Suite à certaines questions qui ont été posées récemment dans le forum au sujet de mon travail, j’ai pensé qu’il pourrait être utile pour l’amateur de connaitre mon point de vue.
Les gens ne sont pas obligés d'adhérer à mes propos. Je relate simplement ce que je fais et pourquoi je le fais. Après, tous les goûts sont dans la nature.
L’herbe dans les vignes :
Le travail du sol mérite lui-aussi une approche beaucoup plus globale que le simple fait de passer une charrue dans le rang pour tuer l’herbe comme alternative à l’utilisation d’herbicides.
Nous ne concevons que la présence de plantes naturelles et pas semées. Les espèces naturelles sont les marqueurs de l’état de la parcelle et aussi la solution au problème éventuel de la parcelle. Tout ce bénéfice disparait avec les plantes semées qui nous coupent de la réalité de la parcelle.
Dans les sols pauvres du Médoc, le problème du semis ne se pose même pas car avec un couvert végétal présent, la concurrence avec la vigne devient trop forte et la vigueur diminue à un niveau inacceptable.
Pourtant, je pense maintenant qu’il y a un niveau de « salissement » de la parcelle qui est acceptable, sinon souhaitable. La présence constante de quelques plantes permet d’entretenir une biodiversité, de protéger partiellement les sols et de donner de la nourriture aux vers de terre et une nourriture diversifiée.
Ensuite, dans une année comme 2016, les herbes (naturelles) permettaient d’évacuer une partie de l’eau de pluie, en excès au printemps.
Enfin, nous considérons le labour dans sa dimension énergétique. Chaque passage de charrue, c’est de l’énergie dépensée. Effectivement, avec les chevaux, on peut se dire que le fioul n’est plus la contrainte. Certes, mais d’une part, la moitié du domaine est encore cultivée avec les tracteurs, d’autre part, les chevaux coûtent en nourriture donc en énergie dépensée,… Plus on fait de passages, plus il faut de chevaux et donc plus il y a de dépenses en tous genres.
On essaie d’avoir une vision éthique du travail du sol ; c’est-à-dire d’en faire le minimum nécessaire pour que l’herbe n’ait pas un impact négatif sur la vigne tout en préservant les ressources, la vie du sol et la faune (petite et grosse).
Le travail du sol qui n’admet plus aucune herbe n’est plus acceptable pour nous.
La vigne « pas taillée » :
Je pense que FA voulait dire « pas écimée », c’est-à-dire avec la tête des rameaux pas coupée en début d’été. Puis pas de rognage (=coupage du dessus et des côtés) dans la suite de la saison.
Sinon, la vigne est effectivement taillée durant l’hiver car autrement, elle ne produit plus de raisin et la viticulture disparait. La vigne redevient alors une liane.
Pour en revenir à l’écimage, nous ne le pratiquons plus depuis des années. Je crois que la première année intégralement non rognée a été 2009. On est allé vers cette pratique, progressivement sur plusieurs années. Nous sommes très peu en France à ne pas rogner les vignes.
Chez nous les 81 ha sont gérés de cette façon-là. Dans les Grands Crus bordelais, je ne connais que Climens qui procède de cette manière (car mon épouse Corinne les a accompagnés pendant plusieurs années dans leurs débuts en biodynamie).
Pendant longtemps, je ne me suis pas posé la question de la pertinence du rognage. C’était aussi évident pour moi que la taille d’hiver ; c’est à dire une opération indispensable.
Puis, l’arrivée de la biodynamie a amené une remise en cause des relations que nous avions avec la vigne et aussi la nécessité de respecter la vigne dans son cycle et l’expression de son identité.
La biodynamie, c’est comme des cercles de plus en plus grands, chacun englobant le plus petit que lui.
Le premier c’est simplement l’utilisation des préparâts ; comme une simple technique agricole. Le second est un peu plus large et intègre en plus des relations avec le cep de vigne. Plus on élargit les cercles, plus on s’oriente vers une philosophie de vie.
Le non-rognage permet d’entrer dans une autre viticulture, celle des équilibres naturels. Ainsi, il s’accompagne (ou plus exactement permet d’obtenir) le non-effeuillage et l’absence de vendanges en vert (=suppression d’une partie de la récolte en été). Ces trois éléments sont indissociables pour nous car chacun ne prend sa vraie dimension que si les autres sont présents.
Ensuite et peut-être de manière plus subtile, le non-rognage conserve les deux parties importantes du cycle de la vigne. La première est une sorte d’adolescence durant laquelle la vigne pousse et produit de nouvelles feuilles. La seconde est un âge adulte où la création de nouveaux tissus a cessé mais durant laquelle la vigne peut réellement affirmer son identité, sa personnalité. Elle sait qui elle est et l’exprime dans ses vins (c’est le facteur « terroir »).
Quand on coupe la vigne, on l’incite à faire de nouvelles feuilles et on la cantonne dans une sorte d’adolescence ; certes nécessaire à un moment de la vie mais qui n’a plus lieu d’être au moment où on est dans l’âge adulte et que l’on doit affirmer qui on est.
