Le lendemain, cap sur Cheverny pour un domaine dont plusieurs membres de notre petit groupe sont tombés amoureux pour certains rouges il y a quelques années. En réalité, deux d'entre nous cinq sont déjà venus au domaine il y a trois ans, et c'est via eux que le reste de la bande avait découvert, les yeux écarquillés, la magie d'un grand pinot méconnu en la présence d'un
magnum d'Ouvrage 2013 à tomber par terre.
Vous l'aurez peut-être deviné, nous nous rendons au
Domaine des Huards, Cour-Cheverny
Nous commençons la dégustation sur un mode d'accueil qui initialement nous intimide un peu je crois, très différent de la veille : Olga, qui nous reçoit, veut nous tester, presque nous diriger. Elle se dit peut-être "voilà une bande de petits jeunes qui sont peut-être arrivés chez moi comme ils auraient pu arriver dans n'importe quel autre domaine, on va voir ce qu'ils valent". Ou simple affaire de tempérament, je ne sais pas. Toujours est-il qu'elle se montre, au début, un peu rigide, voire un peu professorale, nous servant à l'aveugle un vin à la robe gris-rose et nous demandant tout de go d'en faire une analyse organoleptique et de dire ce qu'on pense que c'est. On s'exécute.
Le vin est gris-rose très pâle, le nez est bien défini sur des notes de groseilles assez typique mais avec quelques flash de fruit rouge un peu plus mûr et presque un côté légèrement patissier. Le contraste avec la bouche est intéressant dans la mesure où cette dernière est, à l'inverse, sur un équilibre totalement "blanc", sans fruit rouge, sur du pur agrume avec une trame acide importante. Rafraichissant et bien fait, sans plus de complexité que cela. On suggère du bout des lèvres un rosé à base de pinot, de gamay, ou d'un assemblage des deux. Il s'agit bien d'un 95% PN – 5% Gamay vinifié en rosé de pressée / blanc de noirs.
Bien + / 14.5/20
Cheverny rosé, Prose 2021
À mesure que la dégustation avance, les échanges vont se dérider et gagner en spontanéité. On enchaine sans transition sur des cuvées particulièrement plébiscitées par les amateurs pointus, vous aurez deviné qu'on parle du cépage roi du coin, le Romorantin. Ceux qui connaissent le cépage savent à quel point il est potentiellement extrême et clivant. On goutera les deux cuvées du domaine sur le même beau millésime : 2019
Cour-Cheverny, Romo 2019
Aaaah le Romorantin. On aime ou on déteste, effectivement. Pour moi ce cépage est vraiment l'idée platonicienne ultime qu'on peut se faire d'un vin "nordiste" : acidité très importante, sens de la "verticalité", tout en longueur filiforme et acérée sans la moindre largeur ou le moindre gras, tendu, long, minéral, austère. A jeun et "au débotté" après juste un rosé d'apéro c'est un peu challenge mais personnellement j'aime beaucoup, on a une vraie complexité aromatique proche de certains Riesling très austères, pierre ponce, craie, citron vert, céléri, énorme tension et impression de matière sèche colossale sur la langue. Ce truc doit pouvoir tenir 15 ans sans prendre une ride.
Très bien - / 15.5/20
Cour-Cheverny, Vieilles Vignes "François 1er" 2019
Du grand potentiel mais il va falloir attendre qu'on se fonde vers un profil moins extrême. En l'état l'équilibre est proche du "simple" Romo 2019 mais un peu moins facile d'accès, les curseurs sont poussés à l'extrême : encore cette austérité terpénique, très minérale et très acide avec une empreinte quasi tannique sur le milieu de la langue, mais ici se pointent également des notes de fruits exotiques et déjà des nuances mellifères. Il va falloir faire le trait d'union avec l'énorme austérité de texture car en l'état c'est encore très fougueux et assez enfoui. Aucun doute qu'une garde prolongée ne lui fera pas peur, que du contraire même.
Bien + / Très bien - / 15/20
On passe aux blancs de l'appellation Cheverny, qui sont donc très différents puisqu'en assemblage Sauvignon-Chardonnay (parfois complétés par des cépages accessoires). La question se pose de savoir si c'est vraiment optimal de les servir en dégustation après les romorantins, car il est indéniable que les Cour-Cheverny ont une structure beaucoup plus imposante.
