Compte rendu de dégustation de vins du Domaine Gardiès : Muscat sec 2005, Côtes du Roussillon villages Vieilles Vignes 2005, Les Falaises 2003, La Torre 2004, Côtes de Roussillon village Tautavel Vieilles Vignes 2004, Mataro vendanges Tardives, Muscat de Rivesaltes Flor 2005, Rivesaltes ambré vin doux naturel 1995.
Plutôt que de présenter les vins selon l’ordre de leur présentation, je choisis de les décrire à travers les cépages, les assemblages, l’encépagement et donc le terroir. L’essentiel des vins n’a pas été bu dans les meilleures conditions. Le carafage des vins blancs, le vieillissement des rouges sont les mentions obligatoires pour mieux apprécier. Néanmoins que j’ai découvert des vins sincères, qui ne trichent pas, qui sont la révélation de l’aridité des sols pyrénéens et des mentalités catalanes.
Le cépage muscat est vinifié à l’occasion de trois cuvées ; le Muscat sec, le Muscat de Rivesaltes Flor et le Rivesaltes ambré, ces deux dernières étant des vins doux naturels.
Dans ces trois vins, l’arôme muscaté prend des valeurs particulièrement contrastées.
Le Muscat sec présente des nuances olfactives typiques du cépage, comme le muguet et le géranium, mais me surprend, me gêne. D’abord, le nez évoque malencontreusement l’œuf, l’encaustique. Quand le vin tourne, et qu’il se fait attendre, le deuxième nez révèle alors des notes mentholées, puis la cire. A nouveau l’œuf, mais l’œuf frais. L’odeur du soufre s’estompe, persiste celle du poulailler certes, mais dans sa chaleur plus dans ce qu’elle pouvait être de désagréable. Une amertume surprenante et gênante pour une première gorgée. L’endive se dessine, bientôt crayonnée par le goût du graphite. Une minéralité qui dessert le vin, une expression de terroir normalement inattendu dans le muscat, (sauf qu’au Domaine Gardiès les vignes du muscat ont entre 70 et 80 ans, et que donc l’expression de son terroir est immanquable). Bientôt, la deuxième puis la troisième gorgée, renouvellent complètement les sensations amères initiales qui ont amplement tapissé la bouche. Le melon fait doucement son apparition, et, subrepticement d’abord, l’air de rien, puis avec de plus en plus de persistance, l’écorce d’orange amère. L’amertume ne se dissipe pas tout à fait, mais l’avènement progressif du fruité tend à faire oublier ses sentiments empoisonnants… Ce n’est que très lentement et très progressivement que ce vin finit par plaire. Le palais a besoin de s’habituer, mais dès qu’il consent à y trouver la substantifique moelle, le désir et le rappel du vin s’immisce avec une indécente gourmandise. Le Muscat sec demande à être carafé longuement.
Le Muscat de Rivesaltes FLOR, en raison des procédés de vinification propres au vin muté, présente une gamme aromatique du muscat modifiée mais qui en conserve le fond. Thème et variations du muscat. L’amertume et l’orange amère se déclinent désormais en poudre d’amande amère et noisette. La richesse en sucre, se dévoile par les senteurs de Pink Lady, et de sucettes au caramel (peut-être le caramel au beurre salé, souvenirs de Quiberon …).La bouche est très souple, et la longueur est généreuse. L’acidité en bouche confirme le caramel salé. La fraîcheur est immédiate et apporte avec elle le bouquet de fleurs.
Enfin, le Rivesaltes ambré fait vivre une concentration aromatique muscatée sur la pêche, la citronnelle, et l’orange mais savamment annexée par les teneurs olfactives du grenache gris et blanc, qui l’orientent vers le biscuit, le sablé, et le sucre brûlé ( le caramel oublié dans la casserole, celui que je réussis le plus !). L’apport du muscat au grenache évite que le vin ne ranciote. Et lui préserve un nez de poire, de caramel et d’orange amère. Le verre vide exhale le citron confit, l’orange amère et la vanille.
La trame olfactive du muscat reste donc toujours la même. L’amertume des notes florales et du pelliculé révèle les agrumes selon un nuancier allant de l’écorce d’orange amère au citron confit et une évolution terpénique allant de la cire, de l’encaustique au miel (pour le Rivesaltes ambré)
Le seul vin monocépage en grenache blanc et gris est le Côtes du Roussillon Village Vieilles Vignes blanc. Le grenache lui apporte des arômes de fleurs coupées, de pots-pourris, de buisson, apporte du volume et du gras. Au Domaine Gardiès, le sol calcaire apporte une grande transparence au vin, un vin concentré, très bien structuré, en raison de sa bonne hydrométrie.
