la petite sœur
Voilà plus de trente ans que le vin est au cœur de mes préoccupations, qu’il fait partie de ma vie en en prenant une part importante : je pense avoir fait tous les types de dégustation, sur tous les formats, dans tous les contextes : salons, domaines, clubs, soirées de copains, concours, repas, et même symposium luxueux. J’ai également eu la chance de déguster tous les styles à tous les prix. Je ne provoque pas en affirmant qu’à mes yeux, Le Pin, Petrus ou Romanée Conti ont autant d’intérêt (et d’ailleurs le même) que la découverte des vins d’un domaine du Bugey.
En matière de dégustation, j’ai eu des mentors et surtout un : Bertrand Le Guern, même si nous n’étions pas toujours d’accord et même si j’ai souvent trouvé ses jugements abrupts. Avec lui, j’ai réellement appris, en creux ou en bosse, en accord ou en opposition (l’important est la naissance de l’avis).
J’ai appris que la recherche de l’objectivité et de l’indépendance du jugement était vaine quand bien même nous en faisions un point d’honneur, mais que sans aucun doute « tendre vers » était une démarche, presque une quête.
C’est sans doute pour cette raison que plus j’avance dans cette passion ou cette culture ou encore cette connaissance, plus je fuis les dégustations marathon et plus je me centre sur des dégustations d’un vin unique sur plusieurs jours : je ne vois absolument rien qui peut remplacer un tel contexte d’analyse si on veut comprendre une bouteille de vin. Et surtout ne jamais dissocier le vin de ce pour quoi il est fait : accompagner un met (et je peux admettre que le met peut également accompagner un vin).
Les biais sont trop nombreux pour accréditer les dégustations aux multiples vins :
- groupes importants avec forcément des leaders d’opinion : j’ai vu souvent dans des dégustations importantes, des sous-groupes se constituer avec des avis unanime à l’intérieur de chaque sous groupe, opposés entre groupe, parfois strictement contraires.
- des effets séquences qui favorisent ou défavorisent l’appréciation d’un vin : j’ai vécu le fait, toujours grâce à Bertrand LG, que des vins identiques mis à différents moments des dégustations peuvent se goûter totalement différemment.
- des focalisations des dégustateurs à se centrer d’abord sur eux-mêmes et leurs connaissances et oubliant l’essentiel, c'est-à-dire la perception du vin.
- bien entendu, l’absence de la variation du niveau d’aération de chaque vin quand bien même dans le meilleur des cas, l’hôte a pris soin de préparer les bouteilles.
- les a priori, impossibles à neutraliser : ils sont multiples, nous les connaissons tous : pseudo connaissance du prix, pseudo connaissance du vin (celui que l’on croit deviner et que l’on déguste comme si c’était réellement lui dans notre verre, dans le cas de dégustation à l’aveugle).
L’émergence même de cet a priori est en soi une marque de non effacement de soi-même face au vin.
- absence de met ou met en contradiction avec le vin
- une sorte de manque de respect envers des vins fabuleux auxquels, paradoxalement on voue un culte et auxquels on n’accorde pas l’intérêt minimal au cours d’une soirée dégustation marathon.
A la limite, les seuls contextes où je peux comprendre et accepter ce « jeu » de la dégustation multiple, c’est dans le cadre d’une dégustation où les vins ont des points communs : région, millésime, cépage ou la visite chez un vigneron dans un but d'achat.On oublie trop souvent que le vin est fait pour la table et qu’il ne saurait en être dissocié. Je rêve d’un dîner entre amateurs où pas plus de trois vins soient servis. Chaque vin accompagnant chaque plat. Si le vin est très bon et qu’il donne du plaisir, alors on le boit plus qu’on ne le goûte et on ouvre la petite sœur.
J'aime bien cette expression qui n'existe pas par hasard : c'est une sorte d'hommage que l'on rend et d'hymne au plaisir que l'on joue, pour ne pas dire "j'ai goûté", mais "j'ai bu" ce vin.
C'est ainsi qu'a évolué ma façon de goûter les vins depuis un moment déjà, même si je continue parfois à m'adonner à d'autres types de dégustation : sans doute est-ce justement la dégustation que je remets en cause. Bien évidemment, je ne porte aucun jugement sur des pratiques différentes même si je dois bien l'avouer, certaines lectures me laissent parfois songeur.