Lutèce voyage dans la stratosphère
Tout d'abord merci JD pour ce compte rendu rédigé à la vitesse de l'éclair. Je le soupçonne d'ailleurs de l'avoir fait exprès car c'est moi d'habitude qui ouvre le bal. La prochaine fois, je ne laisse pas passer et ce sera CR instantané (faut que je me remette à prendre les notes à l'iPad). En termes de ressenti, les coups de coeur sont les mêmes mais pas mes notes : c'est aussi ça les joies de l'aveugle et d'être chacun à un bout de table
Cela faisait un certain temps que certaines personnes du groupe voulaient refaire la soirée grosses quilles. Et oui, une partie non minoritaire de notre groupe est buveuse d'étiquettes, on ne les refait pas
Faute d'avoir loué un gîte pour se faire un week-end d'anthologie faute de disponibilité commune, nous avons tout de même réussi à se caler pour cette soirée où nous ne manquerons que d'un membre.
Les règles sont strictes cette année : 1 bouteille par personne, 1 bulle d'entrée et c'est tout, ma généreuse proposition d'un blanc et rouge étalon ayant été dédaignée
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Encore une fois, nous adoptons notre système de joyeux bordel au niveau de l'ordre : pas de MC, faut annoncer et s'avancer devant le jury implacable. C'est que c'est presque le maillon faible cette histoire, si tu te plantes dans l'ordre, on te dit au revoir : on a même une expression : 'faire une Yann"* Heureusement et comme souvent, aucun maillons faibles et que des copains
Notre restaurant QG est ouvert et c'est super, pour cette soirée on sera en haut dans un espace privatisé donc on aura la place. J'arrive dans l'antre et halte, je découvre que nous sommes finalement au rez-de chaussée avec une belle promiscuité. Cela ne fera que rendre la soirée plus joyeuse et nous ferons profité de notre ambiance gauloise et exclusivement masculine à tous les clients
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Allez c'est parti et on commence par une bulle de mise en jambe aussi appelée bulle d'attente ou mise en bouche. Bref faut se faire le palais à moins de 200 balles.
Vin 0.1 : Domaine de l'Anglore, Vin de France, Les Caprices, NM
Je ne fais habituellement pas de commentaires sur la robe mais celle-ci est trouble de chez trouble.
Le nez est porté par les levures, un côté très nature avec même de la colle Cléopâtre puis vient un mélange d'agrumes (citron frais, pamplemousse amer) et même des fruits exotiques. Le côté nature domine mais le vin n'est pas simple du tout.
La bouche est acidulée (presque bonbon acidulé) et laisse cette sensation sur la langue, assez légère avec une bulle fine mais bien présente. Les arômes sont majoritairement sur les agrumes et la finale légèrement épicée. La longueur est moyenne mais l'ensemble se boit très facilement et on a envie de se resservir.
Le type de vin que l'on a envie de boire par pichets en été tellement l'alcool ne se fait pas sentir et qui pourrait passer pour un jus de fruits naturel. Connaissant l'apporteur et ayant eu l'occasion de croiser cette cuvée une première fois en 2022, je trouve assez rapidement la cuvée. Une mise en bouche idéale.
On me signale dans l'oreillette que ce vin part pour plus de 200€ sur idealwine. Au prix payé par l'apporteur (plus de 10 fois moins cher), c'est une bouteille que je bois avec plaisir. Au prix de la côte, j'achète une caisse de Follet Ramillon.
Le dernier arrivé signale qu'il a pris lui aussi une bulle pour les retardataires. Ça commence à dégénérer alors que nous n'avons même pas encore commencé.
Vin 0.2 : Domaine Bertin-Delatte, Vin de France, 0.29
Le nez me fait partir directement en chenin avec un mélange de coing, un nez avec une fine brioche et un style un peu lacté et même des petites notes caramélisées style pop-corn. Le style est plus classique que le vin précédent mais cela reste nature et je ne le met pas en champagne mais plutôt en Loire dès ce nez.
En bouche, le vin pâtit d'être servi trop chaud : on a une amertume en attaque, des bulles un peu vives et le milieu de bouche revient avec une acidité assez importante. Longueur moyenne.
