélection massale de vignes de plus de cinquante ans.
Agrémentés d'huitres salé/sucré avec une pointe de piment, ces premiers vins me font forte impression. Expressifs et fins, dans un registre équilibré. Certes, c'est bien le moins au vu du prix mais pour moi c'est assurément un grand vin et un choix tout ce qu'il y a de pertinent sur une carte de restaurant pour un vin aussi prestigieux que prêt.
Château d'Yquem 2015,
Château d'Yquem 2011,
Foie Gras mi-cuit, suprême de pamplemousse, condiment à l'orange et oseille fraîche.
Château d'Yquem 2015, 75% sauvignon 25% sémillon.
La robe est or avec de légers reflets verts. Au nez du miel en densité. Le bouquet est chaleureux et boisé tout en qualité. En bouche ce n'est pas tant rond que gras, magnifique de persistance et de saveur. Ce qui m'impressionne c'est qu'on serait tenté aujourd'hui de louer l'élevage en l'état pour la délectation d'un toast vanillé, sans penser à ce qu'il masque du fruit qui va se renforcer et révéler à l'avenir (j'imagine).
Alors que les vendanges se prolongent pendant 2 mois avec 6 ou 7 passages en moyenne, le millésime 2015 n'a connu que 4 tries successives pour des vendanges effectuées entre le 3 septembre et le 21 octobre.
Château d'Yquem 2011, 80% sauvignon 20% sémillon.
Robe or. Nez et bouquet présentent des agrumes équilibrés, orange notamment.
C'est un millésime marqué par la précocité (première trie mi-août) et un fruit avec beaucoup de fraîcheur déterminé par la conjonction d'un printemps chaud, d'une floraison en mai et d'un été pluvieux et frais.
Au chai la fermentation est rapide pour éviter la déviation malolactique. Le botrytis impose une récolte grain à grain qui s'étend toujours sur plus de trois semaines et produit une hétérogénéité. La préparation des pieds se fait en taille courte avec un palissage en éventail, un effeuillage en fonction du cycle climatique pour une maîtrise soignée de la vigueur de la vigne. Du fumier nourrit la terre tous les cinq ans. Des attentions qui font trop souvent défaut aux blancs secs du bordelais pour atteindre un certain niveau d'excellence.
Sur cette série, le foie gras est magistralement élaboré avec une cuisson juste parfaite et un assaisonnement subtil et prononcé.
Château d'Yquem 2007,
Château d'Yquem 2005,
Homard Breton et mousseline de topinambour vanillée
Château d'Yquem 2007, 80% sauvignon, 20% sémillon.
La robe est or légèrement ambrée. Le nez est concentré, vanille et amandes. Le bouquet est typé confit d'oranges amères et présente aussi des notes d'agrumes sucrés ou acides, de prune, d'abricot.
Evidemment c'est un registre exubérant très séduisant, pour autant le 2011 lui aussi ne démérite en rien pour moi même s'il apparait par contraste plus "sage" (d'aucuns diraient "simple", ou "droit"). La richesse en variété du bouquet de ce 2007 répond bien à l'idée que l'on se fait du vin d'Yquem, et tout ce qu'il y a de prêt ce soir là.
La loi mnémotechnique des séries de millésimes avantage les millésimes en -7 (sauf 1977 et 1987) pour ce qui est d'une qualité aboutie (inclus 2017) en liquoreux à Bordeaux. 2007 fait partie des vendanges les plus tardives : jusqu'au 5 novembre cette année là (le record absolu est à ce jour au 17 novembre). L'objectif avec une production d'un peu moins de 9 hl/ha est d'obtenir des vins à 20° d'alcool naturel, soit environ 14° sur les pieds de vignes.
Château d'Yquem 2005, 80% sauvignon, 20% sémillon.
Robe or lumineuse (pas de densité prononcée), nez tout en mesure, caractérisé par de la finesse, de la fraîcheur, de la délicatesse, de l'élégance, de la subtilité. En bouche bien sûr il y a des agrumes et des fruits exotiques. Mais pas tant, pour moi le bouquet est avant tout pâtissier avec un goût de beurre de noisette et de pralin. Rétrospectivement c'est le vin qui m'a le plus séduit, atypique et mesuré. Un convive de la soirée parlera pour ce vin et d'autres servis par la suite de typicité "Barsac" sans que je comprenne vraiment ce qui peut les différencier du Sauternes (une rondeur tempérée par plus d'acidité?) Quoiqu'il en soit pour une année sèche et solaire, c'est un vin sans excès de rondeur avec une gourmandise de grande classe. J'aime!
L'assaisonnement salé/sucré et la finesse de la chaire du homard s'accordent très bien avec les vins. L'évolution des millésimes dans le temps produit parfois des surprises. Au chai le principe de sélection pour la recherche de l'identité du millésime. Il y a autant de millésimes que d'Yquem(s).
Château d'Yquem 1983,
Château d'Yquem 2001,
Jeune Fourme d'Ambert.
