Visite au domaine Ludovic Archer et dégustation des 2020
Une petite pause pendant cette belle semaine de ski, pour aller visiter Chambéry et … le domaine Ludovic Archer.
Celui-ci m’avait prévenu : « ne vous attendez pas à un château ou à une vieille cave ! »
Il a en effet installé sa cave dans un box qu’il loue dans une zone d’activités industrielles et commerciales, avant de trouver le meilleur emplacement pour sa future cave.
Mais tout le matériel y est ! La température est très fraîche voire froide l’hiver, mais cela favorise la stabilisation des vins et il la climatise à 20 ° C l’été.
Ludovic Archer était ingénieur avant de décider de changer de vie en 2017. Il s’est formé à Beaune et en alternance chez Jean-François Quénard.
Son premier millésime est 2019 et il sait la chance qu’il a eue d’avoir pu commencer avec deux excellents millésimes, même s’ils sont atypiques, ce qui n’est malheureusement pas le cas de ceux qui ont commencé en 2021...
Lui-même a beaucoup moins souffert que d’autres, du gel et du mildiou, sur ce millésime, en ne perdant que 20 % de la récolte, alors que certains en ont perdu jusqu’à 80 % !
Il dispose actuellement d’un peu moins de 3 ha, comportant sept cépages différents. Les différentes parcelles sont soit en bio soit en conversion. Pour lui, « le bio est un minimum ».
Il vend sa production essentiellement aux cavistes, et aux restaurants depuis peu, mais très peu aux particuliers (10 % environ) car il n’est pas encore très connu.
Une bonne partie de notre discussion a porté sur ce qu’il appelle la « protection passive » de ses vins. Il souhaite en effet utiliser le moins possible de soufre, sans être un « anti-soufre absolu ». Il utilise donc un ensemble de méthodes qui vont toutes dans le bon sens, même si chacune ne contribue qu’en petite partie au résultat final. Jugez-en :
- Travail à la vigne pour obtenir une récolte saine.
- Sélection des vendangeurs en leur demandant beaucoup de patience pour faire du tri sur pied et non le maximum de récolte à l’heure.
- Utilisation de cagettes pour limiter la pression sur les raisins lors de la récolte.
- Pas de débourbage et lancement de la fermentation au plus tôt, soit naturellement, soit en utilisant un pied de cuve.
- Fermentations malolactiques totales, ce qui évite l’utilisation de soufre pour les bloquer.
- Filtrations très légères.
- Mise en bouteilles sous azote.
- Ajout d’un peu de CO2 sur certaines cuvées.
- Utilisation de bouteilles en verre sombre.
- Utilisation de bouchons en liège premium, avec cachetage à la cire (il pense à passer aux bouchons Diam prochainement).
Au final, il ajoute très peu de soufre, seulement 10 à 20 mg / l avant l’hiver pour le millésime 2021.
On peut d'ailleurs trouver sur le site du domaine toutes les valeurs de SO2, en libre (14 mg / l pour Giant Step 2020) et en total (35 mg / l pour Giant Step 2020), ainsi que d’autres précisions techniques, pour chaque cuvée.
Saluons donc cette transparence, et profitons-en pour signaler que ce site est magnifiquement réalisé : il témoigne de la passion de ce jeune vigneron pour son nouveau métier !
J’ai pu déguster une grande partie de la gamme, sur le très beau millésime 2020.
On notera que les étiquettes de ce millésime ont été réalisées par une autre illustratrice, dans un style très différent et beaucoup plus soft que celles du millésime 2019. J’aime beaucoup !
Les bouteilles ouvertes sont conservées avec le système Coravin et Ludovic estime que c’est efficace pendant deux à trois semaines avant qu’il observe une évolution.
Vin de Savoie – Jacquère – Giant Step – 2020
Cette cuvée est issue de deux parcelles de vieilles vignes situées à Chignin. La cuvée pourrait donc revendiquer l’appellation village « Chignin », mais Ludovic constate trop souvent la confusion entre Chignin et Chignin - Bergeron chez des non spécialistes. Il aimerait bien la reconnaissance d’une appellation Chignin – Jacquère !
Pour les deux parcelles, situées l’une en haut de Chignin et l’autre en bas, le sol est constitué de moraine argilo-calcaire et dans un secteur « froid » orienté à l’est.
Le rendement est de 30 hl/ha (pour 68 autorisés !) et l’élevage combine 1/3 de cuve sans batonnage, 1/3 de cuve avec léger batonnage et 1/3 de vieux fûts, ce dernier contenant pour favoriser l’oxygénation et acquérir un peu plus de confort en bouche.
La mise en bouteilles date du printemps 2021.
Le nez affiche d’entrée une belle intensité et embaume le fruit bien mûr, associant fruits blancs et jaunes ainsi qu’une touche d’agrumes.
La bouche d’une grande précision sait conserver toute la vivacité du cépage tout en prenant de l’ampleur et de la longueur, avec toujours cette aromatique séductrice en rétro-olfaction. Ce sont donc ces choix de la fermentation malolactique totale et de l’élevage, associés à une grande maturité, qui apportent cette rondeur aimable qui appelle la table.
