2019 au domaine Jean Tardy est-il un millésime chaleureux?
Nous voici arrivés sur la Côte Nuits pour notre séjour automnal en Bourgogne. Notre groupe a été réduit à portion congrue à la suite d’une succession de circonstances et précautions sanitaires. Ce sont donc les vaillants Podyak, Nol et votre serviteur qui se rendent à ce discret pavillon du village de Vosne. Guillaume nous avait déjà laissé entr’apercevoir 2019 l’an passé, tant dans son rendement plus faible à - 25% d’une année normale que dans sa fluide maturité. Comment le millésime allait-il se révéler avec le supplément d’une année d’élevage?
La précocité du millésime 2020
- Comment s’est passé 2020 ? Il a plutôt fait beau mais il a grêlé tout début Août sur Nuits-Saint-Georges. Tes vignes ont-elles été affectées? Bas de Combes peut-être?
- Non, j’ai eu de la chance. Le couloir a seulement léché les Argilas. Je venais de faire plus d’une dizaine d’heures de route vers le Sud Ouest de la France. J’ai vite eu mon père au téléphone. Il m’a rassuré. Heureusement. Il aurait fallu que je fasse le chemin inverse sinon.
- A quelle date vendanges-tu?
- Le 28 Août. Nous finissons le 31.
- Les maturités devaient être sacrément rapprochées.
- Elles l’étaient, hormis les Hautes Côtes de Nuits où la phénolique a été un peu plus longue. La sécheresse bloque souvent les maturités.
Haute Côte de Nuits 'Cuvée Maëlie'
Un léger perlant car le vin n’a pas encore été soutiré. Une dynamique assez droite autour de laquelle s’ancrent du clou de girofle, du poivre et quelques fruits rouges.
AB-
- Du petit point de vue parisien, il y a eu de grands épisodes ensoleillés et des pluies ponctuelles au Printemps. Nous avons croisé un de tes confrères à Volnay ce matin et ils ont eu de la pluie.
- Ils en ont effectivement eu de leur côté, pas nous.
- A quel rendement aboutis-tu du coup?
- 35hl en moyenne.
- C’est finalement plutôt correct au regard du manque d’eau.
- On ne va pas se plaindre.
- Et en terme de degrés?
- Nous sommes à 13-13,5°.
- Toi qui apprécie faire des vins avec une belle acidité. Elle était plutôt basse sur 2018. Sont-elles bonnes sur 2020?
- L’acidité totale est bonne. Le PH se situe aux alentours de 3,3. Et au contraire de 2019, nous n’avons pas eu de grillure.
Fixin ‘La Place’
Un joli nez sur la gelée de groseille. La bouche est à l’unisson. Elle est salivante, gourmande et les doux tanins s’immiscent dans les moindres recoins des joues. La finale est appétente. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas eu ce village à ce niveau.
B+/TB-
Camarade Paul lâchera même : « C’est de mémoire le meilleur Fixin depuis que nous venons chez toi. J’avais trouvé qu’il avait passé un palier l’an dernier. Cela se confirme ici. »
- Avec le Covid, as-tu vu des changements en terme de ventes ? Je pense notamment aux restaurateurs qui sont les métiers parmi les plus touchés dans la chaîne des acteurs du vin.
- Je n’ai pas eu d’annulation. Je garde l’allocation de certains de le cas échéant. Après les importateurs vont plutôt bien, je reçois toujours de nouvelles demandes. C’est l’avantage d’exporter.
- Il faut dire que les cavistes ont bien vendu dans tous les pays. Le consommateur final continue de boire.
- Oui. Certains cavistes ont mis en place des drives et ça fonctionne bien.
2019 est-il frais?
Chambolle Musigny 'Les Athets'
Une vivacité faite sur un bonbon acidulé à la groseille. Il y a un filin tendu à l’horizontal au milieu de cette matière confortable. Des fruits noirs? Peu, voire aucune trace. La tension constitue ici clairement la persistance du vin.
TB.
- Ca reste vif pour un millésime si solaire. Je me rappelle les épisodes caniculaires en Juin et Juillet.
- Nous sommes à un PH de 3,3 ici. 2019 a comparativement été lent à se faire. La fraîcheur a été apportée/conservée car la maturité phénolique a eu plus de temps. Nous vendangeons le 16 Septembre donc plus tard qu’en 2020.
