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Ganesh da Capo n°19 : grand repas/dégustation à  Albi

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Invitation de Roger Tauzin à  l'Esprit du Vin
Lundi 07 février 2005

Une production Ganesh da Capo

Le contexte :
- Les vins sont dégustés à  l'aveugle.
- Nombre de dégustateurs : 11.
- Participants : Roger Tauzin, Michel Belin, Philippe Catusse, Jean-Marc Balaran, Laurent Navarro, Jérôme Rey, Pascal Perez (PP), Christian Thalazac Rolland Vialette, Phuilippe Barthe, Laurent Gibet (LG).
- Merci à  Roger pour avoir généreusement concocté cette formidable série de grands vins, certains vénérables.
- Synthèse des commentaires de dégustation par Laurent Gibet.

Le repas de qualité a lieu au restaurant l'Esprit du Vin à  Albi, au pied de la cathédrale Ste-Cécile, et nous confronte à  une longue série de plats soignés, précis dans leur cuisson et esthétiquement mis en scène :
- Petite cassolette de homard en aigre-doux
- Saint-jacques juste poêlées, crumble d'avocat et noisettes
- Rouget « petit bateau » sur un espumas de brandade de morue, olives vertes et copeaux de parmesan
- Croisillon de rognons de veau grillés, risotto aux morilles
- Burger « Rossini » (aux truffes fraîches)
- Côte à  côte de roquefort Baragnaudes et pâte de coings
- La rose noire au chocolat de Michel Belin

Les vins :
 Deux vins d'apéritif, fort différents :
1. Alsace GC Goldert - Ernest Burn – Muscat Clos St-Imer La Chapelle - 1995 :
PP15,5 – LG15
- Robe brillante, d'intensité moyenne.
- Senteurs épatantes : coing, agrumes, fleurs blanches, fumé léger, thym.
- Bouche développant des goûts complémentaires de cire, de menthol. Belle présence aromatique, qui peut évoquer pas mal d'origines (condrieu tardif ?, vouvray ?, muscat ?, gewurztraminer ? je penche plutôt pour une liqueur modérée de Riesling SGN, en raison de la tonalité alsacienne du vin – minéralité, amertume - et de son acidité – correctement mobilisée). Finesse, cohérence (malgré un léger creux en milieu de bouche), sucrosité modérée, belle amertume finale. Expression svelte pour le domaine, qui propose souvent des vins plus dodus (mais pas mous). Judicieusement apéritif.

2. Champagne - Krug 1988 :
PP16,5 – LG17
- Nez gourmand : fruité, floral, brioche, citron, possédant un éclat assez immédiat.
- Bouche dense, fine, suave, peu dosée, dans laquelle pointent des notes fraîches d'orange et aussi quelques notes évoluées de champignon. Distinction certaine, structure assez tranchante (pour des arômes eux un peu plus languides), longueur et relative jeunesse (certains ont pensé à  1995).
- On n'a pas reconnu le vin si puissant (réservé mais au potentiel indéniable et à  la minéralité conquérante) goûté lors du réveillon 2004 !

 Trois vins blancs jeunes (dont un un peu moins jeune) :
3. Meursault 1er cru Charmes - Domaine des Comtes Lafon 1996 :
PP15,5 – LG16
- Exhalaisons capiteuses : fleurs, agrumes, végétal.
- Boisé toujours assez présent (caramel) pour ce vin encore dans les limbes, qui ne daignera pas ce soir-là  sortir de son silence borné (et justifié ?).

4. Hermitage – Chave – Blanc 1996 :
PP16,5 – LG16,5+
- Ici aussi, c'est l'opulence qui nous accueille, se traduisant par des notes chaudes, grasses, corsées : vanille, fruits blancs, anis, iode, guimauve (la marsanne chuchote sa présence ?).
- Matière fort riche, à  la finale un peu amère (pas encore tout à  fait en place). Sensuelle, elle s'exprime avec moins de réticence que celle du Meursault après une bonne aération mais aussi avec tellement moins d'expressivité que celle du Riesling (cépage expansif et vin d'âge mûr).

5. Alsace GC Rangen de Thann – Zind-Humbrecht – Riesling 1988 :
PP17,5 – LG17,5/18
- Des notes typées et vivifiantes signalent un riesling de grande race : fruit magique (agrumes, fruits blancs), minéralité. Il n'est pas jusqu'à  la craie et le menthol qui ne renforcent cette sensation. Le nez est riche (même s'il n'a pas l'opulence des 2 précédents) et mûr.
- La matière est dévoilée, délicieusement fruitée (mandarine), fine, persistante et minérale. Elle fait preuve d'une grande rigueur pour une puissance somme toute modérée. Nullement flagorneuse donc (mais je précise que les vins plus récents du domaine qui roulent parfois des mécaniques sont aussi très souvent des grands vins).
- Un vin fondamental (on a pu penser à  la rigueur racée du Clos Ste- Hune), qui rappelle à  quel point le Riesling, quand il est grand, inflige à  beaucoup de ses concurrents, en raison de la profondeur et de la complexité de sa saveur, un lourd handicap de départ (on n'oublie pas ici que le vin est certes plus vieux). Les flaveurs particulières du Rangen ne sont pas ici explicites.

