Florian,
Pour 1981, il y a infiniment plus de bons vins que ce que l'on croit :
Nous étions plusieurs à avoir déjà partagé une Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1981 avec Luc. Instantanément, nous savons que celle-ci est supérieure à celle que nous avions bue, qui était déjà émouvante. Luc trouve des pétales de roses dans le parfum de ce vin, mais ce n'est pas ce qui me frappe le plus. C'est l'intensité du message qui me subjugue. Ce parfum délicat, profond, complexe est comme l'assemblage le plus créatif d'un grand parfumeur. En bouche, deux choses s'imposent : la complexité et la longueur infinie. Mes amis s'extasient et commentent leurs plaisirs mais je préfère me taire, pour essayer de capter tout ce que je peux d'un message extraordinairement complexe. Une image qui me vient est celle d'un jeu d'orgues dans une cathédrale. Ces alignements de colonnes imposantes, c'est ce que je ressens. Ensuite, je perçois le sel qui est si caractéristique des vins de la Romanée Conti, même s'il est plus discret que sur d'autres Romanée Conti. Puis, au-delà de la minéralité, les feuilles, les branches et le végétal brun se présentent comme des infusions raffinées. Puis, on chasse les images, et on se laisse embarquer dans un parcours en bouche qui tient du bobsleigh, avec un final quasi inextinguible. On aime ce vin parce qu'il transcende toute notion sur le vin. Il n'y a aucune recherche de charme, de séduction. C'est une grande complexité développée sur la rose, le sel, le poivre, les épices rares mais discrètes, et des infusions aux herbes inconnues. En un mot, c'est le bonheur total. Je suis ravi qu'il y ait un accord couleur sur couleur puisque le rose du mignon de veau d'une tendreté extrême est proche du rose de cette Romanée Conti, mais c'est un plaisir de voir que le vin s'allie aussi bien aux légumes nouveaux croquants.
Autour de la table, on sent comme une fébrilité, car nous tenons dans nos verres une grande Romanée Conti.
le Pétrus 1981 se montre magistral. Il se confond avec la truffe et nous sommes entraînés dans une osmose unique. La mâche de la truffe que l'on mord à pleine dent est la même que la mâche du vin velouté, totalement truffé, à la longueur infinie. Quel grand Pétrus ! Un des amis chez qui j'avais bu mon premier Pétrus 1990 dit que ce 1981 est son plus grand Pétrus. Le jeune ami de vingt ans pour qui c'est le premier Pétrus est ému de commencer à "apprendre" Pétrus sur une aussi magique bouteille. Le vin est immense, d'une folle jeunesse, plus jeune que La Conseillante, et crée une atmosphère recueillie quasi religieuse, d'autant que le plat est d'une exactitude confondante. C'est sans doute illogique de le dire alors que nous n'avons parcouru qu'un trentième de l'année, mais ce pourrait être le sommet gastronomique de cette année 2012.
Si sur deux vins symboliques on a ce résultat, ça indique qu'on va le trouver ailleurs :
Il y a une belle similitude entre le Chateauneuf-du-Pape "Cuvée Reservée" Domaine du Pégaü 1981 et le Chateauneuf-du-Pape "Reserve des Célestins" Henri Bonneau 1981, car l'effet millésime joue a fond, donnant des vins assez stricts, un peu rêches, mais d'une forte charpente. Le Pégau (que Gerhard écrit Pégaü, car semble-t-il c'est ainsi qu'on l'écrivait dans le passé) est le plus pur et le plus plaisant. Le Bonneau est plus "campagnard", plus approximatif dans sa trame. Mais les deux sont d'immenses vins dont nous jouissons de chaque goutte.
Le plat principal est un hachis Parmentier de canard à la purée de pomme de terre et aux copeaux de truffe. Le vin choisi est une Côte Rôtie La Mouline Guigal 1981. Au nez, le vin paraît fumé et trahit une évolution. En bouche, le vin est beaucoup plus séduisant, vin d'une année sèche, qui simplifie le message et réduit le fruit. Mais en fait, à l'aération, le vin devient d'une grande élégance. Il n'a rien de tonitruant, mais il suit sa route bien droite, en distillant des saveurs raffinées. Les sensations de cuir sont très intenses. A mon grand étonnement, vers le milieu de la bouteille, un joli fruit rouge est apparu, ajoutant à notre bonheur. Il faut savoir aimer aussi ces vins moins tonitruants que les jeunes. Mais on peut à juste titre se poser la question de la longévité de ces Côtes Rôties qui s'épurent avec le temps.
Vient maintenant ce que je considère comme la bonne surprise du jour. Jamais je n’aurais imaginé que Domaine de Chevalier rouge 1981 pourrait se situer à ce niveau. Qui pourrait dire qu’un 1981 donne cette vibration et cette émotion ? J’avais déjà eu une belle surprise avec Domaine de Chevalier 1952. Celui-ci m’étonne par sa décontraction, son équilibre joyeux. Et mon bonheur vient pour moitié de sa valeur intrinsèque et pour l’autre moitié de la belle surprise qu’il me fait.
Ces CR devraient te pousser à réviser ton idée sur 1981 que je n'ai évidemment aucun besoin d'encenser puisque je n'ai aucun souvenir particulier pour cette année.
Pour finir sur le feu d'artifice :
J'ai apporté un Champagne Krug Clos du Mesnil 1981. Il faut imaginer le tir d'une fusée de feu d'artifice. On voit la trace de la fusée qui monte, puis c'est une explosion magistrale, suivie d'autres explosions. Avec ce champagne c'est ça. Il prend possession de la bouche très calmement. Puis c'est un festival de complexité faite de fruits confits de toutes les couleurs. Ce champagne n'en finit pas et on se demande quand il va s'arrêter. C'est très probablement le meilleur de Clos du Mesnil que j'aie bu, mais il faut se méfier tant il y en a de grands. C'est la persistance aromatique qui est impressionnante.
et un dernier feu d'artifice pour la route :
Pour que je gagne mon pari, je cache autant que je peux l’incroyable choc gustatif que me fait le Penfolds Grange Hermitage 1981, vin de l’année de Jonathan, qu’il s’est fait expédier d’Australie la semaine dernière. Le nez est de poivre et de fruits noirs comme la mûre. Ce nez, que l’on pourrait retrouver en France, ne concernerait que des vins de 2005, et jamais des vins de plus de vingt ans. C’est d’une puissance invraisemblable. En bouche, c’est pour moi un bonheur total. Si l’on imagine les tendances que Robert Parker a encensées puis suscitées, on est au centre de la cible. Il y a des fruits noirs, une richesse d’expression qu’aurait un vin de 14° alors que l’étiquette n’en annonce que 12,6°, soit moins que le Chave et le Chapoutier, et il y a en plus un détail inouï qui m’enchante : le final inextinguible est mentholé, ce qui lui donne une fraîcheur unique que je retrouve dans certaines Côtes Rôties de Guigal. Ce vin a été fait il y a 28 ans, avant que Parker n’existe dans les médias. Ce vin sublime les tendances encensées par Parker et les presque trois décennies donnent une élégance unique à ce vin qui ne tombe en aucun cas dans la caricature du vin moderne. Voilà un vin actuel que j’adore.