- A quels niveaux d’acidités te retrouves-tu en général?
- Le PH oscille entre 3,35 et 3,6. L’acidité totale après malo est de 3,8 - 3,9. S’il n’y avait pas eu de blocage de maturité, nous aurions récolté le 20 Août.
Vosne Romanée 'Vigneux'
D’une évidente gourmandise, les saveurs de confiture de fraise et de groseille en attaque s’élancent dans un bal aérien porté par une grande droiture et une fraîcheur calcaire. Le mouvement se prolonge sur des fruits rouges plus foncés telles la myrtille ou la mûre. Le verre vidé laisse monter des effluves rémanents.
TB+
- Continuons sur 2019. A quels degrés termines-tu?
- A 13,6° en moyenne. C’est plus que les autres années. On a 14° sur les Argillas et le Passe-Tout-Grain. Quelques cuves ont mis plus de temps à finir leur sucre.
- Cela commence à faire plusieurs millésimes sans chaptaliser. C’est plutôt une bonne nouvelle. En terme de futaille et de variation des rendements entre 2018 et 2019, comment as-tu géré?
- Je n’ai pas vraiment eu à le faire. J’ai pris un peu moins de neufs, 2-3.
Nuits Saint Georges ‘Au Bas de Combe’ - Vieilles Vignes
« Nous sommes sur un sol argile-calcaire, en dessous des Boudots. Plus on se rapproche de ceux-ci plus le sol est sableux et limoneux. C’est une route qu’il fallait tracer droite qui fait la séparation des 2 terroirs, même si le dessus du Bas de Combe est plus qualitatif que le bas et se rapproche des Boudots.
Un nez plus en retrait. Le dénominateur commun de gourmandise est présent, de la mûre, de la fraise mûre écrasée, de la groseille. Il est couplé d’une gamme d’épices sur le poivre et la noix de muscade qui lui confèrent une touche masculine dans cet ensemble féminin. La matière présente une mâche et un volume supérieurs pour une complexité plus importante. Les épices font cette fois la subsistance du vin sur les papilles.
TB+/Exc-.
- Les fruits paraissent plus expressifs. Tu as changé quelque chose sur la pré-fermentation à froid?
- Non, je continue à rentrer les raisins dans une cuve glacée. Je refroidis les raisins à 5° puis en remets sur la cuve.
- Tu n’utilises plus la neige carbonique?
- Non, cela ne faisait pas une grande différence.
Gevrey Chambertin ‘Champerrier’
Une attaque saline et mûre. C’est réglissé, un peu sucré sur le bonbon Krema. Le toucher de bouche allie délicatesse, finesse et consistance. Admirable. L’élan donné par l’acidité permet un vin très digeste et frais. La finale montre des notes de figues.
TB+/Exc- également.
- Si tu devais rapprocher 2019 d’un autre millésime, lequel serait-il? Un de tes confrères sur la côte de Beaune nous évoquait ce matin 2010.
- Ah, c’est tout de même plus mûr. Je dirai 2015 et demi
: la maturité de 2015 et la tension de 2016. D’ailleurs les 2016 se goûtent très bien en ce moment. J’en ai ouvert un avec les copains.
- Déjà? Ils vont tout de même tenir? lui réponds-je un peu taquin.
- Bien entendu
.
Nuits Saint Georges 1er cru ‘Aux Argillas’
Un début légèrement iodé en tant qu’exhausteur pour les goûts qui suivent. Du zan, de la confiture de fruits rouges assombris: cassis, fraise et griotte. Des tanins enrobés arrivent en nombre sur le bout de langue dans le prolongement de la dynamique de l’entame. Un grand potentiel et une belle accessibilité déjà.
Exc-
- J’ai une bonne nouvelle.
- Ah bon?
- Je récupère des vignes en location. 1,36 ha de Côtes de Nuits Villages à Comblanchien. Ils se trouvent derrière l’église. Je vais du coup donner le Passe-tout-grain à un jeune à partir de 2021.
- Comment les as-tu obtenues?
- C’est une connaissance de longue date. Il a récupéré des parcelles dont plus d’un ha sur cette appellation. Il me les a proposées. Il va falloir que je bouge mes cuves afin d’en case une supplémentaire.
- Dans quel état sont les vignes?