 Un vin blanc vieux, bu pour lui-même :
6. Graves - Laville-Haut-Brion 1948 :
PP18,5 – LG18,5
- L'appellation Pessac-Léognan ne date que de 1986.
- Millésime à  la qualité improbable, mi-épaule, certainement crème de tête.
- Fragrances d'emblée encourageantes : raisin sec, rhum-raisin, réglisse, zeste d'orange, et ces « coquetteries disgracieuses » (typiquement « croûte de fromage »), touchantes et plus que pardonnables car elles contribuent elles aussi, dans un profil finement oxydé presque salé, à  une grande originalité dans la complexité du bouquet. Excentrique nectar de jouvence que ce quinquagénaire bluffant de juvénile cohérence, entier, qui fait l'unanimité.
- J'ai reconnu sans trop de mérite le style du domaine dans ce vin griffé (sauternes sec, impact du sémillon passerillé), après avoir eu la chance de goûter le captivant 1955 chez Roger en décembre 2002 (« Magnifique exemple de longévité pour ce vin d'âge respectable. Bravo ! ») et aussi le très expressif Fieuzal blanc 1962 (LHB 62 s'étant malheureusement révélé bouchonné).

 Trois vins rouges (et un cousinage) :
7. Bierzo – Descendientes de José Palacios – Corullon Villa 2000 :
PP16,5 – LG15,5
- Cépage mencia, proche ampélographiquement parlant du cabernet-franc. Il nous avait déjà  paru un peu déboussolant dans une série de vins espagnols, sur la cuvée Las Lamas 2001 du domaine. Une fois repéré, la minéralité herbacée du cabernet-franc fait sens à  cet air de famille (pour une origine plus sudiste que ligérienne).
- Nez légèrement réduit (mais avec la tentation sauvage que cela comporte), confituré, épicé, floral, au boisé encore présent.
- Bouche dense, plutôt ferme, comprenant une touche de sucre résiduel semble-t-il et marquée par un peu d'alcool. Laissez au vin encore quelques années pour lui donner une chance de s'épanouir.

8. Chinon – Charles Joguet – Les Varennes du Grand Clos Franc de Pied 1990 :
PP17,5 – LG16,5/17
- Un fumet jouissif et détonnant accueille le dégustateur, qui conjugue des senteurs plutôt ravageuses de vin priapique (n'ayons pas peur des mots puisque les évocations fusent quasi instantanément ) : floral et fruité en diable (violette, fraise), sanguin, animal (rognon), fumé, Cornas est envisagé plusieurs fois (les notes « normales » - herbacées, menthol - viendront plus tard, une fois l'origine du vin révélée).
- Ce vin est désormais mature et résonne superbement avec le plat de rognons. L'expression est longiligne, très goûteuse, glissante (un côté sans soufre ?), au meilleur sens du terme. Ce n'est pas la première fois que les vins du domaine, ainsi à  maturité sur de beaux millésimes, nous enthousiasment.

9. USA - Dominus Estate 1991 :
PP17,5 – LG17,5
- Nez plutôt compact : menthol, fraise, cassis, graphite.
- Bouche corsée, mûre, serrée, avec cet aspect « familier » des médoc haut de gamme (type St-Julien, certains dégustateurs ayant pensé à  un « rive droite » corseté par une proportion non négligeable de cabernet-franc, eu égard à  la composition des 2 vins proposés en comparaison).
- Cette remarquable expression racée réconcilie quelque peu avec la production Moueix d'Outre-Atlantique. Les Dominus 86 et 88 bus il y a déjà  quelques années ne s'étaient pas montrés de ce niveau irréprochable.

 Deux autres vins rouges, sudistes :
10. Côtes de Provence – Château La Courtade 2000 :
PP14 – LG14
- Nez mûr développant des arômes de café, d'épices, de cassis. Suggestion de VDN.
- Bouche un peu rustique (mourvèdre quasi exclusif), qui souffre en comparaison avec les vins qui l'encadrent : pas de longueur et chaleur un peu prononcée. Les tannins sont relativement amadoués pour autant mais ce soir, le vin ne joue pas dans la même cour.
- Le vin dégageait de fortes notes lactées à  l'ouverture.