Bien ++ / Très Bien
Ludovic m’indique que le 2019 (que j’avais dégusté il y a exactement un an) se boit encore mieux actuellement ; il préconise donc une garde de deux à trois ans pour pouvoir tirer le meilleur de cette cuvée.
Vin de Savoie – Chignin-Bergeron – Summertime – 2020
La vigne dont cette cuvée est issue se situe sous les fameuses tours de Chignin, sur un terroir de moraine argilo-calcaire exposé plein ouest.
Le rendement est de 23 hl / ha !
Le nez extraverti propose des fruits jaunes tels l’abricot, des arômes floraux intenses, avec des accents miellés et d’autres anisés qui complexifient l’ensemble.
Le contraste avec la bouche est saisissant : celle-ci présente une fraîcheur remarquable, pour le cépage et pour le millésime. Le volume et la matière riche sont aussi présents, mais sans aucune lourdeur. Une légère amertume relance bien la finale qui se prolonge sur une fine salinité salivante.
Très Bien (+)
Roussette de Savoie – Poulettes – 2020
Cette cuvée est issue de jeunes vignes (plantées en 2013 et 2014) qui font partie du Centre d’ampélographie alpine Pierre Galet à Montmélian, dans un but conservatoire.
Elles sont situées au pied d’un éboulis argilo-calcaire et exposées plein sud.
Le rendement est de 40 hl / ha.
L’élevage est réalisé pour moitié en cuve et pour moitié en demi-muids de 10 vins pendant 10 mois.
Servi très frais (la bouteille était restée dans la cave à 4° C), le nez montre tout de même une belle intensité et une grande finesse, avec une palette florale rehaussée par de la cire et du miel.
La superbe matière s’affirme en bouche, bien tenue par une magnifique tension empreinte de salinité. Elle est toutefois un peu resserrée, en raison de la température de service et de sa jeunesse.
Très Bien à ce stade mais un énorme potentiel.
Ludovic me souffle qu’il a réalisé une micro-cuvée de vin orange à base de roussanne (La Rumeur), avec 7 semaines de macération.
Il envisage d’assembler à l’avenir cette cuvée (environ 10 % du total) à la cuvée de pressurage principale pour lui apporter encore plus de complexité. Cela ne sera pas réalisé sur le millésime 2021 qui ne s’y prête pas, mais peut-être pour le millésime 2022.
Pour les rouges, la dégustation va s’accélérer car mes compagnes de voitures s’impatientent …
Vin de Savoie – Gamay – Hot Five Bastards – 2020
La vieille vigne dont est issue cette cuvée est située à Chignin sur sol morainique argilo-calcaire.
Le rendement est de 43 hl/ha.
La vinification comprend deux semaines de macération carbonique.
Une explosion de fruits au nez, teintés de notes florales et épicées.
Une bouche au jus gouleyant et gourmand mais avec une belle concentration et du caractère.
Bien ++
Vin des Allobroges – Minor Swing – 2020
Il s’agit d’un assemblage par tiers de mondeuse, persan et douce noire. Ce dernier cépage n’étant pas reconnu pour l’appellation Vin de Savoie, le vin est donc classé en IGP Vin des Allobroges.
La vigne conservatoire est complantée et située à Montmélian, sur le même terroir que la roussette.
La vendange est égrappée pour moitié pour une macération de 15 jours, de légers pigeage et remontage permettent une extraction douce et l’élevage est réalisé en fûts de 7 vins.
Comme pour la Roussette, ce vin n’est plus à la vente et Ludovic n’avait donc pas prévu de me le faire déguster. Il me le propose quand même, sachant que je vais pouvoir tenir compte du fait que la bouteille est restée dans la cave à 4 ° C.
Malgré les conditions difficiles de dégustation, le nez généreux joue une belle partition, faisant intervenir fruits noirs, épices, fleurs, une touche fumée et une autre sanguine.
La bouche de grande personnalité et de belle dimension s’affirme par un caractère sauvage, une certaine densité et une grande énergie.
Très Bien, et à attendre sereinement.
Vin de Savoie – Mondeuse – Totem – 2020
Il s’agit de la même vigne conservatoire de Montmélian mais les grappes sont issues d’une vendange plus tardive, donc à pleine maturité.
75 % de grappe entière pour une macération de 15 jours, de légers pigeage et remontage pour une extraction douce et un élevage réalisé en fûts de 7 vins.
Le fruité est explosif, sur la framboise et la myrtille, teinté de touches épicées réglissées.
La bouche se montre opulente, d’envergure, habillée d’un manteau de tanins d’une grande finesse. La finale plus déliée et tonique laisse le palais net.
Très Bien (+) alors que c’est encore un bébé !
Un mot sur les prix, qui ne sont pas doux mais très justifiés : du point de vue du vigneron par les très nombreux passages dans les vignes et les faibles rendements, du point de vue du dégustateur par la qualité des vins, quelle que soit la cuvée.
Après les visites chez Brice Omont, Adrien Berlioz, Matthieu Goury, Nicolas Ferrand et Julien Viana, celle-ci confirme que les jeunes talents sont nombreux en Savoie !
Merci à Ludovic Archer de m’avoir reçu entre un travail à la vigne et un rendez-vous et de m’avoir donné accès à six belles cuvées !
Ce ne sera pas notre dernière rencontre…
Jean-Loup