- Il faudra probablement être un peu sévère sur la taille.
La place de la famille
- Je comprends que ton père n’est pas très loin, cf. l’épisode de grêle cet été. Quel regard porte-t-il sur ce que tu fais?
- Il ne le dit pas mais il doit être fier. Il voit la continuité du domaine sur les bases qu’il a posées. Il a commencé de zéro. Et puis il voit la gestion du domaine et des vins qui se vendent.
- Nous avons déjà aperçu ta fille par le passé. Même s’il est encore trop tôt pour parler de suite du domaine, perçois-tu déjà des envies?
- Non, elle est encore jeune même si elle met son nez au dessus des verres. Nous ne la pousserons jamais. Il y a en revanche une seule chose, essentielle, qu’on lui dit: il ne faut pas vendre. Le domaine a été créé de toute pièce par son grand-père grâce à un travail considérable.
Echezeaux grand cru
Une grande classe dans sa portance, haute et stable sur ses bases. Un équilibre de fruits rouge à point. Dense à coeur et digeste dans son enveloppe. Une note saline vient rehausser les goûts dans une virgule sur le dernier tiers du tempo. Quelques tanins salivant viennent enfin se loger sur la langue et son pourtour. Un vin rouge clair dans son commencement, un peu plus carmin et gourmand en milieu et enfin plus minéral et texturé sur sa conclusion.
Exc+ voire davantage. Petit waouh effect.
- Tu as changé quelque chose? Nous avions déjà bien goûté Echezeaux l’an passé mais il semble y avoir quelque chose de plus ici.
- Je pige moins. Je le laisse un peu plus venir.
- C’était un fût neuf?
- Oui 100% en 2019. C’est un Montgillard ici.
- Nous n’avons pas perçu d’élevage. C’est bien bon. Tu nous avais déjà dit l’année dernière avoir moins pigé.
- Oui et de la même manière chaque appellation à quelques variations près. J’en fais souvent un de plus pour les Argillas et un de moins pour le Chambolle.
On goûterait bien un peu de 2020
Parce que je sais cela possible avec Guillaume et parce qu’il sait que la réciproque est vraie, je lance un petit:
- Tu crois qu’on pourrait avoir un aperçu de 2020?
- Pourquoi pas, je n’ai pas regoûté depuis.
Vosne Romanée 'Vigneux' 2020
En dépassant l’acide malique bien évidemment encore présente à ce stade, les goûts sont plus classiques, sur un rouge vif alors que le millésime est plus précoce que 2019. C’est aérien et d’une éclatante finesse déjà. Un net cylindre étiré sur les hauteurs du palais. Remarquable déjà ! Sans préjuger de son avenir, c’est un vin fort bien né.
- C’est étonnant pour un millésime que l’on se rappelle chaleureux avec une quantité d’eau limitée.
- Il est plus acide que 2019. Nous sommes sur le Vosne aux 3,3 de PH et 5 d’acidité totale. Vous goûterez bien autre chose?
-
Echezeaux grand cru 2020
Un vin tout aussi virevoltant dans son déplacement. De petites baies de groseille à maquereau, des billes au toucher velours. Un fond de qualité. Une brillante promesse.
- Tu as moins pigé sur 2019, qu’en est-il sur 2020?
- J’ai extrait un peu plus. Le millésime le permet. Allez un 2018 avant de partir. Il faudra les oublier au fond de la cave mais ça vous donnera une idée de ce que ça donne en bouteille.
- On prend
Gevrey Chambertin ‘Champerrier’ 2018
Une entame en altitude de bouche. C’est assez métallique à l’ouverture. Les premiers instants appellent à se resservir avant même que la gorgée ait été pleinement appréciée. De la ronce - alors qu’il n’y a pas de rafle, une dicible épaisseur. L’aération et la mise en place du vin révèlent les fruits noirs, très noirs, goûtés l’an passé.
TB- sur l’instant. Je confirme qu’il faudra patienter 2018.
Ce fut un plaisir renouvelé que d’échanger et déguster avec Guillaume. Des remerciements réitérés par ce post. 2019 est mûr c’est une certitude, mais il n’est pas aussi sombre que 2018 et il y a surtout cette colonne vertébrale acidulée qui contribue à de délicieux équilibres. Et si les millésimes chauds bénéficiaient aux terroirs Bourguignons?