Informations tirées du site bordeaux-netwine, d'ailleurs un site très intéressant.
Pourquoi les français sont-ils «terroitistes» et défendent-ils l'idée que le terroir, et tous les facteurs qui s'y rattachent, influencent de façon prépondérante la qualité des vins et la hiérarchie des Crus ? Ils savent que les grands vins français proviennent de rares terroirs découverts depuis trois siècles ou plus, que l'homme les a façonnés et y a adapté les meilleurs cépages autant que les meilleures pratiques pour les cultiver et les vinifier. Ils savent moins, peut être, que l'acclimatation des cépages s'est faite sous des climats septentrionaux propices à la viticulture de haut niveau, avec des températures l'hiver à la limite de leur survie et l'été avec des conditions de maturation lente, gage d'harmonie future et de grande finesse aromatique.
Le dernier paragraphe « progressistes versus terroitistes » est destiné à ceux qui ont la faiblesse de penser que le terroir n'est qu'un élément de la qualité et qu'on peut produire des grands vins partout et sous toutes les latitudes. Bien au contraire le terroir représente le fondement même de la qualité, sans lequel l'homme, aussi talentueux soit-il, reste impuissant. On doit l'admettre comme une vérité première sans jamais chercher ni à le dévoyer ni à le transgresser.
L'inventaire du terroir n'est pas aussi simple, il associe des facteurs naturels - le sol et le climat- et des facteurs humains. Tous interfèrent pour influer sur la qualité du vin. Nous les déclinerons en prenant dans le développement l'exemple d'un éminent terroir bordelais .
LE FACTEUR GEOPEDOLOGIQUE
La vigne s'accommode de n'importe quel terroir. Aucune formation géologique, qu'elle soit éruptive, métamorphique ou sédimentaire, ne détient l'exclusive. La liaison intime entre le sous-sol et le sol qui en est son émanation, reste très mystérieuse. Les géopédologues avancent aujourd'hui une certitude : outre sa pauvreté en éléments fertilisants, un grand terroir présente une constitution physique propre à une alimentation en eau régulée. Une bonne terre laisse ses eaux s'infiltrer vite et loin, mais ensuite elle la retient dans ses profondeurs pour la restituer à la vigne avec une régulière parcimonie jusque dans la fournaise des étés les plus secs. La structure fine des éléments constitutifs (granulométrie) a autant d'importance que la profondeur du sol exploré. Les racines des vieilles vignes se frayent un chemin sur plusieurs mètres, parfois à travers des sous-couches résistantes (calcaire, argile…), voyage qui nécessite de longues années en quête d'une nourriture minérale et hydrique équilibrée. Cette sève montante s'associe aux produits de la photosynthèse dans les feuilles puis dans les baies sous forme de sucres, de tannins (vins rouges) et de précurseurs d'arômes.
Le profil vertical et la structure fine du substrat minéral ne suffisent pas à expliquer les conditions géopédologiques d'un grand terroir ; on doit ajouter les facteurs édaphiques : la topographie , l'altitude et l'exposition. Les plus grands terroirs bordelais sont installés sur les côteaux calcaires de la rive droite ou sur les terrasses bordant la rive gauche de la Garonne et la rive droite de la Dordogne (1). Cette hauteur relative préserve les racines d'une trop grande proximité avec la nappe phréatique, qui aurait deux conséquences néfastes : asphyxie des racines et dilution des raisins.
(1) entre 15 et 120 m de hauteur alors que les vignobles moins qualitatifs occupent les parties basses des vallées entre 5 et 10 m.
Il ne faut pas nier que, dans bon nombre de cas, la réalité géologique a été plus ou moins transformée par l'homme pour améliorer le potentiel naturel. Certains modelés ont été redéfinis, autrefois manuellement, aujourd'hui mécaniquement, et la composition même du sol a été modifiée. On a dépierré, fait des apports exogènes de terre arable et d'argile, abaissé (2) la nappe phréatique, réduit considérablement l'eau disponible par des drainages de toutes sortes et par le creusement de fossés pour recueillir les eaux de ruissellement…
LES FACTEURS BIOLOGIQUES ET CLIMATIQUE
Ils s'interpénètrent et vont s'allier à la terre dont la structure et le régime hydrique sont particulièrement propices à la culture de la vigne.
