Durant mon séjour dans le Bordelais en mai dernier, j’ai eu l’immense chance et le privilège d’assister à une verticale de Pontet-Canet organisée par mon ami Jean-Michel Comme pour quelques professionnels. Il s’agissait de voir si l’on pouvait ressentir l’évolution du style de Pontet-Canet à travers le temps, mais aussi de tenter de dégager « ce qu’est vraiment le vin de Pontet-Canet », si cela est possible ; c'est-à-dire le style du vin qui dépasse le travail vinificateur et qui vient du terroir. Jean-Michel Comme avait donc préparé une verticale de vins millésimés entre 1949 et 2014, millésimes représentatifs de ce que le terroir du domaine peut donner sur d’excellentes années : 1949, 1955, 1961, 1985, 1989, 1996, 2000, 2005, 2010 auxquels se sont ajoutés 2013 et 2014 encore en élevage. Pour information, en regardant les bouchons, j’ai constaté que les 3 plus vieux millésimes provenaient de bouteilles reconditionnées par le Château en 1986.
C’est une grande émotion, pour un amateur de Pauillacs et de Pontet-Canet comme moi, d’aborder une telle verticale dans le château, à côté des vignes qui ont donné naissance à ces vins, et avec le géniteur des derniers millésimes. C’est aussi un sacré challenge. Même si je l’ai déjà fait, je suis peu coutumier de goûter une grande série de vins, avec un palais qui n’a pour habitude de supporter une masse tannique de cet ordre, alors même que mes commentaires vont être confrontés aux avis des autres et surtout analysés par mon ami ! Finalement, tout s’est bien passé, j’ai pris soin de cracher le plus souvent possible (c’est difficile parfois !), de peu avaler de gorgées pour garder mes moyens d’analyse et de me rincer abondement la bouche à l’eau entre les vins
Les 1949, 1955 et 1961 étaient tous trois sur de superbes et nobles arômes de cigare, de tabac doux, de notes de sous-bois, de cuir, de pruneau et des notes florales ; chacun avec une intensité, une précision, ou une finesse qui lui étaient propres. Si ces nez se ressemblaient d’un point de vue de l’évolution tertiaire, on pouvait très clairement les distinguer en y revenant, sans se tromper de millésime ! Idem pour la bouche. Ces 3 vins sont en fait clairement distinguables. Le 1955 est celui qui semble avoir le nez le plus « mâture » ; c’est celui qui est le plus souple ou rond en bouche. Il est très différent de 1961, dont le nez avec des notes animales et de tabac paraît plus serré, avec un potentiel de développement encore à venir. Sa bouche est intense, mûre, complète, très précise avec des tannins encore perceptibles et laisse une impression de grande tension et de profondeur. Ce vin en a sous la pédale et va continuer à évoluer favorablement ! C’est le plus long ; il s’étire, s’étire avec une finale qui revient sans cesse en variations. Incroyable qu’une bouche de cette nature appartienne à un vin de plus de 50 ans. Ce vin est magnifique par sa race et sa présence constante. A coté, le 49 paraît plus « sage », plus fin, moins concentré, avec une très grande longueur.
Le nez du 1985, en plus des notes de tabac, me semble plus sur le poivron ou le goudron. Comparé à ses aînés, il est plus mou, moins tendu, avec des tannins assez raides. C’est le plus faible de la série. Il dénote même ! Pour le nez du 1989, le mot « masculin » m’est venu en tête avec des notes de cassis, de graphite, une évolution sur le tabac. Si les tanins sont perceptibles et un peu durs à mon goût, il est concentré et laisse une impression de vie qui le rend très plaisant. J’ai beaucoup apprécié la « noblesse » du nez du 1996, à la fois sur les fruits noirs bien mûrs, sur le tabac, le sous bois, la terre. L’entrée en bouche est très tendue et la finale très longue, mais je ne trouve pas l’équilibre absolu d’une bouche comme celle du 1961 (ou d’autres millésimes plus récents) car je lui trouve un certain manque de sensation tactile en milieu de bouche. C’est un vin en longueur que je qualifierai de ‘monodimensionnel’, aigu, tranchant. J’ai néanmoins adoré, je crois parce qu’il est au stade intermédiaire où il est encore clairement sur le fruit mais où l’évolution de l’âge se fait bien sentir sur les arômes.