Une bulle sympa, plus classique que l'Anglore et qui a eu le désavantage d'être servie trop chaude.
Bon c'est bien les bulles d'introduction mais il faudrait quand même passer aux choses sérieuses.
Vin 1 : Champagne Philipponnat, champagne Clos des Goisses 2000
Le champagne est carafé quelques minutes avant le service, bonne excuse pour servir de beaux verres car après il n'y aura plus de bulles.
Le nez présente une belle complexité et est bien présent sur des arômes évolués : je sens majoritairement les épices du curry, du curcuma puis vient des arômes d'abricots secs et de citrons confits.
La bouche présente une matière dense, presque austère avec des arômes majoritairement sur la noix et une amertume les premières secondes qui est assez présente. La bulle étant presque inexistante (liée au service en carafe ou à l'âge), l'amertume n'est pas gommée sur le palais. La finale est presque terreuse et l'acidité se révèle et même une certaine rondeur une fois le vin bu/craché. Bonne longueur générale.
C'est clairement bien fait mais pas de coup de cœur pour ma part. Étiquette découverte, je ne peux qu'avoir une certaine déception étant donné que le 1992 reste l'un de mes panthéons vinique.
Vin 2 : Champagne Selosse, Lieux-Dits la Côte Faron, Extra Brut NM
Oh là là, quel beau nez que voilà. Une complexité de dingue avec une oxydation maîtrisée avec de la noix mais aussi un mélange de fruits confits avec le citron et l'ananas, des épices avec le poivre blanc et quelques arômes beurrés. Le nez ne cesse de changer et reste tout le temps invitant.
Que dire de la bouche si ce n'est un juste équilibre entre la délicatesse, une matière multidimensionnelle, un éclat, bref du tout bon.
Si l'on doit être dans l'analytique on peut dire que l'attaque présente une belle acidité maîtrisée avec les bulles. Et ce c'est que le début, une seconde attaque arrive sur les fruits confits. La matière s'étend sur le palais par vague, laissant au départ une rondeur, puis de nouveau une certaine acidité pour finir sur des arômes de noix et de noisette. Mais le plus impressionnant est que ces différentes vagues reviennent pendant de longues secondes.
Un champagne rare, d'une complexité affolante et en même temps avec un mélange de finesse et d'ordre (tout est en place et à sa place). Bravo M. Selosse !
Chaque rencontre avec ses champagnes sont un voyage dont on ne garde que des souvenirs et la beauté est d'être de nouveau surpris à chaque entrevue.
Les bulles sont terminées et les blancs doivent maintenant s'avancer. Qui ouvrira le bal après le Selosse ? Le silence se fait (pendant 20 secondes autant dire une éternité. Connaissant mon blanc, je ne dis rien mais heureusement un valeureux présente son vin, non sans appréhension.
Vin 3 : Domaine Stéphane Bernaudeau, Vin de France, Les Nourrissons, 2013
Je vais choquer mais j'ai trouvé le nez mutique et il le restera pour moi. "Mais non !" me sort un camarade en me mettant mon nez dans son verre et disant que c'est trop sa came. Rien n'y fait et si l'on trouve des notes de beaux Chenins avec un mélange de coing, d'arômes citronnés et un léger parfum de noix/fumé associé à un début de truffe, il faut aller le chercher pour le trouver.
La bouche en revanche est d'un tout autre acabit, l'une des plus belles de la soirée avec une attaque ronde et grasse et une matière qui emplit le palais. Un vin lourd ? Que nenni, une acidité d'une précision de laser prend place et l'on est sur un mélange complexe de citron confit, de truffe et une finale délicatement fumée. Grosse persistance aussi impressionnante que le Selosse même si plus unidimensionnelle.
Encore une fois tout est en place et si au début, je notais une légère chaleurosité, elle disparaît au fur et à mesure de la dégustation.
Que penser de cette bouteille ? Le nez m'a clairement laissé sur ma faim alors que la bouche m'a transporté autant que certains grands vins. Pas facile le vin tout de même mais je reste persuadé que M. Bernaudeau est un grand de Loire.
Bon il est temps de monter sur le ring et de présenter au conseil impitoyable mon vin.
