Nous revoilà sur la route après une première journée pour le moins chargée, et par conséquent une nuit où on roupille comme des bébés. Petit-déjeuner à la fraiche sur la terrasse de l'appartement histoire de commencer du bon pied et puis en avant direction Rouffach pour une petite visite, sur le coup de 11h, au …
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Domaine Muré / Clos-Saint-Landelin
Nous sommes aimablement reçu dans la salle de dégustation qui présente plusieurs avantages par rapport aux précédentes : déjà, on est assis, ça fait du bien après la journée de la veille entièrement debout. Ensuite, on ne se presse pas, ici pas de course contre la montre, on prend son temps et il fait calme et frais donc c'est parfait. Enfin, la grande fenêtre en largeur offre une vue directe sur le Vorbourg et, plus spécifiquement, sur un clos ceint en sa partie Sud et exploité en monopole par le domaine, j'ai nommé le désormais célèbre Clos-Saint-Landelin, bien sûr.
Nous commençons par les trois crémants, tous de belle facture et à la bulle particulièrement fine, dont je n'ai pris des notes que sur le simple brut d'entrée de gamme qui constitue un joli RQP à 11,8€.
Domaine Muré, Crémant d'Alsace Brut
Un assemblage de cépages Alsaciens à dominante de pinot blanc qui pourtant pourrait passer à s'y méprendre pour un Chardonnay vu le profil aromatique : fleurs blanches, léger champignon, croûte de fromage et pomme verte. La bulle en bouche est très fine, satinée, et la perception est vive, bien définie et plus sèche qu'il n'y parait (dosage annoncé entre 8 et 10, mais parait moins).
Bien + / Très bien - / 15/20
Après les crémants nous choisissons de limiter ce que nous goûtons pour rester d'attaque pour le reste de la journée. On choisira notamment (et c'est peut-être un demi-regret) de ne pas goûter les Vendages Tardives du domaine, pourtant réputées, pour deux raisons : on a eu notre dose hier chez Rolly Gassmann, et celles de chez Muré sont de toute façon hors de notre bourse.
C'est d'ailleurs un commentaire général à faire sur le domaine : même si notre appréciation a été indiscutable comme vous allez le voir, il faut admettre que les prix ont fameusement grimpé et le domaine assume son statut de "victime de son succès". Je ne juge pas, c'est même honnêtement chouette pour eux, on est plus dans le constat. Mais la qualité de la gamme peut potentiellement le justifier, comme on va le voir.
On commence par les Rieslings.
Domaine Muré, Riesling "Calcaire Jaunes" 2019
Il s'agit d'une cuvée de négoce même si le domaine cherche de plus en plus à se départir de cette activité. Négoce peut-être, mais qualité quand même, puisque ce Riesling propose déjà une personnalité assez affirmée et plutôt rare du cépage, principalement sur les épices, proposant en arrière-fond une belle trame minérale très droite. Une entrée de gamme pas banale.
Bien + / Très bien - / 15/20
Domaine Muré, Riesling "Côte de Rouffach" Nature 2020
Comme déjà dit ici et comme bien rappelé par la patronne, le profil du Nature est sensiblement différent du reste de la gamme. C'est cependant bien fait et tout à fait net et sans déviance. Profil beaucoup plus fruité à l'acidité moins marquée, on retrouve des notes de coing, de prune jaune voire même par moments de mangue, mais également de cire chaude, c'est déroutant et clairement pas sûr qu'on partirait sur du Riesling à l'aveugle. Les amateurs d'un profil plus mûr devraient aimer. Jolie incartade dans une gamme au style très droit du reste.
Bien + / Très bien - / 15/20
Domaine Muré, Riesling "Côte de Rouffach" 2018
Encore engoncé dans sa jeunesse et sa droiture, ce Côte de Rouffach est pour l'heure assez fermé mais prometteur, réduit, terpénique et pétrolé, sur le toluène, la craie, la violette, le citron assez strict, l'acidité en bouche est laser, le vin est serré mais l'avenir lui sera favorable.
Très bien - / 15.5/20
Domaine Muré, Riesling Grand Cru "Clos Saint-Landelin" 2018
On suit une progression logique, le profil global n'est pas loin de la Côte de Rouffach et l'impression de relative fermeture à l'instant t est la même. Du reste c'est vibrant, on sent bien le potentiel, la bouche est d'une droiture et surtout d'une longueur qui sont tout à fait dignes de son rang, l'empreinte calcaire est ici massive et vient ouvrir des failles entre citron vert, ananas pas mûr, gentiane. La finale très longue révèle des épices séchées inattendues : cumin, laurier, curry en poudre. A attendre impérativement mais très belle bouteille d'un style cistercien. Aurait mérité qu'on prenne un peu plus notre temps avec peut-être.