Cheverny blanc, Pure 2020
Pas convaincu, et il est clair qu'on peut trouver de biens meilleurs rapports qualité-prix (16.5€ tout de même !) en dominante sauvignon en Loire, a fortiori en Touraine. Peut-être une bouteille pas très en forme mais cette cuvée est l'exemple type du fait que le domaine propose de bien meilleurs rapports qualité-prix sur ses cuvées haut de gamme que sur les bases (je reviendrai là-dessus en conclusion). Fruit jaune relativement simple sur la pomme jaune et les agrumes mais sans trame particulièrement appétante, et renfrogné par des notes de pneu/caoutchouc. Je passe
Assez bien / 13.5/20
Cheverny blanc, La Haute Pinglerie, 2018
Sol argileux, vieilles vignes et élevage bois pertinent : c'est le jour et la nuit. Ici on retrouve immédiatement le sourire grâce à ce profil inconditionnellement gourmand. Tout est fait pour arriver à un Cheverny Blanc "sexy", argiles et élevage sous bois amènent un très beau gras qui sied à merveille à l'aromatique opulente, plutôt baroque sur la tarte citron meringuée, la crème vanille et la mangue mûre, finalement proche d'un équilibre de joli Bordeaux Blanc. L'acidité centrale tient bien l'ensemble et évite toute lourdeur. Très beau vin, que certains pourraient qualifier d'un peu techno (… qu'est-ce que ça veut dire exactement encore ?), mais qui est indéniablement charmeur. Une qualité qui a également sont prix (24.5€), mais qui comparativement est une bien meilleure affaire que Pure.
Très bien / 16/20
C'est parti pour la troisième et dernière phase de cette dégustation, qui est, on ne s'en cachera pas, celle que notre groupe attend le plus : les rouges. Tous en appellation Cheverny, ils sont donc des assemblage Pinot Noir – Gamay dans des proportions variables, mais toujours en dominance Pinot. Olga nous confie que cette obligation du cahier des charges reste une frustration au domaine, qui aimerait faire valoir son savoir-faire sur du 100% Pinot Noir, considérant que le Gamay n'apporte rien au type de vins qu'ils souhaitent produire (ce qui est différent de dire que le Gamay est inutile dans toute l'appellation, notez). Je suis assez d'accord avec elle puisqu'à chaque fois que des rouges m'ont bluffé chez eux, c'étaient pour leurs qualités … de beaux Pinot. Bref. De là à quitter l'appellation pour faire du 100% PN en VDF, ils ne l'envisagent pas du tout pour le moment. Et on verra que parfois, le jeu des devinettes des pourcentages n'est pas si facile.
Cheverny rouge, Envol 2020
60% PN – 40% Gamay
Même "syndrome" que d'autres cuvées du domaine : le rapport qualité-prix des entrées de gamme (16,5€ à nouveau ici) est défavorable quand on les compare aux "grandes" cuvées qui ne coutent pas beaucoup plus cher (ceci dit c'est plutôt rare dans ce sens-là, hein la Bourgogne !

). Le gamay semble fort présent dans l'aromatique finale, beaucoup plus que sur les autres rouges du domaine, sur un profil très/trop jeune et très/trop simple, trait végétal, gamay variétal sur la prunelle, réglisse, caillou chaud, peu complexe et pas très fin.
Bien / 14/20, mais sans plus en l'état
Cheverny rouge, Le Pressoir 2020
80% PN – 20% Gamay
On monte déjà d'un bon cran comparé à Envol, ici c'est plus fin, clairement un peu plus pinotant (il y en a d'ailleurs plus dans l'assemblage, jusqu'ici ça semble logique) mais sans être non plus une "évidence de pinot" je dirais. Croquant sur un profil de framboise et autres joyeuses saveurs printanières simples mais efficaces. Bon équilibre en bouche, peu tannique mais sans manquer de concentration pour autant, jolie acidité sans trop en faire. Bref une jolie dominante PN croquante sans chichi, bien fruitée.
Bien + / Très bien - / 15/20
Olga range les deux bouteilles et sort les deux dernières, cette fois-ci sur des millésimes un rien plus anciens. Difficile de comparer donc tous les vins sans interférence puisque les millésimes diffèrent.
