Visite au domaine des Côtes Rousses chez Nicolas Ferrand
Après une visite au domaine Jean Masson et fils, j’avais pris rendez-vous avec Nicolas Ferrand du domaine des Côtes Rousses. Il se présente lui-même comme un paysan vigneron, sans doute pour bien montrer son attachement au travail de la terre. Avec une tête bien faite et bien pleine, sérieux et très motivé, passionné par toutes les facettes de son métier, Nicolas Ferrand me fait beaucoup penser à Matthieu Delaporte de Chavignol !
L’essentiel des terrains constituant son domaine se situe sur la commune de Saint-Jean-de-la-Porte, et il les a pris en fermage il y a environ sept ans. Le total de la surface est maintenant de 6 ha, comprenant de faibles surfaces à Montmélian et à Monthoux. Nicolas ne souhaite pas trop augmenter la surface totale mais il a en projet de planter de la vigne autour de sa maison à La Motte-Servolex pour produire des vins en IGP à base de jacquère et de gamay.
Le nom du domaine vient du fait que les parcelles initiales de Saint-Jean sont en forte pente et qu’elles comprennent pas mal d’argiles aux reflets roux.
Les vignes, assez âgées, sont conduites en agriculture biologique et la certification vient d’être demandée pour la biodynamie. Comme elles sont enherbées pour la plupart, il utilise différents moyens mécaniques, adaptés au terrain, pour éviter la prolifération des mauvaises herbes : chenillard, cheval et même treuil.
En termes de vinification, les levures sont bien entendu indigènes et tous les vins font leur malo, même les cuvées à base de jacquère ; on retrouve ainsi le style des bons vignerons savoyards, adopté par tous les jeunes qui montent. Nicolas Ferrand aime bien varier les contenants et remplace peu à peu ses cuves en fibres par des matériaux naturels. Il essaie de ne pas rajouter de soufre, éventuellement 1g / hl s’il le faut. Pour ceux qui veulent classer les domaines en catégories, on est donc sur du Bio-D + nature. Mais je n’ai trouvé aucune déviance, même infime, sur ses vins.
Il vend essentiellement à la restauration et aux cavistes et a volontairement limité la part de l’export à 15 – 20 %, ce dont il peut se féliciter quand il y a des crises internationales comme c’est le cas actuellement. La part de vente aux particuliers reste faible mais va pouvoir augmenter, son épouse venant le rejoindre pour s'associer au projet, ce qui permettra un accueil plus régulier à la cave.
C’est parti pour une belle dégustation, à l’extérieur, juste devant la cave qui est en cours de préparation pour une nouvelle mise en bouteilles prévue le lendemain. Les barriques qu’il utilise ont vu entre six et dix vins. Il vient d’en acquérir deux neuves pour renouveler son parc mais les utilise pour des cuvées de grand volume afin de diluer l’influence du bois. De plus il a choisi une chauffe à la vapeur, ce qui est marque moins le fût qu’une chauffe au feu.
Vin de Savoie blanc – La Pente – 2019
Cette cuvée de monocépage Jacquère est issue de plusieurs parcelles à base de marno-calcaire avec de l’argile, et d’un élevage dans plusieurs contenants : foudres, jarre en grès et barriques (25 % pour ces dernières) de plusieurs vins. Elle a été mise en bouteilles une semaine auparavant.
Un vin élégant, assurant un juste équilibre entre fruit et minéralité, d’une aromatique étonnante car ajoutant des notes d’anis et de frangipane aux classiques senteurs de fruits blancs.
Bien ++
Vin de Savoie blanc – Armenaz – 2019
Cette cuvée de monocépage Jacquère est issue d’une seule parcelle située en altitude (580 m !) sur un terroir comportant plus d’argiles rousses ; elle a été élevée dans un foudre.
L’aromatique est également surprenante, la floralité allant jusqu’à des plantes aromatiques évoquant la chartreuse, avec des fruits plus jaunes et de l’anis. Mais c’est la superbe minéralité-acidité en bouche (pH = 3,07 !) qui m’a conquis, apportant droiture, tension, allonge et finale saline.
Très Bien
Vin de Savoie blanc – Mon Blanc – 2019
Cette cuvée est un assemblage à géométrie variable selon les millésimes. Sur 2019, il y a 60 % de Chardonnay (cépage toujours prépondérant dans la cuvée), de la Jacquère, de l’Altesse… L’élevage se fait en barriques de plusieurs vins.
Un vin plus rond avec un très léger gras. Mais le terroir parle en jouant sur l’aromatique et sur la finale plus tendue que l’attaque.
Bien ++
Roussette de Savoie – Ensemble – 2018
« Le vigneron n’est jamais seul, et c’est « ensemble » qu’on fait une grande cuvée. » comme l’écrit Nicolas Ferrand sur son site.
La richesse de parfums s’étend d’une expression miellée à des aromes exotiques, rafraîchie avec bonheur par une touche pétrolée.