Très bien / 16/20 pour l'heure, mais gros potentiel.
Dans le même esprit c’est-à-dire style austère, un peu fermé sur 2018 actuellement mais à très gros potentiel, et pour un prix comparable, j'ai trouvé le Geisberg de Kientzler un peu plus intéressant, plus unique.
On passe aux Pinots Noirs, très attendus puisque la réputation actuelle du domaine leur est en partie (pour ne pas dire en bonne partie ?) due. Les attentes étaient hautes, et je crois qu'elles ont été atteintes, ce qui est toujours un plaisir. La gamme est passionnante de bas en haut et propose des profils réellement différents, pour tous les goûts, avec un sens de la hiérarchie respecté. Le prix va avec, bien sûr, mais sur certaines quilles … on ne peut pas dire que ça ne soit pas justifié.
Domaine Muré, Pinot Noir "Argiles Rouges" 2020
Dès le départ de la gamme on est déstabilisé puisque ce Pinot ambitieux n'a rien d'une entrée de gamme, on est aux antipodes du pinot "infusion cerise minute" qu'on retrouvait classiquement en Alsace jusqu'il y a peu, là on a du vrai vin rouge, un Pinot sérieux, viril, très fumé, presque fermier, avec une cerise noire massive en bouche et toujours ces notes fumées/terreuses, accompagnées d'une matière conséquente et d'un tanin clairement présent et de grande qualité. Il ne fait pas dans la dentelle (c'est tant mieux, la suite s'en occupe) mais c'est du très beau vin, dont je serais curieux (et assez confiant) de connaitre l'évolution.
Très bien - / 15.5/20
Domaine Muré, Pinot Noir "Côte de Rouffach" 2019
Plus fin et infusé, ça pinote plus, tout simplement. Le nez est sur la jolie framboise fraiche, en bouche le tanin est fin, acidulé, bien dessiné, touche de végétal noble évoquant la ronce voire l'épinard (pas dans un mauvais sens), une touche de rose poudrée arrive ensuite, le tanin initialement très discret prend de plus en plus de place en bouche et globalement le vin prend un volume et une mâche remarquables à mesure qu'on le garde. Finale nette sur la nectarine.
Très bien / 16/20
Domaine Muré, Pinot Noir "Lutzeltal" 2018
Le nez continue sa montée en finesse avec ceci dit un fruit légèrement en retrait par rapport à CdR, on est sur la groseille, la graine de moutarde, touche balsamique, relativement discret. La bouche par contre est un enchantement, de ces petits moments de magie où on lève les yeux au ciel en se disant "mais meeeeerde c'est quand même bon ce machin", décharge tétanisante de framboise très mûres et de fleurs rouges, géranium, hibiscus, un niveau d'évidence et de buvabilité irrésistible, on monte d'un cran par rapport à CdR en termes d'équilibre à mon sens mais ça fait débat parmi la tablée.
Très bien + / Excellent - / 17/20
Domaine Muré, Pinot Noir "V" 2017
On continue l'ascension, ici c'est le nez qui est divin, une dentelle de pinot de celles qu'on n'a même pas envie de boire. Ça pinote de façon éclatante, démentielle, sur les fleurs cristallisées, violette, hibiscus, rose, tout y passe, puis framboise, myrtille, mûre, touche cuir et cacaotée profonde type "Noir de Noir" de Tom Ford, pffff ça vibre !! La bouche est un peu moins expansive, en dentelle, mais propose un superbe retour floral après l'attaque avec de très jolis fruits et une touche de chlore. Magnifique vin, c'est cher mais … c'est bon.
Excellent / 17.5/20
Après avoir fait les yeux doux à la patronne je parviens à nous dégoter un généreux verre de PN CSL 2016 coraviné, que nous nous partageons religieusement.
Domaine Muré, Pinot Noir "Clos Saint-Landelin" 2016
On change d'univers puisqu'ici, contrairement à la jouissance instantanée du V, on est clairement dans une phase de fermeture aromatique. Le nez dégage quelques effluves profonds, moins sur le fruit que les autres mais beaucoup moins accessibles pour l'heure, beaucoup plus sérieux sur le terreau frais, le cuir, la fumée, la fourrure. La bouche possède une structure monumentale, à vrai dire c'est quasi tout ce qu'elle peut proposer en l'état car l'aromatique est vraiment en phase de fermeture mais rien que pour la qualité de structure ça vaut le coup de goûter ça, tanin surfin qui conjugue haute quantité à (très) haute qualité, nuances sous-entendues de fourrure, de cerise, de cuir et de fumée, la présence du vin est inépuisable et laisse la bouche satinée. Il faut attendre impérativement qu'il sorte de cette hibernation, mais avec un peu de chance ça vaudra le coup. Et pour longtemps ! Difficile à noter, en l'état rien que pour la structure
Très bien + / 16.5/20
Eh bien, sacré domaine en effet ! La gamme des pinots est passionnante et illustre la grande versatilité du cépage. Ça a son prix, mais il faut certainement bien admettre que l'équivalent qualitatif en Bourgogne vous reviendrait au même ou à pire.