La robe est lumineuse, la bouche est opulente, vive, concluante sur le fenouil, la badiane, et l’olive verte. La fraîcheur est l’arête qui lui garantit sa longévité.
Le Côtes du Roussillon village Tautavel Vieilles Vignes et Les Falaises sont deux cuvées à base de carignan, syrah et grenache. Le grenache noir. Les Falaises tire son nom de l’emplacement des vignes sur le cirque de Vingrau. Un terroir propice aux meilleures qualités du grenache, perceptibles dans le verre par les variations infinies autour des fruits rouges : burlat, grenadine, groseille, fraise, distinctions aromatiques assez inattendues pour le grenache. Sans sa force alcoolique et ses intensités gustatives et olfactives Les Falaises chercherait à imiter le Côte du Rhône. Seule sa fougue adolescente le trahit et le place dans les plus justes proportions des vins roussillonnais. A l’inverse, le Côtes du Roussillon village Tautavel Vieilles Vignes renoue avec les caractéristiques propres du grenache, et présente un nez assez saisissant mêlant le camphre et le boisé, puis la mûre. En bouche, le boisé revient en force, et se vêt de notes épicées, comme la muscade et le clou de girofle. Une amertume asséchante peut-être puisque curieusement le goût du savon et de la Betadine apparaissent, sans doute en réponse à l’odeur du camphre.- Je n’ai jamais mangé de savon, ni bu de Bétadine, - ma gourmandise et mon goût de la science ne m’ont jamais encore réduite à de telles extrémités, - mais je suis sûre de ne pas me tromper ! Le verre vide ne retient que l’odeur du fruit confit, du cassis, et du bourgeon de cassis. Globalement, le vin est plaisant. Les impressions cosmétiques ou pharmaceutiques sont à mettre sur le compte, selon moi, de son immaturité.
A retenir du grenache, sa potentialité à exprimer le fruit frais. Il peut passer du fruit noir amer comme le bourgeon au fruit compoté, pour aboutir à la fraise et à la cerise, aidé en cela par la syrah ( Les Falaises), le terroir, et le vieillissement.
Contrastant avec le grenache, le mourvèdre. Souvent marié dans un assemblage à d’autres cépages, comme la syrah et le grenache, il est rarement en monocépage. Mataro vendanges tardives est donc à lui seul un poème avant même de le déclamer, puisqu’il s’agit d’un vin doux naturel passerillé, issu de vendanges 100% mourvèdre surmâturées puis passées en claies. Mataro est l’autre nom espagnol pour désigner le mourvèdre. D’ordinaire, ce cépage donne un vin corsé, exubérant, très tannique, dur, sec. L’originalité du Mataro Domaine Gardiès et du principe de vinification dont il a fait l’objet tient dans l’assouplissement des tannins et du moelleux obtenu. Les arômes ont donc évolué sur les fruits noirs confits, comme la mûre, le cassis et le pruneau, sur le bourgeon de cassis et le laurier-sauce. Je rêve d’une crêpe à la gelée de cassis.
Un mourvèdre dompté, dominé déjà, bien que l’amande amère n’ait pas dit son dernier mot. Il en ressort le charme des paysages méditerranéens chers à Giono à la fois rudes, chauds et chatoyants, baignés de soleil, mais aux collines âpres.
Associé au carignan et au grenache, le mourvèdre, non muté, plus translucide dans la dégustation à travers La Torre, reprend ses droits. La force tannique marque le palais, cependant avec un relief savoureux grâce au vieillissement des vignes ( plus de trente ans au Domaine) et au terroir. Les vignes prennent pied dans les schistes noirs et l’argilo-calaire de Maury, schistes dont la présence est liée à la faille sismique qui parcourt le contrefort des Corbières. Cette grande complexité de terroir restitue des saveurs caramélisées, la fève de cacao, l’amande et la cerise confite, dévoilant ainsi les sapidités solaires du Roussillon et les meilleures fragrances du mourvèdre. Le verre vide répand le parfum de rose.
Passionnément vôtre,
Isabelle