Vin 4 : Domaine Marquis d'Angerville, Meursault 1er cru, Les Santenots, 2013
Le nez est expressif et présente une belle complexité sur un mélange d'agrumes (citron), des notes florales, un peu de végétal et des arômes de fumé, une légère croûte de fromage et de beurre frais. Ça fait directement très chardonnay et personne ne s'y trompe.
La bouche présente une matière enveloppante et grasse dès l'attaque et une sensation caillouteuse en milieu de bouche. L'acidité est bien là et donne au vin son équilibre, un mélange de puissance et de délicatesse qui donne une finale légèrement épicée. La persistance est aussi bien présente et donne à l'ensemble un très beau vin puissant et délicat en même temps.
Deuxième rencontre avec les blancs du domaine après un très bon aligoté, j'aime ce style : un style mur, élevé du chardonnay mais qui le met en valeur sans perdre en délicatesse. Très beau vin.
Un coup de Trafalgar arrive si vite : le chef signale qu'il a une bouteille bonus, à température en plus, c'était clairement préparé ! Quand je pense à ma proposition de vin étalon qui a été rejetée sans aucun débats
!
Vin 5 : Maison Louis Latour, Pulligny Montrachet 1er cru, Sous le Puits, 1999
Le nez reste très jeune avec un mélange de citron, de léger caramel, du bois noble et même quelques notes de mangue. On reste en chardonnay cela semble certain pour moi mais ces arômes légèrement exotiques font partir certain sur du sauvignon.
La bouche présente une attaque légèrement chaleureuse et un milieu de bouche sur l'herbe coupée et le citron. Beau gras général avec une amertume qui arrive un peu avant la finale. Finale sur le pamplemousse puis le beurre et longueur plus que correcte.
Encore une fois un beau vin, que je plaçais en chardonnay sur un millésime chaud du type 2015 ou 2018. Stupeur à la tombée de l'étiquette et même s'il n'a pas la délicatesse du marquis, cela reste un très beau vin.
Vin 6 : Maison Chapoutier, Ermitage, L'Ermite, 2002
Quel beau nez légèrement évolué sur la cardamome, le zeste d'orange, feuille de citron. C'est d'une superbe complexité et très joli et cela me rappelle certains Porto blancs extra dry.
En bouche, on retrouve cette complexité avec un mélange gras, une amertume en attaque qui disparaît rapidement pour laisser le vin dérouler sur ces arômes de peau d'agrumes. Belle finale longue et ample. Contrairement aux autres vins, la persistance n'est pas extraordinaire mais laisse justement le palais frais qui donne envie de se resservir. Tout à fait une autre forme de grand vin.
Trafalgar continue et cette fois-ci c'est une nouvelle bouteille qui est ouverte en dernière minute. Je compte déjà trois bouteilles supplémentaires !
Vin 7 : Domaine Les Aurelles, Côteaux du Languedoc, Aurel 2008
Le nez présente des arômes totalement différents des vins précédents et le fait penser à un mélange de 5 épices chinoises et de gingembre. Totalement atypique, j'apprécie beaucoup ! L'aération amène même un côté bonbon caramel.
La bouche est presque bonbon avec une belle puissance,une amertume bien maîtrisée (qui fait dire roussanne) avec des arômes de bouillon de légumes chinois et une finale sur le lilas et la coriandre. Léger pralin à l'aération.
Une très belle bouteille atypique, peut être moins complexe que d'autres ce soir mais sans avoir à rougir du égard à la préparation de dernière minute.
Une superbe série de blancs, tous différents les uns des autres et faisant voyager dans plusieurs régions. Sans se concerter, les gaulois sont quand même bien organisés (emoji santé). Place maintenant aux rouges.
Vin 8 : Château Rayas, Châteauneuf-du-Pape, 2008
Boum, dès que le vin est dans le verre, le nez prend directement et je reconnais directement la patte Reynaud avec ce mélange de fraise des bois encore sur pied, l'orange sanguine, le clou de girofle, une petite pointe poivrée et même un léger menthol. C'est d'une superbe complexité, intense et envoûtant. J'adore personnellement et avant de goûter, j'hésitais entre Rayas ou Pignan.
La bouche est un autre exemple de grand vin avec une matière imposante et éthérée, une puissance contenue avec un superbe équilibre et un touché de bouche envoûtant sur ces arômes d'orange sanguine qui fournit cette acidité permettant au vin de glisser sur le palais. La finale est épicée et la persistance est importante. Juste sublime.