La sélection des cépages, pour n'aboutir aujourd'hui, à Bordeaux, qu'à trois cépages majeurs en rouge et deux en blanc, remonte au XVII siècle. Elle a bénéficié des acquisitions et des choix empiriques de générations de vignerons. On aboutit à la conclusion que, dans telle région ou dans telle parcelles, aucun autre cépage ne saurait faire mieux.
D'abord sur le plan régional (département de la Gironde), les anciens ont acclimaté (3) des cépages (4) à la limite de leur survie l'hiver, c'est à dire pouvant geler parfois. Plus au Nord leur résistance est très aléatoire , plus au Sud la chaleur estivale provoque, pour les rouges, un décalage entre la maturité alcoolique précoce (5) et la maturité des tannins plus tardive et pour les blancs un manque de finesse aromatique. A Bordeaux, les deux maturités des rouges vont de pair et contribuent ainsi à la production de vins équilibrés, élégants et aptes au vieillissement. On dit que les cépages poussent à la limite Nord de leur résistance aux gelées, à l'instar du Chenin de Loire, du Pinot de Bourgogne et du Riesling d'Alsace. Ce n'est que dans ces conditions extrêmes, septentrionales, que l'on assiste au mûrissement lent, favorable à l'obtention de grands vins de garde.
Les anciens ont aussi procédé à une répartition locale des cépages acclimatés selon les différents types de sols du bordelais. Ainsi constate-t-on qu'à Mouton Rothschild le Cabernet Sauvignon est roi (86%), à Pétrus le Merlot (95%) à Cheval Blanc le Cabernet Franc (60%), et à Malartic-Lagravière le Sauvignon blanc (85%). Chaque cru possède une répartition spécifique des différents cépages selon la structure géopédologique des parcelles et leur exposition.
L'influence de l'homme ne se borne pas au choix judicieux des cépages et de leurs porte-greffes, mais elle est prépondérante aussi dans les orientations culturales pour atteindre l'objectif du meilleur vin. La densité de plantation élevée (jusqu'à 10.000 pieds), le mode de conduite (taille, palissage), les travaux du sol, les opérations sur le feuillage autant que le maintien d'un parc viticole à la moyenne d'âge élevée (entre 30 et 40 ans) contribuent à cette adaptation « en surface et en profondeur » pour limiter les excès du climat :l'humidité (6) et la sècheresse (7). La vigne, ainsi cultivée, est capable, sur les grands terroirs, de produire des grands vins même dans des conditions estivales extrêmes.
Un terroir , quelqu'il soit , ne peut s'entendre qu'avec de vieilles vignes (> 25 ans) plantées à une densité élevée (> 6000 pieds/ha.). Par leur enracinement profond, provoquant l'exploitation totale du sol et du sous-sol, et par leur rendement modéré, les vieilles vignes communiquent au vin l'expression optimale du terroir. Ainsi les vignes de moins de trois ans sont-elles exclues des conditions de production des vins d'appellation contrôlée et plus on monte dans la hiérarchie des crus, plus l'âge moyen des vignes composant le grand vin est élevé. Lors de la macération (vin rouge), les raisins de vieilles vignes à petites baies et à pellicules épaisses, permettent une extraction très qualitative, sans excès, puisque le rapport jus sur matières solides (pellicules, pépins) est bas. On constate même que des vignes très âgées sur un terroir moyen peuvent supplanter des vignes plus jeunes sur un terroir inférieur, en matière de longévité et de finesse du vin.La densité élevée provoque une concurrence entre les ceps, qui d'une part limite les rendements et d'autre part projette les racines en profondeur pour chercher leur nourriture. Les labours sectionnant les radicelles superficielles favorisent aussi la migration verticale des racines et maintiennent une bonne exploration du sous-sol .