11. Rioja - Finca Allende - "Calvario" 2001 :
PP17 – LG16,5
- 90% Tempranillo 8% Grenache 2% Graciano.
- Nez particulièrement mûr, légèrement lacté et figué, dégageant des odeurs intenses et multiples : cerise écrasée, groseille à  maquereau, fenouil, fleurs blanches. Très expressif.
- Bouche épaisse et capiteuse mais tonique, épicée, fruitée, savoureuse et originale. Pascal souligne son très beau toucher.
- Ce vin récidiviste a déjà  été formidablement bien goûté en 2003 (il flambait dans une série pourtant ambitieuse de Rioja et fût noté 18 par les 4 dégustateurs présents). Il reste de haut niveau et insolite avec son côté soyeux mais alerte, très fruité et « fleurs blanches ».

 Trois mentors :
12. Châteauneuf-du-Pape – Château de Beaucastel – Hommage à  Jacques Perrin 1999 :
PP18,5 – LG17,5+
- Un nez attentif parvient à  extraire des odeurs de crypte (notes un peu désobligeantes, limite liégeuses) de cette gangue plutôt insondable, secrète, qui semble tancer le dégustateur : cerise écrasée, olive noire, inflexions minérales et sanguines.
- La matière de forte constitution, impérative, brille effectivement essentiellement en l'état des promesses conférées par son énorme potentiel (mais la sensation tactile, profonde et veloutée est exceptionnelle). Un vin pour vous, vos enfants et même vos petits-enfants, probablement.
- Le vin était une bombe fruitée à  l'ouverture (2 heures plus tôt, en le carafant).

13. Margaux – Château Palmer 1989 :
- Malheureusement pour cette prestigieuse référence, dont on attendait race, longueur et infime délicatesse, l'échantillon est bouchonné. Râlant !

14. Pommard 1er cru Rugiens – Hubert de Montille 1990 :
PP17 – LG16,5+
- On retourne avec ce vin dans la série des poids lourds, introvertis comme le vin de Beaucastel, dont on extirpe ici un peu plus facilement tout de même des senteurs de fruit, de minéral (terre), et cette évocation de cour de ferme du pinot avançant en âge, si ténue pour ne pas trop souffler la réponse au dégustateur à  la fois ébahi et perplexe.
- Trame serrée, peu causante (aucunement gouailleuse mais nette), qui peut rappeler celle d'un grand Médoc (minéralité, fruit noir, caractère corsé) ou d'un vin de Lafleur à  Pomerol (auquel j'ai pensé).
- Sépulcral, endurant, racé, il n'est pas encore totalement révélé et attend patiemment son heure (2010-2050 ?). Potentiel ahurissant pour ce pinot viril, très Rugiens au final ?

 Des vins bien plus vieux, certains d'âge avancé :
15. St-Estèphe – Château de Pez 1962 :
PP15,5 – LG15,5
- Robe bordeaux !
- Bouquet vivant : truffe, cuir (vieille chaussure), végétalité noble (poivron), café.
- La bouche est encore parfaitement en place, svelte, aromatiquement délicieuse (comme pomponnée). Une très belle surprise pour le pedigree du vin mais il paiera la qualité (préservée) superlative du vin suivant.

16. Pomerol – Château Lafleur-Pétrus 1955 :
PP17 – LG16,5/17
- Nez encore éclatant, toasté, attribuant des senteurs de fruit, de fleurs, de café, de poivron, de minéral, de viandox, de menthol ; un fumé truffé très chic couronne le tout et l'alliance de ces belles notes secondaires et tertiaires ravit l'assemblée.
- Bouche encore très jeune, vaillante, possédant une joliesse et un supplément d'âme éclipsant presque la valeur du vin précédent. Bel ensemble vigoureux, frais, que l'on boit à  satiété en faisant honneur à  ces « bons vieux vins du bordelais ».

17. Pauillac – Château Pichon Comtesse de Lalande 191 ? (dernier chiffre illisible) :
PP12 – LG11
- Effluves un peu époumonés de bouquet séché, d'herbes aromatiques, de jus de viande.
- La bouche (en grande difficulté dans cette série, somme toute) est décharnée et délivre comme elle peut un message cacochyme. Un invalide bien pardonnable.

18. Ruchottes-Chambertin Clos des Ruchottes - Thomas-Bassot 192 ? :
PP16,5 – LG16
- Millésime indéchiffrable, mais vu la qualité du vin, on penche pour 21, 28 ou 29 (sans formellement exclure 1915 ou 1934).
- Les vignes appartiennent à  Armand Rousseau à  l'heure actuelle.
- Couleur encore fringante.
- Le nez moissonne ici de sensationnelles et durables odeurs : pain grillé, fruits, fleurs, végétalité de vendange entière (ronce). Un déploiement aromatique harmonieux est signe de belle santé pour ce vin vieux, qui interpelle par sa présence.
- Bouche sapide (et même charnelle), encore nettement fruitée, cohérente, longue. Chapeau pour cette classe et cette longévité hors du commun.

