Pour nous remercier d’un week-end œnophile passé chez nous, notre fils et ses copains nous ont offert un diner dans ce restaurant doublement étoilé.
Nous avons choisi le menu « Reine des prés » en huit services, sachant que le chef est spécialiste des légumes et plutôt poissons que viandes.
Le menu-dégustation ne comportait aucun choix mais nous n’avons pas eu à nous plaindre !
Les titres des plats indiqués ci-dessous ne sont pas exacts car le menu reçu en fin de repas indique seulement les ingrédients sous forme de liste, et non répartis par plat.
Du bout des doigts… (mises en bouche)
Bois de salsifis et crème de panais au chocolat blanc et graines de lin
Les salsifis sont séchés et sans doute passés au four de façon à leur donner cette apparence de bois, mais surtout un croustillant en bouche remarquable.
Cela reste très léger, tout comme la crème dans laquelle on vient saucer ces morceaux de bois.
On commence fort !
Topinambour confit au caramel
Là encore la peau des topinambours est croquante et les associations de textures et de saveurs sont superbes !
Croustillon d’huître, framboise et échalotes grises
Pas eu le temps de faire la photo de cette bouchée étonnante mais très réussie.
Tartelette à la crème d’araignée de mer et à la reine des prés
Une explosion de saveurs marines en bouche !
Beignet de sapin Douglas et sel de magret fumé
Une sorte de cromesquis fondant au goût délicat.
Brioche et beurre au yuzu
La brioche est d’une finesse remarquable et le beurre délicieux.
Et comme apéritif, pour accompagner toutes ces mises en bouche, j'ai choisi, donc pas à l’aveugle, un verre de :
Champagne Suenen – Oiry – Blanc de blancs – Extra Brut
La robe se présente sous une couleur vieil or.
Le nez très intense et étincelant exhale des fruits jaunes bien mûrs, agrémentés d’une touche grillée et d’une autre de fruits secs, puis arrivent des arômes floraux de chèvrefeuille.
La bouche harmonieuse fait preuve d’une très belle tension et d’une grande élégance. La bulle crémeuse vient souligner une matière impactante aux colorations plus tertiaires. La finale s’allonge tout en s’apaisant.
Un excellent champagne, plutôt de gastronomie. Cela tombe bien : les mises en bouches étaient de véritables entrées servies en petite portion !
Très Bien +(+)
Au fil du temps… (plats)
Butternut, agrumes et citron caviar
Un plat très frais mais pas renversant.
Domaine de la Renière – Thibault Masse – Saumur blanc – 2018
Nez fin et élégant sur les fruits blancs.
Bouche ronde, même enveloppée d’un léger gras, d’une aromatique avenante, mais manquant un peu de vivacité et donc de longueur.
Bien +(+)
Le plat ne lui apporte pas un peu de son acidité mais, par effet de contraste sans doute, lui procure beaucoup plus d’ampleur (4 / 5).
Céleri, fruits à coques grillés, émulsion au savagnin
Domaine du Grand Tinel – Châteauneuf-du-Pape – Blanc – 2016
Le nez très intense développe des arômes minéraux, finement pétrolés, sur une base de fruits blancs.
La bouche assez grasse livre une aromatique plutôt riche donnant une impression de quelques sucres résiduels. La densité du toucher est contrebalancée par une certaine acidité, qui participe également à la belle allonge.
Je suis d’abord parti sur un Riesling puis, à cause d’une sensation plus sudiste, sur un Côtes-du-Roussillon à base de grenache gris et macabeu.
Très Bien (+)
Les fruits à coques sont d’une puissance qui arrivent à dominer le vin pourtant très généreux (3 + / 5).
Saint-Jacques, choux de Bruxelles
Ce plat est une véritable tuerie !
Maison Valette – Pouilly-Fuissé – 2015
Le nez s’exprime avec richesse sur des fruits jaunes, des notes mellifères et de massepain.
La bouche se développe avec un beau volume et un équilibre certain : rondeur aimable, léger gras, fraîcheur, aromatique nette et savoureuse. La bonne allonge termine sur une finale pointue et vivifiante.
Très Bien + et un avenir radieux !
Les fins amers, notamment au nez, m’ont fait hésiter avec un assemblage marsanne – roussanne du Rhône septentrional.
Je n’ai pas noté l’accord, sans doute car les deux compères étaient superbes indépendamment, mais cela ne pouvait être qu’une réussite.
Cabillaud, sauce cresson et sauce passion
Encore un excellent plat aux saveurs pointues.
Domaine Kalathas – Jérôme Charles Binda – Tinos – Grèce – 10 + 12 Vieilles vignes
C’est un monocépage aspro potamissi.
La robe est claire mais d’une teinte étonnante, se situant entre l’ambré et l’orangé.
Il faut aller chercher le nez mais on finit par y trouver des senteurs anisées, une touche de miel et une autre de résine de pin. Il faut cependant considérer cette dernière avec des pincettes, car notée après révélation de l’étiquette ; j’ai peut-être été influencé par l’association vin grec – retsina – résine…
La bouche est fermée et assez fade, donc indéfinissable si ce n’est que l’acidité est correcte, avec une allonge correcte sans plus.
Bien (+)
Mais sur le plat le vin se réveille complètement et prend de la chair et du volume. Belle transformation grâce à l’accord (4 / 5) !
Homard façon barbecue, crosnes et jus de genièvre, sabayon de homard
Le goût du homard et du sabayon sont d’une concentration et d’une justesse extrêmes.
Un des tops du repas, si ce n’est le summum !
Château de Pibarnon – Bandol – Rosé – Nuances – 2018
La robe arbore encore une couleur ambrée et orangée mais elle est beaucoup plus dense que celle du vin précédent.