L'esprit du Bordeaux est là , dans cette convergence unique entre des cépages acclimatés, savamment cultivés, et des terroirs d'exception. Ceux-ci offrent à la plante des conditions minimum de nutrition et d'alimentation en eau, provoquant un arrêt précoce de la croissance végétative (Août) et une accumulation des substances dans les raisins. Les vignes âgées des très grands crus ne souffrent jamais, ne subissent aucun blocage et ne reçoivent que les éléments dont elles ont besoin. Ce n'est que dans cet équilibre précaire, différent à chaque millésime, que le raisin atteint lentement sa maturation complète et constitue la substance de base pour l'élaboration des grands vins de garde dont la finesse aromatique et la texture des tanins signeront, à terme, la haute expression du terroir. On doit récuser la vision ethnocentrique du terroir et comprendre que les grands vignobles sont des créations de l'histoire où les facteurs humains doivent être intimement associés aux éléments naturels.
"LES TERROITISTES VERSUS PROGRESSITES"
Le savoir-faire est nécessaire à l'élaboration des grands vins et témoigne de l'importance de l'homme pour maximiser le potentiel du terroir ; il ne faut pas croire cependant que l'on peut se passer de celui-ci. Les «progressistes» ont raison de penser que le savoir est universel et que l'on produit, dans beaucoup de sites, même hors de la vieille Europe, de bons vins, technologiquement parfaits, avec les mêmes cépages qu'à Bordeaux . Pour ce qui concerne les très grands vins, rares, reflets d'un terroir d'exception, incluant la trilogie «terre, cépage, climat», la démonstration reste à faire lorsqu'il s'agit de les mettre en compétition au bout de vingt ans avec les grands Bordeaux. Seules de telles expériences gustatives répétées pourraient révéler de nouveaux terroirs viticoles .
Celui qui n'est pas convaincu du caractère essentiel du terroir devrait examiner de près le niveau de qualité des vins produits à Pomerol où le cépage (Merlot) et le climat sont les mêmes pour tous les Crus. Que de différences dans le verre selon qu'il s'agisse du plateau central argileux ou des zones graveleuses des alentours plus ou moins sableuses. Comment ne pas accepter l'idée que le terroir est une vertu cardinale lorsque, par ailleurs, on déguste les vins provenant de certains sites viticoles anonymes dirigés par d'anciens responsables techniques de Crus Classés … ?
Les vieilles vignes sont moins fertiles , produisent moins de grappes sont de taille plus faible et par conséquence ont une richesse générale, une concentration et une qualité de tannin incomparables.
à la fois alcoolique (12°5 en moyenne) et phénolique pour les rouges
Les bons apôtres qui prêchent la primauté de la technique et donc de l'homme sur le terroir et qui pensent que l'on peut obtenir de grands vins sur de petits terroirs, n'ont certainement pas tout compris à la haute viticulture et à la dégustation du vin . Sans grand terroir pas de grand vin ! Sans complexité acquise au cours du vieillissement pas de grand vin non plus!
Le vin vieux est le symbole de l'élégance, de la distinction et de la noblesse du goût. Même si on produit des vins concentrés par petit rendement et par extraction poussée, le vin jeune ressemblera peut-être à un grand vin mais, au bout de quelques années, il ne tiendra pas ses promesses et le terroir originel reprendra ses droits . Plus que le cépage ou les techniques les plus sophistiquées, c'est le terroir qui détient la clef du grand vin et qui, avec le vieillissement, imprime au vin son style et sa personnalité. Un surcroît de technique n'a pas d'influence prépondérante sur le naturel. Il faut condamner tous les procédés récents qui maquillent les vins jeunes, les embellissent, les rendent aimables pour concourir dans les dégustations précoces. Ils portent atteinte au goût authentique et provoquent une incapacité à vieillir favorablement.