Récit du voyage de deux jours d’un petit Parisien au pays des Allobroges et d'un Allobroge en particulier…
Vive Napoléon III qui a été rudement bien inspiré en achetant la Savoie au Royaume du Piémont en 1860. Sinon je n’aurais peut-être jamais bu de mondeuse de chez Trosset ni rencontré Jean-Luc Milleret. Et il aurait été vraiment dommage de louper tout ça !
Jean-Luc, vous le connaissez, c’est le Président de la Savoie sur LPV. A lire ses interventions, je m’étais toujours dit que ce devait être un type bien. Qui défend son terroir et qui aime le vraiment bon vin. Le vin qui dit la vérité du raisin et de la terre, sans flonflons ni paillettes. Le temps de deux repas avec Jean-Luc suffit à voir qu’il est à l’image des vins qu’il aime : sincère, terroitant et généreux.
Il a quand même de drôles d’habitudes ce Jean-Luc : chaque fois qu’il va au restaurant, il amène des bouteilles qu’il cache mystérieusement avec la complicité bienveillante des proprios du restau… Lesquelles bouteilles refont évidemment surface au cours du repas ! Le premier soir, à La Maniguette (ah, le joli sourire de Fanny n’était donc pas une légende !) il a commencé par me mettre entre les pattes un vin de pays d’Allobrogie du Domaine des Ardoisières, cuvée Schistes 2005. Un truc sorti de nulle part, un vignoble en terrasses replanté sur un ancien terroir oublié à Cevins (nom quand même un peu prédestiné…) par Michel Grisard entre Albertville et Moutiers, sur le chemin des grandes stations de ski. Vignes jeunes (premier millésime en 2004) et un assemblage de jacquère (80%), le reste en pinot gris (10%) roussanne (5%) et mondeuse blanche (5%). Un nez sur les fleurs blanches, très floral, une bouche qui nous fait reconnaître la jacquère (on ignorait alors la composition de l’assemblage), très vive mais un poil moins tranchante qu’une pure jacquère (la roussanne et le pinot gris apportent un soupçon de rondeur). Un vin qui reste simple mais très droit, très franc et que j’aimerais revoir quand les vignes auront quelques années de plus. Vient ensuite un rouge carafé depuis une petite heure. Au départ le nez est peut-être un peu lourd, un soupçon écœurant, mais il s’affine ensuite sur des notes terreuses, profondes, intenses, un peu évoluées. Visiblement, il ne s’agit pas d’un perdreau de l’année… La bouche est encore très jeune, bien construite autour d’une ligne tendue par une belle acidité bien équilibrée par une matière charnue, bien mûre, d’une belle densité, très sapide et qui finit avec une belle fraîcheur. Un vin qui aurait sans doute été plus à son aise sur une viande rouge que sur la tranche de gigot de sept heures servie avec une julienne de petits légumes très goûteux. C’était un Hermitage La Chapelle de Jaboulet 1990. Merci Jean-Luc ! A la sortie, visite nocturne à pied de la vieille ville de Chambéry : magnifique !
Le lendemain pour moi, visite au Domaine de L’Idylle puis un après-midi génial chez Gilles Berlioz . Le soir, au restaurant L’Or du Temps à quelques kilomètres de Chambéry, je retrouve Jean-Luc et ses mystérieuses bouteilles cachées. Je m’y rends dans un rutilant coupé Mercedes conduit par le plus charmant chauffeur de taxi de la région, la jolie et très élégante Evelyne, amie de Jean-Luc et grande connaisseuse en vins (elle a écrit plusieurs articles et ouvrages sur le vin). A table ce sera un festival. A l’apéritif et sur l’entrée, un blanc au nez très minéral, évolué, sur le caillou. Bouche stricte, belle acidité, toujours cette minéralité et une grande élégance un peu hautaine. C’est un Brand 1983 de Zind-Humbrecht. Le rouge qui suit un peu plus tard et qui va merveilleusement bien avec le rognon de veau qui est dans nos assiettes est un vin que j’ai l’impression de très bien connaître. Le nez est immense, intense, sur le poivron mûr (donc rouge !), très vineux, bien évolué. La bouche est à la hauteur du nez, merveilleusement équilibrée, elle aussi sur des sensations fruitées très intenses soulignées par un boisé totalement fondu et maîtrisé. A la fois dense et frais, presque aérien. C’est un vin immense. Clos Rougeard Le Bourg 1997. A Bordeaux, les vins supérieurs à ce Saumur-Champigny se comptent sur les doigts de la main…
Et comme Jean-Luc est quelqu’un de goût et qu’il est très attentionné, il a encore choisi un vin (moelleux) que j’aime pour terminer le repas. Là pareil, je devine tout de suite le cépage, ça sent trop fort le bon chenin. Un côté retenu, un peu minéral me fait penser au calcaire de vouvray. La bouche est assez solaire, un peu large, il y a une certaine acidité en finale mais nettement moins que sur le Clos du Bourg 1ère trie que j’ai bu il y a trois semaines, mais c’était un 1996. Là, visiblement on est sur un millésime plus ancien, qui semble aussi issu de sols un peu plus lourds. C’est effectivement une Cuvée Le Mont de Huet, millésime 1990.
Alors ce soir, revenu à Paris, comment vous dire, je crois que je me sens déjà un peu orphelin de cette belle Savoie et des potions d’un certain pharmacien local qui guérissent de tout, qui donnent le moral et emplissent le corps et le cœur d’une belle chaleur communicative ! Un immense merci !
Philippe