Avec le non-rognage, la vigne arrête seule et quand elle le désire, sa pousse annuelle. Quoi qu’il arrive, elle ne produira plus de nouvelles feuilles et sera totalement dédiée à ses raisins.
Certains trouveront sûrement cela très poétique et théorique. Peut-être !
Il faut quand même préciser que les vignes du passé (celle d’avant les engrais, pesticides, rogneuses,…) avaient des vigueurs beaucoup plus faibles que celles de maintenant. Leur cycle s’apparentait donc à celui des vignes que j’essaie de recréer maintenant. Elles ne nécessitaient naturellement pratiquement pas de rognage.
Ce n’était pas forcément une méthode de travail souhaitée mais un état de fait car on ne savait pas faire autrement.
Puis, les engrais sont arrivés. La vigueur a pu augmenter. « Heureusement », il y a eu aussi les pesticides qui ont permis de contrôler les maladies issues de ces déséquilibres. Enfin, les rogneuses ont pu venir à bout des profusions de feuilles inutiles.
Cela a pris 1 ou 2 générations humaines. Petit à petit sans qu’on s’en rende vraiment compte.
Maintenant, il est courant de voir les rogneuses tourner dans les vignes quelques jours avant les vendanges alors que naturellement la vigne arrête sa pousse vers la fin juillet.
Pour de nombreuses parcelles, c’est tout simplement le premier gel de l’hiver qui va arrêter la pousse !
Les raisins issus de ces vignes n’auront jamais la personnalité, l’identité qu’ils auraient pu avoir autrement ; en laissant la vigne dans un état plus en relation avec son être profond.
Nombreux sont ceux qui peuvent se dire : et alors, quelle différence ?
C’est là qu’intervient la notion de Grand Vin, telle que j’essaie de l’atteindre.
Avant tout, je le rappelle, c’est une phrase de Michel Bettane qui m’a permis de mettre des mots pour justifier des pratiques que nous avions. C’est la distinction qu’il faut faire entre le « Grand Vin » et le « très bon vin ».
Le bon ou très bon vin, on peut en faire presque partout. Pour le grand vin, il faut avant tout un grand terroir.
Le grand vin a une dimension artistique dans la mesure où il est capable de générer l’émotion.
Les grands terroirs possèdent un « don » de la nature, ou de qui on veut, pour produire des vins qui peuvent générer l’émotion chez le consommateur qui a la capacité de recevoir cette émotion.
Un grand terroir est un artiste dans cette capacité qu’il a de créer l’émotion. Au même titre qu’un peintre, qu’un chef cuisinier, qu’un musicien, qu’un joueur de foot,…
La place de l’homme dans tout cela ? Simplement accompagner l’artiste pour lui donner les meilleures conditions d’expression de son art.
Moi, Jean-Michel Comme, je suis seulement le « porteur de pinceau » de l’artiste vignoble de Pontet-Canet. D’autres ont fait ce travail avant moi et d’autres le feront après moi. C’est la même chose dans tous les crus qui sont servis par autant de « porteurs de pinceaux ».
Cela peut être dur pour l’égo mais c’est ainsi.
On peut changer de porteur de pinceau mais on ne peut pas changer l’artiste. C’est toute la différence et aussi et surtout une leçon d’humilité qu’il faut conserver pour toujours en bonne place dans sa tête.
Pour que Van Gogh devienne qui il est, il lui a fallu des conditions particulières pour mettre en valeur son don naturel pour la peinture. Idem pour Zidane qui n’aurait jamais été celui que l’on connait sans un contexte particulier.
C’est la même chose pour un grand terroir. Il faut une attention et une compréhension de la part des gens qui s’y trouvent pour que le terroir puisse donner le meilleur. Certains réussissent mieux que d’autres.
Peut-être que Zidane avait autour de lui des gens qui pensaient que la division d’honneur, c’était un objectif suffisant et que les efforts nécessaires pour aller plus haut n’étaient pas « rentables » ? Peut-être que d’autres l’auraient préféré avec un gros ventre, signe de bonne santé ?
C’est un peu la même chose en viticulture.
Donc, dans tout ce que nous faisons à Pontet-Canet depuis plusieurs années, il y a toujours en arrière-plan l’idée du Grand-Vin, porteur d’émotion.
Je ne dirai jamais que nous y sommes arrivés et surtout pas que « pour y arriver, il faut faire comme moi ».
Plus modestement, je pense quand même que les millésimes récents du domaine sont « plus dans la direction du grand vin que ceux d’avant ».
C’est dans cette démarche que la biodynamie prend toute sa dimension. Je ne vais pas refaire le débat sur cette question. On peut s’intéresser au subtil du vivant pour espérer l’influencer dans le sens qui nous importe.
Pour créer de l’émotion, point besoin de grammes de matières actives ni de technologie.
Il faut « simplement » comprendre le vivant et en premier lieu la vigne en la considérant autrement qu’une simple machine à produire du jus de raisin.
Tout cela, je l’avais déjà dit dans le passé ici-même. J’ai pensé qu’il était peut-être bon de le repréciser.