Le millésime 2021 au domaine Mathilde et Yves Gangloff
J3 de notre ballade hivernale. Point de ciel bleu en ce frais matin, la pluie a au moins eu le mérite de cesser. Nous parquons nos véhicules dans cette impasse de Condrieu que nous commençons désormais à mieux connaître: ne pas se tromper de rive, être au plus près de l’entrée et ne pas mésestimer les courtes distances d’un muret à l’autre sous peine de remodeler son carrosse
.
Cela fait quelques temps déjà que le caveau ne peut plus recevoir les gens de passage et le lieu ne s’ouvre discrètement que sur rendez-vous préalable. Une brève attente puis nous apercevons une silhouette longiligne à la chevelure et aux airs de rockeur se profiler. Elle est reconnaissable d’entre mille ici à Condrieu. C’est bien Yves qui nous guidera lors ce la dégustation cette année.
Entre gel et sécheresses
- Parlons du millésime qui fâche. Quels rendements faîtes-vous en 2021?
- On perd 50% presque 60% sur Condrieu. -50% sur Saint Joseph. C’est descendu jusqu’à -7°C. Sur Côte Rôtie, heureusement que nous sommes dans une partie de la région où il y a régulièrement du brouillard. Nous perdons, un peu moins, - 30%.
- Les incidents climatiques se succèdent chaque année.
- Depuis 2015, nous n’avons que des années sèches et lorsqu’elles sont humides, il gèle.
- La pluie a d’ailleurs accompagné notre trajet et notre journée d’hier.
- Nous avons eu 100 mm ces deux derniers mois. Mais même avec cela, 2022 reste en déficit pluviométrique.
Saint Joseph 2021
Du poivre blanc, de la cannelle, du clou de girofle. Du gras mais une verticalité centrale assez surprenante pour un blanc méridional. C’est relativement vif. Peu de fruits blancs à ce stade ou à cette première heure de la journée. L’effet millésime permet vraisemblablement de faire rentrer ce vin dans le périmètre des blancs que je peux commencer à apprécier (ou alors c’est la vieillesse grandissante
).
AB
- C’est plutôt frais. 2021 est peut-être moins riche?
- Nous vendangeons fin Septembre. Et le vin fait 14°.
- Ah, cela ne se perçoit pas vraiment. Le degré est surprenant. Et sur l’année 2022?
- Nous commençons fin Août pour terminer aux alentours du 12 Septembre.
- Que donnent les volumes?
- -40% sur les blancs, surtout Condrieu. -50% sur St Joseph, en rouge et en blanc. Nous parvenons à faire 38hl sur Côte Rôtie.
- La succession des intempéries doit commencer à peser.
- Ça a un impact évident sur la trésorerie. Nous allons bientôt devoir faire comme la Bourgogne
.
Condrieu 2021
Un extrait bien plus sec. Une netteté supérieure. De l’abricot séché et non confit. Un registre dominé par les fruits à chairs blanche et jaune. Une amertume en retrait et surtout une certaine tension. Dîtes donc, j’aurais peut-être dû en prendre plus qu’un unique exemplaire.
B
- En 2022, nous commençons Condrieu le 29 Août. C’était un peu juste en maturité. Il a plu 15 mm avant les vendanges. L’eau était la bienvenue. Les raisins ont gonflé mais leur peau était fragile. Il a fallu faire très vite.
- A quoi est donc due la perte sur le millésime? Il ne semble pas y avoir eu de catastrophe météorologique?
- Les grappes ne se sont pas fermées. Nous n’avions que de la rafle et des petits pois. Pour mener des fruits à maturité, nous avons fait tomber du raisin sur un demi hectare.
- Avec les années solaires qui reviennent régulièrement, êtes-vous tenté d’allonger les élevages?
- Je ne suis pas persuadé qu’il faille le faire. La tendance est plutôt à vendanger tôt mais un vin pas mûr ne fera jamais un grand vin.
- Vous parlez bien de phéno?
- Oui. En 2018, l’une des années les plus solaires, à 13° c’était pas mûr. Nous avons rapidement fini à 15° lorsque la maturité a été atteinte.
- Le réchauffement accélère plutôt les cycles non?
- Oui le cycle de maturité est raccourci. La véraison se passe fréquemment mi-Juillet alors qu’elle se produisait plutôt début Août normalement.
- Ou un cycle qui commence plus tôt? En 2021, la douceur de Mars avait provoqué une sortie précoce.
- Pas nécessairement. La floraison se passe toujours fin Mai, début Juin. Elle a débuté au 25 Mai en 2022.
Saint Joseph 2020
L’abondance de tanins en entame n’augure pas une grande amabilité. C’est sans compter sur un filin traçant, des notes mentholés et des fruits rouges à point pour rétablir un équilibre à la partition.
B+
- Où vous situez-vous en proportion de rafle?
- 100% VE sur le Saint Joseph et 80% sur les Côte-Rôties.
Du bio?
- En dehors de 2021, les années sont plutôt favorables à faire bio.
