A la guerre comme à la guerre,
La légende de Gunthard
An trois mille ou lents demains, je ne sais plus.
Les jours, les semaines puis les mois ont passé, le temps a ralenti, engloutissant le monde dans une lénifiante hibernation, étouffant les applaudissements aux fenêtres, les rires des enfants et le bruit des verres qui trinquent.
Un voile d'obscurité est tombé sur le monde et si n'était le pépiement des oiseaux derrière le carreau des fenêtres et la lumière quotidienne de la résistance LPVienne qui lui parvient encore sur son vieux PC familial, l'espoir du Soldat Gunthard se serait évanoui.
Il y a bien eu une tentative de pont aérien depuis le bout du monde mais rien n'y a fait, les réserves hydroalcooliques se sont amenuisées chaque jour un peu plus.
Le tour de ceinture a perdu quelques crans et les rondeurs de bords de lac alpin ne sont plus qu'un glorieux mais lointain souvenir. Un effet du verre solitaire, sûrement...
La bibliothèque y est passée, du Monde de Oui-Oui à la Critique de la Raison Pure, en passant par les notices du robot Moulinex et les feuilles d'impôt des années 60.
LPV émet toujours, irradiant ce qu'il reste du monde d'avant des plaisirs insouciants d'un temps où la modération était une prudence, pas une nécessité vitale.
Si le souffle est court, les neurones aussi chahutés que la taille est resserrée, le soldat Gunthard persiste avec abnégation sa quête acharnée d'un avenir possible.
L'espoir n'est pas mort, il respire encore.
Après une quinzaine de jours d'enfer, avec stupeurs et tremblements, des suées à en mouiller la couette, la mousse qui commence à pousser entre les arpions et le désespoir qui pointe sa fourberie, un début de quelque chose semble apparaître.
La vue du sujet s'éclaircit, son regard vitreux et morne attrape enfin la lumière.
L'anosmie des débuts semble comme s'apaiser et le patient redistingue enfin un Pont l'Evèque d'un Brillat Savarin...
Pour un gus à gueuze comme l'était Gunthard, l'agueusie tenait presque autant de la torture que de voir la boîte à camembert vide quand il reste du pain.
Un début de rémission ?
Distillerie Laurent, Mirabelle, La Duchesse
Robe comme de l'eau... de vie !
Nez curieux et qui se joue en deux temps, sur des notes pas très avenantes de marc et de colle à bois, il met du temps à s'épurer dans le verre pour libérer alors de belles senteurs fruitées, sur... la mirabelle, le sucre cuit.
La goutte dans le verre vide sent même furieusement bon les fins d'été et les tartes de la grand mère !
Bouche agréable, au feu un peu dominant et qui pèse sur un fruit qui manque légèrement de caractère.
Finale honnête et qui n'a que le défaut de sentir meilleur qu'elle ne goûte.
Plutôt pas mal.
Le confinement a eu raison des usages de Gunthard. Et usé sa raison...
Le tire-bouchon a rouillé dans le tiroir, la vaisselle se résume à une cuillère et un verre à dents.
Et la dernière cravate de sauteries a servi de fronde à pigeons pour essayer d'améliorer l'ordinaire.
Les seuls tanins encore dans sa mémoire sont de la poussière des sachets de temps qu'il mouille à l'eau chaude quand le soleil se lève.
On l'aurait même vu tenter de se relancer les souvenirs des grandes heures en respirant les vapeurs de la vieille bouteille d'alcool à fondue qui traine sous l'évier de la cuisine.
Pourtant, après plusieurs injections à heures fixes des dernières réserves du barbare bar précieusement conservées, le patient témoin semble récupérer de l'allant.
Ne lui manque qu'une petite dose d'hydro-titecokine dans le biberon et peut-être qu'on tiendrait enfin un début d'antidote.
Maison Routin, Génépi de Savoie
Bouchon de fin du monde dont le cœur se délite et dont les bords restent collés au goulot.
Mais pour un type qui ouvre depuis des semaines les boites de lentilles avec ses dents, un bouchon récalcitrant, c'est pas un obstacle. C'est une distraction !
Gunthard lui aura fait la peau à coups d'moyens du bord, du pic à brochette à la passoire à thé pour éponger le carnage. L'effort est bestial. Mais efficace.
La rectitude dogmatique de la vie sommelière d'antan y perdra ce que les nécessités d'hydratation post apocalyptique imposent. Où quand la faim du monde justifie tous les moyens...
Robe d'un vert fluo digne d'une montée sous acide en écoutant du Hendrix.
Nez peu causant, comme éteint, sur le foin, un petit côté médicinal mais qui manque de franchise.
Bouche sirupeuse et molle, offrant trop peu de goûts, sur un mince gazon verveine, pour compenser ce côté sirop de feu.
Finale gluante comme un attrape mouche, collante de sucre.
Remarquez, rien qu'à la forme de la bouteille, ça sentait déjà l'embûche, mon affaire.
J'entends mes caries qui se réveillent...
Dehors... c'est où dehors ? C'est demain, c'est là-bas, c'était quand ?
Les horloges se sont arrêtées depuis tellement longtemps qu'on ne compte plus le temps dans ce monde dévasté.
La rémission gagne pourtant en stabilité.
Le témoin ne voit plus des éléphants roses que par intermittence, lui laissant des plages de vie sans tremblement de plusieurs solstices maintenant.
L'espoir est en marche au bout du chemin de croix !
Maison Pérez, Impérial Myrte
Robe jaune paille.
Joli nez très agréable, sur le thym citron, un côté agrume herbacé, un peu de miel d'acacia.
Bouche sirupeuse, un peu trop lourde de sucre à mon goût sur de très beaux goûts en pleine phase avec le nez toutefois, toujours sur ce côté citronné résineux bien sympathique.
Finale franche, équilibrée et d'une jolie persistance.
Très joli pour peu qu'on le serve frais.
Comme quoi, y'a pas, chez Pérez, on travaille sérieusement !
Oh putain, ça y est !
Ce qui semblait si loin il y a si peu est désormais si près.
L'air est frais d'un printemps qui s'ébroue, le ciel d'azur sonne le temps du retour à la vie.
On le tient, on l'a, notre antidote tant recherché ! Dans la vie, tout n'est pas cirrhose !
Pas besoin de Nobel, de gymnases à son nom, d'hommages nationaux.
La recette est
ICI
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Gunthard espère juste pour l'Humanité que le cocktail Chambertin - Riesling - Rhum Vieux - Banyuls fonctionnera aussi bien...
Lever le coude pour ne pas baisser les bras.
Sus aux souffrances du confinement, que vivent et perdurent les valeurs de convivialité.
Courage à ceux qui souffrent ou qui sont seuls en ces temps difficiles.
Il y aura des jours meilleurs.
Il faut tenir. Et pour ça, rien de mieux que le rire.
Gunthard