Dernière note, notez que deux grands crus on reçu l'agrément pour que le Pinot Noir y soit GC dès à présent : Hengst et le Kirchberg de Barr. Le dossier pour le Vorbourg est en cours d'examen. Cela ne peut vouloir dire qu'une seule chose pour l'évolution des prix des PN alsaciens à l'avenir, dynamique qui est de toute façon déjà engagée, GC ou pas. Cela mettra bientôt le consommateur au défi de trouver de nouveaux coins à champignons.
Nous reprenons la route et après une pause midi bien méritée à Eguisheim, nous nous dirigeons vers le dernier domaine que nous avions choisi de visiter, qui est certainement le moins connu. Mais il a simplement suffit d'un CR récent du confrère Nilgiri pour me donner envie d'y faire un tour …
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Domaine Bruno Hertz
Nous sommes reçu par le maitre des lieux en milieu d'après-midi, qui nous régalera de sa simplicité et de sa gaillardise. La gamme des vins est intéressante puisqu'elle permet de "revenir sur Terre" après trois domaines au niveau qualitatif moyen très élevé : rétrospectivement, certains vins plus modestes de Hertz nous permettent de confirmer que ce qu'on a bu précédemment est bel et bien d'une autre trempe – et n'y voyez là aucun reproche puisque niveau prix, ça n'a rien à voir non plus.
Mais on perçoit bien certaines faiblesses dans la gamme : les crémants bruts aussi bien blanc que rosé sont sympa mais manquent de netteté et de définition, la bulle est clairement plus grossière que chez Muré, et la réduction (à moins que ce ne soit le sur-sulfitage ?) ne leur rend pas service puisque le rosé notamment part un peu sur l'œuf.
De la même manière, certains vins de cépage ne transcendent pas leur (humble) niveau de prix :
Domaine Bruno Hertz, Pinot Gris Vieilles Vignes 2018
Profil assez cheap et légèrement chimique de banane haribo, longueur courte.
Moyen / 12/20
Domaine Bruno Hertz, Riesling 2018
Correct avec un joli citron vert et un peu de terpènes mais note de carton mouillé en bouche, manque de netteté, peut-être un peu de réduction.
Assez bien / 13/20
Par contre il existe, à l'inverse, au moins trois bonnes surprises dans la gamme :
Domaine Bruno Hertz, Pinot Noir 2018
Une petite merveille de Pinot Noir d'entrée de gamme, du pur fruit qui pète avec beaucoup de richesse (franchement inattendu) sur la cerise noire très marquée, presque le cassis, avec un très joli tanin en bouche. Pour 8,6€ c'est un joli canon de fruit à ouvrir dès maintenant - ne vous attendez juste pas à de la finesse.
Bien + / Très bien - / 15/20
Domaine Bruno Hertz, Riesling 2019 Hospices de Strasbourg
Très joli vin qui gagnera à l'aération, nez de citron vert, de violette, très légères touches muscatées et puis côté étonnamment plus tourbé, bouche en effet légèrement tourbée-fumée proposant une belle minéralité et une belle fraicheur florale. Clairement plus net que le Riesling 2018.
Bien + / Très bien - / 15/20
Et enfin, celui qu'on était venu voir …
Domaine Bruno Hertz, Riesling Grand Cru "Rangen de Thann" 2017
Le rendez-vous n'est pas manqué : on change clairement de niveau, le rang du Grand Cru est tenu avec un Riesling totalement départi de ses atours variétaux, tout n'est ici qu'épure et minéralité conjugué à un fruit vibrant, la bouche est une eau de roche mélangée au silex et au fruit de la passion, très belle impression de pureté et encore un sentiment de réserve qui laisse croire qu'il ira loin. J'ai bien envie de le regouter car clairement on se doute que les verres INAO ne lui rendent pas service. Ça tombe bien, je repars avec deux quilles sous le bras. En l'état :
Très bien + / 16.5/20
Et c'est ainsi que se termine ce riche périple en terres Alsaciennes, merci à tous de m'avoir lu, et à très vite !