Avec le 2000, nous entrons sur des vins où le nez est clairement plus fruité. Ici sur la mûre, fruits noirs un peu confits, graphite. Le vin est de demi-corps, équilibré, élégant, avec des tannins fins. La finale est longue et intense. C’est un très beau vin. Avec le 2005, nous atteignons dès le nez une autre dimension : nez floral, violette, mûre, minéral, un soupçon de tabac. C’est la signature olfactive que j’associe à Pontet-Canet depuis que je bois régulièrement les derniers millésimes. Si l’attaque en bouche est veloutée, on ressent une forte tension, une profondeur peu commune. C’est ample et contrôlé à la fois, cela va crescendo en bouche avec des tannins d’une remarquable finesse, et aboutit à une immense finale en queue de paon. Gourmand et racé : grand vin ! Alors que dire du 2010 ? Le nez sur la gourmandise et la noblesse, du fruit, mûre, cassis, des fleurs. C’est explosif. Je suis marqué par sa précision et son ampleur. La bouche, elle, m’émeut dès le départ. C’est vibrant, profond, gourmand, racé, d’une intensité « en longueur comme en largeur ». La finale est sans fin, douce ; Que c’est bon. Quoi que l’on cherche dans un vin, on le trouve dans ce 2010. Mais tout est précis, rien n’est en trop. Nous sommes dans une intensité « multi-dimensionnelle », harmonieuse. J’ai goûté plusieurs fois ce 2010 et chaque fois, j’ai eu une impression un peu étrange et très touchante : c’est un univers à lui tout seul. Si l’on va sur une allégorie musicale et que ‘Clair de Lune’ de Debussy m’a rappellé Tertre Roteboeuf 2014 comme je le disais sur le fil correspondant, ce Pontet-Canet 2010 est pour moi la 2ème symphonie de Sibélius (la version jouée par le philharmonique de Vienne sous la direction de Bernstein !) : la musique absolue, cosmique, émotionnelle, existentielle, qui me remue du tréfonds de mon être pour m’exhaler vers le ciel.
Bref, ce millésime a vraiment donné un vin exceptionnel au Château. C’est toujours le meilleur vin rouge que j’ai bu jusqu’à ce jour.
Quant aux 2 vins encore en élevage, le nez du 2013 est moins puissant et plus éthéré et plus floral que les vins précédents. La bouche plus douce est d’une grande délicatesse dans son toucher. La fin de bouche est intense et la finale va crescendo. Très différent des autres millésimes récents, j’aime beaucoup. Il m’a fait penser aux Tertre Roteboeuf goûtés quelques jours plus tôt, et bien sur à des grands vins de Bourgogne, avec cette délicatesse et cette finesse qui ne l’empêchent pas d’être très présent. Les amateurs de vins de Bourgogne seront comblés par ce Pauillac je crois  C’est ce que le terroir a décidé de donné dans ce millésime. La dégustation montre, je crois, que la marque du terroir de Pontet-Canet, c’est d’associer la puissance, l’élégance et la race à la gourmandise. Et dans le 2013, le millésime n’a tout simplement pas la puissance habituelle… On la retrouve totalement avec le 2014 au nez fruité, sur la mûre et les fleurs, une touche minérale. Très Pontet-Canet ! Le vin est tannique, mais les tannins sont très fins ; la bouche est concentrée, profonde avec une tension comme sur le 2005 et le 2010. Je pense que ce sera un excellent millésime pour le Château.
Pour compléter cette verticale, j’ai eu l’occasion de goûter les 2009 et le 2010 du château (les deux 100 points Parker), en parallèle pour la première fois, deux jours plus tôt. Il est clair que comparer 2 vins par sa mémoire ou les comparer physiquement est différent. Je n’avais jamais réalisé, jusque là, la différence majeure entre ces 2 millésimes : si le 2009 est très séduisant et même sensuel (sexy !) comparé au 2010, plus intense et plus racé, la différence vient surtout des sensations en bouche : le 2009 est très ample en entrée, plus que le 2010 peut être, mais il ne possède pas le fond du 2010. Il n’a pas le côté « multi-dimensionnel » du 2010. Cela m’est apparu clairement en les goûtant l’un après l’autre. J’adore vraiment ces 2 vins… J'aimerais noter ici que les 2005, 2009 et 2010 ne sont pas du tout fermés comme on pourrait le craindre. Cela me rappelle ce que m'a dit François Mitjavile quelques jours avant cette verticale : un gand vin est toujours bon et ne se referme que très rarement. Pour lui, c'est parce qu'un grand vin est équilibré et plein de fruit qu'il y en a donc toujoursà offrir..., et si la matière n'est pas masquée par les tannins rèches et les arômes du bois d'élevage, le vin est toujours causant et toujours bon. Je ne sais pas si c'est vrai, mais cette semaine là, ces millésimes que je sais fermés sur d'autres Bordeaux, ne l'étaient pas sur Pontet-Canet.
J’en profite pour donner quelques nouvelles du château. De nouveaux locaux sont en construction : des nouvelles écuries (il ya de plus en plus de chevaux), de nouveaux chais, des locaux pour les vendangeurs. Cela sera dans le style 18ème du Château. Si d’extérieur on ne verra que du classique (c’est voulu), les installations seront dotées de toutes les fonctionnalités les plus modernes… pour que le moins d’interventions -et d’effets- possibles soient appliqués sur les vins qui y seront faits (schéma d’arrivage des vendanges encore mieux réfléchi, tri, réflexions sur le cuvier, absence de vibrations…). Le domaine va aussi se doter d’une installation géothermique pour puiser l’énergie dans le sol et aller vers l’autarcie énergétique. J’ai pu discuter avec l’ingénieur en géothermie en charge du chantier et qui commence à creuser les puits (entre 70 et 120 m de profondeur !). Il m’a dit que c’était le plus gros chantier qu’il n’avait jamais eu à gérer.
Je vais bien entendu remercier Jean-Michel et Corinne pour leur gentillesse lors de mon séjour bordelais (à Pontet-Canet et à Margueron au Champ des Treilles)
. Mais je ne vais pas m’étendre plus que cela, juste dire en quelques mots ce que je pense ; tant pis pour la pudeur.
Corinne, Jean-Michel, je vous aime.
On vous aime !