- Nous le faisons depuis 3 ans.
- Avec une certification pour objectif?
- On n’y pense pas pour le moment. Il faut du personnel. On estime d’ailleurs le surcoût à 30%.
- En parlant de personnel, vos confrères évoquent les difficultés qu’il peut y avoir à en trouver.
- On touche du bois. On arrive à embaucher. Il y a 5 permanents, sans nous compter.
La Barbarine 2020
Une texture et une saveur plus réglissée. Ce sont cette fois-ci des notes florales, sur la violette et le bonbon de violette qui établissent un contrepoids au registre chaleureux.
TB- et à patienter certainement.
- A quel niveau de soufre vous situez-vous?
- Sur les Côtes-Rôties, entre 15 et 20 de libre pour un total de 40. Et en blanc, autant de libre pour 70 de total. Je ne suis pas un adepte du sans soufre. S’il faut le faire, il faut réfléchir à la totalité de la chaîne: avoir une cave impeccable, respecter la chaîne du froid, etc. Ce sont des changements importants.
- Quels sont les moments où vous soufrez?
- On en met 3 à 4 g à la réception de la vendange. Il disparaît complètement. On ajuste pendant l’élevage et on en met surtout à la mise. Le fait de moins manipuler le vin nous permet de réduire les doses. On ne soutire plus du tout les rouges par exemple.
- Avec les pertes en 2021, allez-vous parvenir à garder 2 Côtes-Rôties?
- Nous faisons - 35%. Nous allons assembler. Cela fera autant de bouteilles de Barbarine qu’à l’habitude mais il n’y aura pas Sereine.
- Nous commençons à savoir que 2022 est une année chaude de + dans la série.
- Elle est différente. Les degrés en 2020 sont par exemple plus haut qu’en 2022. En 2022, il y a eu des blocages de maturité.
- Les maturités devaient être rapprochées une fois que l’ensemble est reparti?
- L’avantage que les vendanges soient précoces, c’est que nous avons eu une équipe d’étudiants. On a passé 11 jours environ, en ne vendangeant que le matin, pour un peu moins de 9ha.
Les millésimes solaires et la gestion des bretts
- Sur un millésime solaire, un peu moins en 2022 je comprends, les sucres doivent mettre un peu de temps à se faire?
- Ce fut le cas en 2018. Ca a fermenté pendant 6 mois.
- Aidez-vous alors la fermentation?
- Sur les rouges, j’ai confiance, ils se font toujours. Ca nous est arrivé d’utiliser une fois seulement un peu de levain pour les blancs. Cela reste une exception. Avec les millésimes plus chauds, c’est le phénomène des bretts qui se développe. Le nouvel équilibre des vins leur est complètement favorable. Il faut garder en tête que les bretts, il y en a tout le temps. Il suffit de regarder les analyses. C’est leur développement excessif qu’il faut surveiller. Leur décomposition développe des éthylphénols. Et le problème de cette levure c’est qu’elle efface tout. Passé un seuil, vous avez tous les goûts et odeurs désagréables.
- Comment agir?
- Avec une filtration stérile, souvent à la mise. Et en faisant grandement attention pendant l’élevage. Il nous est arrivé de faire une filtration stérile sur une pièce en 2017 pendant l’élevage.
La Sereine 2020
Ce qui frappe l’emblée c’est la finesse de l’ensemble. Les tanins, pourtant en quantité, se fondent complètement dans la masse. La portance est haute et l’ensemble se tient de longues secondes dans l’hémisphère supérieur de la bouche. Avec l’aération, des notes de mûres apparaissent sur un lit de myrtilles fraîches. Un sacré peps’ en ressort.
Exc-
- Nous avions eu votre gendre l’an passé.
- Elsa et lui font habituellement les dégustations mais si je peux aider ponctuellement, je le fais.
- Dans quelle mesure êtes-vous encore impliqué au domaine?
- Il faut savoir laisser la place. Elsa travaille ici depuis plus de 10 ans. Elle a rapidement et intuitivement eu les bons gestes. La passation s’est faite progressivement, en restant dans l’esprit du vin.
- Vous avez un fils également.
- Lou est musicien
.
- Pense-t-il revenir un jour au domaine?
- Il profite de sa passion pour le moment. Je n’obligerai jamais à rien. Et si l’envie lui prend un jour, il y a de la place. Chacun sait qui est l’autre.
- En parlant de musique, vous arrive-t-il encore de jouer?
- On a encore un peu le temps de répéter et jouer avec les copains. On fait 5 à 6 concerts, chez les cavistes souvent. Cela permet de partager un verre ensuite.
Il est temps de quitter ce paisible recoin où naissent quelques remarquables nectars. 2020 est riche/solaire, à n’en pas douter. Il existe cependant systématiquement dans les vins de la tribu Ganglof un contrepoint gustatif conférant une délicieuse harmonie d’ensemble. Et mes camarades et moi comprenons chaque année un peu plus l’engouement suscité par le domaine. Vivement l’année prochaine.