Cheverny rouge, Le Vivier 2019
70% PN – 30% Gamay
Et là, ça y est on décolle. Après Envol relativement décevant et fort simple sur un profil dominé par le gamay, Pressoir était déjà meilleur sur quelque chose de plus évocateur du beau pinot. Ici avec Vivier ce n'est plus l'évocation du beau pinot : c'est l'idée-même, on est en plein dedans. On a ce merveilleux profil "profond" des meilleurs rouges du domaine (déjà croisé cette impression sur Ouvrage 2013) de fraise des bois écrasée, pétales de fleurs mauves et bleues, terreau humide marqué, superbe aromatique "pleine". Quand on pense que, à 20€, ce n'est "que" 3.5€ de plus qu'Envol alors que l'écart de qualité est à mes yeux gigantesques, ça fait réfléchir. Du coup, sans surprise, j'achète 😉
C'est pour ce vin que je disais tout à l'heure que le jeu des devinettes de l'assemblage n'était pas si simple : il y a ici un taux de PN qui est intermédiaire entre Envol (très typé Gamay) et Pressoir (typé PN mais pas non plus explosif), alors que ce Vivier est à l'évidence le plus pinotant des 3. Olga attribue cela à un facteur intéressant : la parcelle de Pinot utilisée spécifiquement pour le vivier est une parcelle protégée des vents frais et dont la structure en cuvette concentre l'exposition solaire pour arriver aux grappes de pinot les plus mûres et solaires du domaine. Eh bien ça se sent, et c'est une merveille.
Très bien + / 16.5/20
Et on finit sur la grande cuvée du domaine …
Cheverny rouge, Ouvrage 2018
95% PN – 5% Gamay – Élevage bois plus long
Superbe également, mais après le charme aromatique fou du Vivier il y a dans cet ouvrage plus de retenue, quelque chose qui se livre moins immédiatement. Le nez est fin, plus acidulé, sur les fruits rouges, la grenade, mais on le sent encore un peu sur la retenue. La bouche est en revanche magnifique et contient toutes les promesses d'une future grande bouteille (comme à chaque fois ?) sur un tanin extrêmement fin et velouté, et un profil de pinot unique avec la framboise, les notes balsamiques, la trame acidulée superbe et ces notes de grand café peu torréfié qui sont ravissantes.
Très bien + / 16.5/20
J'avais dit qu'on finissait ? Oups, j'ai oublié une dernière pour la route …
Cour-Cheverny, Vendanges Tardives "JM Tendresse" 2016
Très bon, on peut être rétif à l'idée de faire du moelleux avec le Romorantin quand on connait son aromatique en sec mais en réalité c'est évidemment sa haute acidité qui lui permet de donner naissance à des vendanges tardives de grand équilibre. On est proche de l'équilibre d'un Riesling VT de terroir austère type Ribeauvillé avec encore la grande minéralité presque âpre et tannique du Romo, les agrumes, la fumée, mais un beau sucre pour enrober tout ça, pour un rendu final assez cristallin. 28g SR/L.
Très bien / 16/20
On repart avec le sourire et la certitude que le domaine se trouve toujours assez haut dans la hiérarchie de ses appellations respectives, ça ne fait aucun doute. Deux remarques cependant :
- Les prix ont augmenté progressivement et de façon assez marquée ces dernières années. Certains vont dire "comme partout", et c'est vrai. Certains vont dire que ça reste quand même, toute proportion gardée, de bonnes affaires, et c'est sans doute encore vrai, mais pas sur toutes les cuvées. Je persiste à considérer que pour trouver un niveau de qualité comme celui d'Ouvrage (à maturité) en Bourgogne, il faut dépenser en moyenne minimum deux fois plus. C'est sûr. Mais le domaine en a conscience, et Ouvrage a pris près de 6€ (passant de ~19 à ~25) en 3 ans. Il va falloir voir où cette dynamique va s'arrêter.
- En revanche, il est indéniable que sans comparer à d'autres domaines ou vignobles, en interne de la gamme, les rapports qualité-prix sont disparates. Et c'est sans doute rare que ça aille dans ce sens-là mais la conclusion que j'ai est que les entrées de gammes sont globalement de mauvais rapports qualité-prix (Romo excepté) : je ne me verrais jamais mettre 16.5€ dans Prose, Envol ou Pure, a fortiori quand on voit ce qu'on peut avoir encore en Loire pour ce prix là, dans Romo par contre je peux l'envisager sans souci. En revanche, à quelques euros d'écart, à l'autre extrémité de la gamme, c'est le contraire, ce sont clairement des affaires à prendre : Vivier à 20€ et Ouvrage à 24.5€ sont de solides achats.
