Pour marquer le coup du passage dans la soixantaine de ma belle-mère, nous décidons de mettre le cap vers cette vénérable institution française de Vonnas - prononcer Vonna, sinon ma compagne, elle-même Bressane, risquerait d’être quelque peu courroucée. Ayant eu la chance de faire quelques 2*, et notamment Bocuse l’an passé à la même date, j’étais ma foi fort enthousiaste à l’idée de faire mon premier 3* : était-il possible de faire mieux (nous avions déjà tutoyé les sommets) ? Et, si oui, dans quelle mesure est-il possible de faire mieux ? Toujours est-il que je ne pars pas sans appréhension. D’abord, une expérience quelque peu mitigée il y a 3 ans, avec ma compagne justement, à la brasserie attenante au grand restaurant. Ensuite, un menu qui me parle moins que celui Bocuse,
a priori. Enfin, des avis parfois critiques, sur LPV et ailleurs, sur la table en elle-même.
Allez, je vois que avez faim, à table…
Amuse bouche : l'huître boudeuse en gelée "Terre et Mer"
La Truite de la Source du Moulin de l’Etre au Safran de Bresse pimenté
Le Rouget Barbet de nos côtes dans une Essence marine anisée au Fenouil et suc de Tomate d’Été de notre Jardin d’Epeyssoles
Le Homard à la flamme et au Savagnin Miso de Bourgogne et Harissa coraillé
Le Suprême de Poularde de Bresse maturé et cuisiné dans une étonnante Marinade lactée
Les Fromages frais et affinés de nos Régions (en supplément)
Exquise délicatesse d’un Feuille à Feuille Café-Miel Muscovado. Trop gourmand, j'en ai oublié de prendre la photo avant d'entamer mon dessert.
Côté vin : je suis à la manoeuvre, en lien avec mon père. Objectif(s) : belles bouteilles, dans un tarif raisonnable. Inutile de dire que la carte (dispo en ligne) est facturée dans une fourchette haute. Un simple St Jo étant facturé 200E. Mais, en épluchant bien la carte, et Dieu sait si j’aime, moi, éplucher les cartes des vins à la recherche de jolies choses à bon prix…, on trouve de « belles affaires ».
A posteriori, je suis vraiment content de cette sélection : tout était au top niveau et il s’agit là de bouteilles sommes toutes assez uniques pour certaines, facturées honnêtement. Au surplus, avec cette sélection, nous sommes largement en-dessous, de plus de 100e/tête, que si nous avions pris l’accord mets vins « classique » ; et de 200e pour le
prenium.
En voici les CR :
Domaine Jean-Paul et Benoît Droin - Chablis Premier Cru - Vaillons, 2017
Fait office d’apéritif, et d’accompagnement des amuses bouches, en particulier l'huître.
Un nez ouvert mais assez monolithique et finalement assez peu complexe. J’aime particulièrement ce climat pour sa minéralité marquée et ses notes marines souvent intenses, avec la coquille d’huitre. Rien de cela ici avec certes un nez expressif mais simple, plutôt monolithique donc, sur des notes de fruits blancs et de timides notes de caillou mouillé. La bouche est mi-ronde mi en tension et en cela, la balance était plutôt bien équilibrée. Il manquait juste un peu de complexité pour me sentir en premier cru.
J’ai bien évidemment aimé cette bouteille, mais un cran en deçà de mes espérances, et elle n'a d'ailleurs pas beaucoup évolué pour le deuxième verre. J’en ai 2 dans ma propre cave et j’ignore si le vieillissement supplémentaire apportera la complexité que je ne lui ai pas décelé.
Domaine Vincent Dureuil-Janthial - Rully Premier Cru - Le Meix Cadot, 2018
Accord avec le Homard.
Bon, et bah là, on change d’univers. Le premier nez suscite l’enthousiasme général de la tablée. La générosité et l’opulence d’un beau Chardonnay, bien élevé ; c’est complexe, d'une gourmandise absolue, raffiné, la totale quoi.
C'est superbe et surclasse très clairement le Chablis ci-dessus.
Si les blancs sont parfaitement adaptés à la cuisine du jour, nous choisissons deux autres bouteilles de rouge, pour le plaisir du vin rouge. Et d’opportunités identifiées. J’avais visé une bouteille finalement non disponible à la carte, il faut se rabattre rapidement et ne pas faire d’erreurs… Moi mon pêché mignon, ainsi qu’au père mais aussi ma compagne, c’est le Rhône Nord et pour ce qui me concerne plus précisément, la côte-rôtie. Aussi, parmi les beaux rapports QP, je trouve ce :
Domaine Christophe Semaska - Côte-Rôtie - Château de Montlys, 2015
Accord avec la volaille de Bresse.
Ah, M. Semaska, nous avions tant échangé à Lyon l’an passé. Madame était là, ainsi que mon père. Nous avions d'ailleurs dégusté sa colline rhodanienne le soir, qu'il nous avait généreusement offert après le salon.
Le Montlys m’a par ailleurs régalé sur 2019
. Cette côte-rôtie me paraissait donc de nature à tous nous fédérer sans transiger bien sûr sur la qualité de la bouteille. Le plus vieux millésime, soit 2015, qui est un grand millésime, me paraissait le choix judicieux.
Le premier nez est manifestement réduit. Carafage. Revient à lui même. Il s’exprime alors, et magnifiquement : un cocktail de fruits noirs (mûre) et rouges (framboise), dans un registre presque confituré, résolument puissant, fidèle au millésime mais raffiné. La bouche est puissante, charpentée mais parfaitement équilibrée. C'est long, et bon.
Une bien belle bouteille, qui me confirme, au passage, l'impératif arrêt au stand du domaine au marché d’Ampuis.
Château de Beaucastel - Châteuneuf-du-Pape, 2005
Bu avec les fromages, mais surtout pour lui-même, en fin de repas.
Clin d’oeil au père, qui est dans sa période Châteauneuf. Ayant bu le
2009 récemment
, je propose 2005 parmi les nombreux millésimes à la carte.
Très beau nez, classe, distingué et finalement très délicat. La description que je pourrais faire de ce vin pourrait être la même que celle faite pour le 2009 : on retrouve les épices, la garrigue. Mais, l’ensemble est fondu, tellement fondu que je dis à table « on dirait une infusion de Châteauneuf du Pape » du fait de sa grande finesse.
C’est superbe, mais pour comparer les deux millésimes, ma préférence va au 2009.
Un fabuleux binôme !
En conclusion, c’était un repas absolument incroyable, nous avons tous ressenti une émotion à table, que ce soit ma compagne sceptique jusqu’alors, ou même mon père, souvent bougon, parce qu'exigeant et attaché à la bonne cuisine ; lui aussi s'est extasié. Et signalé un sans faute. Une cuisine en définitive d'une grande finesse, traditionnelle comme nous l'aimons, tellement française, et finalement copieuse : bon mangeur, je suis sorti repus. Le pain était d'une grande qualité ainsi que la trilogie de beurre servis. Enfin, la maison nous a même offert un verre de vieux Porto en fin de repas.
Un grand moment de partage, en famille ; un repas qui aura ravi notre tablée de gastronomes amateurs.