19. Sauternes – Château Doisy-Dubroca 1927 :
PP14 – LG14
- Robe nettement patinée, vieux rose ?!
- Le nez croise joliment des notes de safran, d'amande, de confiture d'abricot (avec ces mêmes noyaux d'amande précisément), de thé, de fleurs, de fruits rouges (framboise). Il est probable que ces 2 dernières évocations tiennent plus à  la couleur du vin qu'à  son contenu aromatique effectif (la « cognition de la dégustation » a fait l'objet d'un travail savant sous la forme d'une thèse de haut vol).
- La bouche fatigue incontestablement (victime d'une certaine désunion), mais bénéficie encore d'une acidité et d'une originalité aromatique valorisantes.

20. Porto Vintage - Borges 1922 :
PP16 – LG16,5
- Robe identique à  la précédente, à  la grande surprise des commensaux.
- Le nez fin suggère des odeurs assez caractéristiques : griotte, fraise, confiture de vieux garçon, épices douces et fortes diverses (sensuelle cannelle en tête, girofle aussi).
- La bouche est parfaitement fondue, douce et corsée, appuyée par des goûts de réglisse intense, voluptueuse et sophistiquée. Des vertus de la patine du temps, qui sublime un ancêtre bien fidèle au poste en apaisant ce feu souvent embêtant dans les vintage portugais.
Il y a dans ces 2 derniers vins (a priori de « couleur différente ») qui suivent une convergence colorante proprement incroyable : le vieux Sauternes et le vieux Porto exhibent tous les 2 la même robe patinée, framboisée, saumonée. Ils sont visuellement indifférenciables !

 Contemplation :
21. Montilla-Moriles – Toro Albala – Don PX 1961 :
PP18 – LG18
- Un vin noir et épais.
- Senteur invraisemblablement entremêlées, comme il se doit tourbillonnantes : confiture de mûre, agrumes, cassonade, réglisse bien sûr, émanations rances (jambon), figue, liqueur de cassis. Comme dans la « Tintilla de Rota » de la maison Lustau, le caractère paradoxal sied au vin dans cette admirable conciliation du cuit et du frais.
- Sans grande surprise ce soir, le colosse ingénu (ainsi décrit quand cette cuvée rare fût goûtée en 2002) trace imperturbablement son sillon. Il se présente aujourd'hui en mastodonte candide, aux saveurs impérissables, monumental (véritable force de la nature, sumo agile et serein). Pour prouver que la lucidité est encore là  après cette longue série (à  moins que l'inventaire suivant ne suggère exactement le contraire, de fait ?), on décrira encore cet élixir par les qualificatifs suivants : interminable, infini, éternel, électrisant (pour une nature somesthésique vibrionnante enjolivée d'amers sublimes). Il ne reste plus qu'à  méditer sur cette performance au parfum d'éternité.

22. Montilla-Moriles – Toro Albala – PX Arrope 2002 :
PP(pas noté) – LG(pas noté)
- 900 g de sucre pour un sirop cristallisé, sans alcool, qui relègue le Graal de Causse Marines au rang de vin tendre. « Arrope » désigne un procédé de dessiccation et chauffage à  partir des raisins très riches.
- Ce « non vin » qui rechigne à  couler du flacon et macule littéralement le verre interpelle le pâtissier/chocolatier présent ce soir là . On y décèle des goûts de fruits caramélisés (cassis, mûre, guigne, églantine). A servir en coulis, en toute décadence kitsch.

Conclusion :

- Une formidable série à  remonter le temps, émouvante, très Carpe Diem (certaines expressions furent même lacrymales) :

- le repas fût de qualité, avec des plats originaux, parfaitement exécutés et servis

- une belle ambiance, un beau lieu que cette salle voûtée intime et un accueil remarquable

- une dégustation exigeante, avec des vins rares, que l'on côtoie souvent une seule fois dans sa vie

- On laissera au lecteur le soin de sentir si cette collection avait pour cible des buveurs d'étiquettes ou des oenophiles passionnés, privilégiés

- Ce type de série tout azimut prouve (s'il en était encore besoin) l'importance du contexte dans l'évaluation qualitative du vin :

- vins jeunes emplis de promesse qui rejoindront pour certains dans les vertus de l'âge leurs dignes aînés

- vins vieux délivrant un message historique, avec des ratés d'autant plus excusables (certains sont tout bonnement inouà¯s de vitalité préservée).

Laurent
02 Mar 2005 12:27 #1

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