Revenons deux paragraphes plus haut … j'écrivais " le domaine se trouve toujours assez haut dans la hiérarchie de ses appellations respectives". "Comment le savez-vous, jeune homme ?" me demanderez-vous certainement face à cette assertion gratuite ? Eh bien parce qu'en sortant de la visite du Château de Cheverny le lendamain, on fera un petit stop à la …
Maison des vins de Cheverny
Structure oenotouristique très bien faite, la Maison se trouve littéralement juste en face de l'entrée du château et draine quantité de touristes. C'est une affaire qui roule. D'autant que le concept est très bien exploité : pour 7€, on achète un verre et la possibilité de gouter 7 références au choix (doses de ~4 cl je dirais) de façon automatisée grace à un système de puce sous le verre et des structures murales d'où sortent des buses de service qui vous versent le vin de votre choix. La maison dispose je crois de plus de 150 références de très nombreux domaine en Cheverny (3 couleurs) et Cour-Cheverny (dont quelques moelleux). Petit compte-rendu à la volée des quelques références goutées, dont certaines on piqué ma curiosité pour de potentielles futures visites :
Domaine de Montcy, Cheverny blanc "Clos des Cendres" 2020
Beau nez pomme Golden et fleurs blanches et jaunes, pointe d'élevage intégrée qui crée les attentes envers une bouche effectivement crémeuse à l'entrée mais qui se resserre sur une très belle acidité agrumique suivie d'une très belle longueur.
Très bien - / 15.5/20
Clos du Tue-Bœuf, Cheverny blanc "Frileuse" 2022
Nez plein, un peu solaire avec des touches de fruits exotiques, la bouche présente un profil étonnant, rarement vu ailleurs, sur les épices avec un très gros extrait sec quasi tannique et des notes de fruits exotiques. Original et très convaincant.
Très bien - / 15.5/20
Domaine de Veilloux, Cheverny blanc "Argilo" 2019
Bon mais un peu monolithique sur la pomme Golden, bouche large effectivement suggestive de son sol, n'a pas l'énergie d'autres bons Cheverny blancs alors qu'il fait partie des plus chers, rapport qualité prix discutable par conséquent.
Bien + / 14.5/20
Domaine Le Portail, Cheverny rouge "La Moniale" 2022
Vraiment pas top, il a souffert d'une réduction invincible sur la salade de chou chinois, notes de gamay végétal, bouche aux tanins franchement rêches, difficile de trouver du plaisir en l'état.
Moyen / 12/20 (potentiellement ED mais ça pose la question du type de contenant qui se trouve derrière ces murs reliés à ces buses, cubi ? bouteilles comblées à l'argon automatiquement ?)
Domaine de Veilloux, Cheverny rouge "Les Veilleurs" 2019
Autant avant on était sur la réduction, ici c'est plutôt le contraire mais ça lui va à ravir. Super nez très fruité sur la fraise trop mûre et la confiture de cerise dans le chaudron, la combinaison du fruit solaire et d'une toute petite oxydation qui lui va bien rappelle des beaux grenaches fins. Bouche suave tout en fruit mais déjà un peu évoluée, fraise mûre, pointe d'alcool, juste ce qu'il faut d'acidité, c'est très gourmand et sympa.
Très bien - / 15.5/20
Clos du Tue-Bœuf, Cheverny rouge "La Gravotte" 2022
On est vraiment bien, mais sur un style opposé. Robe très pâle, nez initialement timide avec des notes de cirage et réglisse élégantes puis petits fruits rouges, mais c'est en bouche que la magie opère sur le sirop de fruits rouges léger, framboise, un côté parfum de jeune fille, églantier, belle acidité, moins simple qu'il n'y paraît dans ce style infusé. J'hésite entre 15 et 15.5, en tous les cas je retiens à nouveau une proposition très originale de ce domaine qui pique ma curiosité.
Très bien - / 15,5/20
Domaine de Montcy, Cheverny rouge "Louis de la Saussaye" 2020
Superbe clôture de dégustation, ce Cheverny rouge est ravissant sur une framboise comme je n'en ai simplement jamais vu dans un autre vin, en tout cas pas de façon aussi précise. On voit littéralement la framboise sur sa tige, prête à être cueillie. C'est bluffant. La bouche est dans la même idée. C'est pas forcément complexe mais c'est tellement bon que je suis obligé d'en prendre une bouteille, presque pour vérifier que je n'ai pas rêvé sur le coup.
Très bien / 16/20
Et voilà qui clôture notre passage par Cheverny !
Mais attention, vous n'êtes pas encore au bout de vos peines … la suite à venir !