Deuxième rencontre sur ce rayas 2008 et à chaque fois, je prends une claque. Un superbe vin qui donne déjà beaucoup de plaisir maintenant. Bravo M. Reynaud.
Vin 9 : Domaine Guigal, Côte Rôtie, La Landonne, 2003
Le nez est totalement différent du rayas avec une impression très concentré sur un mélange de fruits noirs, quelques notes de vanille, un petit aspect kirsché et aussi des notes de tabac et feuilles mortes qui fait dire que ce vin n'est plus tout jeune.
La bouche présente sûrement la matière la plus dense de la soirée, impressionnant de concentration sur les fruits noirs et un côté claquant sur le palais grâce à une acidité présente en milieu de bouche. Finale longue et intense, presque lactée qui laisse cette sensation en fin de palais.
Ma première Landonne sur table, c'est très bon dans un style concentré. J'ai beaucoup apprécié avec ce côté baroque comme le dit JD.
Vin 10 : Domaine Georges Vernay, Côte Rôtie, Maison Rouge, 2009
Le nez est joli et fin sur un mélange de fruits noirs, de poivre, des notes d'anchois, une fine rose fanée. La Syrah est évidente ici.
La bouche est délicate, droite et fraîche avec une belle acidité qui soutient le tout. Belle longueur sur les épices et les anchois.
Un beau vin très bien fait mais pas de coups de cœur pour moi, sûrement lié aux vins précédents (et aussi à la fatigue du dégustateur)
Bon on arrive à la fin des rouges, stupeur au sein de la partie gauche de la table (ceux-là même qui ne voulaient pas de vins complémentaires) et Trafalgar continue. Antony se missionne pour aller chercher une bouteille chez lui et il annonce que ce sera un magnum ! Perfidie, quand tu nous tiens
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Vin 11 : Château Pontet Canet, Pauillac, 2004
Le nez ne trompe pas : on est à Bordeaux mais les beaux bordeaux. C'est très classique sur le cassis, quelques fruits rouges, un petit côté mentholé. Tout est en place, c'est bien fait et l'élevage semble complètement intégré. On n'est pas encore sur des arômes évolués et suggère une certaine jeunesse.
La bouche est fraîche avec des tannins fins, des petits fruits rouges acidulés et une finale mentholé. Belle longueur.
Une belle bouteille, qui commence juste à se boire. Je n'avais jamais goûté de Pontet Canet sur ce millésime classique, c'est très bien fait et devrait se maintenir un long moment.
Vin 12 : Domaine Jacques Puffeney, Arbois, Vin Jaune 2006
Le nez est beau pour un vin jaune avec un mélange de noix, de curry mais aussi un côté rocheux et mentholé.
La bouche présente une attaque fine pour un vin jaune sur ces arômes de noix et une finale sur le café. Belle longueur.
Clairement pas mon style de vin, j'aime bien avec les accords idoines, seul j'ai quand même beaucoup de mal et je ne pense pas discerner un bon vin jaune d'un excellent. Ça reste encore à explorer.
Vin 13: Château Yquem, Sauternes, 1995
Encore un super nez complexe sur de l'ananas rôti, la pomme caramélisée, une touche de mangue. C'est expressif, très ouvert.
La bouche est elle aussi sublime avec une grosse concentration et en même temps une acidité qui permet à l'ensemble d'être tendu et équilibré. Tout est en place même si ça reste jeune et la finale est sur les fruits exotiques et le caramel avec une longueur impressionnante.
Encore un coup de coeur. C'est quand même beau Yquem.
Quelle belle soirée avec les copains
! On n'aurait pas pu commencer 2023 de meilleure façon. J'ai bien compris dans tous les cas la leçon : ne pas écouter ces fourbes de gaulois et ramener le nombre de bouteilles que je souhaites !
Belle dégustation,
Matthias
*Contexte : lors de la première soirée pour ce cher Yann de méthode à la criée, il a placé un sublime Comtes Lafon,Volnay Santenots du Milieu 1998 en deuxième rouge dans une soirée sans chichis. Difficile de passer après ça.