Ananas, gelée à l'orange sanguine et piment d'Espelette.
Château d'Yquem 1983. 80% sauvignon 20% sémillon.
La Robe est or orangé et ambrée avec une larme bien dense, marques typiques d'un âge certain. En bouche les agrumes annoncés au nez sont définis sur le kumquat, une magnifique acidité d'agrumes confits, belle richesse, pointe d'amande.
115 g / litre de sucres résiduels. 5 tries pour des vendanges tardives. Millésime marqué par un été à la chaleur tropicale, type chaud et humide. Le prédécesseur de Sandrine Garbay, Guy Latrille (45 millésimes) affichait une préférence pour le millésime 1983 (ainsi que le millésime 1988) par opposition à Francis Mayeur et au millésime 1982 (sur seulement deux tries).
Château d'Yquem 2001. 80% sauvignon 20% sémillon.
La robe est or lumineuse, encore jeune. Au nez une concentration d'agrumes. Le bouquet est fin avec du safran, du gingembre. Vivacité.
Ce vin fait la fierté du maître de chai. C'est grand (à l'instar des millésimes 1937, 1945 et 1949). Le cycle végétatif a été parfait pour un résultat sur la concentration, la richesse. Vendanges en vitesse pour une acidité préservée.
Au chai, il s'agit d'éviter les bactéries en évolution qui provoquent une déviation du goût en champignon, c'est au contraire pureté, précision et longueur en bouche qui sont recherchées alliées à de la fraîcheur. Les levures naturelles produisent des différences de goût d'une année sur l'autre.
Quatre tonneliers fournissent chaque année un total de 300 barriques pour la garantie de fourniture supplémentaire dans le cas d'une année prolifique, parfois utilisées d'une année sur l'autre (la production annuelle de 20000 bouteilles peut exceptionnellement être multipliée, jusqu'à x6). C'est la finesse de grain, la provenance française et la précision de la chauffe qui sont sélectionnées.
Bel accord avec le dessert qui souligne pour moi le fait que ces vins déclinent plus les agrumes, l'abricot et l'amande que les fruits exotiques pourtant bien définis par de nombreux liquoreux (je pense notamment au Tokaji) sur des arômes de mangue, d'ananas, de litchi.
Château d'Yquem 1954.
Toujours 4/5 de Sauvignon blanc pour 1/5 de Sémillon. L'assemblage s'effectue traditionnellement dans ces proportions mais pas systématiquement (1994 : 100% sémillon; 2004 : 35% sémillon ce qui est une proportion importante).
La brochure imprimée pour l'occasion décrit le millésime comme suit : "mois d'août pluvieux qui s'est prolongé jusqu'en septembre / conditions de récoltes compliquées".
Le nez d'agrumes et plus encore la robe ambrée sont assez proches du millésimé 1983 pour ce vin pourtant plus agé de 29 ans. Le bouquet de tabac blond, de fruits secs, de fraise écrasée pour une bouche iodée et safranée d'amers nobles. Bon là je reprends les mots de Sandrine Garbay. Ce qui m'impressionne c'est que le vin est très peu évolué, le pétrole est imperceptible pour des agrumes confits toujours vifs. La capacité du vin à traverser le temps si de bonnes conditions de conservation sont réunies ne fait aucun doute. Je me risque à poser une question sur l'optimisation du service du vin et obtiens une réponse qui tombe sous le sens : servir rafraîchi mais pas froid, éventuellement ouverture deux heures avant pour les millésimes récents. On souligne la capacité de ces vins à s'apprécier sur quelques jours, et même une bonne semaine sans problèmes.
Sandrine Garbay évoque son parcours à la Faculté de Bordeaux, la Recherche et son doctorat œnologie (pour un sujet lié aux vinifications en rouge!) le hasard, les rencontres et les opportunités saisies qui l'ont conduite à la fonction de Maître de Chai du Château d'Yquem.
Un vin d'excellence que cette dégustation mythifie aussi bien que désacralise : Y d'Yquem c'est pas de la gnognote; pour le Château d'Yquem, après "seulement" dix années de vieillissement (ou même juste après la mise en bouteille) le vin est prêt à boire à sa manière et c'est bien bon; et à l'échelle du siècle le vin se révèle inaltérable abstraction faite du bouchon.
Par le passé il m'est arrivé de boire de ce vin (jeune le vin et moi aussi) puis de songer à en acheter pour sa réputation historique de premier. Je manque de répondant pour acquérir ce vin aujourd'hui, connaissant aussi les nombreuses alternatives de la région disponibles à moindre coût actuellement. Mais je comprends que c'est fascinant de pouvoir acquérir ce vin avec toute la mémoire du temps des millésimes pour découvrir ou retrouver de belles réussites. Et en bonne compagnie avec une cuisine de haut vol comme organisé ce soir là par les caves Legrand c'est véritablement un moment d'exception. J'ai laissé les vins s'ouvrir au verre en y revenant parfois sur toute la durée de la soirée et apprécié jusqu'à plus soif tant c'est bon.