Très intense, le nez montre une belle complexité en alliant des arômes de pomme au four, de petits fruits rouges et de fruits exotiques !
La bouche est charpentée, séveuse, avec beaucoup d’emprise et d’une saveur bien précise. Elle s’appuie sur une bonne acidité et s’affirme avec une grande persistance.
C’est un OVNI mais c’est très bon.
Très Bien (+)
Le vin prend de la profondeur avec le homard et le sabayon (4 / 5).
Anguille fumée, crème de sésame noir, dés de pomme verte
Un excellent plat signature du chef.
Cidre de glace d’un ami du chef provenant du pays basque, David Toutain faisant donc une infidélité à sa Normandie d’origine.
La robe est assez sombre, évoluée et montrant une certaine turbidité.
Le nez exhale la pomme de façon exacerbée.
L’acidité très haut perchée rend la bouche anguleuse et sollicite les gencives, en éteignant le fruité et le sucre.
Bien
Là encore, la trouvaille de l’accord (4 / 5) permet au cidre de glace de s’arrondir et de faire ressortir le fruité de la pomme, laissant une bouche nette pour la bouchée suivante de ce plat magnifique mais sans doute un peu écœurant s’il n’était accompagné d’un tel comparse.
Lièvre caché sous une crème de pomme de terre
Il est effectivement bien caché mais très goûteux (sans doute cuisiné de façon « à la royale ») et le plat associe trois textures différentes (crémeux, croquant et fondant) pour notre plus grand plaisir.
Clos Cibonne – Côtes de Provence – Rouge – Cuvée prestige Olivier – 2019
Intense, le nez combine des arômes de fruits noirs et d’épices, avec un côté lardé appréciable.
La finesse en bouche est superlative, tant par son aromatique en rétro-olfaction que par sa fraîcheur et sa suavité. Elle possède en même temps une chair généreuse et dense. Seule l’allonge, tout à fait appréciable quand même, est un peu en-dessous de ces belles autres caractéristiques.
Très Bien +(+) et donc le vin de la soirée !
C’est pourtant un vrai bébé, mais tellement bien né !
Je n’ai pas noté l’accord mais ayant cru à une très belle syrah du Rhône septentrional, nul doute que le mariage était beau.
Instant T… (pré-dessert, dessert et mignardises)
Les deux parties de ce pré-dessert à base de levure ne nous ont pas laissé une grande impression mais leur légèreté a permis de bien remplir leur rôle de préparer la bouche au dessert principal.
Et quel dessert !
Rarement nous avons été autant conquis par l’extrême délicatesse, la finesse et la justesse de goûts d'un dessert ! Celui-ci est à base de chocolat et praliné.
Domaine aux Moines – Savennières Roche aux moines – 1998
La robe est très évoluée, affichant une couleur bien ambrée.
Le nez intense et raffiné va dans le même sens, avec ses arômes tertiaires de fruits secs et de fruits confits, teinté de zestes d’orange.
À ce stade, je pense à un Rivesaltes ambré. Mais la bouche infirme complètement.
Certes elle est aussi axée sur une aromatique tertiaire, mais elle n’affiche aucune trace de sucres résiduels. Au contraire, elle se goûte très sec, dans un style austère et classieux, dotée d’une bonne acidité et d’une longueur intéressante.
Très Bien (+)
C’est un choix délibéré du sommelier de privilégier l’accord aromatique mais de ne pas rajouter de sucre au (léger) sucré du dessert, afin de ne pas trop charger le palais net en fin de repas. Je comprends mais n’ai pas pu apprécier complètement cet accord (3,5 / 5).
Citrouille – tagette et crème Choux fleur – coco – chocolat blanc
La citrouille est fine et d’une grande fraîcheur mais c’est la crème qui emporte tous les suffrages par la trouvaille géniale de cette association gustative. Une tuerie !
Craquant à la chicorée et sablé à la cacahuète
On termine bien avec ces deux mignardises très différentes mais tout aussi bonnes, la deuxième, copieuse, permettant aux grandes faims d’être complétement rassasiées.
En conclusion
Nous étions bien placés, juste en face de la baie vitrée donnant vue sur la cuisine, avec David Toutain au premier plan.
Nous avons été impressionnés par sa présence permanente et par le calme qui règne en cuisine. On a l’impression que le chef est un cuisinier comme les autres, chacun sachant parfaitement ce qu’il a à faire.
Puisque l’on parle du chef, sa formation chez Alain Passard et Marc Veyrat se retrouve dans ses choix de mettre en valeur les légumes et les plantes de nos campagnes. Les innovations sont nombreuses et allant toujours dans le sens de tirer le meilleur des produits, même les moins nobles.
S’il fallait qualifier sa cuisine par un seul mot, je choisirais « légèreté ».
La carte des vins est d’une richesse extraordinaire ; il doit y avoir une dizaine de pages de Champagne !
Les prix m’ont paru corrects, mais j’ai eu une lecture rapide, n’ayant pas eu de choix à faire, et je me suis surtout attelé à vérifier que les grands domaines étaient là, ainsi que d’autres moins connus mais souvent prometteurs (le domaine des Poëte et Les Côtes Rousses, de mémoire, pour ne citer que ceux-là).
Le jeune sommelier est très compétent et est sorti des sentiers battus pour les accords : mes notes témoignent des choix judicieux qu’il a faits.
Le service nous a paru un peu rapide, surtout avec la multitude des plats et des vins servis. Il faut dire que la batterie de serveurs est impressionnante.
Enfin l’excellent directeur de salle, d’origine vénitienne (je n’ai pas écrit « italienne ») est à la fois stylé et chaleureux.
Vous aurez compris que je recommande vivement ce restaurant aux gastronomes hédonistes !
Jean-Loup