La bouche est pleine et généreuse, dotée d’une superbe matière mais sans manquer de vivacité.
Très Bien (+)
Comme il s’agissait de la première cuvée dégustée du millésime 2018 par rapport aux précédentes sur 2019 je demande comment se comparent les derniers millésimes. En fait c’est comme dans de nombreuses régions de France, en particulier la Loire que je connais bien : 2018 a été chaud et riche mais le domaine a pu vendanger tôt toutes ses vignes pour éviter la montée en alcool tout en ayant une bonne maturité phénolique ; 2017 est plus frais, en tout cas plus classique ; et 2019 se situe entre les deux. Nicolas aime bien ce millésime 2019 et, même s’il est bien trop tôt pour faire un pronostic, toutes les conditions sont à ce stade réunies pour faire un grand 2020.
Roussette de Monthoux – Mon Tout – 2018
Les quelques dizaines d’ares ont été acquises avec Matthieu Goury du domaine de Chevillard et tous les travaux sont réalisés ensemble. Les raisins sont pressés au domaine des Côtes Rousses puis élevés par chacun selon la part qui lui revient. Et malgré des vinifications et des élevages très proches, les vins sont différents d’après Nicolas.
Le nez combine opulence et élégance. La première partie de bouche présente un volume encore plus important que celui de la Roussette de Savoie puis une énorme tension prend le dessus en deuxième partie avant une superbe finale à la grande salinité salivante.
Très Bien +(+)
Du coup je suis allé voir mon CR d’il y a un an sur ma visite au domaine de Chevillard.
La Roussette de Monthoux 2018 était encore en élevage sur fûts et voici ce que j’en rapportais :
De la réduction au nez, mais quelle énorme matière en bouche, avec de la tension et une superbe salinité qui marque le grand terroir.
Cela me semble très cohérent !
Chignin Bergeron – Verre Tige – 2018
La superbe aromatique joue une partition bien variée avec des fruits jaunes, de l’amande, du miel et de la cire.
La matière est dense en bouche mais bien équilibrée car également en finesse, ce qui la rend digeste, d’autant que la finale persistante joue plus la carte de la vivacité.
Très Bien (+)
Vin de Savoie rouge – Piste Rouge – 2019
Cette cuvée est un assemblage à géométrie variable selon les millésimes, en général plutôt improbable. Sur 2019, il y a 50 % de Pinot noir puis du Gamay, du Cabernet sauvignon (!), de la Mondeuse et du Chardonnay (!!!!!). Les 4 % de Chardonnay jouent le rôle d’exhausteur d’arômes.
La vinification est réalisée en grappes entières et la mise en bouteille sans filtration.
C’est un vin facile et délicieux, au fruité éclatant, frais et gouleyant. Des petits tanins titillants le façonnent et lui permettront d’attendre l’été prochain pour ceux qui n’auraient pas vidé leur stock cet été.
Bien +(+)
Vin de Savoie rouge – Cru Saint-Jean-de-la-Porte – Les Montagnes Rousses – 2019
Il s’agit d’une cuvée monocépage de Mondeuse, incluant les raisins de l'ancienne cuvée « Saint-Jean-de-la-Porte » ; elle est vinifiée en douceur avec peu d’extraction pour garder l’expression pure du fruit du cépage.
Le nez très intense fait effectivement la part belle aux fruits, plutôt noirs, mais on y décèle aussi facilement des arômes de violette et de silex frotté.
L’attaque se fait en subtilité avant d’évoluer vers plus de volume, de matière et de tanins, sur une bonne allonge.
Très Bien
Vin de Savoie rouge – Cru Saint-Jean-de-la-Porte – Coteau de la Mort – 2018
Cette cuvée parcellaire est issue d’un coteau délaissé pour sa forte pente mais réputé pour ses cuvées de Mondeuse de qualité depuis le moyen-âge, à l’époque où les moines cultivaient ce coteau alors en terrasses. L’élevage long en demi-muids de plusieurs vins est un autre paramètre pour viser un vin de grande garde.
Puissant et profond, le nez explore autant la (demi) gamme de fruits noirs que la gamme épicée.
La bouche assume brillamment une dualité puissance – finesse ou matière – acidité. Les tanins solides mais gras supportent l’ensemble qui demande à se fondre mais tout est là pour en faire un grand vin.
Très Bien + actuellement pour ce vin de gastronomie mais beaucoup plus sans doute dans dix ans.
Pour être complet, il existe enfin un vin orange à base de Jacquère, macérée pendant un mois : la cuvée « Troublant ».
Un grand merci à Nicolas Ferrand qui aura passé bien plus d’une heure avec moi pour me faire déguster et répondre à toutes mes questions, alors qu’il est dans une période qui réclame encore beaucoup de travail à la cave si ce n’est à la vigne.
Dans la même journée, j’aurai rencontré deux personnalités très différentes, avec Jean-Claude Masson, mais tout aussi intéressantes, ainsi que leurs vins !
Il y a du très bon en Savoie, qu’on se le dise !
Jean-Loup